Fils d’un marchand itinérant, Laurys avait passé sa petite enfance à énormément voyager. Peu timide avec les étrangers, il avait très vite appris à parler plusieurs langues pour aider sa famille dans leur commerce. S’ils voyageaient beaucoup sur terre, ils avaient souvent pris le bateau pour partir sur d’autres pays. Laurys était fasciné par la découverte d’autres cultures et adorait en apprendre d’avantage pour approfondir ses connaissances. Il grandit en tant que jeune homme honnête, pour marcher dans les pas de son père. Mais être irréprochable n’était pas toujours bénéfique, surtout lorsque père et fils tombaient sur ses clients fourbes et violents. Le jeune homme avait déjà pris des coups pour éviter que ce ne soit son vieux père qui ne se fasse passer à tabac. Il endura bien des abus, subit des violences, s’exposa à des vols : toutes ses injustices impunies faisaient monter en lui une grande frustration. Mais son brave père arrivait toujours à le canaliser et à le ramener sur le droit chemin. L’honnêteté et la générosité payaient toujours, d’une façon ou d’une autre. C’était ce qu’il crut, même lorsque son père se fit assassiné. Une épreuve des plus difficiles à passer, car il devait reprendre le flambeau, tout en essayant de faire justice. Mais même en connaissant le coupable et en ayant des preuves, ce dernier était bien plus riche que lui et avait bien plus de pouvoir de persuasion. Laurys quitta donc ce pays, continuant l’œuvre de son père ailleurs.

Sans les précieux conseils de son père, le jeune homme était souvent perdu. Il n’avait clairement pas le calme ni la sagesse de l’ancien, mais il était malin et audacieux, et la chance lui souriait enfin. Et dire qu’il pensait pouvoir mener une petite vie tranquille tout en faisant du commerce et en voyageant à travers le monde. Sa vie s’acheva brutalement, à la sortie d’un bar le soir. Il avait été confondu avec un brigand à la peau et aux cheveux sombres, tout comme lui, et se prit un coup de poignard en plein cœur. Laurys s’effondra immédiatement.

Il rouvrit les yeux dans une forêt rouge, où il fut rapidement accueilli par un groupe d’humain qui l’invita à rejoindre la cité humaine. On lui expliqua qu’il était bel et bien mort et qu’en dehors des remparts de la ville, pullulait des monstres dangereux. Laurys s’adapta du mieux qu’il put à cette nouvelle vie, espérant même retrouver son père, mais ce dernier avait également disparu de ce monde ci. Tout comme de son vivant, il se montrait toujours aussi rusé et astucieux ; il était même devenu le chef d’une petite équipe d’expédition. Il croyait naïvement être apprécié de tous ces coéquipiers, mais lors d’une mission, il fut trahi et jeté en pâture aux monstres. Le même schéma que la mise à mort de son père : un assassinat commandité par un homme plus puissant et plus jaloux. Leur existence trop honnête dérange, et malgré leur droiture, père et fils ont péri.

Laurys était animé par une haine immense, alors qu’il se faisait dévorer par des loups. Cette injustice, il l’avait vécu de son vivant et il devait encore la subir dans la mort. Être juste ne garantit rien, être honnête ne protège pas, être généreux n’est pas suffisant; il n’y a que les hommes les plus forts et les plus fourbes qui obtiennent ce qu’ils désirent. Ce fut sur cette réalisation que Laurys reprit conscience. Le corps recouvert de plaies qui se refermaient lentement, des griffes acérées aux bouts des doigts, mais surtout des mains ensanglantées, dont le sang partait en cendre, de la même façon que les cadavres des loups. Il comprit qu’il était l’auteur de ce massacre et qu’il venait de perdre son humanité alors qu’il se laissait consumer par la rage. De peur, il s’enfuit le plus loin possible de la cité humaine. Devenir un monstre était peut-être la pire des punitions, il aurait préféré une véritable mort.

La haine et la frustration le dévoraient progressivement, surtout qu’il était hanté par une faim grandissante qui l’empêchait même de dormir. Mais l’idée même de dévorer un humain pour satisfaire ses envies lui donner la nausée. Il ne voulait pas devenir ce monstre, il ne voulait pas perdre le contrôle sur lui-même, il ne voulait perdre le peu qu’il restait de lui. Seulement, sa détermination seule n’était pas suffisante. La faim prit le dessus.
À nouveau, il ne reprit conscience que lorsqu’il fut gravement blessé : un œil en moins, avec une jeune frêle jeune coincée entre ses griffes. Cette dernière n’était pas aussi fragile qu’il l’aurait espéré, car elle s’était défendue corps et âme et avait volé son œil de loup en représailles suite à ses propres blessures qu’il lui avait infligé. Elle profita de la surprise du loup pour le massacrer et s’enfuir, laissant Laurys agonisant, toujours aussi affamé et méprisable. Il se détestait, car même sous cette forme, il n’arrivait pas à soulager ses pulsions. Ce qui ne fit qu’augmenter sa propre colère et frustration.

S’en suivit, une longue période destructrice, où Laurys s’abandonna complètement à ses désirs bestiaux, dévorant quiconque avait le malheur de passer prêt de lui. Ce fût comme une libération : pourquoi s’était restreint tout ce temps ? Dans quel but ? Pour quelle vertu ? Il n’avait jamais été récompensé pour sa générosité, et maintenant qu’il laissait parler sa colère, tout lui semblait facile. Mais il était toujours et encore obsédé par cette fille ; celle qui lui avait volé un œil, celle qui l’avait remis à sa place. Qu’était-elle devenue ? Un monstre tout comme lui ? Sûrement qu’elle avait dévoré son premier humain. C’est ce qui finit par arrivé à tous ceux qui passe de l’autre côté. L’idée qu’elle devienne comme lui le rassurait… jusqu’à ce qu’il la retrouve et découvre la vérité : elle était bien devenue une sorte de monstre, mais sa volonté avait fait qu’elle n’avait jamais touché à un seul humain. Cette révélation fut une nouvelle injustice pour Laurys. Pourquoi avait-elle réussi, là où lui avait échoué ? Il voulait la faire tomber, qu’elle devienne aussi misérable que lui.

Pendant des dizaines d’années, il la pourchassa ; soit pour lui tendre des pièges et qu’elle se soumette à ses propres pulsions, soit pour la provoquer en duel et la tuer. Mais tout échoua, cette fille, devenue connu sous le nom du Chaperon Rouge, était intouchable. Ce qui le rendait particulièrement fou. Mais il ne pouvait pas laisser cette folie prendre le dessus plus longtemps… il décida donc simplement d’oublier cette fille et de mener sa vie sans elle.

Il rencontra une femme, celle qui devint la nouvelle Reine de Cœur. Parfait pour oublier le chaperon. Il se laissa embarquer dans cette histoire de guerre de territoire, trouvant la chose amusante au début, rencontrant d’autres monstres aussi farfelus les uns que les autres. Une vie de monstre qui lui plaisait bien, et pourtant, elle revint encore le hantait. Cette fille qu’il s’efforçait d’oublier, revint pour défier la reine qui menaçait l’humanité. La guerre entre les monstres et les humains se dessina plus concrètement et la reine, tout comme le chaperon, étaient les cibles à abattre pour chacun des deux camps. Mais comme toujours, cette fille ne faiblissait pas. Elle était intouchable.