Legendary Knight - Amour et Deuil


Authors
MickuV
Published
4 years, 8 months ago
Updated
4 years, 8 months ago
Stats
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Chapter 1
Published 4 years, 8 months ago
9502 2

Explicit Violence

Cette série de texte représente un échantillon de plusieurs chapitres qui pourraient se retrouver dans l'histoire complète de "Legendary Knight". De ce fait, certains éléments peuvent faire référence à des événements importants qui auront eu lieu auparavant. Si vous n'êtes pas dérangé par le fait de vous faire spoiler, vous pouvez lire tout ça. Bonne lecture d'avance !

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Partie 1 - Deuil d'un chevalier


Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait. J’avais horriblement mal à la tête, à tel point que je ne souhaitais pas me lever. Au départ, je pensais que c’était la fatigue. Puis, j’avais réalisé que je n’étais plus du tout dans mon lit. Pourtant, je n’avais pas l’impression d’en être tombée. Ma joue ne ressentait pas le tapis de ma chambre mais une pierre glaciale. L’atmosphère l’était également et mon corps commençait à trembler. Impossible de garder le sommeil avec tout ça, je n’avais guère le choix que d’ouvrir les yeux.

En me redressant, je regardai autour de moi. Il faisait si sombre qu’il m’était impossible de distinguer les formes. « Où suis-je... ? » n’arrêtai-je pas de penser. Mes yeux s’habituant à l’obscurité, je tentai de me relever avec difficulté. Ma tête était toujours aussi lourde mais ce n’était pas ce qui m’arrêta. En touchant le sol pavé avec ma main, je sentis un liquide étrange. À l’odeur nauséabonde, cela n’était pas de l’eau. Je n’arrivais pas à savoir de quoi il s’agissait. Et je dois admettre que je ne me sentais pas prête à le découvrir.

Je m’étais enfin levée, cherchant toujours où je me trouvais. À force d’observation, je commençai à le comprendre. Un long couloir possédant des deux côtés de nombreuses pièces dont l’accès était restreint par des barres en fer, froides au toucher et recouvertes de cet étrange liquide. Je compris vite que j’étais dans des cachots. Ceux de mon château ? C’était encore difficile à dire mais je l’espérais au plus profond de moi. Même si quelque chose me disait que ce n’était pas le cas. Voulant à tout prix sortir d’ici, j’examinais l’intérieur des cellules les plus proches de moi, souhaitant y trouver quelqu’un qui pourrait m’aider. Une seule était occupée. Deux personnes dont je n’arrivais pas à apercevoir le visage l’habitaient. Ils étaient allongés sur le sol, ne faisant aucun mouvement. Étant les seuls interlocuteurs des environs, je leur parlai. Bien que ma voix résonnât dans tout le couloir, ils n’eurent aucune réaction à m’offrir. Étaient-ils vivants, au moins ? Ça aussi, je l’espérais.

Alors que je tentais toujours de les réveiller, un son me fit sursauter. De faibles crépitements se firent entendre à ma gauche et une légère lumière était apparue au fond du couloir, encore malheureusement trop loin pour m’éclairer. Je n’arrivais pas à savoir si j’étais rassurée ou inquiète en voyant cette lueur orangée dans l’obscurité. Est-ce qu’on venait d’allumer une torche en entendant ma voix ? Dans ce cas, qui allait venir me chercher ? Quelqu’un avec de bonnes ou de mauvaises intentions ? L’angoisse grandissait en moi pendant que ma respiration s’accélérait. Je n’osais plus faire le moindre geste, attendant de voir ce qui allait se passer. La flamme ne semblait pas vouloir venir dans ma direction. Y avait-il vraiment quelqu’un ? C’était pour moi évident. Après tout, la torche ne pouvait pas s’allumer d’elle-même. Ma curiosité me poussa à appeler la personne à venir me rejoindre. Après l’écho, je n’eus qu’un silence. Je ne comprenais plus rien à ce qu’il se passait. Même si j’étais apeuré, je voulais en avoir le cœur net. Je décidai alors de me diriger vers l’origine de la lumière.

Avancer jusqu’à elle me permit de voir l’intérieur des cellules quand je passais à côté. Quelques-uns contenaient des squelettes, accrochés au mur par des chaînes. J’avais la confirmation que ce n’était pas les sous-sols du château d’Onyra. Jamais je n’aurais laissé des gens y perdre la vie, même s’ils étaient des bandits. Mais, vu que je n’étais pas chez moi, j’espérais au moins être en territoire allié, et non ennemi. J’arrivai enfin auprès de la flamme, se trouvant au centre d’un croisement du couloir où j’étais et d’un autre menant à un escalier. Ce flambeau était le seul allumé autour de moi. Je crois même qu’il était encore au mur du couloir. Je pouvais voir d’autres emplacements où en poser mais ils étaient tous vides. Évidemment, ce n’était pas ce qui me frappa le plus. Là où je me trouvais, il n’y avait personne d’autre que moi. Encore. Celui ou celle qui avait allumé cette torche était peut-être remonté à l’étage. Du moins, c’était ce que je pensais.

Pour m’explorer les lieux plus facilement, je décidai de prendre ce feu avec moi. En approchant ma main, je me rendis compte qu’elle était tachée d’un rouge assez sale. Mais il n’y en avait pas qu’ici. J’en étais recouverte un peu partout sur mon corps, tout comme ma robe de nuit qui était déchirée à certains endroits. Quand je compris qu’il s’agissait de sang, le mien ne fit qu’un tour. Pourtant, je n’étais pas blessée. Il ne pouvait pas m’appartenir. « Pourquoi en avais-je ?» me disais-je avec effroi. Il ne me fallut que très peu de temps pour faire le rapprochement entre ça et le liquide nauséabond de tout à l’heure. Je m’étais réveillée dans une mare d’un sang qui n’était pas le mien.

J’étais tellement perdue dans mes pensées que je n’avais pas fait attention à ce que je faisais. Je courus en direction de la flaque puante, tenant la torche dans ma main. Je n’avais absolument pas envie de retourner là-bas mais c’était comme si je n’avais plus le contrôle sur mon propre corps. Il bougeait de lui-même. Il voulait me montrer quelque chose que je refusais de voir. Tout ce qui était dans l’obscurité baignait alors dans la lueur que je transportais. Je suivais une trace rouge qui se fit de plus en plus abondante à force d’avancer. Mon cœur et ma respiration s’emballaient à nouveau. Je ne voulais plus continuer mais mes jambes en avaient le désir malsain.

J’étais de retour à mon point de départ. Je n’arrivais pas à savoir si ce n’était qu’une impression mais on aurait dit que ce mauvais parfum était plus intense. Grâce à ma torche, je pouvais constater que le sang s’étalait sur une bonne dizaine de pieds. Tout ceci commençait à me donner la nausée. Et pourtant, ma curiosité n’était toujours pas rassasiée. Elle força mes yeux à suivre l’origine de liquide rouge, les menant ainsi jusqu’à la cellule des endormis. Je vis clairement ses derniers et je poussai un cri d’horreur. J’avais en face de moi deux cadavres allongés sur le sol, l’un étant dépourvu des bras. Je les avais aperçus en passant un rapide coup d’œil à des chaînes, fixées au mur. On aurait dit qu’il avait tenté de s’échapper de lui-même, quitte à se démembrer complètement. Rien que d’imaginer voir ça faisait grandir ce sentiment omniprésent de malaise. Je ne voulais plus qu’une chose : que mon esprit quitte mon corps pour ne plus voir une telle horreur. Même si mon cœur aussi n’était plus capable de supporter ça. Mon regard s’arrêta sur les visages ces pauvres hommes. Des visages qui m’étaient familiers. Antoan et Jodan. Je paniquais encore plus. « Comment j’allais pouvoir annoncer ça à Cyriel ? » me dis-je. Cette fois, c’était sûr, je voulais quitter cet horrible endroit au plus vite.

Je reculai vite avant de me tourner en direction de l’escalier de tout à l’heure. Mon propre visage déformé me fit face. Je fis un sursaut accompagné d’un hurlement. Une silhouette féminine portant une grande cape noire et un masque d’or était devant moi. Dame Peur. La sorcière que Cyriel m’avait décrit tantôt. Étais-je dans son repaire ? Comment avais-je pu arriver ici, me répétai-je sans cesse. Ma respiration allait si vite que je pensais m’évanouir. Elle s’approcha de moi, me montrant avec le reflet doré mon expression horrifiée. Je fis quelques pas en arrière, ne souhaitant ni me voir ainsi ni qu’elle me touche. Elle me parla d’une voix calme mais peu rassurante :


— Eh bien, votre Majesté... Qu’est-ce que cela vous fait de faire face à vos propres erreurs ?


Je ne répondis pas. Non par envie mais par l’incapacité de le faire. Tout ce que je voulais, c’était partir d’ici. Mes pensées n’étaient plus que des appels à l’aide. Elle continua, mon reflet me fixant droit dans les yeux.


— Cette fois, personne ne pourra te sauver. Ni ton petit chevalier, ni même ton idiote d’esclave. Tu ne pourras plus fuir face à ton véritable destin. Une sotte comme toi ne mérite pas d’être sur le trône. Ton amour pour les faibles causera le royaume à sa perte. Il est grand temps que quelqu’un de bien plus compétent prennent les rênes. Ton règne touche à sa fin, Katia...


Elle s’avança vers moi tout en entourant sa main gauche de sa sombre magie. Par réflexe, j’agitai ma torche devant elle, hurlant de ne pas s’approcher, de me laisser tranquille. Dame Peur s’arrêta aussitôt, esquivant les flammes qui pourraient brûler sa grande cape. Je crus entendre une sorte de bruit métallique loin derrière elle. Ça m’avait un peu décontenancé, si bien qu’elle en profita. Son bras enchanté se leva et le mien se figea. La panique ne s’était pas stoppée pour autant. Au contraire, elle n’avait jamais été si grande avant. C’était probablement ça qui la rendait si puissante. Je continuai mes appels au secours.


— Abandonne, m’ordonna-t-elle. Tu n’es rien face à moi. Tu ne l’as jamais été et tu ne le seras jamais.


J’avais senti mes larmes couler le long de mes joues pendant qu’elle me parlait. Je ne savais pas si c’était la peur de mourir qui faisait ça ou bien sa voix qui me semblait de plus en plus familière. Peut-être était-ce les deux ? Je ne savais plus quoi penser. Tout ce que je voulais à cet instant, c’était m’effondrer en pleurs sur le sol. Mais soudain, le feu de ma torche s’intensifia brusquement. Je la lâchai avant qu’elle ne me brûle la main, me retrouvant totalement sans défense. La seule option qu’il me restait était la fuite. Je pris ainsi les jambes à mon cou, courant dans l’obscurité derrière moi.

Je m’éloignais d’elle sans trop savoir où j’allais. J’avais peur de me prendre un mur mais en y repensant je préférais toujours ça que d’être à côté de cette horrible sorcière. Je me retournai pour voir si elle ne poursuivait pas. Il n’y avait plus rien. Seulement du noir. Je ralentis le pas. Autour de moi, il n’y avait plus que ça. Du noir. Je m’arrêtai. « Où suis-je, maintenant ? », pensai-je. Le silence. La solitude. C’était tout ce qu’il me restait. Des choses que je n’avais pas revues depuis longtemps. Mais je ne voulais pas qu’elles restent avec moi. Je devais trouver un moyen de quitter cet endroit au plus vite. Il fallait que je retrouve Cyriel et Yoko. C’était ce que je voulais le plus à ce moment-là.

En me retournant, quelque chose m’attrapa par le cou. Je revis mon reflet terrorisé me faisant face. Dame Peur m’avait retrouvé si vite que je n’avais pas eu le temps de l’entendre venir. J’essayai de retirer sa main mais elle avait plus de force que moi. Je commençai à avoir de plus en plus de mal à respirer. Elle me montra un poignard. Mon sang ne fit qu’un tour.


— Adieu, stupide enfant...


La lame s’approcha violemment vers mon cœur. Je fermai les yeux et hurlai. Je ne voulais pas mourir. Je priais les déesses qu’un miracle arrive pour me sauver. Au bout de quelques secondes, je sentis que je n’étais plus sous l’emprise de quelque chose. C’était ma seule chance. Je bougeai brusquement tout en ouvrant les yeux. Il n’y avait plus d’obscurité, ni de Dame Peur. J’étais de retour dans ma chambre, assise dans mon lit et légèrement confuse. Je posai une main sur mon front qui dégoulinait de sueur. Tout ceci n’était donc qu’un mauvais rêve. Pourtant, il m’avait semblé si réel que j’avais du mal à le croire. Je repoussai rapidement ma couverture pour voir l’état de ma robe de chambre. Il était propre, dépourvu d’une quelconque tache de sang. Je ne savais plus quoi penser. Ma respiration resta tout de même saccadée, pas totalement remise de ce que je venais de vivre. En me tournant vers la fenêtre, je vis que le soleil avait dû se lever, et ce depuis un bon moment.

Voyant que j’étais en sécurité au château, je soupirai de manière rassurée. C’est alors que la porte s’ouvrit violemment, me faisant sursauter. Yoko se précipita vers moi, tenant sa dague dans sa main.


— Ma reine, vous allez bien ? Que s’est-il passé ?


Elle avait posé son autre main sur mon épaule, inquiète à mon sujet. Ça se sentait à sa voix et au regard qu’elle me lançait. Sachant que j’avais hurlé dans mon rêve, je me demandais si je n’avais pas fait la même chose pendant mon sommeil. Elle avait dû penser que quelqu’un s’était infiltré dans ma chambre pour m’attaquer. J’étais tellement embarrassée en me disant qu’elle avait couru pour rien. Je baissai les yeux, voulant à tout prix éviter les siens, et avouai d’une faible voix :


— Ce n’est rien, Yoko, je vais bien... J’ai juste fait un mauvais rêve...


Elle se calma en soupirant. Elle devait être rassurée de voir qu’il y avait plus de peur que de mal. Elle rangea sa dague sous sa robe fendue puis se dirigea vers les rideaux tout en me parlant.


— Je vois... Veuillez m’excusez pour m’être inquiétée comme ça.


Je me protégeai les yeux avec mon avant-bras avant qu’elle ne laisse la lumière prendre place. Il n’y avait que des nuages grisâtres dans le ciel et pas une once de soleil à l’horizon. Le temps ne semblait pas d’humeur joyeuse ce jour-là. À vrai dire, nous ne l’étions pas plus nous aussi depuis que nous avions retrouvé les amis de Cyriel dans cette charrette il y a deux jours. J’en souffrais mais par rapport à ce qu’il pouvait ressentir, ce n’était rien. À vrai dire, ce qui me faisait le plus mal, c’était de le savoir dans cet état. On ne le voyait que très peu au château et les rares fois où on l’apercevait, il ne semblait pas nous voir ni nous entendre. Et à chaque fois que j’essayais de lui parler, j’étais retenue par autre chose et il disparaissait, ne faisant que grandir mon inquiétude. Avec tout ça en tête, je sentais déjà que cela allait être une mauvaise journée pour moi.

Yoko me fixa à nouveau. À en juger son regard, elle devait encore s’inquiéter pour moi. Je le sentais et culpabilisais un peu de la mettre dans cet état. Elle ferma les yeux avant de reprendre la parole :


— Je suis navrée si j’ai pris un peu plus de temps pour vous réveiller ce matin. J’ai pris du temps pour préparer votre petit déjeuner. Je comptais vous l’apporter pour que vous puissiez le prendre dans votre lit mais...

— Il y a un problème ? demandai-je tout simplement.

— Alors que je me dirigeais jusqu’à votre chambre pour vous l’apporter, je vous ai entendu crier au loin. Craignant pour votre sécurité, j’ai lâché le plateau et je me suis précipitée. Veuillez me pardonner pour tout ce temps perdu, ma reine. Si j’étais venue plus tôt, peut-être que votre mauvais rêve aurait été moins douloureux à vivre.

— Tu n’as pas à t’en vouloir, Yoko... Ce que j’en retiens, c’est que tu as voulu me faire plaisir. Cela me touche beaucoup, tu sais ?

— Oui, je sais... et cela me fait du bien de l’entendre.


Elle avait baissé la tête mais je vis un petit sourire s’afficher. C’était si peu courant que ce petit geste avait pour effet de mettre un peu de baume sur mon cœur. Je la remerciais au plus profond pour tous les efforts qu’elle faisait pour moi. Elle la releva enfin pour me dire :


— Je vais tout de même retourner dans le couloir pour nettoyer. Attendez-moi pour vous habiller, ça ne sera pas long.


J’hochai la tête puis la regardai partir bien plus calmement que quand elle était entrée. Je quittai ensuite mon lit pour me diriger vers la fenêtre. En m’approchant, j’entendis quelque chose la frapper à plusieurs reprises. Il venait de se mettre à pleuvoir, le rythme des gouttes frappant le verre accélérant assez rapidement. Je regardai bêtement dehors en attendant que Yoko revienne. Je pouvais voir quelques serviteurs se dépêchaient de rentrer avant d’être trempés jusqu’au os, bien que ce fût déjà le cas pour certains. Je soupirais à l’idée que la pluie dure toute la journée. Cela dit, je ne savais pas si j’étais motivée pour faire quoique ce soit.

La porte se rouvrit derrière moi, amenant Yoko à revenir. Je me tournai vers elle sans un mot quand elle s’excusa à nouveau d’avoir pris plus de temps que prévu mais je ne lui donnai aucune réponse si ce n’est qu’un léger geste de la tête. Elle ouvrit ma penderie pour sortir de quoi m’habiller pendant que je retirai ma chemise de nuit. J’enfilai ma robe et laissai mon amie pour faire les nœuds correctement. Après ça, j’allai m’asseoir devant ma coiffeuse et elle vint derrière moi pour s’occuper de mes cheveux. Comme toujours, elle fit bien attention à ne pas y aller trop fort ou trop vite, de peur de me faire mal. Je fixai mon reflet sans rien dire, voyant la triste mine que j’avais. Moi qui étais plutôt bavarde avec Yoko, j’imagine que cela devait grandement la perturber bien qu’elle était assez peu loquace elle-même. Nous restâmes ainsi deux minutes avant qu’elle ne décide de briser ce silence :


— Si vous me le permettez, j’aimerais vous rappeler ce que vous allez faire dans la journée. Pour commencer, il y a la réunion hebdomadaire avec les ministres. Concernant l’ordre du jour, je sais que Dame Nablème souhaiterait revoir la question de la sécurité des routes marchandes du royaume. Les attaques se multiplieraient, notamment dans les comtés de Ponère, Atalne et Anellesel. Elle m’avait fait part de ses inquiétudes il y a quelques jours mais avec les évènements de ces derniers jours, j’avais omis...


Elle s’était arrêtée, que ce soit dans ses paroles ou ses gestes. J’avais remarqué qu’elle avait jeté un rapide coup d’œil sur mon autre moi dans le miroir. Elle s’attendait sans doute à une réaction de ma part. Elle vit très bien que cela me serrait le cœur rien qu’en repensant à ces évènements.


— Bref, reprit-elle. Pour le reste, je n’en sais pas plus. Sieur de Saper vous le dira, comme à son habitude. D’ailleurs, je tiens à vous signaler que sieur Dollam ne sera pas présent à la réunion. Il est venu me voir tôt dans la matinée pour m’en avertir. Après cela, vous devrez vous occuper des doléances du peuple avec sieurs de Saper et Phine. Ensuite, le repas de midi. Je comptais demander aux cuisiniers de vous préparer un gâteau aux fruits rouges, comme vous adorez tant. Nous manquons peut-être de groseilles cela dit mais je ferais le tour de la cité pour vous en trouvez, ne faites pas. Pour le reste de la journée, je ne pense pas que vous pourrez vous détendre dans les jardins avec un temps pareil. Peut-être voudriez-vous jouer de la harpe dans votre...

— Yoko.


Je l’avais coupée assez sèchement. Ce n’était pas vraiment mon intention, si bien que j’avais baissé les yeux en me rendant compte de sa surprise. Je ne savais plus quoi lui dire. J’avais peur de la blesser. Elle continua tout de même de me coiffer un moment avant de reparler.


— Pardonnez-moi, ma reine... J’en ai peut-être trop fait...


Je ne répondis pas. J’étais bien trop occupée à retenir mes larmes pour ça. Je fermai les yeux pendant près d’une minute avant de les rouvrir et de me tourner légèrement vers elle.


— Pour aujourd’hui, annonçai-je faiblement, j’aimerais ne rien faire de particulier. S’il-te-plaît, préviens Sigismond que la réunion est reportée à un autre jour. Tout comme les doléances. Je ne suis vraiment pas d’humeur à ça...


Elle mit quelques temps avant de me donner une réponse, brossant mes cheveux à un rythme toujours aussi régulier.


— Oui, ma reine.


Elle continua de me coiffer tout en gardant le silence. J’en fis de même jusqu’à ce qu’elle finisse d’arranger mes cheveux. Je me levai de mon tabouret pour me rediriger vers la fenêtre, fixant à nouveau l’horizon. Elle rangea la brosse puis me regarda un instant sans rien dire. Elle attendait sans doute un geste ou un ordre de ma part. Je le sentais et j’étais mal à l’aise.


— Souhaitez-vous tout de même manger quelque chose ? me demanda-t-elle

— Non, je n’ai pas faim.


J’avais encore été dure avec elle. Je pense que c’était mon malaise qui me donnait les plus mauvaises réactions. Je savais qu’elle faisait des efforts pour me détendre et je fichais tout en l’air. Je me trouvais horrible de lui parler de cette manière. Ce n’était pas moi. Ça ne me ressemblait pas. Elle méritait mieux que ça. Elle se contenta d’un « Très bien » en guise de réponse avant de prendre le panier contenant mon linge sale. Je ne me retournai toujours pas, même quand j’entendis la porte s’ouvrir. Je n’osais plus vraiment faire quoique ce soit, de peur de profondément la blesser.


— Bien... Je ne vous dérange pas plus. Si vous avez besoin de moi, n’hésitez pas...


Elle commença à quitter la pièce. Je ne pouvais pas la laisser partir comme ça. Pas sur une note aussi négative. J’entendis deux de ses pas puis la porte qui se ferma doucement. Ce n’était pas moi. Je n’arrêtai pas de me le répéter dans ma tête. Elle méritait mieux que ça.


— Yoko, attends !


Je ne m’étais toujours pas retournée, même après avoir dit ça. La porte se rouvrit doucement. Je savais qu’elle attendait que je dise quelque chose. J’hésitais quelques instants avant de tout simplement lui dire :


— Excuse-moi... Je ne voulais pas être si... sèche avec toi...


Je baissai la tête, attendant sa réponse. Je redoutais de ce qu’elle pouvait me dire. J’avais peur qu’elle reste silencieuse et ferme la porte, me laissant seule avec la culpabilité de l’avoir blessée. Mais ce n’était pas ce qu’elle fit. Au lieu de partir vers le couloir, ses pas vinrent vers moi. Elle se posa à ma gauche et je voulais éviter son regard à tout prix. Elle posa sa main sur mon épaule, ce qui me donna un petit frisson.


— Ma reine, regardez-moi, s’il-vous-plaît.


J’hésitais. Je ne voulais pas qu’elle me voit comme j’étais à cet instant. Mais ce n’était pas non plus une personne quelconque. C’était Yoko, une femme que j’adorais. Une amie. Je pris mon courage à deux mains avant d’enfin la regarder avec mes yeux légèrement humides. Quelle surprise se fut pour moi de la voir avec un nouveau sourire. Celui-ci était apaisant, me montrant encore une fois qu’elle était là pour moi dans mon mal.


— Vous n’avez pas à vous excuser, poursuivit-elle. Je sais que c’est une période très difficile pour vous. Cela fait des jours que vous n’avez pas pu lui parler et vous êtes inquiète pour lui. C’est tout à fait normal que vous réagissiez de la sorte et je ne vous en voudrai jamais pour ça. Il est vrai que cela me fait souffrir de vous voir ainsi. Mais je fais mon possible pour vous servir et alléger votre peine. C’est bien pour cela que vous me vouliez à vos côtés, non ? Pour que je sois votre amie fidèle qui sera toujours là pour vous aider à garder le sourire. Et je ne fais pas ça uniquement parce que vous êtes ma reine. Sachez que je suis fière d’être votre amie et que je tiens à vous comme vous tenez à moi.


Sa confession me chamboula totalement. Elle qui était plutôt discrète tant que je ne la lançais pas sur ce sujet, je ne m’attendais absolument pas à ce qu’elle m’avoue tout ça. Peu à peu submergée par l’émotion, je cherchai encore mes mots. Je compris assez rapidement que je n’avais pas besoin de faire un si long discours pour lui dire ce que j’avais sur le cœur.


— Merci, Yoko... Merci infiniment...


Elle continua de me sourire et cela me rassurait. Mes larmes coulèrent enfin sur mes joues puis je me collai à elle. Elle ne s’y attendait pas vu son hésitation. Elle posa tout de même son panier en osier avant de me prendre dans ses bras, me laissant pleurer contre elle. Si vous saviez à quel point j’avais tellement besoin de relâcher cette pression. J’étais tellement heureuse d’avoir une personne comme elle avec moi. Je ne voulais plus quitter son étreinte tant elle était douce et réconfortante. On aurait dit une petite sœur qui se faisait consoler par son aînée.

Restant encore un bon moment contre Yoko, je lui dis avec toute petite voix :


— Je veux qu’il revienne... Je veux qu’il aille mieux...

— Je le sais, ma reine... Je le sais.

— J’ai l’impression qu’il me fuit à chaque fois que je veux lui parler... Pourquoi fait-il cela... ?

— Il ne doit pas en être conscient. Il a perdu des êtres qui lui étaient très chers. Il doit être tourmenté, voilà tout.

— Sans doute... J’aimerais tellement pouvoir faire quelque chose pour lui. L’aider à ce qu’il se sente mieux...


Elle continua de me rassurer en me serrant un peu plus fort. C’était la première fois qu’elle était si affectueuse avec moi. Je restai un léger instant avant de reculer un peu, reprenant mon calme petit à petit. Je séchai le reste de mes larmes alors qu’elle reprit sa corbeille.


— Je dois reprendre mon travail. Profitez de votre journée de repos pour prendre un peu l’air malgré la pluie. Cela vous fera le plus grand bien.

— Oui, tu as raison... Merci encore, Yoko.


Je lui rendis enfin son sourire. Elle fit une petite courbette avant de quitter ma chambre. Je l’avais sentie soulagée de me voir comme ça et c’est vrai que même si j’étais encore inquiète pour Cyriel, j’allais un peu mieux.

J’écoutai son conseil et pris une longue cape à capuche dans ma garde-robe puis la mit sur mes épaules afin de me protéger de l’eau tombante. Je ne comptais pas me mettre sous la pluie mais tout simplement marcher le long des couloirs extérieurs du château. J’y croisais quelques gardes qui m’offrirent une révérence à mon passage. Je continuai ma marche sans les saluer, perdue dans mes pensées et les yeux fixés au sol. Je ne faisais qu’avancer sans savoir où je me rendais. Ce n’était qu’en levant la tête que je vis les jardins à l’horizon. Je me disais que je m’y étais rendue par habitude, malgré le sale temps. Je décidai tout de même de m’arrêter quelques temps, cherchant mon chevalier du regard. Personne, bien entendu. J’avais espéré le voir assis devant la fontaine, comme j’avais pu le voir le jour d’avant. Je regrettais amèrement de ne pas avoir pu rester à ses côtés à cet instant. Je posai ma main sur la rambarde de pierre, laissant revenir mon visage attristé. J’aurais dû laisser les affaires de la veille de côté, me répétai-je sans cesse. « Quelle sotte je suis... » avais-je laissé échapper d’entre mes lèvres sans m’en rendre compte. Me pensant seule, je ne m’attendais pas à avoir une quelconque réponse.


— Vous devriez éviter de dire ce genre de choses, votre Altesse.


Surprise, je me tournai sur ma droite pour voir Ynaris, sous une arche. Elle portait une légère fourrure sur ses épaules, gardant avec elle de nombreuses perles d’eau. Elle s’avança vers moi avec un air rassurant et continua :


— Qui voudrait entendre la reine donner ce genre de discours ?

— Mais c’est le discours que je tiens aujourd’hui... C’est ainsi.

— Ça ne vous ressemble pas. Vous qui êtes si rayonnante d’habitude... mais qui pourrait vous en vouloir ?


Je préférai ne donner aucune réponse, ramenant mon visage sur l’herbe mouillé devant moi. Elle resta à mes côtés pour contempler les pauvres fleurs noyées par la pluie. En réfléchissant quelques secondes, je m’aperçus que quelque chose n’allait pas.


— Orina n’est pas avec vous ? lui demandai-je

— Non, elle a étudié jusqu’à très tard cette nuit. Je l’ai retrouvée endormie sur son livre ce matin. J’ai préféré la laisser pour aller dans la cité. Je devais passer une commande car mes stocks d’herbes commencent doucement à s’épuiser.

— Oh, je vois...

— Et vous ? Vous n’aviez pas une réunion d’état à présider ?

— J’ai préféré la repousser à une autre fois. J’ai besoin de repos en ce moment.

— Vous avez bien fait. Vous avez besoin d’avoir les idées claires.


J’acquiesçai sans ajouter un mot. J’aurais aimé lui dire que pour que mon esprit soit apaisé, il faudrait que je ne sois plus inquiète pour lui. Mais j’avais préféré me taire pour éviter les mêmes erreurs qu’avec Yoko. À la place, je préférai lui demander :


— Auriez-vous aperçu Cyriel dans la cité ce matin ?

— Absolument pas. J’en suis navrée.

— Vous n’avez pas à l’être...


Elle se tourna vers moi, voyant mon espoir disparaître à nouveau. Je la vis perdre son sourire pour un air compatissant. Nous laissâmes le son de l’eau fracassant le sol prendre sa place quelques instants. Je pensais qu’elle m’aurait laissé pour regagner sa tour mais à la place, elle resta à mes côtés. Cela me gênait un peu.


— Vous n’êtes pas obligée de rester auprès de moi, Ynaris...

— C’est exact. Mais je trouverai ça déplacé de vous laisser seule ainsi.

— Ça n’aura rien de déplacé, rassurez-vous. Vous pouvez disposer.


Elle hésita quelques secondes avant de reprendre sa marche. Elle fit quelques pas avant de s’arrêter à nouveau.


— Puis-je vous poser une question ? me demanda-t-elle.

— Faites.

— Que comptez-vous faire aujourd’hui ?

— Je n’en ai aucune idée, répondis-je après une courte réflexion.


Nous nous tûmes encore une fois et Ynaris ne bougeait plus. Je me disais qu’il valait peut-être mieux que j’aille ailleurs pour qu’elle puisse retourner auprès de son apprentie. Je commençai donc à me diriger dans la direction opposée.<.p>

— Profitez-en.


Je m’arrêtai soudainement et la regarda. Elle avait repris son expression rassurante qu’elle avait en arrivant. Je ne comprenais pas où elle voulait en venir. Elle continua :


— Vous n’êtes pas retenue par vos responsabilités de reine aujourd’hui. Voilà l’occasion pour vous de le retrouver et de rester auprès de lui. Vous savez aussi bien que moi que vous en avez besoin tous les deux.

— Oui... mais je ne sais pas où il se trouve en ce moment.

— Réfléchissez. Si vous ne savez pas où il est, peut-être que quelqu’un d’autre peut vous le dire. Du moins, quelqu’un qui le connaîtrait assez pour le deviner. Je suis sûre que vous voyez de qui je veux parler, Katia.


Je ne voyais pas où elle voulait en venir au départ. Mais quand je commençais à y réfléchir, c’était devenu très clair assez rapidement. Oui, cette personne pouvait me dire où il se trouvait. Il le connaissait mieux que n’importe qui, même mieux que moi. En y repensant, je m’étais dit que ce ne devait pas être facile à vivre pour lui aussi, vu qu’il connaissait les amis de Cyriel depuis si longtemps. Je me demandais s’il était venu le voir ne serait-ce une fois. J’étais tout de même persuadée qu’il fallait que je le voie. Même si j’espérais surtout qu’il puisse m’aider, je voulais voir comment il allait. Ynaris me salua et je la remerciai infiniment pour son aide. D’un pas décidé, je me dirigeai en direction de la grande porte.

Les gardes insistèrent pour m’accompagner en dehors de l’enceinte du château, je refusai catégoriquement en prétextant que mon chevalier allait me rejoindre sous peu. Je les rassurai en plus en disant que je n’allais pas me rendre si loin. Bien sûr, je me doutais que cela n’était pas nécessairement vrai mais ils n’avaient pas à le savoir. Ils me laissèrent sortir et je pus me rendre dans les hauts-quartiers de la cité, là où se trouvait la personne que je devais voir.

M’entourant de ma cape du mieux possible, je protégeai ma robe de la pluie qui était de plus en plus battante. Ne voulant pas la supporter plus longtemps, je pressai le pas. Je me retrouvai alors rapidement à la maison où j’allais pouvoir le trouver : celle de Vipha Amorie, mon architecte royal. Passant le portail, je traversai vite le petit jardin pour me retrouver devant la porte que je frappai avec l’aide du heurtoir. J’insistai un peu pour ne pas non plus rester dehors trop longtemps. J’entendis Vipha répondre qu’elle arrivait d’un ton plutôt agacé. En ouvrant, elle fut surprise de se retrouver en face de moi. Elle bafouilla un peu avant de m’adresser la parole :


— Votre Majesté ? Je ne pensais pas qu’il s’agissait de vous, je suis désolée.

— C’est oublié, Vipha. Pourrais-je entrer ? Je suis complètement trempée...


Elle hocha la tête rapidement avant de s’écarter pour que je puisse me mettre à l’abri. Je retirai ma cape qu’elle prit rapidement pour la mettre à sécher pendant que je me rendais dans sa salle de séjour. Je pouvais voir quelques parchemins trainant sur une table, accompagnés par des livres à la taille variable. Il y avait également un bougeoir posé à côté et contenant un fond jaunâtre, ainsi qu’un petit pot d’encre habité par une petite plume grise. Ma curiosité me poussa à voir ce qu’il y avait d’inscrit sur ces papiers. Notes et croquis parcouraient ensemble les vastes feuilles abandonnées, mes yeux cherchant à en comprendre le sens. Je compris vite qu’il s’agissait tout simplement de plusieurs idées posées ici et là, sans avoir de lien entre elles. Sur le coup, j’imaginai que Vipha avait eu un éclair de créativité quelques jours avant et qu’elle n’avait pas voulu en perdre une miette.

Elle revint auprès de moi et me présenta un siège installé près de la cheminée que je pris en la remerciant. En m’asseyant, je constatai de l’état de ma robe. Trempée et couverte de boue, je la remontai légèrement pour ne pas salir le sol. Vipha commença à ranger son désordre tout en m’adressant la parole :


— Pardonnez le bazar, votre Altesse. Je n’ai pas pris le temps de m’en occuper ce matin.

— Ne vous en faites pas. Je ne vous en tiendrai pas rigueur. Mais à ce que je vois, vous avez beaucoup travaillé ces derniers temps.

— La nuit dernière, pour être plus précise. J’avais beaucoup de mal à dormir à cause de ses idées qui envahissaient mes pensées. Donc, au lieu de rester dans mon lit à me torturer l’esprit, j’avais décidé de passer la nuit à mettre ça sur papier.

— Et vous n’êtes pas fatiguée ?

— Pas encore mais ça ne saurait tarder. Je pense que je risque de m’effondrer sur mon fauteuil en milieu de journée.


Elle m’annonça cela avec amusement, continuant à ranger ses essais. La voir prendre cela avec légèreté me réjouissait. Elle se dirigea vers le feu où se trouvait une théière en fonte qu’elle souleva.


— J’imagine que vous voudriez parler à Louka, n’est-ce-pas ? me demanda-t-elle avant de verser un liquide sombre dans une tasse usée.

— Comment avez-vous... ?

— Mon intuition... Il n’est pas dans son assiette, ces derniers temps. Il fait mine que tout va bien mais je pense qu’il a encore du mal à encaisser pour les amis de son frère. En parlant de lui, il ne nous rend même plus visite depuis que c’est arrivé. Je suppose que le chevalier Cyriel n’est pas non plus très présent au château ?

— Il est vrai, oui... Je ne vous cache pas que cela m’inquiète de plus en plus. Je n’ai aucune idée d’où il peut se trouver mais je me disais qu’Louka aurait peut-être une idée par rapport à cela. Et puis, je m’inquiète aussi pour lui.

— Cela ne m’étonne pas de vous, m’avoua-t-elle après une gorgée de son breuvage matinal. J’ai essayé de lui parler, ça n’a rien donné. J’ose espérer que ça sera différent avec vous. Il est à l’étage en train d’étudier dans sa chambre. Ne vous inquiétez pas, vous ne le dérangerez pas.

— Je sais bien... Merci, Vipha. Je vais attendre que ma robe sèche un peu avant de monter le voir. Pourrais-je avoir quelque chose de chaud à boire ? Comme du thé, par exemple.

— Bien sûr, je vais vous préparer ça de suite.


Elle posa ce qu’elle buvait sur la petite table qui se trouvait entre nous puis se leva pour aller dans la pièce d’à côté. Elle revint quelques minutes après avec un thé aux fleurs de fraisier qu’elle avait excellement préparé. Je me rappelle encore de ce goût exquis qui m’avait fait soupirer de plaisir à la première gorgée. C’était un petit instant de détente dont j’avais fort besoin dans un contexte pareil. Mais je m’égare, excusez-moi. Je pris dix minutes pour profiter de ma boisson chaude tout en discutant de diverses banalités avec Vipha. Une fois mes vêtements libérés de l’eau de pluie, je décidai enfin à monter à l’étage, laissant la maîtresse des lieux seule.

J’avançai doucement jusqu’à la salle d’Louka pour retrouver ce dernier assis devant un bureau, suivant les conseils de son ouvrage pour dessiner ce qu’il avait à l’esprit. Il semblait tellement concentré par ce qu’il faisait que ça me gênait de l’interrompre de la sorte. Je restais alors silencieuse pour l’observer encore un peu. Je ne le voyais que de dos et, ses cheveux étant mis à l’arrière de ses oreilles, je pouvais y voir la boucle dorée qu’il portait sur celle de droite. Le voir aussi assidu dans sa tâche me faisait immédiatement penser à son grand frère. Il avait l’air si calme que je n’avais pas l’impression qu’il allait mal. Cela me rassurait même de le voir ainsi. Mais quand il tourna légèrement la tête, je pus voir sa mine attristée. J’en eus un petit pincement au cœur. Il lâcha un petit soupir avant de reprendre le travail. Puis, sentant enfin ma présence, il s’arrêta soudainement pour se retourner vers moi. Je lui offris un sourire dès que son regard surpris croisa le mien. Il bafouilla quelques mots :


— Votre Alt... Hum Katia ? Désolé, c’est difficile de prendre l’habitude.

— Ne t’inquiète pas, lui répondis-je, touchée par son intention. Ça me fait plaisir que tu essayes de l’avoir.

— Ouais...


Il remit la plume dans son encrier avant de se lever pour venir auprès de moi. Il esquissa un petit sourire en me regardant à nouveau. Sur le coup, je pensais qu’il devait être gêné d’avoir une sale mine à me donner en retour.


— Comment te sens-tu ? lui demandai-je.

— Ça peut aller... Franchement, j’ai connu des jours bien meilleurs. Et toi ? Ça va ?

— Tout comme toi... Des jours bien meilleurs...

— Je vois... Et mon frère ? Il va bien ?


Je n’avais pas su quoi lui répondre. Tout ce que je m’étais contentée de faire, c’était de perdre mon sourire en baissant les yeux. Il comprit rapidement ce que cela voulait dire.


— D’accord... Je m’en doutais un peu. Il doit éviter tout contact depuis que c’est arrivé.

— C’est exactement ça... Personne n’arrive à lui parler. On ne fait que l’apercevoir sans qu’il nous adresse un seul mot. Quand il vient au château, ce n’est que bref.

— Tu es venue me voir à cause de ça ?

— En partie... Je n’avais pas beaucoup pensé à comment tu pouvais vivre cette situation avant ce matin alors je suis venue voir si tu allais bien.

— Ça fait toujours mal mais je tiens le choc. C’est gentil de te soucier de moi. En fait, je m’inquiète surtout pour Cyriel. C’est pour ça que j’ai l’air si triste.

— Comme moi, donc...

— Il m’énerve un peu... À chaque fois qu’il souffre, il s’enferme sur lui-même et quand j’essaye de l’aider, il me fait croire que tout va bien. Alors que je sais que non. Après, d’habitude, ça passe au bout de quelques jours... Mais là, ça risque de difficilement lui passer.


Il soupira à nouveau avant d’aller sur son lit, la tête baissée. J’allai vite m’asseoir à ses côtés, écoutant ce qu’il avait dire.


— Après, je peux difficilement lui en vouloir. Il ne doit pas s’en rendre compte que les autres s’inquiètent pour lui quand il est comme ça. J’ai juste envie qu’il comprenne qu’on est là pour lui et que c’est tout autant difficile pour nous. Tu sais, hier, je suis allé voir Luanie.

— Luanie ? Qui est-ce ?

— La petite sœur d’Antoan. Elle est un peu plus âgée que moi. On s’est connus grâce à nos frères. Enfin, quand je suis arrivé devant la boutique de leurs parents, c’était dit comme quoi elle était fermée pour un moment. J’ai quand même toqué un petit moment avant que leur père m’ouvre. Il m’a expliqué que Cyriel était venu leur annoncer la nouvelle et que sa femme en était tombée malade. Ils ont préféré fermer le temps de faire le deuil. J’ai demandé à aller voir Luanie et il m’a laissé entrer. Quand je suis allé dans sa chambre, elle était assise sur son lit, l’air vide. Quand je voyais ses yeux, je savais qu’elle avait déjà pas mal pleuré. J’ai insisté pour qu’elle vienne avec moi pour se promener un peu dans la cité. Je voulais lui changer un peu les idées. Elle a accepté de me suivre mais elle est restée silencieuse tout le long. Quand on est passés à côté du fleuve, elle s’est assise au bord, regardant son reflet dans l’eau. Je me suis assis à côté et elle m’a dit ça : « Pourquoi c’est arrivé, Louka ? Pourquoi on m’a pris mon frère ? » Je ne savais pas quoi lui répondre d’autre qu’un « Je sais pas ». Elle a continué en disant que même s’il pouvait parfois être lourd avec elle, elle l’aimait énormément. Puis, elle a fondu en larmes encore une fois. Contre moi. J’étais si mal pour elle... Rien que d’y repenser, ça me fait mal, tiens.


Voyant une goutte coulée le long de sa joue, je posai ma main sur la sienne. Il me regarda avec surprise et je lui souris pour le rassurer. Même si ma propre larme me trahissait un peu, il me le rendit.


— Connaissant mon frère, poursuivit-il, il a dû venir pour s’excuser auprès de ses parents. À tous les coups, il culpabilise, comme s’ils étaient morts à cause de lui.

— La dernière fois qu’il les a vus, ils l’ont aidé à fuir un danger. Je peux comprendre qu’il se sente coupable.

— Mais ce n’est pas de sa faute ! Je veux dire...

— Je sais, Louka. Ils savaient parfaitement ce qu’ils faisaient en l’aidant à s’enfuir.

— Mais ça, il aura du mal à le comprendre si on ne le lui dit pas... J’aimerais lui dire mais je n’ose pas. Il ne me laisserait pas le temps, de toute façon. Il partirait avant que j’essaye.


Louka soupira à nouveau puis se leva de son lit pour se diriger jusqu’à la fenêtre. Je le regardai se poser sur le rebord, observant la pluie qui n’avait toujours pas perdu de sa férocité. J’avais tout de même le maigre espoir qu’elle se calme dans la journée. Tout en me mettant debout pour aller le rejoindre, je lui posai la question que je souhaitais depuis le début :


— Dis-moi... Est-ce que tu saurais me dire où il pourrait se trouver en ce moment-même ?

— Je pense, répondit-il faiblement. Je ne vois pas d’autres endroits où il pourrait être quand il est dans cet état.

— Où ça ?

— Sur la tombe de nos parents... Il s’y recueille souvent pour leur parler. Il leur fait part de ses doutes et espère une réponse de leur part...

— Où est-ce qu’elle se trouve, Louka ?


Il ouvrit la bouche mais aucun son n’en sortit. Il se tourna vers moi avec un air d’interrogation.


— Tu ne veux quand même pas aller le voir ?

— Bien sûr que je le veux, répondis-je tout simplement.

— Avec un temps pareil ? Même un porc voudrait rentrer à l’abri !

— Ce n’est pas ça qui va m’empêcher d’y aller, crois-moi.

— Pas toute seule, rassure-moi ! Il faut traverser toute la cité pour aller jusqu’aux faubourgs ! Imagine si tu te retrouvais en danger ! Tu... Tu es reine, quoi !

— Je me moque bien de tout ça ! Je veux le retrouver !

— Il a raison, votre Altesse. On ne sait pas sur quoi on peut tomber à chaque coin de rue.


À ma grande surprise, Vipha s’était posée contre l’entrée de la pièce. Elle décroisa les bras tout en s’avançant vers nous. Sur le coup, bien que je ne pouvais lui donner tort, je dois admettre que sa remarque m’avait assez irritée. Elle continua :


— S’il vous arrivait malheur, ce vieux crouton de Sigismond serait capable de demander à la milice de fouiller chaque maison de la cité pour vous retrouver. Dans les hauteurs, vous êtes en sécurité mais, franchement, vous ne passez pas inaperçue avec votre belle robe. Les gardes seraient prêts à vous arrêter pour vous surveiller ou pour prévenir le château de votre escapade.


J’avais envie de la contredire. Je cherchais quelque chose d’autre à dire que « Mais je veux y aller ». Rien ne me vint en tête. J’observai ma robe pour me rendre compte à quel point elle avait raison. Ma colère baissa, laissant place à cette tristesse dont j’avais beaucoup de mal à me séparer.


— Par contre, ajouta Vipha avec un sourire rassurant, une jeune femme encapuchonnée portant une tenue de voyage, ça passera bien plus inaperçue qu’une reine en robe blanche en escarpin.

— Comment... ? Pourquoi vous me dites cela ?

— Nous faisons à peu près la même taille alors mes vêtements devraient vous sied à merveille. Vous pouvez laisser votre tenue royale ici, je ne dirais rien à votre fidèle premier ministre.

— Mais Dame Amorie ! s’écria le jeune Valdera. Vous n’allez pas la laisser partir seule comme ça ?!

— Ne t’en fais pas, mon garçon. Je suis persuadée qu’il ne lui arrivera rien.


Il resta inquiet mais n’ajouta rien concernant ma sécurité.


— Vous feriez ça pour moi, Vipha... ? lui demandai-je, de plus en plus surprise.

— Bien sûr. Je suis très douée pour conserver des choses. Que ce soit de vieux édifices ou des petits secrets.

— Je... Je ne sais pas quoi dire...

— Ne perdons pas de temps, voulez-vous ? Il ne manquerait plus qu’il décide de partir ailleurs. Suivez-moi, votre Majesté.


Elle m’amena dans sa chambre, refermant la porte derrière nous. Elle me demanda de me déshabiller puis partit fouiller dans sa vieille armoire. Elle en sortit un ensemble mêlant en une sorte de pourpoint en tissu ardoise aux rayures blanches, un pantalon de cuir accompagné de bottes de même nature, ainsi qu’une cape noire qui, d’un simple regard, suffisait à me réchauffer. Une fois qu’elle avait tout posé sur son lit défait, elle remarqua que je n’avais toujours pas retiré ma robe. Elle insista d’une manière rassurante mais je lui demandais si elle pouvait me laisser seule le temps que je me change. Je ne souhaitais pas qu’elle les découvre, après tout. Cela ne la dérangea pas et elle quitta la pièce, me laissant un peu plus sereine.

Je pris beaucoup de temps à mettre l’ensemble qu’elle m’avait gentiment proposé. Notamment pour attacher la ficelle de mon haut correctement. J’avais fait le nécessaire sans que cela me serre trop, me disant que Vipha m’aidera à fermer le tout correctement. J’appelai cette dernière à me rejoindre une fois suffisamment vêtue. Elle m’examina sous tous les angles, comme si elle contemplait l’œuvre d’un sculpteur. Elle fut heureuse de voir à quel point ses vêtements m’allaient et me le fit savoir tout en resserrant mes nœuds. Je comptais retirer mon pendentif mais elle me conseilla de ne pas le faire, prétextant que j’en aurais besoin si je voulais qu’il me reconnaisse une fois face à lui. J’écoutai son conseil et le laissai autour de mon cou. Elle m’invita ensuite à me mettre sur une chaise puis détacha mes cheveux. Mes cheveux étant très longs, elle prit du temps à faire une longue tresse qu’elle dissimila dans mon dos, sous le vêtement. Elle me demanda enfin de me relever pour qu’elle puisse terminer ma tenue avec la cape.

Nous retrouvâmes Louka dans le couloir en quittant la chambre. Il fut plutôt surpris du changement à en juger par ses yeux et au petit son émerveillé qui s’échappa de sa bouche. Vipha lâcha un léger rictus en voyant sa réaction alors que je me contentais d’un simple sourire. Nous retournâmes au rez-de-chaussée, nous dirigeant doucement vers la porte d’entrée, et je me tournai vers le frère de Cyriel pour lui parler :


— Pardonne-moi pour mettre mise en colère tout à l’heure. Je ne voulais pas...

— C’est oublié, répondit-il en me coupant. Je sais pourquoi tu as réagi comme ça. Je ne peux pas vraiment t’en vouloir.

— Cela reste déplacé de ma part.

— N’en parlons plus, d’accord ? La tombe de nos parents ne se trouve pas loin de notre maison. Il faut passer par la porte ouest et traverser les faubourgs. Tu la reconnaîtras facilement, il y a un petit oiseau en bois rouge à l’entrée. C’est... C’est moi qui l’avais fait avec mon frère quand nous étions plus jeunes.

— Je vois. Merci pour ton aide, Louka. Et merci à vous également, Vipha.

— Vous me remercierez quand vous l’aurez trouvé, dit-elle en plaisantant. Je vous conseille d’éviter les coins comme le marché. Il ne faut pas que l’on puisse vous reconnaître. Même si je pense qu’avec un temps pareil, il n’y aura pas grand monde dehors mais qui sait ?

— Bien sûr, je ferais très attention.


Elle m’ouvrit et je mis ma capuche tout en me dirigeant vers l’extérieur. Elle s’approcha rapidement de mon oreille pour me glisser quelques mots avant mon départ.


— Profitez bien de votre amoureux, votre Majesté.


Je lui fis des grands yeux et elle me répondit avec un grand sourire. Je devins aussi rouge qu’une tomate et préférai détaler loin avant qu’ils puissent s’en apercevoir. Je courais en direction des bas-quartiers, impatiente de pouvoir y trouver Cyriel. Toutefois, je décidai de m’arrêter à côté d’une petite ruelle que je ne voulais pas regarder. J’y sentais une présence mais elle était loin d’être inquiétante. Je m’adressai à cette dernière :


— Pourrais-tu me rendre un service ?


Je n’eus aucune réponse de sa part mais je savais qu’elle était toute ouïe.


— Cela ne me dérange pas que tu me surveilles sur tout le trajet. Mais une fois que je serais arrivée devant lui, j’aimerais que tu nous laisses seuls pour parler. N’interviens sous aucun prétexte. Tu n’as pas à t’en faire pour ma sécurité, je sais qu’il saura s’en charger aussi bien que toi.

— Comme vous voudrez, ma reine.


Je l’entendis partir la première dans l’ombre puis je continuai mon chemin.