Once de Mélancolie


Authors
Misical
Published
5 years, 3 months ago
Updated
4 years, 3 months ago
Stats
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Chapter 1
Published 5 years, 3 months ago
1716

Abelia, maîtresse du domaine de Lekinos, protège et veille sur sa ville depuis des siècles. Elle prend très à cœur sa mission, mais se sent infiniment seule. Sa vie change avec l’arrivée de la Brigade des Morts. Tout comme elle, ses soldats transcendent le temps et elle finit par tissait des liens solides avec eux. Elle ne se doute pas que sa vie va être chamboulée à cause de ses sentiments qu’elle redécouvre.

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Je vous amuse ?


     Abelia brodait son mouchoir sans voir le temps passer. De son aiguille, elle passait et repassait à travers le tissu pour former des boucles de fils colorés et tracer des motifs floraux. C’était déjà le milieu de l’après-midi, mais le ciel se fit brusquement sombre. La jeune femme leva le nez de son ouvrage et constata ces gros nuages noirs qui venaient d’envahir sa journée. Elle replia tout naturellement ses affaires, puis retourna se réfugier au manoir.
Quel dommage, c’était pourtant rare lorsqu’elle profitait de son immense jardin. Il était l’un des plus grands et des plus fleuris du domaine. Avec tous les serviteurs qu’elle comptait ici, nombreux avaient la main verte, et ils faisaient profiter de leurs bons soins aux plantes. Cet endroit était un havre de paix, parfaitement entretenu, que la saison du printemps faisait éclater en couleurs.

La Dame du domaine se retira dans sa chambre, puis s’installa tranquillement à la table basse où elle reprit son travail. Elle était bien trop absorbée par sa broderie qu’elle ne pouvait plus s’y détacher. Rêvassant et souriante, cette jeune femme solitaire songeait au plaisir qu’aller offrir ce présent. Elle avait pour coutume de broder un mouchoir dédié à la naissance d’un nouveau membre de sa famille. Un cadeau débordant de sa tendresse et de son amour envers sa descendance qu’elle ne pouvait plus voir.
Abelia vivait seule dans cet immense manoir. Heureusement pour elle, les servants, servantes et gardes lui tenaient compagnie, sinon la solitude lui pèserait bien trop lourd. Pourtant, malgré leurs présences, elle se sentait seule. Leurs vies étaient éphémères, car elle les voyait aller et venir, grandir et vieillir, puis s’éteindre, laissant place à leur propre enfant. Abelia les aimait tous, mais qui pourrait comprendre son mal-être ? Plus les années passaient, plus le poids d’être une Transcendante lui écrasait les épaules. Elle était la seule de sa famille à l’être. Elle du dire adieu à père et mère, sœur et frère, nièce et neveu…

C’était ainsi, c’était la vie, c’était sa vie.

Mais ses sentiments ne devaient en rien entraver à son devoir ; Abelia était une femme de la noblesse. Elle était grande, elle était forte, et son rôle était de protéger son domaine et sa ville. Une tâche qu’elle tenait absolument à remplir, malgré les dangers. Ce fût principalement pour cette raison que le reste de sa famille quitta le manoir, pour vivre éloignée des menaces qui pesaient sur leurs têtes. Tant qu’Abelia serait en vie, il ne leur arriverait rien. Alors même si elle se dressait seule, elle resterait fièrement debout, pour protéger les siens.

La jeune femme reposa son ouvrage sur ses genoux, caressant du bout de son doigt les fleurs qu’elle venait de tisser. Un large sourire triste étirait ses lèvres. Oui… Tout ce qu’elle faisait, tout ce qui lui donnait la force de le faire, c’était pour sa famille. Mais vivre loin d’eux était parfois très dur. Sa seule consolation était de recevoir des lettres, contenant des nouvelles bonnes et mauvaise. Une naissance, un mariage ou encore un décès… C’était bien peu, mais cela lui suffisait. Il fallait que cela lui suffise. Car elle ne pouvait demander plus, tout comme elle ne pouvait pas aller les voir. Sinon, toutes ces années de discrétions, de silence, seraient réduit à néant. Ses liens familiaux éclateraient au grand jour, et même les dieux savaient que ce serait terrible. Que des personnes mal intentionnées pourraient se servir d’eux pour faire pression sur Abelia. Et elle ne pourrait jamais se le pardonner. Alors il fallait vivre dans le silence.

Même si c’était douloureux.

Abelia se leva et s’approcha de la porte vitrée de son balcon, pour contempler la pluie tomber. Elle posa la main sur la fenêtre, pensive… lorsqu’on frappa à la porte. Elle ne tourna que la tête, jetant un regard par-dessus son épaule, puis autorisa à la personne d’entrer. Il s’agissait de Karnak, le chef d’une des sections de la Bridage des Morts. Il avait fière allure dans son uniforme, et les deux dagues accrochées à sa ceinture lui rajoutaient de la prestance. Malgré son air très sérieux et son regard dur, c’était un jeune homme, dans la même tranche d’âge qu’Abelia. Tout comme la Dame du domaine, il était lui aussi un Transcendant. Mais il avait voué sa vie à Nuktos et à la Brigade, alors il n’avait pas cette touche de solitude et de mélancolie dans ses yeux, contrairement à la jeune noble. Toutefois, il avait beau être un soldat respectable, il restait avant tout un homme, et c’était parfois difficile d’être impassible face à la jeune femme, surtout lorsqu’elle portait des tenues provocantes. Pourtant aujourd’hui, elle était vêtue d’une longue robe unie couleur crème et d’une immense cape qui de son dos partait du sol pour retomber sur ses épaules et sa poitrine. Cette cape était le seul élément brodée, ce qui ne faisait que ressortir sa beauté du détail et la simplicité de sa robe.

— Vous avez décidez de vous couvrir les épaules aujourd’hui ? lui fit-il, mi-amusé.
— Oui, cette robe est plus belle lorsque je la porte dans son ensemble. Sa cape est donc indispensable.
— Si vous le dites…

Cette réflexion intrigua Abelia, elle se tourna entièrement et fit quelques pas pour lui faire face. Sa silhouette était si fine et agréable à regarder. Karnak resta bien droit, la tête haute et les épaules carrées. Sa Dame eut un petit rire malicieux qu’elle cacha à peine avec sa main. Tous ces gestes étaient si élégants que le soldat en venait à penser qu’il faisait tâche lorsqu’il était à ses côtés.

— Je vous amuse ? questionna-t-il sans sourciller.
— Un peu, tu es si sérieux… Détends-toi, ce n’est que moi. Je ne t’ai jamais mordu. Et puis… arrête avec toutes ces formalités, nous ne sommes plus des étrangers. Je te l’ai déjà dit ; cela me met mal à l’aise, avoua-t-elle.

Le chef de Brigade se relâcha alors, lui adressant un sourire rassurant. Oui, ils n’étaient plus des étrangers puisque cela faisait quelques années qu’il était à son service. Mais le jeune homme était tellement fasciné par sa beauté qu’il ne pouvait pas s’empêcher de la vouvoyer à chaque fois qu’il devait lui adresser la parole. Il la contempla, détaillant chacune de ses courbes, chaque broderie et perle sur sa cape.

— Peu importe la tenue, vous êtes toujours aussi belle, murmura-t-il pour lui-même.
— Comment ? dit-elle, plus fort mais sans animosité, comme pour l’inviter à faire de même.
— Je disais que j’étais venu faire mon rapport hebdomadaire sur la ville.

La jeune femme approuva d’un signe de tête. Alors qu’il synthétisait les derniers événements de la semaine, la Dame l’écoutait d’une oreille attentive tout en se dirigeant vers l’une de ses fenêtres. Elle regarda la ville qu’elle peinait à apercevoir à cause de la pluie, comme si l’observer l’aiderait à mieux comprendre ce qu’il s’y tramait.
Rien d’anormal, tout ce qu’il racontait était le quotidien des habitants. Elle attendit qu’il termine pour se tourner à nouveau vers lui. Légèrement distraite, elle retira sa pince à cheveux tout en levant ses yeux blancs vers Karnak. Ses longues mèches ondulées retombèrent dans son dos. Le soldat fronça furtivement des sourcils ; il n’était pas habitué à la voir les cheveux lâchés. Et pourtant, elle était plus magnifique encore.

— As-tu des nouvelles de Hood ? Quand doit-il rentrer ?

Le jeune homme écarquilla les yeux quelques secondes. Comme si sa question l’avait trop rapidement ramené à la réalité en le poignardant en plein cœur. Mais il reprit aussitôt son visage habituel, voire presque indifférent pour ne rien laisser transparaître de ses émotions. Il s’approcha d’elle et lui attrapa une mèche de cheveux brune. Il plongea son regard ambré dans le sien, comme envoûté.

— Pourquoi me parlez-vous de lui… alors que je suis là, moi.

Il porta la mèche qu’il avait capturée à ses lèvres pour y déposer un baiser. Abelia en rougit de surprise.

— Karnak… ?
— Vous n’avez que son nom à la bouche… n’avez-vous jamais remarqué comment, moi, je vous regarde ?

Elle recula subitement. Mais elle buta contre sa fenêtre où elle y posa ses mains par reflexe, comme si elle cherchait une poignée de porte pour fuir, tandis que le soldat se rapprocha d’elle jusqu’à pouvoir plaquer ses mains de part et d’autre de son visage. Il était si proche. Elle vit alors cette étincelle dans le fond de ses yeux, surprise de ne l’avoir jamais remarqué avant ce jour. Sa voix était devenue étrangement plus suave mais toujours aussi calme que d’ordinaire. Cela ne la laissait pas indifférente, mais elle semblait plus bouleversée et gênée qu’autre chose. Elle détourna finalement la tête, ne pouvant plus soutenir son regard.
Karnak n’était pas un rustre, et il avait conscience qu’il était en train de dépasser les bornes. Il serra finalement le poing contre le mur, et se recula pour prendre une distance plus marquée entre eux. Il aurait aimé lui prendre plus, mais il savait qu’il lui aurait fait plus peur qu’autre chose.

— Pardonnez mon impertinence.
— Karnak… Je…
— Je me retire.

Sur ces mots, il lui tourna les talons et sortit de la chambre sans un regard en arrière. Abelia était encore pétrifiée, dos à la fenêtre, plaquant ses mains sur sa bouche. Son visage vira au rouge qu’elle le cacha avec ces deux mains.

Que devait-elle faire maintenant ?