Modern Knight - Le Secret de Pricannes


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MickuV
Published
1 year, 11 months ago
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Lance a reçu une information importante de la part de son ami Hinker : des Adeptes auraient été repérés dans les environs du village fantôme Pricannes. Lui, Kay et Iris s'y rendent pour comprendre ce qu'ils pouvaient bien faire à l'endroit qu'ils avaient attaqué il y a plusieurs années. Ils ne se doutent pourtant pas de ce qu'ils vont y découvrir...

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Un bracelet tressé de couleur bleu et rouge. C’était ce que fixait une jeune fille à l’arrière de la voiture où elle se trouvait, pensant à l’ami qui le lui avait offert il y a plusieurs années de cela. Elle le regardait d’un air nostalgique, repensant aux bons moments qu’ils avaient passé ensemble. Cette époque était déjà bien lointaine, mais elle rêvait de pouvoir revivre ces précieux instants. Revoir cet ami était une des choses qu’elle souhaitait le plus au monde mais elle savait très bien que c’était impossible. Elle baissa les yeux en se le remémorant avant de porter son regard sur le paysage qui défilait à travers la fenêtre de sa portière. Les arbres défilaient l’un après l’autre pendant que la voiture montait la colline en suivant tranquillement le tracé de la route. La jeune fille pouvait parfois voir le coucher de soleil entre deux troncs, donnant un mélange de vert et d’orange à la scène qui se mouvait. Elle souffla du nez en silence, jetant à nouveau un coup d’œil au souvenir accroché au poignet. Peut-être qu’elle aurait dû rester à la maison, pour une fois. « Pourquoi il a fallu que ça tombe ce jour-là », pensa-t-elle.

Pour se changer les idées, la jeune fille aux cheveux gris clair prêta une oreille à ce qui se disait à la radio. La chaîne passait une chanson de rock qu’elle appréciait assez bien avant de laisser place à l’animateur qui présenta son invité de la soirée : Un artiste qui était venu au studio pour présenter son nouveau film racontant l’histoire d’une personne qui avait disparu pendant plus de dix ans et qui revenait à sa ville natale, retrouvant ses proches qui le pensaient mort depuis tout ce temps. Le présentateur de l’émission concentra ses premières questions sur les personnages principaux, notamment sur le protagoniste et sa meilleure amie. Elle ressouffla du nez mais un peu plus agacée cette fois-ci. Devinant sa frustration, sa sœur qui se trouvait sur le siège passager à l’avant se tourna vers elle et remarqua son air triste.

— Ça ne va pas, Kay ? lui demanda-t-elle. Tu veux qu’on s’arrête quelques minutes ?
— Non non, c’est rien. Je pense juste à des trucs, c’est tout.
— Tu en es sûre ?
— Oui, ne t’en fais pas, Iris. C’est juste qu’aujourd’hui… Ça aurait dû être son anniversaire. À chaque fois qu’on est le cinq Stellus, je ne peux pas m’empêcher de penser à lui, tu comprends ?
— Bien sûr, affirma sa grande sœur avec un petit air peiné.
— Mais ça passera, continua Kay en remontant sa manche pour cacher son bracelet. C’est juste que le trajet est si long, du coup je pense à tout et à rien pour m’occuper. Forcément, il fallait que ça me vienne en tête.
— Tu ne vas plus t’ennuyer très longtemps, annonça le conducteur. D’après le GPS, on arrive bientôt à Pricannes.
— Je me demande bien à quoi ressemble le village depuis la dernière fois que j’y suis allée, se demanda la passagère avant. Après, ça remonte à très longtemps.
— De ce que m’a dit Hinker, l’endroit a été laissé à l’abandon après le passage des Adeptes. Le village était déjà à l’écart du monde mais en plus, vu qu’une communauté magique y vivait, personne n’aurait cherché à comprendre ce qui a pu se passer là-bas.
— C’est si injuste, commenta Iris.
— Mais pas non plus très surprenant, ajouta Kay. On avait déjà le droit à ce genre de traitement quand il y avait des problèmes à Pimontes, après tout.
— Rappelez-vous ce qu’on a dit, les filles. Une fois qu’on aura garé la voiture dans la forêt, on attendra que la nuit tombe pour nous infiltrer dans le village. Après ça, on s’occupe d’eux et on voit pourquoi ils traînent dans le coin.
— Monsieur Lance, débuta la plus âgée avec un air mêlant sérieux et inquiétude, j’ose espérer que quand vous dites de s’occuper des Adeptes, vous parlez de simplement les neutraliser et non de les…
— Iris, nous en avons déjà parlé. On ne sait pas combien ils sont et j’aimerais éviter le plus possible qu’ils nous envoient des renforts. Agis comme tu l’entends mais, plus tu en laisseras en vie, plus nous prendrons des risques.

Bien qu’elle souhaitât contre-argumenter, elle préféra ne pas en rajouter, détournant son regard qui affichait encore plus de tristesse. Kay compatissait pour Iris, sachant à quel point elle détestait toute forme de violence, mais savait aussi que Lance avait raison d’être aussi dur concernant ceux qu’il appelait « les Adeptes ». Si ça ne tenait qu'à elle, elle les aurait probablement éliminés pour n’avoir aucun problème par la suite mais quand Iris les accompagnait dans leurs missions, c’était tout l’inverse, se sentant incapable d’être aussi froide devant elle. Il lui arrivait parfois de se demander ce que son aînée et seule famille pouvait bien penser de ce qu’elle était devenue. Était-elle triste de savoir qu’elle avait du sang sur les mains ou, au contraire, fière de savoir qu’elle était devenue assez forte ? Elle ne lui avait jamais posé la question, bien trop effrayée par la réponse qu'elle pourrait entendre.

Ce groupe, de leur nom complet « Adeptes du Chaos », était leurs ennemis depuis plusieurs années, remontant à la disparition de l’ami d’enfance de Kay auquel elle pensait à l’instant. Bien que leur appellation inspirât tout sauf la confiance, ils affirmaient agir au nom de la magie : devenue une honte synonyme de malheur, elle n'inspirait que du rejet ou de la peur pour une partie du monde. Cela à cause de grandes catastrophes ayant eu lieu il y a de cela plusieurs siècles. Pricannes était un exemple de communauté de mages devant préserver les arcanes de leur art dans l’ombre. Ils appartenaient au Clan Ormina, la majeure partie de ce groupe vivant dans ce village isolé jusqu’à ce qu’ils soient entièrement anéantis lors d’une bataille face aux Adeptes, leurs ennemis ancestraux. Ce fut lors de cet évènement que la mère de Kay et Iris succomba, mais également l'ami qui était si cher au cœur de la benjamine. Alors qu’elles étaient à plusieurs kilomètres de l’affrontement, les deux sœurs Shiram furent recueillies par Lance, l’oncle de l’ami de Kay, pour les cacher des Adeptes puis s’étaient jointes à lui dans son combat contre ces derniers. Si Kay était déterminée à venger ses parents et son vieil ami, Iris souhaitait avant tout les arrêter pour que personne d’autre ne souffre. Bien que leurs intentions pussent paraître nobles et qu’elle pouvait comprendre leur souffrance, les méthodes qu’ils employaient n’en étaient pas moins discutables.

Voyant sur le GPS que Pricannes n’était plus qu’à une poignée de minutes, Lance quitta la route principale pour s’enfoncer dans la mare d’arbres à sa droite, essayant de cacher la voiture du mieux qu’il pouvait. Il profita du temps qu’ils avaient pour garer son véhicule en faisant face au chemin goudronné dans le cas où ils seraient contraints de fuir. Ils restèrent ainsi à l’intérieur, attendant que le soleil se couche pour pouvoir passer à l’action. Le temps passa si lentement que Kay eut l’envie de sortir prendre l’air quelques instants, chose que lui autorisa son conducteur à contre-cœur. La jeune fille ferma sa portière en douceur et, en collant son dos contre celle-ci, sortit de son étui son fidèle poignard afin de faire quelques mouvements de la main avec pour s’occuper. Elle finit par le ranger, puis essaya alors de jeter un coup d’œil vers là où se trouvait Pricannes, se demandant si elle pouvait l’apercevoir mais en vain. Elle souffla avant de sortir son portable pour regarder les dernières nouvelles sur les réseaux, l’aidant à mieux passer le temps.

La nuit noire enfin installée, Lance et Iris purent sortir à leur tour. L’homme somma à la benjamine d’éteindre son téléphone avec un certain mécontentement puis alla prendre son équipement dans un compartiment caché du coffre de sa voiture. Quant à l’aînée, elle prit un instant pour remettre correctement son châle, adressant un tendre sourire à sa jeune sœur qui la rejoignait. Une fois tout le monde prêt, Lance fit un geste aux filles pour enfin se rendre à l’entrée principale du village. Comme à son habitude, Kay serra son poignet gauche dans son autre main en souhaitant que tout se passe sans trop de souci. « C’est ton jour aujourd’hui, alors je ne vais pas merder, tu peux me croire. » pensa-t-elle très fort.

Plus Kay y réfléchissait, plus elle réalisait qu’ils allaient pénétrer le village natal de leur mère, un endroit dont elle n’avait aucun souvenir. Elle se rapprocha d’Iris et lui demanda d’une voix basse :

— Dis, tu te rappelles bien de Pricannes, toi ? Je sais que ce n’est pas trop le moment pour demander ça mais je tilte que maintenant que…
— Que c’est ici que notre mère a passé son enfance, compléta Iris. À vrai dire, je ne me souviens pas de tout. Nous n’y sommes pas allés beaucoup de fois et j’étais très jeune. Je crois que la dernière fois, tu avais à peine deux ans.
— Ah oui, ça remonte…
— Mais j’imagine que des souvenirs me reviendront quand nous y serons. J’ai déjà peur de voir dans quel état le village est aujourd’hui…
— La plupart des bâtiments ne sont sans doute plus que des ruines, déclara Lance en murmurant presque. Ce sont les vestiges d’une bataille de mages, après tout.
— Si ce ne sont que des ruines, qu’est-ce qu’ils peuvent foutre ici ? demanda Kay.
— Ça, on le saura bien assez tôt. Maintenant, on se tait et surtout, discrets.

Ils ralentirent la marche et essayèrent de faire les pas les moins bruyants possibles. Une fois proches de l'entrée de la ville, ils l'examinèrent en détails en se cachant derrière un buisson. Deux personnes y étaient postées pour monter la garde, un homme ayant l’air suffisamment costaud pour briser Kay en deux – du moins, selon cette dernière – et une femme à l’allure nonchalante, profitant du calme pour allumer une cigarette tranquillement. Tous deux n’avaient pas l’air de vouloir s’adresser la parole, la sœur benjamine se demandant même s’ils n’étaient pas en froid, chose qui semblait se confirmer lorsque le grand demanda à sa partenaire de ne pas lui mettre la fumée au visage et que cette dernière lui répondit d’un ton sec qu’elle ne contrôlait pas le vent. Une drôle d’idée d’avoir choisi de mettre ces deux-là à la surveillance mais ce n’est ni Kay ni Lance qui allaient s’en plaindre.

— T’en as pas marre de toujours vouloir m’ennuyer comme ça ? demanda l’Adepte baraqué.
— C’est toi qui te plains toujours pour rien, mon vieux, répondit l’autre en prenant soin de laisser échapper un souffle gris avant. Et puis, il faut bien que je fasse quelque chose pour passer le temps, non ?
— Tu devrais le passer à surveiller plutôt qu’à m’envoyer ta fumée en pleine face.
— Pour quoi faire ? Pour éviter qu’un sanglier ou un cerf entre ? Faudrait que la lieutenante se calme un peu le cul et qu’elle admette que personne ne risque de venir ici.
— Ça, c’est toi qui le dis. Mais peut-être as-tu oublié les fois où certaines divisions se sont retrouvées avec des intrus par manque de vigilance, faisant échouer leur mission. Sinon, j’ai toujours ta fumée au visage.
— Réfléchis un peu, tu veux ? On est en haut d’une colline où se trouve les ruines d’une communauté magique. Personne ne voudra venir ici, franchement…
— Pourquoi faut-il toujours que je tombe avec toi pendant une mission ? Si la garde ne t’intéresse pas, pourquoi tu n’irais pas fumer ailleurs ? Ça rendrait service à tout le monde.
— Les ordres sont les ordres, conclut-elle sèchement en crachant à nouveau sa fumée. Et si ça te gêne vraiment, t’as qu’à aller un peu plus loin pour garder ton chemin à la con.

L’homme souffla du nez d’agacement mais préféra s’éloigner d’elle plutôt que de continuer cette conversation qui ne menait visiblement à rien. Il se posta ainsi à côté du buisson où se trouvait le groupe d’intrus, faisant monter le stress chez les deux sœurs Shiram pendant que Lance se retenait de lâcher une injure. Ne sachant pas comment agir, Kay se tourna vers l’homme qui peinait également à trouver une solution. Fort heureusement, après avoir pris soin de souffler silencieusement pour se ressaisir, Iris sortit son bâton de son étui et colla la paume de sa main contre l’extrémité afin de le déplier sans faire le moindre bruit suspect. Elle toucha ensuite le sol avec l’autre partie puis ferma les yeux pour concentrer son énergie à l’intérieur.

Les pouvoirs de la jeune femme résonnèrent à travers le métal de son arme, créant une onde au sol se propageant en direction de l’Adepte qui toussa légèrement mais ne remarqua pas ce qu’il se produisait sous ses pieds. Ce dernier ressentit peu à peu de la fatigue, peinant même à tenir debout au point de s’écrouler au sol après une bonne minute. Lance fut soulagé d’avoir les pouvoirs des filles pour les sortir de ce genre de pétrin pendant que Kay murmura des félicitations à son aînée. Alors qu’elle regardait ailleurs depuis tout ce temps, la fumeuse remarqua le coma de son partenaire non désiré et alla le rejoindre en lui rappelant sans gêne que ce n’était pas le moment de dormir. Elle le secoua mais il ne revint pas à lui pour autant, ce qui l’inquiéta un peu jusqu’à ressentir un malaise à son tour, Iris continuant d’étendre son onde sur eux. L’Adepte remarqua le bâton dépasser du buisson en posant son regard sur le côté, la surprise l’aidant à se relever malgré ses forces amoindries. Lance ne lui laissa pas le temps de réagir en quittant sa cachette pour lui mettre un crochet du droit en pleine mâchoire, accélérant ainsi son évanouissement.

— Heureusement, il y a toujours les bonnes vieilles méthodes, laissa échapper Lance en craquant ses doigts. Kay, aide-moi à les bouger de là.

La jeune fille quitta sa cachette feuillue pour trainer les deux endormis avec lui hors de la route. L’homme au bouc sortit ensuite de sa sacoche arrière une paire de menottes pour les enchaîner l’un à l’autre au cas où ils se réveilleraient. Iris lui signala qu’ils en avaient au moins pour quelques heures, mais Lance préférait être prudent. Il faisait déjà l’effort de les laisser en vie devant elle, il n’allait pas non plus prendre plus de risques. Il demanda aux filles de se concentrer sur la suite puis se dirigea vers le portail du village, vérifiant que personne ne se trouvait dans les environs avant qu’ils puissent le traverser.

Tout en avançant dans l’ombre, le trio put constater dans quel état Pricannes avait été laissée depuis toutes ces années. Si certaines maisons tenaient à peine debout, les autres n’avaient pas attendu pour s’écrouler sur elles-mêmes. On pouvait même voir que la nature avait eu tout le temps pour doucement recouvrir les ruines des habitations. Des poteaux électriques et des lampadaires étaient allongés au sol, aussi les filles prenaient bien soin d’éviter les câbles qui gisaient à côté, même si l’électricité ne circulait plus dans le village fortifié depuis un bon bout de temps. Iris fut attristée de voir à quel point le village natal de sa mère avait été abandonné après le drame. Plus ils avançaient, plus les souvenirs lui revenaient à l’esprit. Elle fixa un instant la rue qu’ils longeaient et s’y vit marcher en compagnie de sa mère lorsqu’elle n’était qu’une enfant. Elle se voyait à la fois tenir sa main ainsi que celle d'une petite Kay qui peinait à marcher correctement, la regardant avec un sourire. Toutes trois se dirigeaient vers une petite maison où un homme ayant à première vue plus de la soixantaine leur ouvrit la porte, ébouriffant au passage les cheveux de la grande sœur en riant. Une profonde mélancolie envahit Iris.

Elle entendit alors son nom, ce qui la fit réaliser qu’elle était restée figée devant cette habitation. Le souvenir était parti, et la demeure possédait de nouveau des fenêtres brisées et un toit effondré. Kay la rappela à nouveau, lui faisant signe de les suivre derrière le muret de la maison d’en face en voyant qu’un autre Adepte surveillant venait dans leur direction. En le constatant, la grande s’empressa de les rejoindre, s’excusant auprès d’eux pour son absence mais Lance lui ordonna d’un geste de ne pas dire un mot de plus. Le garde s’arrêta un instant pour regarder autour de lui, pensant avoir entendu quelque chose, avant de finalement reprendre sa ronde un peu plus loin. Iris souffla de soulagement. Elle ne les avait pas mis en difficulté à cause de ses pensées. Toutefois, Lance ne fit aucune autre remarque à ce sujet et rouvrit la marche discrète, suivit par les filles. Kay se rapprocha d’Iris et lui demanda d’une voix basse :

— Pourquoi tu fixais cette maison ?
— C’est… C’était la maison de nos grands-parents, répondit-elle, le cœur serré.

Kay se tourna une nouvelle fois vers ces ruines puis promit à Iris qu’elles y retourneraient après avoir dégagé les Adeptes de Pricannes, lui redonnant ainsi un petit sourire. Elles se dépêchèrent néanmoins de rejoindre leur tuteur avant que celui-ci ne s’agace de leur lenteur.

Continuant à avancer dans l’ombre à l’abri des regards, ils parvinrent à atteindre la place principale du village sans problème et constatèrent que le groupe y avait établi leur camp. De nombreuses tentes entouraient ainsi la statue détruite qui se trouvait au centre de l’endroit. Si certains Adeptes étaient eux aussi affairés à la surveillance, d’autres profitaient de leur pause pour préparer leur repas du soir tout en discutant de divers sujets. Cela surprenait Kay qu’ils se permettent de s’établir sans gêne, eux qui avaient l’habitude de rester à l’abri des regards mais vu le désintérêt général que Pricannes subissait et la garde à l’entrée – malgré son efficacité discutable – très peu de monde serait venu les déranger. Iris, quant à elle, commença à ressentir la faim lorsque l’odeur de la soupe qui se préparait non loin d’eux arriva à ses narines. Elle se ressaisit lorsque Lance leur demanda de le suivre en prenant bien soin de vérifier quand la voie se serait libérée pour passer d’un arrière de tente à l’autre. En répétant la manœuvre de nombreuses fois, ils arrivèrent jusqu’à la plus grande de toutes, l’homme au bouc pensant qu’il s’agissait probablement de celle de la cheffe des opérations.

À la demande de Lance, Iris s’accroupit pour poser la paume de sa main sur le sol, propageant une onde qui se dispersa à l’intérieur, et n’y repéra aucune présence. Kay comprit lorsqu’il se tourna sans un mot vers elle qu’elle allait devoir y entrer et s’exécuta en passant par l’avant lorsqu’aucun Adepte ne se trouvait dans les parages. Elle balaya rapidement l’endroit du regard, passant entre un lit de camp, un paravent – ce qui l’étonna – un coin cuisine ainsi qu’une table servant de bureau avec son ordinateur portable, sa lampe, son imprimante posés dessus ainsi que les quelques papiers éparpillés. La jeune fille tenta de parcourir les fichiers de l’Adepte mais se retrouva bien évidemment face à un écran demandant un mot de passe. Elle le ferma pour finalement se focaliser sur les papiers qui traînaient à côté. Ils avaient l’aspect de rapports de recherches selon elle mais elle n’arrivait pas à comprendre de quoi ça pouvait bien traiter car les mots étaient écrits bizarrement à ses yeux, rendant le contenu illisible. Kay en avait malheureusement l’habitude, les Adeptes étant toujours assez prudents pour masquer leurs traces et ne laisser aucune information sur leurs manigances. Elle continua de fouiller un peu partout, bien qu’elle se doutât qu’elle ne trouverait rien d’intéressant.

Toujours cachés dans la pénombre, Lance garda un œil sur la place tandis qu’Iris se chargeait de surveiller le chemin se trouvant juste à côté d’eux. Quelques Adeptes s’étaient posés contre la statue et avaient une vue sur la tente de leur supérieur, ce qui agaçait le tuteur des Shiram. La jeune femme remarqua que deux personnes revenaient de l’ancienne mairie, se dirigeant droit dans leur direction. Elle le signala aussitôt à Lance avant de renvoyer une nouvelle onde au sol pour alerter Kay. Cette dernière ressentant l’appel de sa sœur, elle posa en vitesse ce qu’elle avait en main avant de se diriger vers la sortie mais s’arrêta net quand elle commença à entendre les voix de ceux qui s’approchaient de la tente. Il lui était impossible de s’enfuir au risque de se faire repérer. Ne voyant pas d’autres options, elle alla se mettre derrière le paravent, enjambant de justesse un sac débordant de vêtements qui s’y trouvait. Quand elle entendit le rideau de la tente s’ouvrir, sa respiration s’arrêta nette mais elle tenta de garder son calme en ne faisant plus aucun geste. Kay écouta alors malgré elle la discussion bien entamée des deux Adeptes.

— On a fouillé dans tout le village et ses environs, déclara une voix féminine, et rien. Ça fait trois jours que nous sommes ici et les autres en ont bien assez. Il n’y a plus que vous pour vous entêter à continuer ces recherches.
— Évidemment ! s’écria l’homme qui l’accompagnait. Une telle activité magique dans un village fantôme, vous pensez qu’on peut se permettre de l’ignorer ? Si cela doit demander des semaines de recherches, nous les ferons !
— Vous allez devoir compter sur de nouvelles équipes, dans ce cas.
— Écoutez, Sariah. Une manifestation magique qui a pu être ressentie sur plusieurs kilomètres avec pour origine un endroit vide de vie humaine, c’est déjà une chose hors du commun. Mais que cet endroit soit Pricannes, c’est encore plus improbable. Les Ormina cachaient quelque chose, j’en suis certain.
— Je sais, vous me l’avez déjà dit. (Kay l’entendit s’asseoir sur la chaise qui se trouvait devant le paravent, aggravant son stress.) Mais où il pourrait se trouver, votre truc ?
— Étant donné que nous avons fouillé chaque maison et chaque recoin du village en plus d’avoir parcouru une bonne partie de la forêt environnante… Il est possible que la source que nous cherchons soit sous terre.
— Vous allez nous demander de creuser, maintenant ?
— Je pense qu’il y a plus simple, ne vous en faites pas. Ils ont dû prévoir une entrée secrète pour l’atteindre. Il ne nous reste qu’à la trouver.
— Et si on ne peut pas l’ouvrir ? À tous les coups, ils ont dû mettre un verrou que seul un Ormina peut briser.
— Si c’est le cas, nous forcerons l’ouverture.

Cette affaire d’activité magique attisait la curiosité de Kay. Pour elle, si les Adeptes voulaient absolument en connaître l’origine, c’est qu’ils voulaient soit s’en emparer, soit la détruire. Il fallait donc parvenir à l’atteindre avant eux mais il lui fallait d’abord retourner auprès de Lance et Iris. Alors qu’elle réfléchissait à une façon de sortir de la tente, une sonnerie bien familière se fit entendre. Elle sursauta et réalisa que son téléphone ne s’était pas éteint plus tôt. Pendant qu’elle pensait à plusieurs jurons, les deux Adeptes étaient sur le qui-vive, la lieutenant prête à attaquer. Dans la panique, Kay donna un violent coup de pied dans le paravent, le faisant s’écraser à sa grande surprise contre celle prénommée Sariah. Voyant que le chercheur barbu se préparait à l’attaquer à son tour, elle utilisa ses pouvoirs pour projeter tout le matériel du bureau sur lui, l’amenant à se prendre à la suite la lampe et l’imprimante en plein visage. Avec le vacarme provoqué, les deux hommes qui flânaient contre la statue commencèrent à se précipiter vers la tente. Ils se virent stopper par une grenade qui, en explosant, laissa échapper une fumée verte, les déstabilisant grandement. Lance profita de la situation qu’il venait de créer pour foncer sur eux afin de leur décrocher un puissant coup dans la mâchoire. Kay sortit enfin de la tente et alla rejoindre sa grande sœur qui avait déployé son bâton, le tenant contre elle avec ses deux mains.

— Kay, tu vas bien ?! s’écria Iris, très inquiète.
— Ça va, ça va… Plus de peur que de… Attention !!

La jeune Shiram entraîna son aînée sur la gauche. Une sphère de lumière les frôla et explosa contre une tente un peu plus éloignée, déchirant sa toile. L'Adepte à l'origine de cette attaque courait dans leur direction, s’en préparant une nouvelle. Kay ne perdit pas une seconde pour agir. Elle imprégna une partie de son esprit dans trois petits couteaux attachés à l'arrière de son pantalon. Elle les projeta ensuite sur son adversaire sur sa gauche. Ils se plantèrent tous dans sa jambe, le stoppant net, mais il avait pu lancer sa boule lumineuse. Kay sortit son poignard de sa main gauche et l'entoura à son tour de sa magie spirituelle. D'un coup vif, elle la trancha en deux et les moitiés partirent chacune fracasser le sol de chaque côté. La robe d'Iris fut légèrement secouée par l'explosion. N'étant pas parties en mission ensemble depuis longtemps, Iris était impressionnée par la performance de sa cadette, la laissant bouche bée. Kay se redressa pour se tourner vers elle et fut étonnée en voyant sa réaction.

— Tu vas bien ?
— Oui, répondit-elle avec un sourire apaisant. Plus de peur que de mal.

La plus jeune fut rassurée alors que l’Adepte s’était ressaisi pour une troisième offensive. Fort heureusement, Lance s’était placé derrière lui pour l’assommer d’un coup de coude à l’arrière du crâne.

— Arrêtez de rêvasser, vous deux ! leur hurla-t-il en pointant les Adeptes restants avant d’y retourner.

Les deux sœurs se concentrèrent de nouveau et restèrent ensemble pour accueillir le duo qui arrivait. L’une d’entre eux concentra sa magie dans ses deux mains pendant sa course. Elle la relâcha sous la forme d’une lame de feu horizontale qu’elle projeta sur elles. Iris lia son esprit à son bâton avant de frapper le sol par l’extrémité. L’onde créée fit décoller les Shiram et l’attaque alla s’écraser contre la tente derrière qui s’embrasa. En plein saut, Kay rappela ses couteaux pour les lancer dans le bras de l’Adepte rousse. Alors que cette dernière les retirait un à un, son adversaire atterrit devant elle et fit une balayette pour la faire tomber. En essayant de l’assommer au sol, Kay se prit un poing enflammé en pleine joue qui la dégagea. Toutes deux se relevèrent avec peine avant de retourner à la charge. L’Adepte décocha un crochet de feu sur le flanc droit mais la jeune fille l’esquiva de justesse. Elle répondit en frappant sa hanche droite avec son tibia. La rousse saisit sa jambe avec son bras blessé qui prit soudainement feu. Kay serra les dents à cause de la douleur que lui causait la brûlure. Elle tenta d’y planter son poignard pour se libérer mais elle attrapa son poignet gauche qu’elle brûla également. Elle lâcha son arme mais utilisa sa force spirituelle pour le planter dans la cage thoracique de son ennemie. Elle abandonna toute emprise et recula. Elle hésita un instant pour retirer le couteau mais préféra porter une ultime attaque de flammes. Kay mit un terme au combat en plantant ses petites lames dans sa nuque. Elle s’écroula enfin au sol, les braises de son corps s’éteignant ainsi que celle de son cœur. La jeune Shiram frotta son jean un instant avant de récupérer ses armes. Elle qui voulait éviter de tuer quelqu’un devant sa grande sœur, c’était manifestement raté.

Iris était occupée avec le deuxième Adepte du duo, un homme de sa taille mais d’un gabarit bien plus imposant. Elle se contentait de bloquer les coups avec difficulté plutôt que de les donner. L’homme s’en amusa, la frappa sous la poitrine et la projeta contre une caisse à l’aide d’une impulsion de magie sombre. Elle se redressa tout en toussant pendant qu’il avançait en craquant ses poings.

— Une grande crevette comme toi ne peut même pas me toucher, lâcha le grand musclé avec dédain.

Iris reprit enfin son souffle mais l’Adepte s’apprêtait à l’achever. Il chargea son poing de ténèbres. Kay le remarqua et se précipita en criant le nom de sa sœur. Cette dernière posa la paume de sa main droite contre le sol. L’onde créée la dégagea sur le côté juste avant que le coup ne puisse l’atteindre. L’attaque de magie noire explosa contre le sol, faisant voler les débris de la caisse tout autour. La jeune femme se releva et prit le temps de dépoussiérer sa longue jupe. Une telle nonchalance agaça la brute qui revint aussitôt à la charge. Au moment de porter son coup, Iris se baissa et le frappa dans l’abdomen de la paume de sa main gauche. Il fut surpris par la vitesse de cette contre-attaque mais également de sa force. Déséquilibré, il semblait se vider de toute énergie. Iris en profita pour faire un tour sur elle-même, donnant deux coups de bâton dans sa mâchoire. L’Adepte s’écroula, ne comprenant pas ce qu’il se passait. Comment une femme aussi frêle qu’elle pouvait être aussi redoutable ? Iris lui tourna le dos et partit rejoindre Kay, préférant en rester là. Elle était à son tour impressionnée par ce qu’elle venait de voir. Kay ne pensait pas que son aînée était devenue aussi à l’aise au combat, elle qui détestait ça.

S’énervant au point de l’insulter, l’Adepte utilisa ses dernières forces pour lui envoyer avec son poing une boule d’énergie sombre. Le cri força Iris à remettre son attention sur lui, réalisant ce qui lui fonçait dessus. Chargeant son bâton d’ondes spirituelles, elle le fit tourner dans ses mains devant d’elle. L’attaque magique rebondit contre ce bouclier et revint vers l’agresseur. Elle lui explosa en plein visage, l’assommant définitivement. Elle soupira en le constatant, elle qui ne voyait pas la peine d’insister. Kay revint à ses côtés d’elle, s’assurant d’abord qu’elle n’ait rien avant de la féliciter pour sa manière de le neutraliser. Iris la remercia en riant avant de remarquer les deux nouveaux adversaires qui se précipitèrent sur elles. Elles reconnurent parmi eux le garde qu’ils avaient croisé bien avant, le combat semblant les avoir alertés au loin. Les deux sœurs se regardèrent avec confiance et les accueillirent ensemble.

De son côté, Lance esquivait sans trop de problème les attaques d’un autre Adepte de magie sombre. Tout en enchaînant les pas de côté et les plongeons avec roulade, il tira sur l’ennemi avec son pistolet. Deux balles touchèrent à l’épaule droite. Le mage remarqua que l’intensité de ses sorts avait baissé avec le temps au point de devenir inoffensifs. Il réalisa alors que les projectiles qu’il avait encaissés contenaient ce qu’il appelait de l’ansorcellithe. Lance se retrouva face à lui mais ce dernier tenta de le frapper au visage. L’homme imposant dégagea le coup d’un revers du gauche avant de répliquer avec un autre bien plus puissant dans le ventre. L’impact lui fit cracher sa salive qui éclata sur le bras de son opposant. Lance le souleva pour le mettre à terre et lui frappa violemment dans le visage avec le talon de sa botte. L’Adepte perdit connaissance et y gagna un nez cassé au passage. Il se tourna ensuite sur le deuxième qu’il avait repéré depuis un bon moment. Sursautant lorsqu’il porta son regard sur lui, il posa ses mains au sol et les jambes de Lance se firent soudainement scellées dans la roche. Légèrement agacé, il se contenta de lancer une nouvelle grenade fumigène d’ansorcellithe aux pieds de l’Adepte. Il toussa dans un premier temps puis perdit peu à peu sa magie, le libérant sans le vouloir. Lance prit la matraque électrique qu’il portait à sa ceinture puis courut droit sur son ennemi encore déstabilisé. Il donna un coup horizontal dans son torse et le dégagea d’un coup de pied après avoir maintenu l’électrocution quelques secondes. L’Adepte chuta et se prit un morceau assez conséquent de la statue au niveau du crâne. Lance l’abandonna dans cet état, se moquant complètement de s’il vivait encore ou non.

Les filles venaient de se débarrasser des derniers gêneurs lorsqu’il revint auprès d’elles. Il n’y avait plus qu’eux d’encore debout sur la grande place de Pricannes tandis que la tente de la lieutenante commençait à s’écrouler à cause des flammes. Kay profita du retour de la tranquillité pour examiner son jean et vit qu’un trou s’était formé dans la grosse marque de brûlure.

— Roh fait chier, lâcha-t-elle avec agacement. Je venais tout juste de l’acheter, celui-là.
— J’essayerai de le réparer quand nous serons rentrés, ne t’en fais pas, lui assura Iris avec le sourire, recevant des remerciements.
— Kay, je t’avais pourtant demandé d’éteindre ton portable tout à l’heure ! lui hurla Lance de colère.
— Ça va, je pensais l’avoir fait, c’est bon ! Je ne sais pas pourquoi il n’a pas voulu s’éteindre, ce con…
— Ça fait déjà deux fois que tu me fais ce coup-là ! Et l’autre fois, on a failli y passer, je te rappelle !
— Allons, monsieur Lance, dit Iris avec sérénité pour l’interrompre. L’important, c’est que nous soyons tous les trois sains et saufs. Je pense que Kay a suffisamment retenu la leçon et qu’elle évitera que cela se reproduise à nouveau. (Elle se tourna vers elle avec un grand sourire.) N’est-ce-pas ?
— Oui, oui… La prochaine fois, je le laisserai dans la voiture. Je suis désolée, Lance.
— Bon, ça ira… Occupons-nous des survivants pour les interroger plus tard.

La manifestation magique, cela revint à l’esprit de Kay. Mais comment trouver cette chose en quelques heures alors qu’ils n’y étaient pas parvenus en plusieurs jours, se demanda-t-elle. Le chercheur des Adeptes pensait qu’elle devait se trouver sous le village, il ne restait donc plus qu’à trouver l’entrée qui les y amènerait. Du moins, si elle existait réellement. Lance demanda aux filles de l’aider à transporter les personnes inconscientes au même endroit. Iris se dirigea vers le grand Adepte qu'elle avait neutralisé, non loin de la tente enflammée, et s'arrêta un instant pour regarder cette dernière. Elle l'avait oublié quelques instants à cause de la panique mais il y avait encore d'autres personnes à l'intérieur. Elle ne pouvait se résoudre à les laisser mourir brûlés vifs, si bien qu'elle demanda à Kay de lui filer un coup de main. Il fallait les sauver et accessoirement éteindre le feu pour ne pas attirer plus de monde, pensa-t-elle ensuite.

Ne pouvant pas rejeter une telle demande venant de sa grande sœur, Kay vint la rejoindre. En se rapprochant de la tente, elle crut entendre du mouvement à l'intérieur. L'un d'eux avait dû se réveiller, se retrouvant ainsi au cœur de l'incendie. Bien qu'Iris voulait avant tout les sauver, sa petite sœur resta méfiante et sortit son poignard en cas de besoin. Elle s'approcha de l'entrée et trancha la toile pour la libérer.

Au moment même où le tissu tomba au sol, Kay se fit soudainement attraper par le cou et plaquer contre le socle de la statue, lâchant son arme à l’impact. Elle était dans l’incompréhension la plus totale tout comme Iris qui cria son nom après avoir réalisé, attirant ainsi l’attention de Lance. Sariah la tenait fermement, si bien qu’elle peinait à respirer. Elle essaya de retirer sa main tout en lui donnant des coups de genou mais la lieutenant Adepte tint bon.

— Petite pute, cracha-t-elle de colère. En plus d’avoir foutu la merde, t’as foutu en l’air mes fringues…

Kay reçut une puissante décharge électrique et hurla de douleur. Iris se précipita pour la secourir mais Sariah l’avait vue venir. Elle lui lança de l’autre main une sphère survoltée qui la stoppa net au sol. Kay cria son nom avec peine et frayeur en voyant qu’elle avait du mal à se relever. L’Adepte allait reprendre sa torture mais Lance en profita pour la dégager d’un coup de poing dans la mâchoire. Kay tomba à genoux, récupérant peu à peu sa respiration pendant que son tuteur prenait la relève. Sariah cracha du sang en passant sa main sur sa joue marquée par le gant du grand homme qui la fixait en fermant complètement sa veste. Après avoir repris son souffle, Kay alla rapidement aux côtés d’Iris, vérifiant qu’elle était encore consciente. En posant sa main sur la sienne, Iris la serra et leva doucement son regard sur sa petite sœur avec un sourire rassurant. Elle l’aida à se relever tout en regardant Lance et Sariah.

La lieutenante ricana en fixant son opposant avec confiance.

— Je pense savoir qui tu es, lui lança-t-elle. Toujours à te mêler de ce qui te regarde pas, Lance Valdera.
— Toujours un plaisir de voir que vous vous préoccupez autant de moi, répondit-il simplement tout en remettant correctement ses gants.
— Je voulais m’occuper de ta petite protégée avant mais tu es bien plus intéressant qu’elle.

En un instant, elle se retrouva à quelques centimètres de lui. Profitant de la surprise, elle posa sa main sur son torse et fit circuler son électricité jusqu’au bout de ses doigts. Mais rien ne se passait. Lance ne ressentait rien au grand étonnement de l’Adepte. Il lui donna un coup de coude et elle fut forcée de reculer. Elle se mit à rire à nouveau, comprenant ce qu’il venait de se passer.

— Un isolant… T’es du genre à tout prévoir, toi.
— Quand on utilise une matraque électrique, il faut prévoir les accidents.
— Dommage pour toi, ça ne me fera rien. Alors que moi… (Elle enfonça son poing dans le ventre de Lance en une fraction de seconde.) Je peux compter sur ma vitesse !

Son visage se crispa. Il pensa que cette femme pouvait être aussi rapide qu’un éclair grâce à sa magie et regretta amèrement d’avoir utilisé sa dernière grenade d’ansorcellithe sur un simple soldat. Il devait réfléchir à une nouvelle solution, ne pouvant que bloquer les coups vifs de Sariah en attendant. La tâche était assez ardue pour lui avec ses mouvements imprévisibles. Il ne pouvait que reculer tout en prenant au passage quelques coups. Il profita d’un énième coup de pied pour se dégager d’elle et sortir son pistolet. Elle enchaîna avec un coup de genou dans le menton qui le fit tomber au sol, le forçant à lâcher son arme. Sariah posa son pied sur son ventre, l’immobilisant le temps qu’elle craque ses poings. Iris était terrorisée de voir à quelle vitesse Lance avait été mis à terre. Lui qui avait toujours un plan de secours, se retrouver dans une telle situation devait beaucoup le frustrer. Son adversaire le regardait avec un air moqueur avant de commencer son enchaînement de coup de poing.

Kay ne pouvait pas supporter de voir une telle scène. Sans aucune hésitation, elle laissa sa sœur pour se précipiter vers eux. Bien qu’elle lui eût crié de ne pas y aller, Iris non plus ne voulait pas laisser Lance ainsi. Résolue, elle se décida également de la suivre à une plus faible vitesse qu’elle. Kay reprit son poignard en passant à côté puis utilisa ses pouvoirs sur le pistolet de son tuteur. Il vola jusqu’à sa main droite sans que Sariah ne le remarque puis, une fois à sa portée, elle tira. La balle pénétra son dos, non loin de l’épaule droite, ce qui la stoppa dans son attaque. Dans la douleur, elle se tourna vers la jeune fille en lui lançant un regard empli de colère. Entourant son poing droit d’électricité, elle abandonna Lance pour se jeter sur Kay. Cette dernière parvint à esquiver le coup de justesse en penchant en arrière. Sariah réalisa qu’elle n’était plus aussi rapide qu’avant et sentait qu’elle perdait de sa puissance magique. Insultant une nouvelle fois Kay, elle tenta une dernière attaque électrique. La jeune fille fit un pas de côté et tourna sur elle-même pour la frapper dans le dos avec son tibia et la dégager.

La lieutenante Adepte bouillonna de colère. Elle tenta de la frapper une nouvelle fois mais Iris l’arrêta en posant ses deux mains dans son dos. Les ondes se propagèrent dans tout son corps et il ne fallut que quelques secondes pour que Sariah se retrouve entièrement paralysée. Kay profita de l’occasion pour déployer ses six lames de lancer autour d’elle. Elle se mit face à elle, entailla profondément avec son poignard la poitrine de l’Adepte à deux reprises avant d’y entrer toute la lame dans son ventre. Elle en cracha du sang, quelques gouttes tombant sur le visage de la plus jeune, pendant qu’Iris préférait fermer les yeux. Kay finit son enchaînement en plantant les six couteaux volants dans la gorge de Sariah. Les Shiram s’écartèrent, laissant tomber la lieutenante sur les pavés.

Kay regardait le sang de Sariah se vider petit à petit un moment alors qu’Iris préférait détourner le regard. La benjamine se tourna vers Lance pour remarquer qu’il s’était redressé, essuyant le sang qui s’échappait de sa bouche. Étant doté d’une constitution puissante, elle pensait qu’il n’allait sans doute gagner que quelques bleus au visage. Elle lui tendit la main pour l’aider à se relever, le tirant avec difficulté considérant la différence de poids entre eux. Une fois debout, il tapota l’épaule de Kay, la remerciant avec un sourire, avant de s’approcher d’Iris. Il se doutait que bien que ce qu’elle venait de faire était trop pour elle. Il posa ses mains sur ses épaules, lui demandant si ça allait. Elle se contenta de répondre avec un hochement de la tête puis se hâta soudainement pour serrer Kay contre elle aussi fort que possible.

— Tu m’as fait si peur…

Kay était surprise et ne savait pas comment réagir. Elle sentait Iris trembler contre elle, ce qui lui brisa le cœur. Elle répondit à son câlin en l’enlaçant de la même manière et s’excusa par un murmure. Lance les regarda un moment avant de reporter son regard sur le corps de Sariah. Il décida de la traîner plus loin pour la cacher des yeux de la plus grande. Kay demanda à Iris d’attendre à côté de la statue le temps qu’elle l’aide à déplacer les corps, ce qu’elle fit sans broncher. En quelques minutes, ceux qui avaient perdu la vie avaient été rassemblés et cachés par le voile d’une des tentes. Pour les autres, ils avaient été mis dans une qui tenait encore debout. Lance s'était même donné la peine d'éteindre l'incendie tout en sauvant le chercheur Adepte. Si quelqu'un devait bien avoir des informations sur cette manifestation magique, c'était bien lui. Il demanda à Kay de veiller sur eux le temps qu’il aille à la voiture chercher de quoi les tenir tranquille. En quittant la tente, il croisa Iris qui vint s’asseoir à côté de sa sœur sur un des lits de fortunes.

Elles restèrent silencieuses un petit moment. Kay ne savait plus trop quoi dire après ce qu’il s’était passé sur cette place. Elle pensa tout de même qu’il valait mieux éteindre son portable pour de bon, même s’il n’y avait plus trop de menace. En le tirant de sa poche, elle grimaça de douleur et Iris le remarqua.

— Tu as mal où, Kay ? lui demanda-t-elle en se rapprochant d’elle.
— C’est rien, c’est juste la brûlure que j’ai au poign… Oh non !

Elle leva sa manche gauche pour vérifier l’état de son bracelet. Par chance, il n’avait pas été endommagé par le feu, devant se trouver assez loin de la main de l’Adepte à ce moment-là. Elle soupira de soulagement mais remarqua aussi à quel point son poignet avait pris avec les flammes. Iris mit sa main droite au-dessus de celui-ci pour y déverser des ondes relaxantes, apaisant un peu la douleur. Kay lui sourit mais d’une manière triste.

— Tu aurais dû rester à la maison, frangine. C’était trop pour toi.
— Lance l’a exigé, lui répondit Iris. Je suis venue en sachant ce qui allait s’y passer.
— Ouais mais…
— Ça va aller, vraiment. Ne t’en fais pas pour moi.

Elle caressa tendrement sa main après avoir appliqué ses pouvoirs sur elle et Kay la remercia en l’enlaçant. Elle put éteindre son téléphone sans avoir mal au poignet puis se leva pour se mettre à l’entrée de la tente. Si quelqu’un venait à se réveiller, il valait mieux lui bloquer le passage, pensa-t-elle.

Le temps passait très lentement pour les deux sœurs, la voiture se trouvant à plusieurs minutes de l’entrée du village. Kay regarda la lanterne pendue au plafond de la tente, se perdant dans ses pensées. Elle réfléchissait à nouveau à cette histoire de source magique mais elle n’avait pas plus d’informations qu’avant. Ils allaient devoir à leur tour chercher partout et elle espérait que ça n’allait pas leur prendre autant de temps. Elle se demandait par où commencer jusqu’à ce qu’elle entende une voix.

… entend… ?

Kay ne comprit qu’à moitié. Elle se tourna vers Iris pour lui demander si elle lui avait parlé mais cette dernière lui répondit par la négative. Elle regarda alors les Adeptes mais tous étaient encore dans le coma. D’où pouvait venir cette voix… ?

… Est-ce que vous m’entendez… ?

La voix féminine résonnait dans sa tête. Quelqu’un essayait de rentrer en contact avec elle. Kay tenta d’ouvrir son esprit pour faciliter la liaison. Elle demanda à la voix qui elle était mais n’eut aucune réponse.

Rejoignez-moi… L’entrée est… non loin…

Iris remarqua que Kay regardait dans le vide depuis un petit moment et lui demanda si elle allait bien. Cela la fit revenir à elle.

— Iris, quelqu’un essaye de nous parler, annonça soudainement Kay.
— Comment ça ? Je n’ai rien entendu…
— Elle m’a parlé par la pensée ! Elle nous a demandé de la rejoindre ! Je suis sûre que c’est cette manifestation magique qu’ils cherchaient !
— Quoi ? lâcha Iris dans sa surprise. Mais où est-elle, alors ?
— Je ne sais pas où mais elle a dit que ce n’était pas loin d’ici !

Lance arriva peu de temps après, tenant sur son épaule une grosse chaîne légèrement verdâtre. Kay se tourna aussi vers lui et répéta tout ce qu’elle venait de dire à Iris. Ne comprenant pas trop comment elle avait fait, il était ravi d’avoir une piste sur le cœur de ce mystère. Il se dépêcha d’enrouler la chaîne autour des Adeptes, de verrouiller le tout avec un cadenas et le trio les abandonna pour reprendre leurs propres recherches.

Kay regarda autour d’elle. Elle ne savait pas par où commencer mais la voix reprit rapidement contact.

Suivez-le…

Elle ressentit alors la présence d’une sorte de fil d’énergie allant jusqu’à l’ancienne mairie. Elle demanda aux autres de les suivre jusqu’au bâtiment abandonné. En arrivant devant, ils virent mieux dans quel état il avait été laissé. Toutes les vitres étaient brisées et l’une des deux portes de l’entrée principale se trouvait à l’intérieur, sur le sol carrelé. Un arbre mort depuis plusieurs années s’était écrasé sur un côté de la façade avant, prenant la place d’une fenêtre. Iris avait à nouveau des souvenirs de cet endroit. Elle se revoyait aux côtés de sa mère qui discutait avec un homme bien plus âgé qu’elle mais elle ne se rappelait pas de ce dont ils parlaient à ce moment-là. Tout ce dont elle se souvenait, c’était qu’il s’agissait de quelqu’un d’important, probablement l’ancien maire de Pricannes. Il y avait également une autre femme aux cheveux noirs à ses côtés, tenant dans ses bras un bébé aux cheveux bleu ciel. Si elle ne se rappelait pas du vieil homme, Iris se rappela bien de cette mère et de cet enfant. Leurs souvenirs l’attristèrent grandement, pensant à ce qu’aurait pu ressentir sa petite sœur si elle les avait eus.

Kay poussa le reste de porte et pénétra le grand hall. La première chose qui la frappa fut la nouvelle statue entourée des deux escaliers qui menait à l’étage. Elle représentait un homme à longue barbe possédant une robe de sorcier et des marques sur le visage, le tout fait en pierre blanche excepté pour les traits sur les joues qui étaient en bleu. Elle ne savait pas qui elle pouvait représenter mais le fil d’énergie la guidait jusqu’à lui. L’entrée devait se trouver sous le socle de cette statue, Kay en était persuadée. Elle examina sous tous les angles mais ne trouva rien de ce qui pourrait ressembler à un bouton ou un levier caché. Elle repensa alors aux paroles du chercheur. Peut-être qu’il y avait effectivement un verrou magique. Kay se concentra alors pour faire pénétrer son esprit à l’intérieur de la statue, cherchant quelque chose pouvant y ressembler. C’est alors qu’elle remarqua une intense énergie à son sommet, ce qui l’étonna. Comment les Adeptes n’avaient pas pu réussir à trouver ça dans leurs recherches ? À moins que la pierre qui composait le vieil homme pouvait dissimuler une telle force magique ? Malgré ces interrogations, elle chercha à interagir avec cette concentration et ressentit un écho parcourir son corps. La statue se mit à reculer lentement et les dalles qui se trouvaient en dessous disparurent pour laisser place à un trou donnant sur une échelle. Kay regarda Lance et Iris avant d’y descendre. Posant le pied sur le sol de ce nouveau chemin, deux torches s’embrassèrent d’elle-même, ce qui la fit sursauter. Elle vit entre elles un escalier s’enfonçant encore plus bas. Elle invita les autres à la rejoindre puis ils suivirent la route une fois réunis.

Ils descendirent les marches une par une avec précaution, chaque torche s’allumant d’elle-même à leur passage. Plus le temps s’écoulait, plus ces escaliers semblaient interminables aux yeux de Kay. Elle espérait du plus profond de son être qu’ils n’allaient pas devoir faire le chemin inverse après. Toutefois, lorsqu’elle y réfléchissait, elle se doutait qu’ils allaient difficilement trouver un ascenseur pour faciliter la remontée. « Ça a intérêt à valoir le coup » pensa-t-elle. Des pensées similaires traversaient l’esprit de Lance, qui songeait malgré tout que si les Adeptes s’étaient eux-mêmes déplacés ici, ce n’était forcément pas pour rien. Depuis qu’ils avaient parlé d’une activité magique soudaine et importante, sa curiosité avait besoin de savoir ce qui se tramait dans ce village en ruines. Peut-être que cela serait la chose qui allait pouvoir les aider dans leur combat. Lui qui avait la sensation grandissante de faire face à un titan imprenable, étaient-ils enfin sur le point de redistribuer les cartes ? C’était en tout cas en quoi Iris croyait. Elle était persuadée que tout ceci n’était pas vain et qu’à la fin de ces escaliers se trouvait la naissance d’un espoir. Kay semblait ressentir la détermination de sa sœur qui, lorsqu’elle se tourna vers elle, lui offrir un sourire apaisant. La benjamine reçut sa confiance et continua de suivre leur tuteur sans se poser d’autres questions que celle où elle se demandait jusqu’où ils descendaient ainsi.

Les marches et les torches continuèrent de s’enchaîner les unes après les autres pendant bien dix minutes avant que ne s’offre au trio le début d’un couloir qui s’éclaira à son tour. Pour Kay, ils devaient être encore plus bas que le pied de la colline et elle n’avait vraiment pas hâte de devoir tout remonter. Lance ne s’arrêta pas pour y penser et continua sa marche pendant qu’Iris attendit Kay afin de le suivre. Ils furent rassurés de constater qu’ils n'allaient pas mettre autant de temps à avancer qu’à descendre en apercevant rapidement la grande porte qui se présentait à eux. Une fois illuminée de ses six flambeaux par trois accrochés de chaque côté, elle s’ouvrit lentement et ils pénétrèrent une salle baignant dans une obscurité qui pourtant offrait aux sœurs Shiram une atmosphère apaisante, voire nostalgique. Les lignes de feu continuèrent leur chemin jusqu’aux deux braseros qui éclairèrent le reste de la pièce circulaire depuis le fond. Ils purent ainsi voir de nombreuses fresques aux murs légèrement effacées par le temps qui interloquaient grandement les filles. Il y avait également en son centre légèrement surélevé et protégé par des barrières en fer un cercueil de pierre couvert de quelques symboles qui, pour Kay et Iris, dégageait une faible énergie qui les laissait supposer qu’il était magiquement scellé. Cependant, ils avaient beau chercher la personne qui les avaient appelées, personne d’autre qu’eux n’étaient présents en ces lieux. Toutes deux se regardèrent intriguées avant de s’approcher des peintures pendant que Lance jeta un rapide coup d’œil à l’escalier se trouvant entre les deux foyers de flammes.

La première représentait une silhouette blanche, qui contrastait avec sa chevelure noire. Elle semblait ainsi flotter dans les airs et ses bras s’ouvraient pour accueillir une épée faite d’or. Toutes deux étaient entourés de symboles étranges ainsi que de six étoiles de diverses couleurs ; l’une rappelait les brises parcourant les plaines, une autre la douceur des vagues, la troisième était d’une intensité flamboyante, la suivante évoquait la sérénité terrestre, celle d’après une lumière d’une droiture imperturbable et la dernière des abysses oppressants. En observant tout ceci dans le moindre détail, Iris pensait que la personne et la lame étaient sur le point de ne faire qu’un. Kay se dirigea vers la seconde peinture qui illustrait une nouvelle silhouette, cette fois noire et vêtue d’une armure argentée, brandissant fièrement l’épée d’or de la précédente fresque. La jeune fille de Pimontes avait l’impression de voir une aura blanche partant de l’arme envelopper le chevalier, comme si elle cherchait à le protéger. En continuant l’histoire, les amenant à aller du côté du mur d’en face, elles comprirent vite que tout cela ne s’était pas si bien déroulé pour le guerrier d’argent à la vue de la troisième fresque. Il était à terre et semblait sans vie pendant que de nombreuses personnes le protégeaient de plusieurs êtres sombres en invoquant de nombreuses lumières depuis la paume de leurs mains. Il y avait également la première silhouette blanche qui se tenait auprès du blessé, observant l’affrontement qui se présentait à elle et qui prenait bien la majorité de la scène. En son centre se trouvaient une grande créature semblable à un dragon à l’allure lumineuse et aux traits bleu nuit qui se tenait face à un autre similaire mais à la forme plus chaotique ainsi qu’aux couleurs inspirant la peur. Ce dernier semblait être repoussé par une puissante attaque magique de la part du dragon blanc. Elles finirent ce récit en observant la dernière peinture qui, quasiment semblable à la première, lui faisait face et représentait à nouveau le portrait de lumière qui semblait cette fois endormi, se fondant légèrement dans l’épée plantée dans un socle de pierre. Elles reconnurent le cercueil de pierre avec en son sein une nouvelle silhouette de même couleur que le dragon qui affrontait la masse chaotique précédemment. Il y avait également autour de ces derniers d’autres personnes qui leur offraient leurs prières. La plus jeune des sœurs pensait en les regardant de plus près qu’ils étaient très ressemblants aux mages qui protégeaient le guerrier d’argent dans la scène précédente grâce au symbole sur leurs vêtements qui étaient identiques.

Après avoir longuement contemplé cette histoire murale, Kay se tourna vers Iris, le menton entre ses doigts :

— Tu sais à quoi ça fait référence, tout ça ? J'ai beau y réfléchir, je ne crois pas que Maman nous ait raconté une histoire comme ça quand on était petites.
— Hmm je n’en suis pas certaine, répondit-elle, songeuse. Elle me parlait parfois de sa vie à Pricannes mais elle n’avait jamais fait mention d’une légende ou autre. Oh, attends, ça me revient… Elle m’avait déjà parlé du fondateur du clan Ormina. Un puissant mage qui a vécu il y a plusieurs siècles mais qui auraient succombé lors d’une terrible bataille. En revanche, je ne me rappelle pas de son nom…
— Je vois… Ça devait être l’homme de la statue en haut. Du coup, si on en croit cette fresque-là, dit Kay en posant sa main sous la dernière peinture puis en se tournant vers la tombe scellée, c’est là qu’il serait.
— Je suppose, oui. Mais ce qui m’intrigue le plus, c’est cette figure blanche qui revient sur chaque scène. Si je comprends bien, elle habiterait une épée magique… Peut-être même qu’elle serait…
— Les filles, ramenez-vous par-là !

La voix de Lance venait du haut des escaliers qu’il avait emprunté durant leurs observations. Les deux Shiram se regardèrent avant d’aller le rejoindre, se doutant de ce qu’il voulait leur montrer. Une fois au sommet, elles le virent bel et bien à côté d’une lame plantée au sol. Celle-ci possédait six pierres incrustées en son centre en partant de sa garde dorée, toutes d’une taille différente, un long ruban blanc usé à son extrémité flottant comme sur de l’eau sans qu’aucun vent ne le permette et une légère aura que les filles, contrairement à leur tuteur, parvenaient à ressentir. Alors que Kay était intriguée, Iris ne pouvait s’empêcher d’esquisser un sourire à la vue de cette arme atypique qui symbolisait à ses yeux l’espoir qu’elle pensait trouver tantôt en ces lieux.

Lance se tourna vers les filles lorsqu’elles se rapprochèrent de lui. Il avait l’air fasciné par ce qu’il se présentait à eux.

— Quelle beauté, vous ne trouvez pas ? leur demanda-t-il.
— Si, elle est superbe, confirma Iris avec un tendre sourire.
— Elle a aussi l’air d’être magique, ajouta Kay. Ça serait ça que les Adeptes cherchaient ?
— Y’a des chances. Mais pas de bol pour eux, c’est à nous maintenant.

Le quarantenaire s’avança pour se retrouver face à l’épée dont il saisit le manche de ses deux mains. Il essaya d’abord de tirer en une fois pour ensuite recommencer en insistant plus longuement. Il avait beau tenter des mouvements de gauche à droite dans l’espoir de la déloger de son socle, elle ne bougea pas d’un seul millimètre. Forcé à l’abandon, il souffla d’agacement avant de porter son regard sur Kay.

— Tu peux faire quelque chose avec tes pouvoirs ?
— Je peux essayer.

Bien que persuadée que cela ne serait pas aussi simple, elle fit quelques pas et tendit sa main en direction de l’arme pour essayer d’entrer son esprit en résonance avec elle. Elle se concentra du mieux qu’elle pouvait mais avait le sentiment d’être confrontée à un véritable mur spirituel, si bien qu’elle lâcha l’affaire à son tour en faisant la grimace.

— Désolée mais je n’y arrive pas. Quelque chose me repousse quand j’essaye.
— Génial, s’exclama Lance. À quoi bon y cacher une arme si personne ne peut la prendre ?
— Quelque chose nous échappe forcément, supposa Iris. Il doit s’agir d’une sorte de verrou magique que ne peut être ouvert que d’une manière. Il nous suffit juste de trouver comment avoir cette « clé ».
— Il y a peut-être encore des écrits à la surface qui pourrait nous dire comment faire, proposa Kay.
— J’en doute. En attendant, il faut qu’on sécurise l’endroit avant qu’on ne se tape des renforts.

Kay regarda Lance sortir de sa poche un téléphone datant de plusieurs décennies tout en allant dans un coin à part. En l’entendant pester du manque de réseau sous terre, elle se retourna vers Iris.

— À ton avis, ça serait quel genre de clé qu’il nous faudrait ?
— Je n’en sais rien. (Iris posa à nouveau ses yeux sur l’épée et se retrouva soudainement interloquée.) Kay, regarde !

Cette dernière s’exécuta et eut un petit sursaut en voyant une silhouette blanche légèrement bleutée flotter à côté de la lame scellée, elle aussi enveloppée de cette même aura. Elles qui étaient habituées à ce genre de phénomène depuis leur enfance, ça ne faisait aucun doute : elles étaient en face d’un esprit. Ses formes laissaient penser qu’il s’agissait de la jeune femme à la courte chevelure encre représentée sur la fresque. Elle semblait focalisée sur Lance, si bien qu’elle ne remarqua pas que les Shiram avaient leur attention sur elle. Kay s’avança malgré tout vers elle et remarqua le symbole noir présent sur sa main droite, celui-ci représentant un point avec à son sommet trois gouttes pointues ainsi que deux autres plus longues se trouvant à l’opposé. Ce même symbole qui était également présent sur la garde dorée de l’épée. « Qu’est-ce qu’il peut bien représenter ? » se demanda la jeune fille.

L’esprit remarqua que Kay était face à elle après quelques secondes de fixation sur Lance. Les deux se fixèrent un instant avant que l’adepte spirituel décide d’engager la conversation :

— Vous êtes… l’épée ?
— Vous parvenez à me voir ? interrogea l’esprit, légèrement surprise. J’avais perçu en vous une sorte d’affinité magique mais je ne pensais pas qu’elle vous permettait de communiquer avec moi aussi aisément.
— Ce n’est pas vraiment de la magie… Ma sœur et moi sommes des adeptes de Pimontes. Nous avons donc la faculté de voir et de communiquer avec les esprits.
— Pimontes… Les Arts Spirituels, oui. Cela est logique.

Lance revint vers elles, se demandant à qui Kay pouvait bien parler, chose qu’Iris lui expliqua aussitôt la question posée. Elle lui proposa également de lui retransmettre la conversation.

— C’est donc à vous que je parlais tout à l’heure.
— Oui, affirma l’esprit en hochant la tête. J’ai senti votre présence suite à votre confrontation à la surface. A vrai dire, j’avais également ressenti celles de vos opposants depuis un long moment mais j’ai vite compris de qui il s’agissait véritablement. J’ai dû dissimuler ma présence pour qu’ils ne puissent pénétrer cet endroit.
— Pourtant, ils étaient à Pricannes pour retrouver une source magique qu’ils auraient détectée il y a quelques jours. À mon avis, c’est de vous dont il s’agit.
— Détectée ? répéta-t-elle, l’air pensif. Je suppose que mon réveil doit en être la cause.
— Que voulez-vous dire par « mon réveil » ? demanda Iris.
— Pardonnez-moi, vous méritez des explications. Je me nomme Natalia et je suis… l’épée sacrée qui fut créée pour le clan Ormina afin de combattre les Adeptes du Chaos à puissance égale. J’avais été plongée dans un profond sommeil, attendant la venue de mon nouveau maître.
— À puissance égale ? Comment ça ? questionna Kay.
— Les Adeptes étaient dirigés par un mage noir à la puissance incommensurable et les Ormina avaient besoin de quelque chose pour pouvoir rivaliser. C’est dans ce but que je fus créée grâce à l’aide des Runes Élémentaires.
— Les Runes ? Cette vieille religion ?
— « Vieille » ? s'étonna Natalia. Hmm... Passons. Puis-je connaître votre nom ?
— Bien sûr. Je m’appelle Kay.
— Très bien, Kay. J’ai pu constater que vous étiez porteurs de bonnes intentions, vous et vos proches. À en croire l’état dans lequel se trouve Pricannes, le clan Ormina n’est plus… Par conséquent, je dois m’en remettre à vous.
— On vous écoute, Natalia.
— Nous avons un ennemi commun, c’est certain. Cependant, je ne puis vous aider comme je le souhaiterais dans ma situation actuelle. Je suis destinée à servir une personne et seule cette dernière peut me libérer de mon sceau. Je me suis réveillée lorsque j'ai ressenti qu'un danger le menaçait. Cela a dû provoquer une onde magique si forte que les Adeptes l’ont ressenti. Bien que j’aie pu entrer en contact avec mon nouveau maître quelques instants et que je le sais en sécurité, notre lien est devenu trop faible pour que je puisse savoir où il se trouve à présent. Vous devez m’aider à retrouver celui auquel je suis liée.
— Je veux bien, mais si vous ne savez pas où il pourrait se trouver, nous aurons du mal, nous aussi. Vous n’avez pas une piste d’où il était quand il était en danger ?
— Par rapport à cela, j’en suis navrée mais non. Notre liaison fut si brève que je n’ai pu que ressentir son énergie. Mais à ce sujet, quelque chose m’intrigue depuis un moment.
— Quoi donc ?
— J’ai ressenti une empreinte similaire à la personne que je cherche. Votre ami m’a touché, il me semble.

Comprenant qu’elle faisait référence à Lance, Kay se tourna vers lui, intriguée. Ce dernier étant complètement perdu par la situation, il se contenta d’hausser un sourcil quand le regard de la jeune fille se posa sur lui. Elle prit quelques instants pour réfléchir à la préoccupation de Natalia avant de revenir vers elle.

— Si vous dîtes que votre maître et Lance avaient des empreintes magiques similaires, est-ce que ça voudrait dire qu’ils sont de la même famille ?
— Hmm c’est possible, oui. Mais l’énergie de mon maître semblait plus jeune. Aussi jeune que vous, j’ajouterai même.

La jeune Shiram était encore plus perplexe. Elle n’avait pas souvenir que Lance avait un enfant du même âge qu’elle, si bien qu’elle l’aurait vu lors de leur rencontre il y a de cela plusieurs années. Dans sa profonde réflexion, elle se gratta le sommet du crâne de la main gauche, la laissant entrapercevoir son bracelet tressé. La vue de ce dernier lui donna ainsi une explication dont elle avait du mal à y croire pleinement. Pourtant, la personne liée à son poignet remplissait toutes les conditions, à un détail près : il était censé ne plus être de ce monde.

— Il… Il est en vie… ? dit Kay d’une voix tremblante.

Natalia fut quelque peu désorientée lorsqu’elle vit les larmes couler le long de ses joues, serrant fort son précieux bracelet contre elle. Iris réalisa à son tour, écarquillant les yeux comme elle ne l’avait jamais fait auparavant tout en restant bouchée bée. Quant à Lance, alors qu’il ne comprenait qu’à moitié la discussion, il exigea des explications aux filles que la plus grande lui donna aussitôt, le perdant encore plus. Si elle pensait pouvoir trouver un nouvel allié pour leur combat, Kay était bien plus déterminée à retrouver le nouveau maître de Natalia.