Rendez-Vous

La journée avait été épuisante. Lys se laissa lourdement tomber sur son lit. Elle lâcha un soupir et regarda son plafond, fatiguée. Ses rideaux tiraient, ils plongeaient sa nouvelle chambre dans une ambiance tamisée. Celle-ci n’était pas bien grande ; juste de quoi mettre un lit, un bureau et une petite commode. Mais elle avait réussi à personnaliser cet endroit avec deux-trois posters et des petits éléments de décorations qu’elle avait acheté en convention. Rien de bien extravagant. La Joliflor se tourna et attrapa sa peluche préférée avant d’enfouir son visage contre celle-ci. Le tissu était si doux qu’il réussit à calmer toutes ses pensées.

Elle venait de vivre une journée surréaliste : Elysion, son chanteur préféré, son idole depuis son adolescence, avait assisté à l’une de ses répétitions et il l’avait vu danser ! C’était une très bonne danseuse, et les répétitions étaient toujours très dynamiques et amusantes avec Esma et Pivoine. Mais même si elle gardait son sérieux, son cœur avait bondit lorsqu’elle vit le Givrali montrait le bout de son nez.
Qu’avait-il pensé d’elle ? Comment la trouvait-il ? La jeune fleur avait la sensation qu’il n’avait regardée qu’elle, mais ne se faisait-elle pas des idées ? Lorsqu’elle songeait à lui, elle ne voyait que le chanteur passionné et enflammé qu’elle avait connu sur scène et sur ses posters. Et pourtant, de l’avoir rencontrer en vrai… elle était totalement chamboulée ! Il était tout timide, et bégayait presque lorsqu’il lui parlait. Elle sentit même par moment un léger courant d’air frais. Était-il toujours aussi nerveux avec ses fans ? Ou était-il simplement nerveux avec elle ? Oh non, elle devait se faire des idées !

Lys garda sa peluche écrasée sur son visage avant de tourner et retourner dans son lit comme une adolescente. Elle avait bientôt la vingtaine mais elle se comportait comme une lycéenne qui vivait ses premiers amours. En y réfléchissant, ce n’était pas totalement faux. C’était bel et bien l’un de ses premiers amours… mais c’était une fan ! Elysion, aussi beau et charmant qu’il puisse être, était un chanteur. C’était un fantasme de jeunesse, que croyait-elle qu’il allait se passer entre eux ? Rien que le fait d’être amis était une chose incroyable. Elle ne pouvait pas demander plus ! Et surtout, que penserait-il, lui ? Peut-être qu’il se dirait qu’elle ne l’appréciait que parce qu’il était une star et rien d’autre. Il n’aurait pas tort de le penser, puisqu’elle ne le connaissait pas intimement. Elle ne l’avait découvert qu’à travers les media et les interviews. Elle connaissait le chanteur, mais pas la personne… Et elle mourrait d’envie de le connaître, d’en savoir plus sur lui, sur sa vie, sur ce qu’il aime et sur ce qu’il déteste. Mais avait-elle seulement le droit d’espérer autant de choses ?

On frappa à sa porte, ce qui l’a fit sursauter. Elle se rassit sur son lit et autorisa à ce qu’on entre ; il s’agissait d’Esma, une idole Feunard pour qui elle dansait, qui lui fit un grand sourire en indiquant son téléphone :

— Maleen et Kora veulent sortir demain ! Pivoine est d’accord, et toi ?
— Bien sûr, avec plaisir ! Ça nous donnera l’occasion de visiter un peu cette ville !
— J’me suis dit pareil ! Je leur réponds que tu seras de la partie alors ! Comme c’est une sortie entre filles, Dawy ne viendra pas nous embêter, hihi ! rit-elle en tirant sa petite langue.

Lys approuva de la tête et Esma la laissa à nouveau seule. Dawy était le grand frère et le garde du corps de la jeune chanteuse. Et les deux filles avec qui elles allaient sortir demain faisaient parties du groupe d’Elysion. Décidément, la Joliflor n’était entourée que de chanteurs ! Sa vie avait bien changé depuis qu’elle avait rencontré Esma. Et c’était bien grâce à cette dernière qu’elle rencontra son idole par le plus grand des hasards. Le monde était si petit que ça ? Le ciel lui envoyait-il enfin un rayon de soleil pour égailler sa vie ? Peu importe, elle était bien décidée à profiter de cette chance pour devenir réellement amie avec ce groupe de musiciens qu’elle avait toujours adoré. On vit qu’une fois, alors autant en profiter au maximum !

Le lendemain, l’après-midi était follement agitée. Les filles se promenaient dans les rues d’Illumis comme un Magicarpe dans l’eau. Elles firent les boutiques et discutaient de tout et de rien, en même temps, Pivoine était une véritable pipelette et pouvait tenir la conversation une journée entière. Impossible qu’il y ait des blancs ou un quelconque malaise. Et puis Kora avait l’air ravie de discuter avec cette dernière, même si elle semblait un peu perdue parfois et qu’elle souriait par politesse.
Pour la pause goûter, elles décidèrent de s’installer dans un café, pouvant enfin reposer leurs pieds. Après avoir reçu leur commande, Maleen entreprit un nouveau sujet :

— Ely m’a dit qu’il vous avait vu danser ! Ça se passe bien vos répétitions ?
— Oh ! J’aurais aimé vous voir moi aussi ! s’exclama Kora.

Lys sentit ses joues devenir entièrement rouge, et elle avait même l’impression que des vapeurs sortaient de ses oreilles tellement elle avait chaud. Elle fut secourue par sa cousine Pivoine qui leur répondit avec beaucoup trop d’enthousiasme :

— Tout se passe très bien ! Y’a pas à dire, mais les salles de danse avec des très grands miroirs sont les meilleures pour répéter !
— J’avoue que quand on l’a vu, on a crié comme des filles, rit Esma.
— « Comme des filles » ? répéta Maleen avec un sourire plus large.
— Oh bah tu sais… quand un bel homme arrive au moment où on s’y attend pas, on hurle très aigu, expliqua Lys en maniérant ses gestes.
— « Un bel homme » ? releva la Lampignon.

Lys bégaya tandis que ses copines sautillaient sur le siège à côté d’elle. C’était fini, elles n’allaient plus venir à son secours, elles allaient juste s’agitaient comme des grandes commères qui partagent les derniers ragots. La Joliflor tenta de reprendre un minimum sa contenance tout en buvant son smoothie et poursuivit :

— Bon. C’est plus vraiment un scoop de toute façon. Vous avez très bien vu comment je m’enflamme devant Elysion. Je suis une fan et je craque pour lui.

La chanteuse eut un sourire attendrissant dans un premier temps, puis un peu plus malicieux par la suite.

— Tu craques pour lui ? demanda Maleen.
— Est-ce que tu vas répéter tout ce qu’on dit ?? s’inquiéta Lys.
— Ha ! Ha ! Non ne t’en fais pas ! C’est juste que je vous trouve amusante ! Mais dis m’en plus s’il te plait !
— Plus ? Pourtant… vous devez en voir bien assez souvent des fans hystériques qui hurlent et qui jettent leur culotte dès qu’elles voient Elysion passer !
— Mais toi tu n’es pas une fan hystérique. Je t’ai même trouvé bienveillante à son égard…
— Évidemment ! répondit la Joliflor, presque vexée. N’importe qui le serait après avoir entendu votre histoire ! Se faire harceler comme ça par votre ancien label… C’était normal de l’aider à se réapproprier sa propre maison ! Et puis, j’ai pas fait grand-chose, j’ai juste passé l’aspirateur…
— Et la serpillière, rajouta Esma.
— Et t’a aidé Andrea à changer la serrure de sa porte d’entrée, surenchérit Pivoine.
— Et moi j’ai aidé à nettoyer la salle de bain, continua Kora, sans vraiment savoir de quoi il en retournait.

Maleen eut un sourire amusée, puis elle croisa les jambes en sirotant son café.

— On a tous participé à ce grand ménage chez Ely, mais c’est bien toi qui a initié l’idée. Et j’ai l’intime conviction que tu n’avais pas agis de façon intéressée, que tu es naturellement comme ça. Alors pourquoi est-ce que tu te compares avec les autres fans ? Pourquoi est-ce que tu te dénigres ?
— Je… C’est juste que c’est difficile. Je réalise pas. Enfin si, je réalise totalement la chance que j’ai de pouvoir lui parler ! Mais pourquoi est-ce que j’aurais cette chance alors qu’il a des fans bien plus passionnées que moi ?

L’ambiance retomba légèrement. Lys pensait qu’elle ne méritait pas ce qu’il lui arrivait. Et sûrement qu’elle avait peur qu’il ne voit en elle qu’une simple fan et qu’il n’ait pas envie d’y voir plus loin. Elle n’avait certainement pas envie d’être un simple coup d’un soir, ce n’était pas son genre.
La Lampignon souffla un grand coup, avant d’exploser de rire. Les filles la regardèrent avec beaucoup de surprise et de confusion.

— Y’en a pas un pour rattraper l’autre dis-donc !!!
— Pardon ??
— Tu doutes de toi parce que tu es une fan, et lui, il doute de lui parce qu’il sait qu’il est ton idole !
— Hein ???

Lys n’était pas sûre de bien comprendre ce que la chanteuse essayait de lui dire. Mais Esma eut des étincelles dans ses yeux. Se pourrait-il que… ?

— J’ai aucune race, je le vends direct : il craque pour toi aussi. Et comme tu es une fan, il sait pas trop comment s’y prendre non plus. Il a pas envie que tu penses qu’il en profite.
— Je le savais ! s’exclama la Feunard. C’est pour ça qu’il bégayait à chaque fois que t’étais à côté ! Tu le déstabilises !!
— Quoi ? Moi ??? C’est plutôt lui qui chamboule toute ma vie !
— Ça vous fait déjà un point commun alors ! pouffa Pivoine.

La bonne ambiance s’installa à nouveau entre les filles, et elles pouvaient s’amuser sur les histoires de cœurs de leur amie. Les coquines étaient déjà en train de comploter pour leur organiser un rendez-vous galant. Lys n’avait plus le contrôle sur rien du tout, mais en même temps, la situation l’amusait énormément. Ses amies planifièrent et fantasmèrent même son mariage. Qu’est-ce qu’elles pouvaient être bête parfois. Mais être auprès d’elles et rire à leur côté étaient les moments qu’elle chérissait le plus.