Scène random 1: Chez l'herboriste


Authors
Wanz
Published
2 years, 6 months ago
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Son long manteau brun jeté sur ses épaules, le jeune homme aux attributs de bélier déambulait dans les étroites ruelles pavées de la Vieille Ville. Enfin, déambuler n’était peut-être pas le terme le plus approprié; il n’avait pour ainsi dire absolument rien du promeneur insouciant, heureux de flâner sans se préoccuper du temps qui passe. Au contraire, l’attitude de ce rouquin relevait davantage de la fuite, avec ses coups d’œil furtifs à droite, à gauche, et ses pas rapides, comme s’il était poursuivi. Par moments, il accélérait tant que les pans interminables de son manteau volaient derrière lui, lui octroyant la silhouette d’une ombre fantomatique, dont ces ruelles seraient le royaume. Encore eût-il fallu oublier son regard craintif, la tête baissée vers le sol à la manière d’un agneau apeuré, qui serrait contre lui un objet, semble-t-il, de la plus haute importance à ses yeux. Une lueur hésitante dans ses prunelles couleur noisette, le jeune homme leva la tête, puis ferma les paupières en prenant une grande inspiration et posa sa main gauche sur un mur, qu’il se mit à longer sans en détacher sa main. Ses doigts glissant à présent sur la pierre, ses lèvres remuaient dans des murmures inaudibles, masqués par le claquement léger de ses sabots sur les pavés. Il avait par ailleurs quelque peu ralenti son allure, et, les yeux ainsi fermés dans une mimique concentrée, on pouvait le croire en transe, à psalmodier une mystérieuse formule qui ouvrirait à tout moment un passage secret dans ces murs qu’il s’échinait à suivre au gré des tournants. Mais non, la seule chose qui s’ouvrit furent ses yeux, qui s’illuminèrent aussitôt en constatant qu’il s’était arrêté devant une échoppe dont l’enseigne, bancale, ne donnait que peu d’indications sur ce que l’on y trouvait.
« J’ai réussi… » soupira le rouquin avec un immense sourire de soulagement.  

Toute trace d’inquiétude avait quitté ses traits, seules demeuraient les éternelles cernes sous ses yeux noisette ; il faut croire que la seule chose qu’il fuyait était son sens de l’orientation déplorable, et sa plus grande peur était celle de se perdre. Garder les yeux fermés pour se concentrer sur les reliefs de la pierre le rassurait ; il s’agissait d’une technique qu’il avait découverte dans un livre de contes, utilisée par le héros pour ne pas s’égarer dans un labyrinthe. Il remercia une fois de plus ses lectures de l’aider face à tous ces dangers de la vie qui le guettaient au moindre recoin. Secouant la tête pour chasser ses pensées, il poussa d’une main la porte de la boutique et se faufila à l’intérieur aussi discrètement que possible. Une fois la porte refermée derrière lui, il se détendit, ses épaules s’affaissèrent, tandis que son emprise sur ce qu’il serrait contre son torse se relâchait. A la lumière de l’échoppe, on put enfin voir ce dont il s’agissait : un imposant ouvrage relié de cuir, aux pages jaunies et gondolées. Sans perdre plus de temps, le frêle satyre fila en direction de l’un des rayonnages, où étaient disposés dans un certain désordre quelques livres. Le reste du magasin se partageait entre les plantes en pot, les bocaux d’onguents dégageant une odeur qui imprégnait l’espace, et divers outils dont le jeune homme s’amusait parfois à essayer de deviner l’usage. Le tout était éclairé par des bougies suspendues au bas plafond, moins pour tenter d’imiter les lustres de palais luxueux que pour limiter les risques d’embraser la boutique et ce qu’elle contenait. En somme, cet endroit ne respirait ni l’élégance ni la propreté, pourtant c’était bien l’un des lieux où le jeune noble se sentait réellement tranquille. 
Comme d'habitude, il paraissait être seul dans la boutique; les clients étaient rares, et le gérant ne se montrait que lorsqu'il le fallait. Cette solitude, ce silence, apaisaient le jeune homme, qui posa de nouveau son regard sur les ouvrages devant lui. La plupart cataloguaient des recettes à base de végétaux ou des conseils pour les cultiver, mais ce qui intéressait le curieux rouquin, c'était l'Encyclopédie des plantes élaborée par le gérant de la boutique lui-même. La jardinière de sa famille avait, pas plus tard que la veille, mis en terre un nouveau buisson à fleurs dans le grandiose massif qui faisait la fierté des Dawnhale. Dès qu'il s'en était aperçu, Alexander avait accouru puis longuement examiné et cueilli une fleur ainsi qu'une feuille. Si la jardinière s'était avérée en mesure de lui indiquer le nom de la plante, elle demeurait en revanche incapable de lui donner des informations sur son origine, ou ses propriétés et usages éventuels. Ces renseignements, il ne pourrait les dénicher qu'ici, dans l'un des manuscrits sous son nez. Après avoir aménagé un peu de place sur le meuble en décalant précautionneusement ce dont il ne comptait pas se servir, il ouvrit délicatement son herbier jusqu'à la page où était collée la plante au sujet de laquelle il souhaitait aujourd'hui s'édifier.