Iora n’est jamais venue au monde ; c’est une enfant morte avant la naissance. Mais elle avait la particularité d’être un ange, un de ces êtres de lumière dotés de pouvoirs fabuleux. Son corps bien trop fragile abritait un puissant pouvoir. C’est lui, la manifestation de son pouvoir, qui naquit à sa place, prenant entièrement possession de son corps. Habituellement, le pouvoir est un être fait d’énergie pure avec sa propre personnalité, qui doit guider son ange dans la vie, comme s’il était la personnification de sa conscience, sans être considéré comme un individu à part entière. On les distingue via leurs iris entièrement décolorés à cause de l’intensité de leur énergie. Et à la naissance de la princesse, elle ouvrit de grands yeux blancs qui horrifièrent tout le château.
L’âme de l’ange s’envola donc pour rejoindre le pays des morts. Seulement, Iora avait une telle pureté d’âme qu’elle attira l’attention de Sohl, un immortel qui avait pour rôle de veiller sur le monde et de trouver d’autres mortels dignes d’accéder à cette même immortalité. Il récupérera cette âme juvénile, sachant déjà à qui la confier pour qu’elle s’élève sans une once de haine ou de peine ; il la présenta à l’immortelle Hayet.
Hayet était une femme renarde qui avait la réputation de veiller sur les mères et les enfants, elle descendait très souvent sur terre pour récupérer les orphelins et les aider à trouver une famille aimante. Elle acceuilla la petite âme avec beaucoup d’enthousiasme et l’aida à se développer pour prendre l’apparence d’une véritable petite fille. Puisque la manifestation de son pouvoir avait pris place en son corps mortel vivant sur terre, l’âme pure et immaculée prit exactement le même visage ; c’était comme si elles étaient des sœurs jumelles, l’une sur terre et l’autre aux cieux. Hayet prit beaucoup de plaisir à élever cette enfant avec toute la tendresse et l’amour dont elle avait besoin. Mais Iora avait beau être une jeune fille sage et obéissante, c’était surtout une petite demoiselle très curieuse. Elle passait ses journées, et parfois même ses nuits, à contempler la terre des mortels. Elle observait la vie de sa sœur.

Sa sœur était une belle princesse, mais puisque sa naissance était d’une rareté affligeante, au lieu d’être vue comme un miracle, elle était vue comme l’ultime déshonneur. Au lieu d’être un merveilleux ange, c’était la manifestation d’un pouvoir qui avait pris place. Pour la famille royale, c’était une humiliation, une punition pour un crime qu’il avait sûrement commis, mais lequel ? La princesse fut gardée à l'abri des regards et fut élevée dans une très grande discrétion. Sa vie était tragique et elle avait rarement droit au bonheur. Iora observait cette vie qui aurait pu être la sienne. Elle se sentit navrée ; si elle avait été plus forte, si elle avait eu la force de naître, alors son pouvoir aurait grandi à ses côtés et leurs vies auraient été radicalement différentes. Mais le passé est immuable.
Iora était encore trop fragile pour s'incarner sur terre, du moins, c’était ce qu’elle racontait aux autres immortels. Elle ne se sentait pas légitime à intervenir dans la vie de sa sœur… Elle aurait toute l’éternité pour s’incarner au sein de sa famille. Pourtant, même si elle s'était jurée de ne jamais intervenir, elle continuait de veiller sur sa sœur, comme si elle se forçait à être le témoin de toute cette tragédie, pour se punir d’avoir échoué dans quelque chose.
C’est ainsi qu’elle assista à la plus grande détresse de sa sœur ; un évènement horrible et cruel, orchestré par leur propre mère. Un malheur si grand que pour la première fois de leur vie, les deux sœurs ressentirent exactement la même émotion de tristesse, d’injustice et de haine pure. Une colère qu’elles n’auraient jamais dû ressentir, parce que ces émotions beaucoup trop puissantes provoquèrent une terrible malédiction sur tout le continent. Puisque l’origine même de leurs malheur venait de leur naissance, il n’y aurait plus d’ange.

Plus aucun ange ne viendra au monde pour les mille prochaines années à venir.

Telle sera la sentence de leur haine. Une malédiction que ni les proches de la princesse ne pouvaient arrêter, ni même les proches de l’ange Iora. Après une telle pagaille, Sohl dû intervenir. Il n’était pas sans cœur et il comprenait toute la détresse qu’avait ressenti la jeune fille, mais il ne pouvait pas laisser passer une telle action. Hayet intervint en faveur de sa fille adoptive, pour que Sohl ne soit pas très dure envers elle. Il fut décidé que Iora soit plongée dans un sommeil de cent ans. La jeune fille accepta son sort avec énormément de regrets ; ce sommeil forcé signifiait qu’elle n’assisterait pas à la fin de vie de sa sœur, qu’elle ne saura pas si elle réussira à se remettre de ces épreuves, ni si elle parviendra à trouver le bonheur. Elle ne verrait pas non plus sa nouvelle petite sœur naître, ni même apercevoir un morceau de sa vie. Ce sommeil la forçait à dire adieu à des gens à qui elle n’avait jamais pu dire bonjour. Mais elle accepta cette punition et en tira la leçon suivante : elle et sa sœur avaient des pouvoirs bien trop puissants, et c’était peut-être pour cette raison là qu’elles furent séparées à la naissance, mais elle devait surtout apprendre à contrôler ses émotions et à rester juste.

Iora s’endormit pendant cent ans. À son réveil, comme elle l’avait imaginé, ses sœurs n’étaient plus de ce monde. Hayet lui raconta leurs vies qui semblaient encore plus tristes qu’au début. Puis elle lui parla des nouvelles générations et Iora observa donc les nouvelles princesses de sa lignée, découvrant des petites filles rayonnantes de joies et débordantes de gentillesse ; un véritable soulagement.
Puisqu’elle avait passé les premières années de sa vie passivement, avant de lancer une terrible malédiction, Iora se décida enfin à agir sur la terre des mortels. Malheureusement, elle n’avait pas son propre corps pour pouvoir s’incarner. Pour pallier ce problème, elle devait prendre possession du corps de l’une de ses héritières. Seulement, c’était une épreuve physique aussi bien pour l’une que pour l’autre, ce qui ne permettait pas à Iora de rester bien longtemps sur terre. Iora avait de très grands pouvoirs, mais à cause de cette limite de temps, elle ne pouvait jamais l’exploiter pleinement…

Un jour, une jeune fille du nom de Rosalinde fit cette déclaration : “ La maladie me guette, je mourrais avant mes vingt ans. L’ange de la guérison ne peut rien pour moi, mais si je le peux, je voudrais lui faire don de mon corps. ” C’était une demande particulière. Rosalinde avait toute sa tête et surtout, elle avait du sang des Lumitis dans les veines. Iora appréciait cette offre, mais elle ne pouvait pas l’accepter. Elle avait l’impression de lui voler son corps, mais Rosalinde répéta son offre, lui assurant que malgré tout, elle avait été comblée par ses années de vie et qu’elle serait ravie que grâce à elle, Iora puisse vivre réellement et se déplacer librement sur la terre des mortels. Iora se laissa convaincre et prit possession de son corps. La maladie la quitta en même temps que l’âme de Rosalinde. En hommage à cette jeune fille, sa ville natale fut rebaptisée à son nom. Avec les années, le corps changea pour reprendre le visage initial de Iora.

Désormais, Iora a son propre corps. Pendant de longs siècles, Iora veilla sur la terre des mortels, se faisant invoquer plusieurs fois pour éradiquer les maladies. Elle se devait de protéger les autres à sa manière, mais malgré tout… Elle garde toujours un oeil sur la lignée des Lumitis.