Rencontre Vakiel


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Wanz
Published
1 year, 5 days ago
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hautement provisoire 8)

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« Si le soleil s’en va, alors moi aussi » pensa la jeune hybride renarde en levant sa truffe vers le ciel. Après avoir épousseté brièvement sa robe, elle rassembla ses affaires -qui se résumaient en réalité à un panier et un carnet de dessin- et se mit en marche vers l’orée de la forêt. Entre les branches, le soleil couchant éclairait par fragments les brins d’herbe et les fleurs au sol, traçant un chemin lumineux que Zenska suivait presque sans y songer. Elle appréciait particulièrement ces instants à la frontière du jour et de la nuit, les teintes flamboyantes dont la forêt se parait, la chaleur des derniers rayons sur son visage… A moitié perdue dans ses pensées, elle ne s’aperçut qu’au dernier moment qu’elle avait quitté la forêt, et s’arrêta net à la lisière. D’ici, la vue était absolument saisissante. En s’asseyant en bordure de la falaise, le regard tombait directement sur un vaste horizon de montagnes se découpant sur le ciel orangé. Bien qu’elle connût ce spectacle par cœur, chaque soir, il pouvait avoir quelque chose de différent, une infime variation dans l’atmosphère, qui rendrait le moment unique ; aussi fut-elle un instant tentée de marquer une pause pour contempler le paysage. Elle se ravisa néanmoins en secouant la tête : il lui restait un certain nombre de choses à faire en rentrant chez elle. Mais à peine quelques dizaines de mètres plus loin, elle fut contrainte de piler de nouveau, en apercevant une silhouette sombre, plutôt massive, immobile au bord de la falaise. Le cœur de la jeune hybride s’emballa sous l’effet de la panique. Que faisait un individu ici, à cette heure-ci ? D’ordinaire, même en pleine journée, elle était seule à parcourir les environs. La présence du moindre intrus pouvait la mettre dans tous ses états. Toujours tentant de maîtriser son rythme cardiaque, elle s’efforça de s’approcher le plus discrètement possible, au moins jusqu’à pouvoir percevoir l’odeur de l’individu. Ses coussinets effleuraient à peine le sol tandis que sa perception de la silhouette s’affinait quelque peu. A présent, elle en était certaine, il s’agissait d’un parfait inconnu, jamais leurs chemins ne s’étaient croisés, et elle n’avait jamais senti sa trace sur le territoire. Un voyageur ? Quoi qu’il en fût, sa stature restait plutôt impressionnante, si bien que la mince femelle hésitait encore entre fuir et approcher. Sans bouger d’un poil, elle l’observa plus attentivement tant qu’il ne l’avait pas remarquée. A bien y regarder, à vrai dire, il ne montrait pas le moindre signe d’agressivité, bien au contraire. Tourné vers les montagnes, les mains à plat sur le sol, il paraissait davantage rêveur, l’attention relâchée. Zenska prit une lente inspiration pour se donner du courage, et se décida finalement à faire quelques pas dans la direction de l’inconnu. 

« Excusez-moi ? demanda-t-elle d’une voix plus forte que prévu, portée par le vent. Vous êtes perdu ? »

 

A peine la voix de la jeune femelle était-elle parvenue à ses oreilles, que l’individu jusqu’ici aussi immobile qu’une statue faisait volte-face en se levant brutalement. N’ayant pas anticipé une réaction aussi vive, Zenska eut un mouvement de recul, les oreilles rabattues en arrière, et les yeux écarquillés. Ainsi debout, dressé de toute sa hauteur, il s’avérait encore plus impressionnant aux yeux de la mince renarde, si bien qu’elle regrettait déjà d’avoir choisi de lui adresser la parole. Fort heureusement, l’inconnu quitta bien vite sa posture défensive au profit d’une attitude d’apaisement. 

 

« Oh, navré, vous m’avez surpris, je ne m’attendais pas à croiser qui que ce soit ici à une heure si tardive, s’excusa-t-il d’un ton penaud. 

-Ah ! Hum, ce serait plutôt à moi de m’excuser dans ce cas, si vous aviez eu de plus mauvais réflexes, la chute aurait pas pardonné ! s’exclama l’hybride au pelage sombre en désignant le bord de la falaise du menton. 

-Haha.. aucun risque, je n’en suis pas à ma première attaque surprise, rétorqua le mâle avec un léger sourire. 

-Pardon, vraiment !! Je n’voulais en aucun cas donner l’impression de vous attaquer ! s’emballait la jeune femelle, de plus en plus affolée à l’idée qu’on la croie mal intentionnée. 

-Ne vous en faites pas, je vous taquinais, de toute façon l’effet de surprise est perdu à présent. Et puis, vous n’avez absolument pas l’allure d’un bandit à vrai dire… Que faites-vous donc dans les parages ?

-Ce serait plutôt à moi de vous poser cette question, c’est la première fois que vous mettez les pieds ici, n’est-ce pas ? 

-En effet, j’en déduis que ce n’est pas votre cas, vous connaissez bien l’endroit ? s’enquit le mâle en balayant les environs du regard. 

-Plutôt oui… J’habite pas loin, répondit Zenska avec un mouvement d’épaules.

-J’ignorais qu’il y avait un village dans le coin, commenta-t-il d’un air pensif. 

-Hum, il n’y en a pas vraiment… commença la femelle. Je suis d’avis que les meilleurs voisins, c’est l’absence de voisin ! 

-Mmmmh, je serais bien mal placé pour vous contredire…

-Vous… voyagez beaucoup, c’est ça ? demanda-t-elle avec un regard sur l’accoutrement de son interlocuteur. 

-Oui, c’est le mode de vie que j’ai choisi, répondit doucement le mâle. 

-Alors vous n’êtes que de passage dans la région ! Avez-vous établi un quelconque campement près d’ici ? 

-Non, non, je n’en ai pas encore eu l’occasion à vrai dire, le coucher de soleil m’a quelque peu absorbé. 

-Il y a de quoi ! Je ne m’en lasse pas… » souffla la semi-renarde. 

 

Un court moment de silence les enveloppa tandis qu’ils admiraient à nouveau la vue, les yeux rivés dans la même direction, le vent soufflant délicatement sur leurs fourrures. Zenska finit toutefois par rompre ce silence. 

 

« La nuit ne va plus tarder à vraiment tomber, et le temps va considérablement se rafraîchir, où comptez-vous aller ? s’enquit-elle. 

-Je trouverai bien un endroit où allumer un feu, et installer de quoi dormir, la rassura son interlocuteur d’un ton confiant. 

-Il est hors de question que je vous laisse allumer un feu n’importe où dans ma forêt ! s’indigna soudain la femelle. Non. Vous allez plutôt venir avec moi. 

-Mais, Mademoiselle !! J’ignore jusqu’à votre prénom, et vous me proposez de vous accompagner jusque chez vous ?! s’étrangla le grand mâle. 

-Vous aurez tout le temps de me l’apprendre en chemin, ce n’est pas la peine de discuter ! rétorqua la frêle renarde en commençant déjà à partir en direction de la forêt. Suivez-moi ! »

 

En réalité, si elle tournait si hâtivement les talons, c’était pour masquer que toute l’assurance qu’elle venait de montrer était feinte, et qu’elle se trouvait à deux doigts de flancher. Pour autant, elle ne regrettait pas d’avoir proposé à cet inconnu de venir avec elle, si cela pouvait lui permettre de préserver la quiétude de sa chère forêt. Un bref coup d’œil en arrière lui permit de vérifier que le voyageur lui avait bien emboîté le pas. Le convaincre n’était finalement pas avéré si difficile, bien qu’elle le soupçonnât de la croire plus ou moins en danger, et donc de souhaiter assurer sa protection. Elle haussa les épaules ; ce n’était qu’un détail après tout, l’essentiel résidait dans le fait de l’avoir à l’œil. 

Toujours en marchant d’un bon pas en direction de sa demeure, et slalomant entre les arbres, elle reprit la parole, sans toutefois se retourner vers celui à qui elle s’adressait. 

« Zenska, mon prénom c’est Zenska, lança-t-elle par-dessus son épaule. 

-Oh, eh bien enchanté Zenska, vous pouvez m’appeler Vakiel, répondit-il. 

-Enchantée de même ! Est-ce que vous permettez que je vous tutoie ? Je me sentirais plus à l’aise si vous le faisiez aussi. 

-Bien sûr, bien sûr… Cela dit, je dois bien avouer que votre.. hum, ta rapidité à accorder ta confiance me dépasse un peu. Tu n’as pas, ne serait-ce qu’un petit peu peur que mes intentions soient en réalité mauvaises ? On ne t’a jamais appris à te méfier des inconnus ? 

-Tu parles comme si j’étais la seule à risquer qu’il m’arrive quelque chose… On t’a jamais appris à ne pas sous-estimer les inconnus ? rétorqua-t-elle en lui adressant un sourire narquois. 

-Hummm.. c’est pas ce que je voulais dire... commença Vakiel.

-Je plaisante, le rassura Zenska. Mais en fait, je pars toujours du principe que les gens ont bon fond, et je leur accorde ma confiance par défaut, à eux de ne pas la trahir. 

-Venant d’une personne qui a choisi de n’avoir aucun voisin dans un rayon de plusieurs kilomètres... 

-Ca fait moins de gens à qui je dois l’accorder ! s’esclaffa la jeune hybride. Et puis j’ai le plus grand jardin possible, personne pour venir m’embêter avec des histoires de haie mal taillée qui déborde. »

 

Vakiel n’eut pas le temps de la questionner davantage sur son penchant pour la jardinerie, puisqu’elle s’arrêta soudain au milieu d’une petite clairière, au milieu de laquelle se dressait une modeste chaumière, tout au plus une sorte de cabane. Tout autour, l’herbe semblait plus ou moins entretenue, mais restait parsemée de fleurs sauvages dont les pétales chatoyants donnaient une atmosphère chaleureuse à l’ensemble. Les deux jeunes gens passèrent sous une arche intégralement constituée de plantes pour parvenir jusqu’à la porte de la cabane, que Zenska ouvrit en invitant Vakiel à entrer.

A l’intérieur, on découvrait une ambiance étonnamment confortable, aux couleurs à la fois douces et chaudes. Sur la droite, un coin cuisine avait été aménagé avec le strict minimum, tandis que la partie gauche, plus vaste, s’apparentait à une sorte salon comportant un épais tapis autour duquel étaient répartis deux sièges, une cheminée et une sorte de bibliothèque. En levant la tête, on pouvait apercevoir une mezzanine servant de chambre, avec un large filet en guise de lit, le tout étant accessible par une échelle dans le fond de la pièce. 

 

« Bienvenue chez moi ! présenta Zenska sans véritable fierté dans la voix. 

-C’est… moins froid que dehors ? commenta Vakiel, encore un peu désorienté de la tournure qu’avait subitement prise son voyage. 

-Hahaha, et pourtant, le feu est éteint ! pouffa la femelle, amusée d’une réaction si objective. Mmmmh, on sent que je reçois pas grand-monde ici, ça me paraît déjà trop petit. 

-Est-ce que… je peux me rendre utile ? Allumer un feu, du coup ? proposa-t-il. 

-Pourquoi pas, c’est gentil ! Mais ça sera rapidement fait ça, est-ce qu’au cours de tes voyages t’aurais pas acquis des connaissances comme… tu sais, des recettes que je dois absolument découvrir ?!

-Euh… je les ai dégustées, ça compte ? questionna Vakiel, les sourcils froncés dans une expression réflexive. 

-Oh misère… Ne m’dites pas que je suis tombée sur un habitué des désastres culinaires ! 

-Le terme est un peu fort… 

-Ca fait rien, à nous deux on devrait réussir à concocter quelque chose de mangeable, non ? Par contre, j’espère que tu n’as rien contre les repas euh… riches en fibres ? demanda Zenska en filant déjà dans le coin cuisine. 

-Je pense pas être en mesure d’exiger quoi que ce soit, je me sens déjà tellement redevable de ton hospitalité.. 

-Ahaha, mais non ! Aide-moi plutôt à faire un repas digne de ce nom, ça sera une excellente façon de me remercier pour commencer ! »

 

Après un hochement de tête déterminé, Vakiel rejoignit son hôte dans la cuisine, et se lança dans la cuisson de champignons cueillis plus tôt dans la journée, tandis que Zenska préparait une sorte de dessert composé en grande partie de fruits rouges comme des myrtilles, son aliment préféré, expliqua-t-elle. La soirée se déroula donc dans une atmosphère légère, au rythme de discussions sur divers sujets qui leur permirent d’en apprendre davantage l’un sur l’autre. Sans grande surprise au vu de l’existence qu’il menait, Vakiel s’avéra riche d’histoires et d’anecdotes sur le monde, que Zenska écouta avec la plus grande attention, jusqu’à ce que la fatigue finisse par avoir raison d’elle. Elle s’endormit sans la moindre méfiance -ni dignité- à-même le tapis du salon. D’abord complètement désemparé face à cette situation, seul dans la maison d’une étrangère qui venait de sombrer dans le sommeil, il resta de longues minutes sans oser bouger, avant de se décider à aller chercher une couverture dont il couvrit la mince renarde. Néanmoins, même après avoir fait ce qu’il pensait devoir faire, il ne se sentait pas assez tranquille pour pouvoir fermer l’œil, et se posta donc sans un bruit à la fenêtre pour veiller en attendant l’aube, et espérait-il, le réveil de son hôte.