Nous sommes à Galar, durant les années 1890. C'est dans la petite bourgade de Skyfford que vivait Morvan, un humble pêcheur, fils de pêcheur lui-même fiche de pêcheur et ce depuis des générations. Sa famille n'avait pas grand-chose mais vivait paisiblement, au gré des brises marines et des marées. Les mœurs voulaient encore que l'on se marie par intérêt, et il était promis à la fille d'un ami de son père. Pour le Corayome, peu importe le vin pourvu qu'on ait l'ivresse...et son ivresse, c'était le large. Qu'importe l'épouse qu'on lui imposait, du moment qu'il conservait sa liberté de marin. Mais c'est au retour du marché qu'il la vit: la plus belle Lokhlass qu'il ait jamais vu. Charmé, il vint l'accoster.

A cause de ses fiançailles arrangées, il lui fallait rencontrer la belle en secret. Tout deux se glissaient hors de leurs maisons la nuit venue et se retrouvaient au phare, qui devenait le gardien de leur amour. Ils étaient jeunes, ils s'aimaient, ils avaient pour projet fou de s'enfuir où le vent les portera afin de pouvoir se marier; Morvan était même prêt à laisser sa mer bien aimée pour elle. Mais en attendant qu'il ait assez d'argent pour se faire, il devait encore économiser avant que la date du mariage ne se fasse imminente.

Mais un soir, sa chère et tendre ne vint pas. Il l'attendit, durant de longues heures, attendant jusqu'à l'aurore. Mais jamais elle ne vint le retrouver au phare. Intrigué mais pas forcément inquiet, le jeune homme prit le chemin longeant la baie qui menait à chez elle: peut-être était-elle souffrante? Le temps se faisait frais ces derniers jours. La brume enveloppait encore la plage, mais il finit par y apercevoir une forme humaine. Était-ce elle? N'ayant rien à perdre, il se mit à trottiner en appelant sa belle...Mais s'arrêta progressivement en voyant qu'une autre masse, allongée sur le sable, était là aussi.

"Qui va là?"

Des rodeurs? Des mendiants? D'autres amants peut-être? Non, rien de tout ça. Quand il fut assez prêt, il reconnu sa fiancée, et au sol, son tendre amour, la robe tâchée de sang et ce dernier se répandant sur le sable. Pas la peine de vérifier si elle respirait encore, son regard voilé dirigé vers les cieux témoignait de son trépas. Au-dessus d'elle, la Tutétékri tenait le couteau qui lui avait ôté la vie et le foudroyait du regard.

Les allées et venues de son fiancé ces derniers temps l'avaient laissée perplexe. Mais c'est en le voyant faire le mur un soir qu'elle comprit que quelque chose se tramait. Elle l'avait alors suivi en douce et tout découvert. Amoureuse de lui et peu encline à se faire léser, elle avait décidé de se débarrasser de sa rivale et ainsi avorter leur fuite. Le cœur brisé, Morvan ne pouvait que serrer fort contre lui le cadavre encore un peu chaud de son aimée en pleurant.

"Je vais aller te dénoncer. J'allais peut-être fuir avec une autre, mais toi tu as tué Coleen. Tu as tué mon Adélaïd!"

"Tu n'en feras rien mon amour."

A ces mots, il prit peur: comptait-elle le tuer lui aussi? Non, ce fut pire. Elle le changea en ondin. Mais un ondin maudit: ses cheveux se firent fantomatiques et ses cornes étaient tout ce qui restait sur son crâne. Sa queue elle, n'était qu'ossement sortant de coraux semblables à ses cornes. Coleen était une de ces sorcières qui vivait discrètement pour échapper aux persécutions, et elle venait de sceller son destin: son âme fut emprisonnée dans une coquille de Corayon qui jonchait non loin. Pour récupérer son âme et son apparence, elle devait être brisée. Mais avant que le marin ne tente quoi que ce soit, la jeune femme se mit à hurler; à hurler à l'assassin.

Comprenant qu'elle allait en plus lui faire porter le chapeau pour Adélaïd, Morvan se précipita dans l'eau et prit le large. Condamné à errer dans les eaux froides de Galar, le jeune homme embrassait la solitude de l'océan, loin des colonies d'hommes-ondins qui vivaient dans les eaux plus chaudes des autres mers du monde. Le temps passe et il sait qu'il ne reverra jamais son chez lui.

Le chant des sirènes

Les jours, les mois, les années passent. Morvan ne vieilli pas, ne sent pas la faim et les rares personnes qui l'ont aperçu au large le prennent pour un esprit malfaisant. Sans la coquille, il ne peut rompre la malédiction...Et comme le temps a passé, il ne sait où elle peut être, sûrement loin sur la berge, dans un endroit où Coleen se sera assurée qu'on irait jamais la déterrer.

Voici donc la triste histoire de Morvan, l'ondin maudit.