À la neige laissant place au printemps


Authors
GaraVedma
Published
3 years, 9 months ago
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Et aux rouges des roses en été

Image par Olha Fedchenko sur Unsplash.

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Lorsque sa fille Hilda épousa sir Häagensen et quitta le domaine familial, l’attention d’Iseline Abërg se porta entièrement sur Krystine, qui, dubitative, songea qu’il s’agissait d’une nostalgie maternelle, étant le dernier enfant siégeant à la maison. Le regard d’Iseline se trouva néanmoins très attentif à ses moindres faits et gestes, et sa jeune fille prit alors conscience de ses manières disgracieuses, et fit de nombreux efforts pour y remédier. Les yeux de sa mère étaient impénétrables, et Krystine ne comprenait pas grand-chose de ce qui pouvait se passer dans son esprit. Les jours défilaient, et confuse, elle continuait d’aider sa mère dans les tâches quotidiennes, accompagnées de leurs deux fidèles domestiques. L’une de leurs tâches quotidiennes était évidemment la vaisselle, acte des plus banal. Krystine avait pris l’habitude, sous la demande de sa mère, de fredonner quelques airs connus. Sa mère, habituellement silencieuse, l’interrompit soudainement.

« Tu aimes chanter Krystine ? »

Krystine, interloquée, resta idiote quelques seconde, la bouche ouverte. Elle frotta activement le verre qu’elle tenait et balbutia :

« Eh bien… ça passe le temps et les gens semblent apprécier ma voix, enfin- »

« Non. Krystine, je te demande si tu aimes chanter. »

Krystine comprit alors que cette attention soudaine n’avait pour autre but que de forger son avenir. Elle réalisa soudainement qu’elle n’était pas vouée à vivre dans cette demeure éternellement, et qu’elle aussi, devait se trouver un futur. Elle ne ferma pas l’œil de la nuit.

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Tandis qu’Iseline raccommodait la veste de son époux, sa fille, inlassablement, chantait l’air d’un opéra récemment admiré. Krystine était sans aucun doute une grande amatrice de ce genre, bien qu’elle le niait constamment. Elle chantait à chaque circonstances -bien qu’elle pensa le contraire, sûrement par modestie bien trop extrême. Elle avait certes une belle voix, une sorte de diamant brute, qu’il fallait polir. Son timbre était charmant, mais elle manquait d’entraînement, un entraînement professionnel. Krystine deviendrait cantatrice, c’est ce qu’Iseline estimait de mieux pour sa fille.

Elle avait envisagé nombres de carrière pour elle, jusqu’au mariage. Krystine n’était pas faite pour le mariage non- du moins pas arrangé. Si Hilda en avait le tempérament, Krystine était bien trop vulnérable et disons-le, naïve pour y comprendre quoique ce soit. Cette fragilité était un obstacle à beaucoup de voies, et notamment celle de l’Opéra. Comment retenir une cantatrice aussi fantomatique ? Effacée, timide, même son apparence, aussi charmante soit-elle, était semblable à un spectre. Iseline s’attarda sur cette pensée. Un spectre. Elle leva les yeux et constata sa fille. Les cheveux tressés, le regard fuyant, sa fidèle robe brune, le buste recroquevillé : un spectre. Iseline se leva.

« Krystine, regarde moi s’il te plaît. Tiens-toi droite ma petite, laisse tes épaules en arrière, épargne-moi ce dos je te prie. Oui comme ça. Lève un peu le menton je te prie. »

Elle fit un cercle autour de la jeune fille qui semblait tétanisée. Elle étudia ses formes, sa posture, son teint.

« Petra, écrivez un billet au tailleur. Il est temps que ma fille s’habille. »

C’est sous le regard médusé de sa fille, qu’Iseline partit porter sa veste à son époux.

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Iseline, sous la lumière des chandelles, brossait lentement les cheveux de Krystine, qui, patientait, soucieuse de son traitement à venir. Iseline leva doucement les yeux et croisa le regard de sa fille. Tout en soutenant son regard elle la coiffa.

« Tes tresses sont lâches et laissent échapper des mèches, elles cachent tes yeux. Je sais que c’est ce que tu souhaite, mais ma fille, il faudra vivre autrement.

- Quoi- mais qu’est ce que tu veux dire maman ? »

Iseline prit deux mèches et les glissa en arrière de son crâne, les liant avec un fil de cuir. Krystine admira le reflet de son visage entièrement dégagé. Elle n’avait jamais considéré son physique de la sorte. Ou plutôt, si, mais elle ne se l'était jamais permis. Elle n'avait jamais vraiment su ce que ce rouge inspirait, et par prudence, baissait les yeux. Iseline fit un petit sourire, amusée. Elle se dirigea vers l’ouvrage que le tailleur leur avait confié, et parcourut les pages jusqu’à trouver celle qu’elle avait gardée. Elle y détacha le tissus épinglé et le plaça sur la gorge de sa fille.

« Krystine, ton physique est atypique, nous le savons toutes deux. En revanche il serait idiot de penser qu’il te rend laide, au contraire. Tu es belle ma fille. »

Elle vit des larmes perler aux yeux de la jeune fille.

« Ta peau, tes cheveux sont blancs comme la neige, et tes yeux rouges comme les roses d’été. Tu représente à toi seule les puissances des saisons. C’est en cela ta force. »

Iseline essuya délicatement les larmes de son index.

« Ton tempérament ne changera jamais, et je ne te demanderai pas de changer, tu resteras discrète, c’est ta nature. En revanche ma fille, rehausse tes couleurs, affirme-les, et montre-toi au monde. »

Krystine osa finalement baisser les yeux sur le carré de tissus, un vert doux, aussi doux que les plaines en été, sur lesquelles l’écarlate des roses s’épanouissent. Krystine hocha doucement la tête.

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Tandis que les flocons de neige virevoltaient, un tapis de neige se formant sur le jardin ouest du domaine de Mirgues, Krystine glissait son doigt le long de la tasse de thé fumant que Catheline lui avait confiée. Bien que la cantatrice rendait régulièrement visite à la marquise, la raison de sa venue ce jour-ci était spéciale : sa fidèle amie avait tenu à la mener à une réception. Il s’agirait de la première mascarade de Krystine depuis son arrivée à Eltaria. En temps normal, Catheline s’y serait rendu avec son amant, Gacerme, mais celui-ci étant souffrant, et la jeune femme ne souhaitant pas se montrer seule, elle pria désespérément son amie de l’accompagner. Devant tant de supplications et de yeux larmoyants, sa douce nature ne put refuser, aussi elle céda à l’invitation, demeurant néanmoins terrorisée à l’idée: elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’une mascarade comportait. Catheline lui avait expliqué qu’on venait officiellement dans ces réceptions pour danser, mais que cela comportait du commérage et de l’observation parmi l’aristocratie… ou se goinffrer de petits-fours et boire beaucoup d’alcool. Un bal en somme, sauf qu'on porte des masques, et on fait semblant de ne reconnaître personne. Bref, rien de ce que Krystine n’appréciait en temps normal. De plus, elle était persuadée qu'elle ne reconnaîtrait effectivement personne, et une foule d'anonymes masqués la terrifiait.

Cela faisait maintenant quelques mois que celle-ci avait quitté sa contrée natale pour ce niveau territoire. Entièrement dépaysée, elle aurait probablement perdu pied si, Gacerme, amateur d’Opéra ne l’avait pas présentée à son amante. Elles avaient presque immédiatement ressenti une connexion, et depuis elles ne se quittaient plus. Catheline revint subitement dans la pièce, ce qui tirera la cantatrice de ses rêveries. Elle dirigea son regard vers l’aristocrate, qui parlait d’un rythme effréné à une des domestiques du domaine.

« Préparez les plus belles toilettes, je veux les présenter à Krystine qu’elle m’aide à choisir… Oh d’ailleurs, tu en as bien une ? 

- Oh non. Oh Catheline je suis navrée, j’aurais dû y penser… je n’ai qu’une robe de gala et elle est restée dans ma loge !

- Comme si c’était un problème ! Tu vas emprunter une de mes robes… elles t’iront ! Quoique… non elles seront peut être un peu grandes. On épinglera, ce n’est pas si grave que ça.

- Oh Catheline je ne veux pas abuser de ta gentillesse…

- C’est moi qui te traîne là-bas après tout ! Je te dois bien ça ! Allez ne fais plus cette tête, tu vas voir tu vas les adorer ! »

Krystine, en se rappelant de certains décolletés que son amie pouvait porter, songea qu’elle serait encore moins à l’aise.

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« Et celle-ci ? »

Catheline tournoya sur elle-même, serrant une robe orangée contre elle. Krystine étudia la composition du vêtement, et admira la finesse des finitions. Elle eut une particulière affection pour les fleurs cousues au jupon.

«  Elle est magnifique…

- Mmh ? Tu n’as pas l’air convaincue pourtant, répondit Catheline dans un rire.

- Oh non ! Je te conseillerais même d’apporter celle-ci. Seulement… les fleurs, tu dois les changer quand elles fanent ? »

Catheline la regarda un instant, surprise d’une telle question. Elle expliqua à son amie qu’elle les changeait quand elle savait qu’elle pouvait la porter… aussi elle l’avait fait préparée la journée auparavant. Krystine songea que la mode d’Eltaria était particulièrement sophistiquée.

« Bon mon choix est fait ! Je porterai celle-ci ! Après tout je n’ai pas fait coudre ces fleurs pour rien ! Bon, et toi ma petite Krystine, une d’entre elles te fait envie ? »

Krystine regarda les toilettes. Ce n’était rien de ce qu’elle portait d’habitude. Un tel décolleté, beaucoup de dentelles, de… richesses. Des couleurs chaudes aussi, qu’elle redoutait à porter. Tandis que sa décision glissait vers la robe rose pâle, discrète et humble, son attention se porta malgré elle sur une autre tenue. Elle était rouge. Un rouge profond. Rehausser ses couleurs, les affirmer, se montrer au monde.

« Catheline, je peux t’emprunter la robe rouge, s’il te plaît ? »