Convention


Authors
Wanz
Published
1 year, 7 months ago
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Voilà plusieurs minutes déjà que le jeune renard aux bois de daim patientait devant la porte de l’immeuble. D’ordinaire, l’attente ne lui posait aucun problème, mais en ce jour particulier pour lui, il battait imperceptiblement du pied sur le trottoir goudronné, et jeta même un coup d’œil à son téléphone portable. Le dernier message, un « J’arrive ! » agrémenté d’un emoji plutôt attendrissant, datait déjà d’une dizaine de minutes. Le jeune mâle secoua la tête avec un soupir : décidément, on ne pouvait jamais se fier à un « j’arrive », encore moins quand il provenait d’une demoiselle à qui l’on avait donné rendez-vous. C’est pendant qu’il se faisait cette remarque que la porte s’entrouvrit, aussi timidement qu’il s’y attendait de la part de celle qu’il était venu chercher. Dans l’embrasure, il distingua ses grands yeux scintillant, et lui adressa alors un sourire encourageant. 

« Eve. » fit-il d’un ton à la fois doux et enjoué. 

Visiblement rassurée, l’intéressée ouvrit la porte en grand, laissant le soleil l’éclairer pleinement. Autant dire que Lukshem ne regretta pas un instant d’avoir dû patienter au pied de la résidence de la jeune tanuki : elle était des plus ravissantes. Toutefois, il se retint de la dévisager trop longtemps pour ne pas la mettre mal à l’aise, et lui tendit une main pour l’inviter à le rejoindre sur le trottoir et se mettre en route vers leur destination. La petite femelle glissa donc sa main dans celle du jeune mâle tandis que la porte se refermait mollement derrière elle. 

« Merci infiniment » commenta Lukshem en baissant humblement la tête.

Inutile de préciser pourquoi, Eve l’avait très bien compris. Il lui était reconnaissant d’avoir accepté de l’accompagner à cette… convention, mais surtout de bien vouloir porter un costume fonctionnant en duo avec le sien. Leurs tenues représentaient les deux protagonistes principaux d’un anime à propos d’esprits, entre autres, évoluant au sein d’un établissement japonais. Lukshem avait toujours été particulièrement friand d’une part de la culture japonaise, principalement son esthétique, et d’autre part de tout ce que l’on pouvait qualifier d’occulte. C’est donc tout naturellement qu’il avait proposé à leur groupe d’amis de regarder avec lui cet anime, et Eve s’était avérée être la plus réceptive. Sans compter que tous deux se retrouvaient plus ou moins dans le personnage qu’ils incarnaient respectivement. Eve incarnait Nene Yashiro, une fillette facilement embarrassée, dont la candeur ferait fondre n’importe quel cœur de pierre. Sa tenue consistait en une robe beige agrémentée d’une broche en forme de crâne stylisé, ainsi que de deux barrettes formant de petites cornes. Quant à Lukshem, il portait le costume brun, à boutons dorés, ainsi que l’élégante casquette quelque peu vintage, de Hanako, le fantôme d’un jeune garçon malicieux, et prêt à tout pour respecter ses convictions. En bref, ils avaient beau faire tache dans les rues, ils se sentaient plutôt à l’aise dans leurs drôles d’accoutrements. Lukshem marchait avec une assurance qui ne manquait pas d’apaiser son amie. 

« Ne t’en fais pas, il nous suffit de prendre le métro pour quelques stations, puis en sortant nous ne serons qu’à quelques centaines de mètres de la convention », la rassura-t-il de sa voix posée, en faisant un effort d’articulation.

La frêle tanuki hocha doucement la tête, un peu embêtée à l’idée de devoir emprunter cet odieux moyen de transport où tout le monde s’entassait avec sauvagerie. 

Quelques minutes plus tard, le duo grimpait effectivement à bord du métro, dans lequel les voyageurs les plus audacieux ne manquèrent pas de leur jeter des regards circonspects, quand ils n’étaient pas clairement méprisants. Sentant son amie se tasser sur elle-même pour échapper à ces coups d’œil oppressants, le jeune canidé passa un bras autour d’elle pour venir la serrer légèrement contre lui. « Tu n’as rien à craindre » disaient ses pétillants yeux bruns quand ils croisèrent ceux de la tanuki. Sans aller jusqu’à oser de nouveau lever les yeux vers les voyageurs qui la dévisageaient toujours, elle sembla se détendre un peu, et saisit son téléphone pour y pianoter un message : 

« J’espère vraiment qu’on sort bientôt… Ou qu’au moins ce type là-bas, qui arrête pas de regarder mes pattes, descendra à la prochaine station..! »

Elle tendit le téléphone à son grand camarade, qui se pencha pour déchiffrer le texte, avant de lui décocher son éternel sourire facétieux. 

« Je peux l’aider à descendre, si tu veux.. » chuchota-t-il en mimant un petit coup de pied dans le vide.

Réprimant un éclat de rire, Eve fronça faussement les sourcils tout en donnant un faible coup de coude dans les côtes -ou plutôt les hanches- de son camarade. 

« Peut-être juste qu’il aime beaucoup les navets » tapa-t-elle sur le clavier.

Cette fois, ce fut au tour de Lukshem d’étouffer un gloussement amusé en lui adressant un clin d’œil.

« Nene ne devrait pas rire d’un tel fléau dans son existence, allons ! la réprimanda-t-il. Soyons un minimum roleplay. »

Eve savait à quel point cela tenait à cœur à son ami, aussi se contenta-t-elle de hocher docilement la tête. Elle eut à peine le temps de réfléchir à sa façon d’agir pour être « roleplay » que Lukshem l’attrapa par le poignet lorsque le métro se stoppa à leur arrêt. Tous deux jaillirent en bondissant du métro, et, au rythme effréné de Lukshem et ses grandes jambes, regagnèrent la surface. 

« Bien ! Direction le Palais Évènementiel ! » s’exclama le jeune mâle en repartant de plus belle.

Il dut cependant rapidement ralentir, sa malheureuse comparse ayant du mal à rester à sa hauteur au vu de ses pattes bien plus courtes. Hélas, l’excitation de Lukshem augmentait à mesure qu’ils se rapprochaient du lieu de célébration, si bien qu’il ne put se restreindre à l’allure d’Eve bien longtemps. Pilant net, il se tourna pour faire face à la tanuki, qui le regarda avec de grands yeux ronds.

« Nene-chan, je te prie de m’excuser », lâcha-t-il avant de soulever sa camarade dans ses bras. 

Eve ouvrit la bouche dans une exclamation surprise, mais ne put rien faire d’autre que se laisser porter par son ami. Elle semblait ne presque rien peser, et il la portait d’ailleurs comme une princesse, ou une enfant, c’est au choix. A présent limités seulement par la volonté de Lukshem, les deux comparses arrivèrent en quelques instants au Palais Évènementiel, décoré à l’occasion de la convention avec divers lampions, sculptures et autres banderoles. En raison de l’heure matinale, il n’y avait pas encore vraiment de file d’attente, ce qui leur permit d’entrer sans trop piétiner sur place au cœur de la convention. Là, c’était un océan de sons, de couleurs, de mouvements, où chaque vague offrait un spectacle tout nouveau à vos sens. Qu’importe où Eve posait les yeux, elle ne pouvait qu’être émerveillée. Il en allait de même pour Lukshem, à ceci près que lui n’en était pas à sa première fois; il connaissait un minimum ce genre d’ambiance, même si chaque édition constituait une expérience inédite. En voyant une sculpture en papier à l’effigie d’un célèbre dragon onduler au-dessus d’eux pour ensuite s’éloigner vers l’autre bout du bâtiment, Lukshem ne put retenir un sifflement admiratif.

« Eh bien… ils se surpassent chaque année… » murmura-t-il, un sourire ébahi aux lèvres.

Sans doute serait-il resté planté là à scruter chaque détail de l’environnement, s’il n’avait pas senti une légère pression sur sa main. En baissant les yeux, il croisa le regard anxieux d’Eve, qui s’était rapprochée de lui. Il serra sa petite main brune en réponse, en lui assurant qu’elle n’allait pas se perdre, et qu’il ne la lâcherait pas. 

« On pourrait se balader un peu, avant d’aller se chercher à manger, qu’en dis-tu ? » proposa-t-il calmement. 

Eve approuva en opinant du chef. Le duo s’aventura donc dans les allées, qui n’en étaient en vérité pas vraiment, du vaste bâtiment. Ils longèrent de nombreuses, très nombreuses, bornes d’arcades et autres installations dédiées aux jeux vidéo, mais ni l’un ni l’autre n’étant réellement adepte de ce genre de distractions, ils se contentèrent de regarder d’autres joueurs par-ci par-là, approuvant avec un serieux feint qui ne manquait pas de les faire rire. Enfin, émergeant dans ce dédale d’écrans et de manettes, un stand destiné à faire connaître la culture japonaise traditionnelle s’offrit à eux. En le découvrant presque vide, les deux amis échangèrent un regard perplexe, avant de hausser simultanément les épaules et s’approcher chacun d’un texte écrit à même les murs du stand. Lukshem tout comme Eve se mirent à lire avec une application que l’on ne voyait que rarement chez les visiteurs de cette convention. Pourtant ils ne fournissaient pas d’effort, non, ils étaient réellement, sincèrement, passionnés par ce qu’ils avaient sous les yeux. La queue de Lukshem se mit à remuer frénétiquement quand il tomba sur la partie consacrée au folklore spirituel du Japon. Les oreilles pointées en avant, il lisait en prenant de temps à autre des notes sur son carnet usé, pratiquement rempli. Lorsqu’ils eurent fait le tour, chacun de leur côté, et qu’ils se retrouvèrent à l’entrée du stand, le jeune adepte d’occulte brandit avec un air penaud son carnet. 

« Mon calepin est bientôt fini, je crains qu’il ne faille nous aventurer dans la partie boutique de ces lieux.. Protège bien ton porte-monnaie, Nene-chan… » commenta-t-il avec un regard mi-mystérieux, mi-apeuré.

En réponse, Eve fit mine d’être parcourue d’un frisson tout en serrant son petit sac contre elle, puis elle leva un pouce en l’air pour signifier à son ami qu’elle était tout à fait d’accord avec son programme. 

Main dans la main, ils se mirent donc en quête d’un stand qui pourrait leur fournir ce qu’ils cherchaient, si ce n’est autre chose, selon ce qu’ils trouvaient. Une petite échoppe semblable à une papeterie, au look bien entendu exagérément japonisé, attira leur attention. Lukshem lâcha de nouveau la main de la petite tanuki pour se concentrer dans sa quête d’un carnet qui pourrait contenir ses prochains écrits, récits, ou observations. Il ne lui fallut que quelques pages feuilletées pour réaliser qu’il n’avait que l’embarras du choix, et que s’il avait été quelqu’un d’indécis -et riche- il aurait sûrement acheté tout ce que le stand proposait en matière de calepins. Fort heureusement pour lui et ses économies, il était bien décidé à ne repartir qu’avec un seul et unique carnet, celui qui le suivrait pour les mois, peut-être les années, à venir. Après avoir épluché l’intégralité des articles proposés, il arrêta son choix sur un épais modèle, à la couverture noire à motifs blancs et rouges, portant l’inscription « yokai » sur le coin gauche. Parfait ! songea-t-il en se dirigeant vers le comptoir, tout heureux, pour régler l’achat de cette fabuleuse trouvaille. Une fois l’article payé et rangé dans son sac en toile, il balaya le stand du regard pour ramener Eve vers lui, mais ne l’aperçut nulle part. Il s’avança d’un pas, commença à se hisser sur la pointe des pieds pour tenter de la repérer derrière les présentoirs : introuvable. Malgré son calme permanent, il commençait à sentir monter l’anxiété à l’idée que son amie, sourde, ne se soit égarée dans un endroit si grand et animé. Dégainant son téléphone, il envoya un message, dans l’espoir que la vibration fasse réagir la petite tanuki. Aucune réponse. Il commençait à sortir dans une allée pour tenter de la chercher quitte à galoper à travers toute la convention, quand un renard blanc jaillit devant son visage, le faisant stopper net. Et de derrière ce renard -ou plutôt ce kitsune, en y regardant mieux-, émergea la frimousse de son amie. Lukshem poussa un soupir de soulagement, et avant qu’il ne puisse lui adresser le moindre reproche, Eve brandit de nouveau le kitsune sous son nez, l’air on ne peut plus fière d’elle. Comprenant qu’elle désirait qu’il prenne la peluche, Lukshem s’en saisit, et c’est alors seulement qu’il réalisa pourquoi Ève semblait si heureuse. Il ne s’agissait pas de n’importe quel kitsune, mais de celui présent dans l’anime d’où sortaient leurs cosplays ! Ravi, le jeune canidé rendit son sourire radieux à son amie.

« Bravo Nene, je commence à croire que tu communiques réellement avec les esprits, au moins celui des peluches ! » la félicita-t-il gaiement. 

L’intéressée bomba fièrement le torse avec une mimique satisfaite. En effet, c’était là une bien belle trouvaille, qu’elle n’allait certainement pas laisser entre les pattes de Hanako ! Sans perdre un instant, elle arracha la peluche des pattes de son ami, histoire de lui rappeler qui communiquait avec le monde spirituel, ici ! 

Un doute s’empara soudain de Lukshem, qui cessa brièvement de sourire. 

« Tu l’as achetée, cette pel-»

Il n’eut pas l’occasion de finir sa phrase, interrompu par un cri hystérique provenant d’une sorte de tornade rayée qui freina brutalement pour s’arrêter à deux pas d’eux.

« HANAKO-KUN ! NENE-CHAN ! hurla l’individu, un lémurien encore adolescent, en applaudissant de toutes ses forces. OH VOS COSPLAYS SONT TROOOOP COOOOL ! J’vous ai presque pris pour les vrais !!! Regarde Maman ! s’écria-t-il en tirant la manche d’une lémurienne à l’air dépité se tenant en retrait. 

-Oui, oui… Ils sont très jolis, ta princesse et son servant.. soupira la mère. 

-Mais Maman !!! C’est pas un servant !!! Nene, c’est vrai qu’on dirait presque une princesse, mais parle pas comme ça de Hanako ! » s’offusqua l’adolescent en gonflant les joues. 

Depuis l’intervention du jeunot, Lukshem n’avait pas pu en placer une, se contentant d’observer la scène en dissimulant son amusement. Eve, de son côté, grimaçait discrètement, les joues rouges, gênée. Que leur voulait cet énergumène..? 

« Désolé hein, elle comprend jamais les animes.. Enfin bon !!! Vous avez trop la classe ! Moi, je voulais faire le cosplay de Tsukasa, mais Maman a dit non, alors à la place, je traque les gens comme vous ! reprit de plus belle le gamin. 

-Tu pars à la chasse aux fantômes… observa Lukshem avec taquinerie, en glissant un coup d’œil vers la mère, qui jeta un regard furieux vers son « pauvre fils complètement déconnecté de la réalité ». 

-Haha ! Ouais ! Carrément ! 

-Ca te dirait d’immortaliser ça ? suggéra Lukshem en désignant le téléphone du jeunot. 

-JE PEUX? Vous êtes géniaux !! » hurla le lémurien en tendant le portable à sa mère pour qu’elle fasse les photos. 

Pour la deuxième fois de la journée, Lukshem n’attendit pas l’accord d’Eve pour la prendre dans ses bras, reproduisant une scène iconique de l’anime, pour le plus grand bonheur du petit lémurien, qui souriait de toutes ses dents sur tous les clichés pris par sa mère. L’adolescent hystérique  et Lukshem échangèrent leurs numéros de téléphones afin qu’il puisse envoyer les photos, puis les deux duos reprirent chacun un chemin différent pour vagabonder dans la convention.

Eve devait en être à son quatrième soupir de soulagement quand Lukshem lui rappela que maintenant qu’ils avaient chacun déniché un petit souvenir, il était temps de se remplir l’estomac. Se laissant cette fois-ci guider par les effluves alléchantes émanant des stands de nourriture, ils finirent par jeter leur dévolu sur une sorte de mini-bar majoritairement en bambou, ambiance Japon médiéval. Chacun s’installa sur un siège, puis vint le moment de choisir ce qu’ils allaient consommer. Lukshem fit glisser la carte jusqu’entre les mains de son amie, qui s’en saisit et se mit à la parcourir frénétiquement du regard, soucieuse de ne pas faire attendre trop longtemps son camarade. Dès que son choix fut fait, elle lui tendit l’objet, mais le jeune renard secoua le repoussa en secouant la tête avec un sourire énigmatique. 

« Pas besoin de consulter une quelconque carte, très chère ! » s’exclama-t-il. 

Eve n’eut pas le temps de le dévisager avec un air perplexe, qu’un serveur se pointait déjà à leur table, stylo en main. 

« Bonjour ! Qu’est-ce que vous prendrez ? 

-Des… raviolis de la plaine pour Mademoiselle, répondit Lukshem en lisant la ligne que lui indiquait Eve.

-Très bien, et pour vous ? 

-Eh bien, je vous serais très reconnaissant si vous me serviez quelque chose qui fera que je n’oublierai jamais mon passage ici, s’il vous plaît ! 

-Vous voulez dire… une spécialité ? s’inquiéta le serveur, visiblement un peu déstabilisé. 

-A vous de voir ! Je suis certain que je ne le regretterai pas, quoiqu’il en soit, le rassura Luskhem. 

-Très bien dans ce cas… Je vous apporte tout ça au plus vite ! » 

Sur ces mots, le serveur s’en alla aussi vite qu’il était arrivé, tout en marmonnant dans sa barbe. Dès qu’il avait tourné les talons, Eve avait sorti son téléphone et commencé à pianoter sur le clavier, sans doute dans le but de communiquer, comprit Lukshem, qui se pencha alors en avant pour lire ce que sa camarade ne tarda pas à lui montrer. 

« Tu demandes toujours ça quand tu vas au restaurant ? » affichait l’écran. La réponse ne vint pas immédiatement. Le malicieux renard croisa ses mains sous son menton, les coudes sur la table, pour regarder son amie dans les yeux. 

« Eh bien, tu vois, lorsque je vais au restaurant, c’n’est pas parce que j’ai envie de manger quelque chose en particulier, j’y vais avant tout pour passer un bon moment. Regarde l’ambiance, sans déconner ! Juste ça, ça nous fait mettre un pied dans un autre pays, t’es pas d’accord ? Alors j’attends qu’on me fasse poursuivre le voyage, à travers le repas. Et je ne veux pas être le seul à passer ce bon moment, c’est pour ça que je demande quelque chose d’inoubliable. En général, on va me préparer quelque chose que l’on aime manger, ou que l’on aime faire, alors le cuisinier aussi passe un bon moment, à concocter un plat qui a signification particulière pour lui. »

Étonnée par une réponse aussi longue et réfléchie, la petite tanuki ouvrit de grands yeux et resta un moment à simplement hocher la tête, comme si elle cherchait à savoir si elle partageait ou non l’avis de son ami. 

« Je n’y avais jamais pensé » finit-elle par écrire. « Mais je préfère rester sur des saveurs que je suis sûre d’aimer ! » 

« Hehe, tu as totalement raison ! Faut croire que mon goût préféré dans la vie, c’est celui du risque ! 

-Le risque de ne pas finir son assiette est bien trop grand pour que je m’y expose, écrivit Eve. 

-Oh oui, mais rassure-toi, ici tu auras un volontaire pour t’y aider si besoin ! » s’esclaffa le mâle en se laissant retomber un peu en arrière dans son siège. 

C’est ce moment que choisit le serveur pour revenir vers eux, une assiette dans une main et un grand bol dans l’autre. Il posa l’assiette devant la tanuki, et, par conséquent, le bol devant le renard. Après leur avoir souhaité bon appétit, il se retira, laissant les deux amis à leur dégustation. Tous deux entamèrent avec joie leur repas. Sans surprise, Eve se régalait, mais elle interrogea du regard son compagnon de table pour savoir si, cette fois, il regrettait sa demande. En guise de réponse, il lui proposa une cuillère remplie à ras bord de soupe, afin qu’elle puisse y goûter. Elle accepta timidement, et une fois le breuvage dans sa bouche, afficha plusieurs moues du fur et à mesure qu’elle découvrait les différentes saveurs. Finalement, elle laissa tomber son verdict, qui se résuma en un haussement d’épaules peu convaincu avant de pointer ses raviolis avec un grand sourire : il n’y avait pas photo, elle préférait de loin ce qu’elle avait choisi. 

« La soupe est délicieuse, je crois qu’il y a certains ingrédients que je n’avais encore jamais mangés, commenta Lukshem avec une mine ravie. En espérant que je ne les oublie pas. »

Les deux plats furent dévorés dans une atmosphère à la fois paisible et heureuse, le genre de moments qui vous diffusent une chaleur douce dans tout le corps, et vous laissent un infime sourire flottant sur le visage. Avant de quitter le stand, Lukshem ne manqua pas de féliciter le chef et le serveur, puis régla pour son amie et lui. 

Le duo ne put que constater le nombre ahurissant de choses qu’il leur restait encore à voir au cours de la journée. Eve avertit son ami qu’elle tenait à aller « regarder les gens danser », alors celui-ci l’amena devant des personnages costumés reproduisant d’étranges danses folkloriques, avant comprendre que la petite parlait en réalité des stands de jeux vidéo de danse, où une vingtaine de personnes plus ou moins douées tentaient de reproduire la chorégraphie défilant à l’écran. Bien entendu, il était hors de question pour notre Yashiro à fourrure de se mêler à cette bande d’énergumènes gesticulant qui risqueraient à tout moment de lui écraser une patte. Pourtant, elle ne pouvait retenir son corps de bouger au rythme des vibrations et par imitation de la silhouette sur l’écran. Absorbée, elle semblait ne pas s’apercevoir des petits mouvements qui l’animaient; une danse si discrète que Lukshem était le seul à en profiter. Ce spectacle, adorable, lui arrachait un sourire attendri, et il n’osa pas interrompre sa camarade avant qu’elle ne décide d’elle-même de quitter le stand. Lorsque cela finit par arriver, ils déambulèrent un bon moment, et passèrent notamment acheter une drôle de poudre verte que Lukshem appelait du « tématcha », et sans laquelle il lui paraissait inconcevable de partir. Le jeune renard tenta d’expliquer l’origine et l’utilité de cette poudre à son amie, mais se perdit inévitablement dans l’histoire complète du produit, de sa découverte jusqu’aux théières adéquates, en passant par les figures historiques qui avaient l’habitude d’en consommer au petit déjeuner. Un récit passionnant, quoique tout aussi indigeste que d’avaler une cuillère entière de ce fichu « tématcha » d’un seul coup. La petite tanuki préféra se raccrocher à l’idée qu’elle aurait largement l’occasion d’y goûter lors de sa prochaine visite chez son camarade. Et en parlant de chez-soi, après quelques selfies supplémentaires et encore deux-trois emplettes, il fut bientôt temps de quitter la convention. La foule diminuait à petit feu, les visiteurs se dirigeant  tranquillement vers la sortie, se déversant sur les trottoirs puis remplissant les transports en commun, dans un ballet aux notes bien moins hystériques qu’au début de la journée. De toute évidence, la convention avait aspiré dans son tourbillon toute l’énergie qui l’avait alimentée durant la journée. Lukshem n’avait qu’à regarder son amie, appuyée de tout son corps contre lui, somnolente. Ses paupières ne s’entrouvraient qu’au rythme des secousses du métro, malgré tous les efforts du jeune mâle pour la maintenir contre lui, et de nouveau, il songea combien elle était adorable, et combien son accoutrement lui seyait parfaitement. Ce même sentiment de reconnaissance qu’il avait éprouvé en la voyant le matin l’envahît, mais il n’en laissa rien paraître, peut-être de crainte que la contraction du moindre muscle de son visage ne sorte la petite femelle de son début de sommeil et vienne rompre le charme de ces instants. Même en parvenant à leur arrêt, il fit de son mieux pour ne pas la brusquer, quitte à ce que le trajet à pied jusque chez elle leur prenne une éternité, ralentis qu’ils étaient par le poids de la fatigue. Fort heureusement, le froid de l’extérieur acheva de réveiller Eve, et la poussa à presser le pas; si bien qu’ils atteignirent leur destination plus vite que Lukshem ne l’avait initialement prévu. Tous deux s’arrêtèrent sur le pas de la porte, dans un court silence que le renard rompit en venant étreindre son amie. 

« Merci beaucoup de m’avoir accompagné, c’était une excellente journée, la remercia-t-il d’un ton doux. 

-Merci à toi de m’avoir fait découvrir tout ça ! Mais la prochaine fois, il nous faudra des costumes moins populaires, c’est tous ces paparazzis et leurs selfies qui m’ont épuisée ! pianota-t-elle.

-Tu plaisantes !? Ce sont les meilleurs souvenirs qu’on ait rapportés, ces photos ! Je t’enverrai celles que j’ai sur mon téléphone d’ailleurs. 

-Merci ! Mais maintenant, il est temps de dormir.

-Entièrement d’accord, chère Yashiro ! Fais de beaux rêves, et au besoin, je te requinquerai demain avec un bon thé matcha ! » conclut Lukshem en lui adressant un signe de la main, auquel Eve répondit de manière identique. 


Et tandis que la petite tanuki disparaissait dans la pénombre du hall de son immeuble, le jeune renard s’éloigna dans la rue où soufflait une brise nocturne aux senteurs d’insouciance.