Essentiel

Histoire

Elle ne se souvient pas de ses parents. Elle a oublié leurs visages. Ses plus lointains souvenirs sont très flous, et ils deviennent subitement nets lorsqu’elle pense à l’organisation terroriste qui l’a enlevé. Terreur, peur, colère, injustice, violence, effroi, oppression, angoisse… Elle ne savait même pas comment se nommaient les émotions qu’elle ressentait, qu’elle en faisait l’expérience quotidiennement.
Qui était-elle ? D’où venait-elle ? Quel était son nom ? Elle ignorait tout cela, et c’était bien le cadet de ses soucis. L’organisation avait enlevé une quarantaine d’enfant, ils avaient tous plus ou moins son âge. On leur dit d’oublier leur ancienne vie, qu’aujourd’hui, ils devaient la dédier à l’organisation. Toute rébellion était réprimée par la violence et par la peur. Pour survivre, il fallait être docile et obéir. Elle obéit.

Son éducation commença très tôt ; lire, écrire, les mathématiques, l’histoire, la géographie… mais également la comédie, l’art du combat, des armes à feu et de la stratégie. Ses enfants devaient être les meilleurs élèves, bon dans tous les domaines en plus d’être des soldats surentraînés. Plus les années passèrent, plus leurs entraînements devenaient difficiles et sadiques. Beaucoup d’enfants périrent et sa classe diminuait de plus en plus, les survivants devenaient de véritables machines à tuer. Le dernier test de ce terrible entraînement consistait à faire s’entre-tuer les duos de camarades qui avaient surmonté les pires épreuves ensemble pour réduire l’effectif de moitié. Même si elle réussit ce test avec succès en assassinant son ami, elle en garda de terribles séquelles.

C’était devenue une des meilleures assassin de sa section sous le nom de code « Ambre ». Toutes ses missions, même les plus dangereuses, étaient un franc succès. Mais plus elle tuait ses cibles, plus son cœur se noircissait. Son identité, elle l’avait perdu depuis longtemps et ce n’était plus important pour elle… Pas son humanité. C’était l’unique chose qu’il lui restait, qu’il lui prouvait qu’elle était encore vivante et qu’elle n’était pas une machine. Mais plus elle assassinait, et plus elle sentait qu’elle ne ressentait plus rien.

À 24 ans, l’une des branches de l’organisation terroriste tomba en même temps que sa tête pensante. Certains c’était fait tuer, d’autres capturés, tandis que d’autres avaient réussir à s’enfuir. Ambre fit parti de ceux qui avaient pu fuir. Elle était gravement blessée et elle se retrouva dans une ruelle des bas-fonds de la ville. Se tenant le ventre ensanglanté, elle finit par s’écrouler entre deux poubelles. Elle n’arrivait pas à stopper l’hémorragie. Allongée sur le dos, elle regarda ce ciel de nuit sans étoile. C’était ces derniers instants. Ils n’avaient rien de poétique. Elle allait mourir comme un chien errant. Comme l’inconnu qu’elle avait toujours été…

Elle rouvrit les yeux dans une chambre. La pièce était sobre, peu meublée mais bien rangée. Elle découvrit sur la table de chevet pleins de cartes ; des cartes d’identité, des permis de conduire, des passeports… C’était tous les siens ; il y avait beau y avoir sa photo, il n’y avait jamais le même nom. Un enfant se trouva à sa porte et Ambre se leva pour le suivre. Il l’amena jusqu’au salon où elle rencontra la mère. Il s’agissait d’Ellea, une mère célibataire et aide-soignante. Vu tous les faux papiers que Seigi avait sur elle, ce n’était pas compliqué de deviner que c’était quelqu’un de rechercher. Mais elle ne pouvait se résoudre à l’abandonner à une mort certaine alors qu’elle avait croisé sa route.

Ambre ne comprenait pas la douceur et la bienveillance d’Ellea. Mais étant encore en convalescence, elle était bien obligée de rester se reposer. De toute façon, elle n’avait nulle part où aller. Il valait mieux faire profil bas un certain temps. En restant auprès de cette petite famille, elle finit par apprendre leur tragique histoire. Ellea lui confia ses craintes, mais ne posa jamais aucune question sur sa vie. Elle lui demanda simplement son nom. Un nom qu’Ambre ne connaissait pas. Alors l’assassin lui demanda d’en choisir un pour elle. Ellea prit une de ses cartes et lui choisit le nom de Seigi Krahn.
Maintenant que l’organisation était affaiblie et démembrée, Seigi ne savait plus quoi faire. Mener une vie normale ? Mais comment ? Par où commencer ? Seigi aspirait à une nouvelle vie de paix, et Ellea était prête à l’aider une nouvelle fois, pour qu’elle puisse devenir une honnête citoyenne.

Ellea hébergea Seigi le temps qu’elle puisse trouver un travail. Mais c’était impossible de trouver un job stable avec une identité aussi bancale. Que devait-elle faire ? Passer sa vie à faire profil bas pour éviter qu’on ne la retrouve ? Ou s’exposer au grand jour ? C’était une formidable assassin connu du milieu underground et si tout le monde avait eu vent de sa réputation, très peu de personne connaissait son véritable visage. Et les seuls qui le connaissaient n’oseraient jamais s’approcher d’elle. Alors plutôt que de se terrer dans l’oubli, Seigi choisit de s’exposer à la lumière.

Elle présenta sa candidature d’officier de sécurité au PDG de la Techno-Syndicat en neutralisant absolument tout le monde et en s’introduisant dans son bureau. Elle n’avait évidemment tué personne, son but était de simplement montrer ses capacités pour qu’il la croie lorsqu’elle lui annoncerait la vérité sur son identité. Pourquoi lui spécifiquement ? Parce qu’il était l’homme le plus connu de la ville, en plus d’être le plus fortuné, et qu’il lui donnerait les papiers qu’elle voudrait pour la blanchir. Lui de son côté, il avait sa protection personnelle assurée par l’un des assassins les plus craint de l’underground. Tout le monde était gagnant. Le PDG l’engagea donc, même s’il la mit sous surveillance pendant un temps, n’ayant pas pleinement confiance en elle.

Seigi avait conscience d’être suivie, mais elle n’avait plus rien à cacher ; elle avait dit la vérité. Son but était se refaire sa vie. Une nouvelle vie, sans plus aucun assassinat. Ellea était à ses côtés, et au fil du temps, elle la considérait comme une petite sœur. Charly, le fils d’Ellea, devint comme son neveu. Sa vie redevenait stable, comme si elle n’avait jamais connu l’organisation. Mais le monde n’était pas plus merveilleux pour autant. La vie d’Ellea la préoccupait beaucoup, car vu un passif aussi tragique qui était mêlé à la mafia, elle ne serait pas étonnée de revoir les fantômes du passé resurgir un jour où l’autre. Ce fut principalement pour cette raison que Seigi décida d’apprendre l’art du combat et le maniement des armes à Charly, pour qu’il soit en mesure de protéger sa mère. Ellea était contre cette idée, mais elle n’avait pas les arguments pour les dissuader. Peut-être que dans le fond, ça la rassurait un minimum…

Aujourd’hui, Seigi mène une vie paisible. Le monde est petit, car Ellea travaille dans le même service hospitalier que Mademoiselle Anderson, la fille du PDG de la Techno-Syndicat. Il lui arrive donc souvent d’avoir des soirées où elle est invitée à passer du bon temps avec Mll Anderson, ses amies et Ellea.
Le temps lui paraît doux, mais elle sait que ce bonheur ne durera pas.

Elle le sent.