Les comptines oubliées - [Camarde]


Authors
MrCrow
Published
1 year, 7 months ago
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Explicit Violence

Un duel déterminant entre deux sœurs, la victoire est amère et n'apporte qu'une seule récompense : la réalisation que tout était vain.

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La plus jeune des deux faucheuses était épuisée, elle avait été surclassée sur toute la ligne. Tentant tant bien que mal de reprendre son souffle, sa grande sœur ne lui en laissa pas le temps : fonçant sur elle en déployant ses ailes noires aux reflets roux, elle fit tournoyer sa faux contre celle de son adversaire, qui peinait à contrer ses coups d’où émergeaient des flopées d’étincelles au contact de l'acier de leur lame. Quelle pitié, c'était donc ça, cette sensation de se sentir impuissante ? Qu'importe la force de ses idéaux, cette dernière ne pouvait pallier à son manque de maîtrise : Juri la lisait comme un livre ouvert. La moindre tentative d’ouverture de garde était immédiatement punie par une offensive de son adversaire : elle se faisait acculer. Katherine fit un bond en arrière pour prendre ses distances, anticipant une frappe de sa sœur qui  : ouvrant ses ailes à son tour, elle était sûre d’avoir l’avantage en combat aérien.

Ce n’est qu’après avoir croisé le regard rosé de son opposante, s’étant interposée dans son envol, qu’elle comprit son erreur.

Une vive douleur, son plumage se désagrège,

Le sang vint tacher le sol recouvert de neige.

Les plumes de la chevalière virevoltèrent alors qu’elle chuta immédiatement après son impulsion. Il lui fallut quelques secondes avant de comprendre ce qu’il venait de se passer : elle leva son regard en voyant ses rémiges retomber dans un mouvement de balancier, atterrissant dans la poudreuse.

Katherine laissa échapper un cri de terreur : ses ailes avaient été tranchées, sans aucune hésitation, sans aucun remord. Juri retomba non loin d’elle, s’approchant alors qu’elle grattait nerveusement la terre gelée, tentant d’ignorer la souffrance qu’elle se mit brusquement à ressentir. Elle poussait des gémissements entre deux sanglots à n’en plus finir, et pourtant, elle fut réduite au mutisme lorsque ses yeux remontèrent sur la bottine de sa grande sœur, venant de se poser juste devant son visage. Braquant brusquement ses iris rougeoyants, ces derniers dégageaient une haine phénoménale envers la faucheuse au regard rosé.

Elle prit d’abord soin de récupérer l’arme de la jeune femme vaincue, l’envoyant voler loin du lieu de sa défaite, par précaution. C’est alors que la victorieuse posa son air dédaigneux sur Katherine, du mépris… mélangé à une pointe de tristesse. Mais la petite sœur ne remarqua rien de tout ça, sa vision était obstruée par des larmes.

« Tu n’es pas ma sœur… Tu es un monstre ! »

La concernée fit remonter la lame de sa faux jusqu’à la gorge de sa congénère, maintenant sa tête levée pour soutenir son regard. Et en un instant, tout fut terminé.


Depuis que l’on m’a accordé cette chance de pouvoir changer l’avenir…

J’ai décidé de refuser toute alternative. Si tout doit finir,

Cela se fera selon mes termes, je ne veux plus être la poupée du destin,

Je n’accepterai plus un monde sans lendemain.


Recroquevillée dans le noir, la faucheuse répétait sans cesse ces mots. Une âme fatiguée au sein d’un corps sans rides. Si ces vers lui avaient donné force et courage au début de sa quête, ils n’étaient plus qu’une entrave dans un labyrinthe de déni, où chaque tournant était pire que le précédent.

Elle se risqua à lever la tête dans cette prison d’obscurité : tous la toisaient d’un regard vide, toutes les victimes inhérentes à ses choix, que ce soit ses amis, sa famille, ses ennemis. Tous la jugeaient alors que leur peau partaient progressivement en lambeaux, leurs muscles devinrent poussière, ils n'étaient plus désormais que de simples squelettes décharnés. L’un d’entre eux prit la parole pour les autres.

« Tu as accumulé les cadavres pour arriver jusqu’ici. Tu pensais ta détermination inébranlable, mais tu ne peux te résoudre à accepter le fardeau de la perte d’autrui. Dans ton désir de générosité, tu es devenue l’égoïsme incarné.

- Pourquoi devrais-je m’en soucier ? Plus rien n’est gravé dans le marbre, plus rien n’a d’importance, plus aucune conséquence. Je recommencerai autant de fois que nécessaire.

- Si tu penses réussir à porter le poids des pêchés de l’humanité et les emporter dans la tombe, tu te trompes. Toi qui voulais combattre l’oubli, sauver les brebis sacrifiées sur l’autel d’un avenir utopique, te voilà à vouloir balayer toutes les bavures du passé. Mais comment souhaites-tu que nous devenions meilleurs, en étant privés de nos erreurs ?

Silence.

- Gaïa offre et reprend. N’oublie pas Juri, tout commence et se termine dans l’Anima. Tu ne pourras sauver une vie prédestinée à mourir sans offrir quelque chose en échange. »


Tout était comme d’habitude.

Le réveil sous cet arbre, sous cette averse.

Mais c’était la première fois qu’elle se réveillait en hurlant.

Alarmés, ses deux compères vinrent immédiatement à son chevet.

Elle leva ses yeux désespérés vers le mage et le chevalier, incapable de parler.

Incapable de leur avouer que toutes ces années, tous ces choix qu’elle regrettait, avaient été en vain.

Toutes ces épreuves avec ses camarades, ses pleurs, ses rires, ces moments vécus, rien n’avait existé.

Tout cela n’a eu que pour but de nourrir la Camarde.