"À choisir entre les dames et les échecs, on préfère les petits chevaux : au moins on est le double à se distraire."

Déchéance

La famille de Polaris était connue dans tout le royaume d’Onyx pour sa capacité à décimer sans merci les démons, esprits et autres entités qui n’avaient rien à faire dans le monde des mortels. Leur objectif était clair : purger ces infamies et rendre la terre à leurs légitimes propriétaires (eux, d’abord, mais aussi tous les autres qui n’étaient pas des marins comme ils les appelaient. Malheureusement, lors du mariage de leur prince, qui devait aussi célébrer l’annexion de Rubis, tout est allé de travers. Non seulement le prince, une partie de la famille royale et quelques éminents membre du clan périrent, mais, pire que tout, la rumeur se répandit qu’un démon était responsable de ce massacre. La famille avait échoué ! Elle avait failli à sa mission et leur célébrité se retourna contre eux. Désormais parias, ils fuirent la ville nouvellement rebaptisée Grenat

Afin de survivre au mieux, il fallut se reconvertir, chercher un autre moyen d’utiliser leurs compétences. En plus des soins spirituels classiques abaissés au bien être mortel, la famille commença à proposer des soins plus physiques. Des massages, des décoctions, des potions, des mixtures. Des choses qui, doucement, amélioraient le quotidien de leur semblable, mais que le clan vivait comme une humiliation terrible. Ils étaient de puissants exorcistes, pas de simples larbins !!

Renouveau

C’est dans ce contexte un peu trouble que grandi.e Polaris. Né.e avec des marques qui trahissaient un grand potentiel, une grande puissance enfouie, on vit en iel un renouveau, un moyen de redorer le blason familial, de faire cesser cette vie de roturier ! Ses entraînements furent plus durs que ceux de tous les autres avants, de tous les autres enfants de son âge. Iel devaient, à tout prix, être lea meilleur.e, toujours. Une machine à tuer les démons et les esprits, voilà ce qu’iels devaientre être ! Et iel travailla dur, très dur, pour satisfaire les exigences de ses parents, de ses pairs, en dépit de sa santé mentale et physique. Cet entraînement un peu trop intensif semble avoir laissé quelques séquelles physiques, ce qui expliquerait leur corpulence faible et leur petite taille.

À mesure que son entraînement avancé et qu’iel grandissait Polis sentait quelque chose en iel. Quelque chose d’étrange, d’incompréhensible. C’était comme un bruit de fond permanant, comme entendre des gens parler mais à l’intérieur de son esprit. Ça donnait souvent lieux à des scènes assez étranges où iels se parlaient seul, comme si quelqu’un était à côté, ou bien où iel interpelait quelqu’un pour lui demander de répéter alors que personne ne lui avait adressé la parole. Et si au départ l’efle pensa qu’il s’agissait là d’une dérive de ses compétence, quelque chose de naturel pour un.e exorciste, la réalité fit rapidement son chemin : ce n’était pas le cas du tout. Il y avait autre chose… quelque chose dans sa tête, totalement indépendant de ses dons.

Plusieurs fois Polaris tenta d’en parler à ses parents, aux autres enfants, d’alerter les gens sur ce phénomène étrange, mais toustes n’avaient qu’une chose ne tête : redorer leur nom ! Les enfants de jadis étaient maintenant des adolescents, des adultes en devenir, maintenant il n’y avait plus que le nom de la famille qui comptait. Pendant un temps Polaris se tua littéralement à la tâche, étouffant tout ce qui aurait pu lea distraire de son objectif. Iel s’oublia et disparu au profit de son nom, du spectacle, du travail. Faire disparaître les démons, nettoyer le monde… c’est tout ce qui devait compter !

Saturation

Obsédé.e par l’idée de réussir, par l’envie de satisfaire sa famille, l’esprit lavé par les discours du clan, Polaris n’était plus qu’une machine à exorciser et détruire. Un danger pour tout ce qui n’était pas mortel, mais à quel prix ? Sa santé était terriblement mauvaise, le bruit de fond était de plus en plus présent, donnant parfois lieux à des crises de hurlements, des blessures auto-infligées, de longues journées d’errance mentale où iel n’était plus capable de rien. Une ombre. Polaris était devenue une ombre, un être inexistant, une façade. Le pire arriva lorsqu’iel se lança dans une dangereuse cérémonie d’invocation : il lui fallait un familier pour l’aider dans sa traque ! Un être issu des ténèbres pour repérer plus facilement ses ennemis et les détruire !

Une nuit, l’elfe se rendit en forêt sur un site maudit et força l’esprit à se présenter devant eux. C’était un combat à mort : soit l’esprit se soumettait, soit iel y restait, pas d’autre issue. Malgré la fatigue, malgré ses limites proches, Polaris parvenait à tenir l’entité en respect, mais ce n’était pas assez pour le soumettre ou le faire disparaître. C’était une impasse : l’un trop puissant, l’autre trop déterminé.e. Le combat dura bien deux jours avant que les opposants ne commencent à flancher, à être à bout. L’entité, lasse et épuisée, profita d’un instant de répit pour prendre la parole :

« Pour être si acharnée à chasser les miens, ils doivent t’avoir pris beaucoup. Qu’on détruit les démons pour que tu les pourchasses ainsi ?

- Ma famille !

- Oh… donc tu es la dernière de ta lignée. Pauvre enfant.

- Non… mais j’ai plus de pouvoir, alors c’est nous qui devons redorer notre noms ! »

Quelque chose interpela l’esprit à ce moment. C’était peut-être le son de cassure dans la voix de l’exorciste, ou bien la détresse dans son regard. Peut-être la façon qu’iel avait de secouer la tête comme pour repousser quelque chose, quelqu’un qui essaierait de lui souffler quelque chose… mais ça n’allait pas. Ce combat était plus qu’absurde, plus qu’idiot, il ne relevait de rien, rien de plus qu’une décision vide et creuse de s’épuiser à satisfaire les siens. Les mortels étaient réellement des plaies, se conforta l’esprit, mais ce mortel-là avait quelque chose de différent, très différent. Il était comme ces entités uniquement habité par la guerre, disparues au profit d’un nom. Étrangement ça le toucha.

A bout de forces, ce fut Polaris qui s’effondra en premier. Ou plutôt, pour la première fois, quelque chose changea. C’était comme ne plus maîtriser son corps, le regarder faire. Dirigé.e par le fil d’un marionnettiste invisible, iel se senti bouger, abaisser les bras et ses défenses. La douleur lui frappa le torse comme jamais une douleur ne les avait frappée et ce fut le déchainement des hurlements dans son crâne. Ça puis le silence.

A son réveil l’elfe était étendue dans une grotte. Une forte odeur de plante la saisit à la gorge quand iel se redressa. Des plantes médicinales. Assise près d’elle, l’entité semblait dormir, les flammes de son crâne éteinte, la masse sombre qui lui servait de corps paisible. Iel aurait pu l’achever maintenant, mais quelque chose, un fil invisible encore, bloqua son bras. Le bruit de fond jusque-là étouffé se remit à sonner dans son crâne, et quand l’entité ouvrit les yeux, interpelée par les voix qui sifflaient à ses oreilles, ça lui fit un effet étrange de voir lea petit.e mortel.le parler seule mais avec tant de véhémence. Quand iel remarque qu’il était réveillé Polaris eut un instant de silence avant de simplement demander : « Pourquoi ? », question à laquelle l’esprit eu bien du mal à répondre. Étrangement, même après l’intensité de leur combat, il n’y avait plus d’animosité entre les deux blessé.es, juste des mots. Beaucoup de mots. Polaris put s’exprimer comme jamais on ne l’avait laissé faire et tout sorti, explosa même plutôt. Tout ce qui avait été enfermé et retenu, tout ce qui aurait dû être dit, tout ce qui aurait dû être su, tout ce qui avait été enterré. Tout explosa dans un brouhaha étrangement libérateur.

Les jours passés dans la grotte eurent quelque chose de libérateur pour Polaris, salvateur même. Pouvoir parler, être écouté, être considéré… c’était nouveau et terriblement agréable. On lui avait que le démon serait séduisant, mais jamais iel ne l’avait pris de cette façon. Quand enfin l’elfe pu repartir, rentrer à la maison, quelque chose bloqua brusquement. Retourner à tout ça, après avoir explosé de cette façon, après avoir pris l’habitude de s’exprimer, d’être ce qu’iel était réellement… L’idée d’être à nouveau effacé.e lea fit trembler comme jamais. L’esprit lui proposa alors une alternative : recommencer à zéro. Iel cherchait un familier ? Très bien, il serait ce familier, mais plutôt que de détruire bêtement, il lui apprendrait l’autre versant de la pièce : ce que sont réellement les esprits, les fantômes, les âmes errantes. La détresse qui habite certaines, la colère et l’injustice d’autres. Polaris ferait toujours le même travail, au fond, juste de façon consciente.

Renaissance

D’abord en voyage, Polaris et son nouvel acolyte ont parcouru quelques routes. Recommencer son apprentissage à zéro était à la fois blessant et horripilant, mais doucement l’exorciste en voyait l’intérêt. Les jours sans, iel proposait les services de soin auquel sa famille s’était initiée, renflouant doucement les caisses. Mais la santé mauvaise de l’elfe leur imposa rapidement de s’installer, de trouver un logis fixe. Ce n’est pas sans arrière-pensée que Polaris a choisi Rubis, toujours hanté par les désirs de sa famille, mais lentement iel apprend à se détacher, à essayer de faire sa propre vie.

Tout n’est pas tous les jours faciles, mais pour le moment arriver à faire tourner sa petite boutique leur convient assez bien. Étonnement, à force de s’autoriser à reprendre le contrôle, Polaris s’est découvert une personnalité taquine et joueuse. Iel garde un côté distant et incertain, maldroit.e socialement, mais observer les réactions des gens est devenu assez distrayant. L’esprit à ses côtés a pris le nom de Sylvain et alterne entre les formes : tantôt séduisant assistant à la boutique, tantôt simple crâne flottant autour de son.sa contractant.e, mais toujours déterminé à être la voix de la raison.