Hyrokin x Toundra


Authors
Seiden
Published
5 years, 10 months ago
Stats
2977

Un texte écrit pour une animation sur un groupe Facebook : deux personnages appartenant à deux personnes différentes étaient tirés au sort: l'un devait écrire une histoire, l'autre devait l'illustrer. Malheureusement, j'ai eu beaucoup de travail et d'examens à cette période, le texte a donc été pas mal baclé sur la fin....

(Thumbnail : illustration de Toboshiro)

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Le bruissement d’une branche fit sursauter le daim, qui se mit à observer les alentours avec attention, ses naseaux s’élargissant afin de mieux analyser les odeurs portées par le vent. Le chasseur se trouvant du mauvais côté de sa proie, les relents de sa sueur furent rapidement captés par l’animal sauvage qui s’enfuit en quelques bonds. Le félin poussa un soupir dépité face à son troisième échec. Il allait devoir se faire à l’idée qu’il n’est pas doué pour la chasse, mais son estomac de carnivore ne saurait se contenter de racines.

Hyrokin avait quitté son village natal, un petit hameau d’homme-chats installé sur les rives d’un lac dont la taille lui valut le surnom de « mer douce », dans le but de découvrir de nouvelles cultures, de nouvelles races, et, surtout, de nouveaux aventuriers dont il conterait les exploits de sa voix experte, accompagnant ses chants du son de son luth de bois d’érable, fidèle compagnon dont il ne se séparait pas même pour dormir. Il avait ainsi prit la route seul, n’emportant avec lui que le minimum vital, comptant sur ses talents musicaux pour gagner au cours de son voyage l’argent nécessaire à l’achat de nourriture. Les régions gaéliques de l’Est s’étaient vite présentées comme étant une destination incontournable de son voyage.

Cela faisait déjà une semaine qu’il s’était perdu dans la forêt de Fhearghaill, au large de la ville de Gheimhridh, qu’il avait été contraint de quitter suite à une altercation avec un barde local. Cette région l’avait d’abord fasciné de par la richesse de sa culture, nourrie de mythes anciens et de dieux sylvestres, et par la beauté particulière de sa musique, à la fois recherchée, moderne, et teintée des couleurs des anciens temps, le temps des fées et des gnomes. Mais, passé la première exaltation, il dû se rendre à l’évidence : en sa qualité d’étranger, il n’était pas le bienvenu en ces contrées. Dans l’espoir d’être mieux accueilli dans les citées portuaires, plus habituées à la présence de voyageurs d’origines et de races diverses, il avait entreprit de traverser une large forêt à la végétation dense, afin d’éviter les multiples détours imposés par la route qui serpentait de façon improbable entre les différentes terres sauvages afin de ne pas les altérer. Cependant, après plusieurs jours de marche, il se rendit compte qu’il avait lourdement sous-estimé le trajet, et n’avait bien sûr pas prévu suffisamment de vivres. Il avait alors espéré pouvoir user de son bolas pour mettre à terre un daim ou un sanglier, mais son manque d’expérience lui rendait la tâche fort difficile.

Résigné, il décida de reprendre la route sans plus se soucier des plaintes de son estomac. Au plus vite il rejoindrait une ville, au plus vite il trouverait une auberge dans laquelle se restaurer sans mal. Il pressa alors le pas, enjambant les larges racines encombrant le passage, se frayant un chemin entre les branchages entrelacés. Il se mit à entonner quelques mélodies de chez lui afin de maintenir sa motivation et son énergie. Avançant d’un pas hâtif et chantonnant des airs joyeux, il ressemblait alors plus à un promeneur enthousiaste qu’à un voyageur  perdu et affamé. Etait-ce cette apparente nonchalance qui avait attiré l’inconnu, ou l’autre était-il tout simplement aussi perdu que lui ?

Hyrokin stoppa net sa marche et son chant lorsque, au détour d’une branche particulièrement fournie en feuilles vertes gorgées de soleil, il découvrit l’être étrange qui se tenait immobile au sein d’une petite zone dégagée. L’inconnu fixait un tronc mort tombé au sol, comme s’il attendait de le voir se relever. Il ne ressemblait à rien que le chat n’ai déjà vu, mais de par sa posture bipède, il était probable qu’il s’agisse d’une race sentiente. L’être se tenait dressé sur une paire de sabots bifides, à l’instar des faunes, et était doté d’une queue semblable à celle des félins. En revanche, sa tête ne ressemblait à aucune des nombreuses rencontres que le jeune musicien avait déjà pu faire au cours de ses nombreuses explorations : l’inconnu portait un museau allongé d’animal, doté d’une truffe noire et d’une paire de crocs dépassant de ses babines blanches. Entre ses oreilles pointues, relativement semblables à celle du chat, se trouvait une paire de bois clairs, relativement courts, rappelant celle des jeunes daims au début du printemps. Ce visage hétéroclite, mi-loup et mi-cerf, était complété par une épaisse crinière blanche, rajoutant une touche féline à l’étrange animal. Le barde avait beau creuser sa mémoire, il ne se souvenait d’aucune représentation, d’aucune description mentionnant cet étrange animal. Mais, après tout, cette créature devait sembler aussi étrange à ses yeux que lui-même aux yeux des humains ou des elfes.

Ayant la fâcheuse habitude de privilégier la curiosité plutôt que la sagesse, Hyrokin avança de quelques pas, se laissant découvrir par l’étranger dont le regard fini par quitter le tronc de bois mort pour se poser sur le visage du félin. Le jeune voyageur salua l’étranger, le gratifiant d’un sourire chaleureux. L’être cornu sembla hésiter un instant, analysant son interlocuteur de ses yeux au vert profond, avant de lui répondre d’une voix grave et avenante. Entendant l’articulation parfaite de sa réponse, Hyrokin se détendit : il s’agissait bel et bien d’un être civilisé. Confiant, il s’approcha encore :
- Vous êtes de la région ? Pour tout vous dire, cela fait des jours que je suis perdu dans cette forêt….
L’étranger afficha un léger sourire que le chat ne sut interpréter, et prit le temps, avant de lui répondre, de remettre en place sa boucle d’oreille qui s’était emmêlée dans sa crinière :
- Bien sûr, j’ai toujours vécu ici. Au sein même de cette forêt. Je peux vous indiquer la direction de la ville, mais si cela fait plusieurs jours que vous errez, peut-être devriez-vous d’abord vous reposer ?
Hyrokin réfléchit un instant. Ayant l’habitude de dormir au grand air, il ne souffrait nullement de la fatigue, mais peut-être l’invitation de l’étranger incluait-elle une invitation à se restaurer, ce qu’il ne saurait refuser.
- Si vous m’invitez, ce sera avec grand plaisir ! Je dois dire que je meurs de faim….
Le sourire du cervidé bipède s’agrandit à ces mots, dévoilant une dentition pointue trahissant un régime de carnivore. De la viande serait donc au menu !
- Suivez-moi.
Sur cette simple injonction, il prit la direction opposée à celle d’où venait Hyrokin, empruntant un chemin déjà creusé entre les buissons. Contraint par l’étroitesse du sentier à rester derrière lui, le félin suivait du mieux qu’il pouvait le pas rapide et assuré de son guide, s’écorchant parfois la patte sur une pointe sortant d’une racine. Suite à quelques bifurcations, ils arrivèrent dans une zone rocheuse, presque pré-montagneuse, où certains arbres s’étaient installés sur de hauts amas de pierres et de terre entremêlés comme afin de mieux dominer la forêt qui s’étalait en contrebas. Après une marche qui lui sembla plus longue que le barde ne l’avait prévu, notamment à cause du silence dans laquelle elle s’était déroulée, ils arrivèrent en vue de ce qui semblait être une caverne creusée dans le cœur de l’une de ces collines rocheuses. Le jeune aventurier hésita face à l’entrée de la caverne : il pensait être amené vers une maisonnette installée dans une clairière, et voilà qu’on l’invitait à pénétrer dans une grotte qui aurait bien pu être celle d’un ours. Mais face à l’insistance de son hôte, il finit par obtempérer.

L’ouverture de la grotte donnait directement sur un virage brusque, amenant vers une large pièce coupée de toute lumière extérieure. Mais l’endroit était bien plus accueillant que sa devanture ne le laissait paraitre : éclairée de plusieurs lampes à charbon, la pièce était chaleureusement meublée, dotée de sièges, de tables et de quelques objets décoratifs, fabriqués à partir de bois, d’os et de peaux de bêtes. Son hôte lui désigna un siège dans lequel, après avoir déposé ses affaires au sol, Hyrokin s’installa timidement, se délectant du confort bienvenu de l’épaisse fourrure recouvrant la structure de bois.
- Je vous remercie grandement pour votre accueil, Monsieur…. ?
- Toundra. Je me nomme Toundra.
Sans même attendre de réponse, le cervidé se dirigea vers une zone annexe de la grotte semblant faire office de cuisine. Ne voulant plus quitter le confort de son siège, Hyrokin se contenta de hausser la voix :
- Moi c’est Hyrokin. Je viens d’Andoran.
N’obtenant plus de réponse de la part du dénommé Toundra, visiblement occupé à préparer le diner, Hyrokin arpenta la pièce du regard. La décoration était en tout point uniforme, de toute évidence créée par l’habitant des lieux lui-même, à partir des ossements et fourrures de ses proies. Sur le côté gauche de la pièce, une étagère de bois portait divers souvenirs : des plantes séchées, des défenses de sanglier, des bois de cerf, ainsi qu’un crâne humain. S’interrogeant rapidement sur la présence de ce dernier, Hyrokin se persuada qu’il s’agissait probablement du résultat d’une rencontre avec un brigand des forêts. Ce n’est que lorsque son regard se  rapprocha de la cuisine et finit par déceler la forme d’une main humaine pendant au bout d’un bras sanguinolent, lui-même attaché par une simple ficelle près du four à bois, que la méfiance vint enfin s’installer dans l’esprit de l’intrépide félin. Il se crispa alors sur son siège, hésitant à s’enfuir, lorsque son hôte revint vers lui, un bol fumant entre les mains, et un sourire humble sur le visage. Il tendit le bol à son invité qui, ne sachant plus trop ce qu’il devait faire, accepta poliment le diner offert, se brulant les coussinets sur les parois du récipient trop chaud. Tandis que Toundra s’installait dans un fauteuil près du sien, Hyrokin huma le fumet se dégageant de ce qui semblait être une soupe ou une tisane, manifestement réalisée à partir d’herbes aromatiques que le félin ne sut identifier. Sous le regard insistant du cuistot, il souffla à plusieurs reprises sur le liquide encore frémissant, espérant montrer ainsi que la soupe était encore trop chaude pour être consommée. Le cervidé se releva alors et retourna au fond de la grotte, fouillant dans un panier de branches séchées. L’aventurier en profita pour tirer de son sac une petite fiole de verre contenant un liquide légèrement jaunâtre, qu’il vida prestement dans son potage. Lorsque Toundra revint avec une poignée de fruits sauvages, le félin le remercia humblement avant de tremper ses lèvres dans le liquide, dont le gout se trouva être aussi amer que son odeur laissait à supposer. Il fit malgré tout l’effort de boire le liquide en entier, afin de ne pas décevoir son hôte, et accompagna volontiers son repas de quelques fruits partagés avec lui. Il tenta en vain de lancer une conversation, interrogeant son compagnon sur ses origines ou la raison de son installation dans ce coin reculé de la forêt, mais l’ermite ne semblait que peu enclin au bavardage. Sans doute était-il peu habitué aux visites. Ou peut-être ses visites ne duraient guère, pour une raison que le félin se refusait d’admettre. Il avait beau garder en lui une méfiance sans doute justifiée, il sentait son esprit s’éteindre lentement. Etait-ce le calme de son silencieux compagnon, la faible lueur des lampes disposées çà et là dans la pièce, ou simplement l’éreintement accumulé lors de ses déambulations en pleine forêt, il se sentait gagner par une fatigue profonde, à laquelle il finit par céder. Il se laissa alors plonger dans un sommeil comme pâteux, sans rêves ni couleurs, comme ceux auxquels on se livre lorsque l’insomnie n’est vaincue qu’à coups de somnifères. Son esprit, habitué à vagabonder dans ses univers oniriques, se retrouvait enchainé à un corps lourd et pesant. Il entendit les sabots de son compagnon claquer sur la pierre, et ce son sembla se répartir dans les moindres méandres de son corps, s’insinuant dans ses veines comme un liquide chargé de plomb. Les claquements furent rapidement accompagnés de bruits métalliques, tandis que les pas semblaient revenir vers lui. Aidé à la fois par la conscience de l’urgence de sa situation, et par la potion druidique qu’il avait pris soin de verser dans la boisson suspecte, Hyrokin parvint finalement à se redresser sur son siège, clignant des yeux à plusieurs reprises afin d’analyser la forme floue qui se tenait face à lui. Il poussa un cri et se jeta au sol, juste à temps pour éviter la main de l’inconnu qui plongeait vers lui. Le cervidé ne se laissa pas décontenancer et s’appuya de tout son poids sur le corps du félin afin de l’immobiliser. Ils luttèrent quelques instants, mais, l’étranger se montrant d’une grande puissance physique, Hyrokin se vit abandonné par ses muscles. Avant d’avoir pu reprendre son souffle, il se retrouva ligoté à la chaise. Toundra, dont le calme stoïque ne faisait qu’ajouter au sentiment surréaliste de la scène, prépara quelques outils de métal dont l’utilité ne laissait plus de doute.

Hyrokin ferma les yeux, essayant d’accélérer le cours de sa pensée. Il avait fini par prendre pleinement conscience de son imprudence, de sa trop grande confiance en sa chance et sa débrouillardise, et de l’inefficacité de sa potion druidique. L’idée de mourir ainsi, aussi jeune et aussi bêtement, ne le réjouissait guère. Mais que pouvait-il faire désormais, privé de ses armes et de son luth ? Il ne lui restait plus d’autre option que de se laisser partir avec fierté,  la tête haute face à l’échec, et vivant jusqu’au bout son principal objectif de vie. Entrouvrant ses lèvres, il laissa alors échapper un son grave, qu’il laissa lentement monter en force et en gamme. A l’entente de ce chant inattendu, Toundra avait laissé son geste en suspens. Ses oreilles, d’abord frémissantes et agitées, avaient fini par se tourner vers le chanteur, tandis que son regard resté fixé sur ses instruments de découpe. La lente complainte du barde finit par se moduler en mots, chantés dans sa langue natale, contant le bonheur d’une vie bien remplie. Bien qu’il n’en comprenne nullement les paroles, le chasseur ermite semblait fasciné par l’étonnante mélopée de sa proie. Lâchant ses outils, il s’assit droit face à celui qui devait devenir son diner, et finit par l’accompagner de quelques sons  graves et rythmés. Ils chantèrent ainsi de concert, unis par une étrange harmonie, tandis que Hyrokin, le plus discrètement possible, cherchait à défaire les liens nouant ses mains dans son dos. Toundra ne réagit pas lorsque son présupposé repas s’hasarda à échanger les rôles en se saisissant d’une longue lame rutilante, sans jamais taire sa mélodie. Tel Cerbère bercé par la voix d’Orphée, le démon de la forêt s’était laissé captiver par le chant d’une vie, par tout l’espoir et le désespoir qu’il contenait. Pourtant, le barde ne sut accomplir son geste, et ne garda la lame qu’en cas  de nécessité.

Arrivé à l’entrée de la grotte, Hyrokin se tut. Jetant un œil furtif vers l’arrière, il aperçut l’étrange cervidé qui, s’étant relevé, le fixait en silence. Ils s’observèrent quelques instants encore, et le jeune aventurier se décida à partir, s’éloignant des lieux d’un pas hâtif, désireux de mettre au plus vite de la distance entre cet être étrange et sa vie fragile. L’ermite le regarda partir, silencieux et stoïque. Il n’éprouvait aucun regret, il savait bien qu’il n’aurait aucune peine à se trouver une nouvelle proie. Pour la première fois, un être étranger avait réussi à le toucher de par son art. Cette découverte d’un talent inconnu valait bien quelques repas de baies supplémentaires.

Serrant son précieux luth dans sa main gauche, Hyrokin en vint à s’interroger sur les pouvoirs qu’il avait toujours prêtés à l’instrument. Et si ce n’était pas l’outil de bois qui était doué de magie ?