Bye bye Taïko

Allongée sur le ventre sur le lit à moitié défait de celui chez qui elle s’éclipsait, ces temps-ci, de plus en plus souvent, la démone triait distraitement un jeu de cartes. Elle se donnait contenance; après tout, tout valait mieux que ce qu’il lui incombait réellement de faire. Un bruit de pas étouffé venant dans sa direction ne la tira pas le moins du monde de son activité.

« Eh, ça serait pas un de mes pulls que tu as là? l’apostropha une voix au timbre masculin en dépit de sa tonalité plutôt aigue.

- Hm? Oh, oui, c’est bien possible, répondit la démone après un bref regard sur son habillement.

- Rrahhh... Tu n’as rien de mieux à faire que de traîner ici, à moitié habillée? pesta le jeune démon en croisant les bras.

- Mieux? Subjectivement, non.

- Ne fais pas l’idiote, grogna l’adolescent en s’approchant davantage. Tu as des responsabilités, et pas des moindres, tu ne peux pas les ignorer!

- Tu as raison... »

La jolie démone à la fourrure rouge marqua une pause, les yeux plissés.

« Et je déteste ça, Taïko ! » s’exclama-t-elle soudain en lui sautant dessus sans lui laisser le temps de réagir.

Tous deux se trouvaient à présent au sol, la fourrure en bataille, et les crocs dévoilés dans un sourire amusé. Comme souvent, Melojinn avait le dessus; non qu’elle fût dotée d’une force supérieure à celle de Taïko, mais elle savait parfaitement exploiter les points faibles de ce dernier, en plus du fait qu’elle ne ménageait pas ses efforts. Après un bref duel de regards, ils éclatèrent tous deux de rire, hilarité que Taïko finit par rompre:

« Retire ça s’il te plaît, intima-t’il en tirant sur le bas du pull que portait sa camarade.

- Comment? Toi, demander pareille chose? Quel culot, commenta simplement la démone couleur de sang.

- N-non je voulais pas dire dans ce sens là et... oh zut, je cherchais justement ce pull!

- Oh... c’est donc pour lui que tu es venu... pas pour moi, je suis profondément déçue » soupira Melojinn en se levant malgré tout.

Avec la grâce qui la caractérisait, elle tourna le dos à son hôte avant d’ôter le vêtement que celui-ci lui réclamait. Tandis qu’elle levait les bras au-dessus de sa tête, le tissu suivant son mouvement dévoila les nombreuses petites pousses parsemant son dos, guère plus que de jeunes feuilles d’un vert tendre. Telle la promesse d’un printemps doux... émergeant dans le brasier de son corps. Comme le soleil nimbait la silhouette aux courbes envoûtantes de sa camarade, Taïko ne put en détacher son regard, inconsciemment. 

« Tiens, le coupa Melojinn en lui tendant le vêtement, sourcils froncés.

- Ah, m-merci! » bredouilla Taïko en reprenant vivement le pull.

Visiblement contrariée, la démone s’éloigna à l’autre bout de la pièce, où étaient entreposés ses propres vêtements, qui composaient un ensemble de style steampunk. Sans un mot, elle commença à s’habiller.

« Pourquoi... pourquoi cacher ces pousses, avec tant d’application? Pourquoi ne pas leur accorder le soleil qu’elles méritent ? » interrogea soudainTaïko, qui avait toujours été fasciné par cette particularité.

Melojinn tourna lentement la tête dans sa direction pour le foudroyer du regard. Réalisant que sa question n’était peut-être pas vraiment la bienvenue, le jeune démon déglutit péniblement. Sa camarade bouclait sa seconde chaussure quand elle se décida à lui fournir une réponse:

« Qu’est-ce que tu me suggères là exactement..? s’enquit-elle calmement, avant de s’interrompre. Elles n’en ont pas besoin. 

- R-Rien, je me disais que peut-être… tu sais… un bain de soleil… souffla Taïko, les joues rougissantes. Tu te sentirais mieux..

- Épargne-moi ta compassion de pauvre ignorant, par pitié » grogna-t’elle en se levant brusquement.

Ses chaussures extrêmement lourdes, à semelle épaisse, claquaient sur le parquet de l’appartement, d’habitude troublé seulement par la musique de Taïko. Ce dernier, quand il réalisa que Melojinn prenait la direction de la porte d’entrée, lui courut après. Fort heureusement elle n’attendit pas qu’il la rattrape pour s’arrêter et se tourner vers lui, juste devant la porte. Le petit démon au pelage azur s’immobilisa également à deux pas d’elle. À présent, elle le détaillait de la tête aux pieds, jusqu’à ce que ses pétillants yeux verts viennent se river sur ceux, bleu marine, de Taïko.

« Tu t’en vas déjà? s’étonna-t’il sans flancher.

- Oui. Tu as raison je n’ai pas à rester ici.

- C’est vrai mais...

- Mais merci d’être comme tu es, Taïko, merci d’être sage quand je refuse de l’être, merci de m’offrir ces instants de liberté en ta compagnie... » affirma-t’elle en faisant les deux pas qui la séparaient de lui. 

Et là, tandis que leurs truffes se touchaient pratiquement, elle posa sa main sur la joue du jeune démon, avant de déposer un baiser presque imperceptible sur ses lèvres. Elle recula aussitôt, une moue qu’on ne lui avait encore jamais vue sur le visage. 

« On se reverra, que ce soit ici ou ailleurs, assura-t’elle, toujours avec un mystérieux éclat dans le regard. À très bientôt. »

Sur ces mots, elle tourna les talons et ouvrit la porte, qu’elle franchit sans un regard en arrière. Sa silhouette reconnaissable entre mille disparaissait dans l’escalier quand la porte se referma, laissant soudain Taïko seul dans le silence.