AU - Unknown


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EmpyreanKyoki
Published
3 years, 7 months ago
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3 years, 13 days ago
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Chapter 1
Published 3 years, 7 months ago
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Explicit Violence

AU | La colonie de Fells semble s'être éteinte du jour au lendemain. Plus aucun signal n'est émis, et l'équipage de Kyelle est envoyé en mission de reconnaissance pour faire la lumière sur l'incident. Cependant, arrivée sur place, l'équipe est témoin d'étranges phénomènes...

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Chapter 1


L’atterrissage de la navette avait été un soulagement en soi. Non pas que le voyage ne s’était pas bien déroulé – ça n’avait pas été tellement pire que d’habitude, mais les ordres de mission étaient plutôt la cause du malaise ambiant qui n’avait pas quitté le vaisseau depuis le départ. Habituellement précis, les ordres semblaient confus et la seule certitude était « qu’ils en sauraient plus une fois arrivés sur place ». Leur destination, au moins, avait été claire : une petite colonie fraîchement implantée dans le système Tiapal. Ce n’est qu’une fois arrivé sur la planète, plus proche de ce que l’on connaissait comme étant des lunes, que l’équipage sembla sorti de sa léthargie. Les silhouettes se glissaient contre les parois, bénéficiant d’un semblant de gravité généré par le vaisseau, et sans un bruit ou presque, chacun accomplit ses missions : relevés extérieurs, entretien réglementaire de la navette, communication.


Le commandant, seule femme du groupe, glissait un regard d’acier sur l’horizon qui se profilait par le hublot. Une plaine de rochers se déroulait à l’infini, jusqu’à ce qu’une vaste falaise noire vienne mordre le ciel étoilé. Le vaisseau s’était posé dans un cratère géant, crevé de fissures et d’impacts plus petits, rendant le terrain accidenté. Au milieu de tout cela, s’élevaient les formes géométriques si caractéristiques de l’empreinte de l’Homme, la colonie qui s’y était implantée. Elle n’avait aucune idée du but de sa présence ici : était-ce du forage, des analyses scientifiques, ou encore une colonie de peuplement ? Les chefs avaient plutôt été avares en informations, mais elle savait qu’une personne dans l’équipe avait dû mener ses recherches. Elle irait voir le professeur avant de sortir afin d’avoir une vague idée d’où elle mettait les pieds.


Elle entendit enfin les moteurs cesser de chauffer, et seule l’alimentation interne du vaisseau, qui garantissait simplement tous les systèmes de survie, continuait de fonctionner. Ce fut le moment qu’elle choisit pour se lever, décrocher son arme personnelle du mur de sa cabine, avant de sortir pour rejoindre le reste de l’équipe. Cette dernière était regroupée dans la soute, achevant les derniers préparatifs avant la sortie, et une salutation générale s’éleva quand le commandant arriva. Elle la retourna d’un signe de tête, et s’approcha plutôt d’une silhouette en blouse blanche, tandis que le reste se remettait imperturbable au travail.

- Commandant Kyelle, tous systèmes opérationnels, préparatifs de départ presque terminés. Je peux dire que nous sommes prêts, en attente de vos ordres.

- J’ai besoin de savoir quelque chose avant, Coltin. Vous avez pu en apprendre plus sur la station ?

- C’est bien me connaître. (Il sourit d'une satisfaction à peine dissimulée, l’ego bienveillamment flatté.) J’ai en effet mené quelques menues recherches. Fells, colonie de peuplement, lancée il y a deux ans. Habitants : 589 précisément, depuis le dernier relevé. Un essai du gouvernement. Personnellement, je ne pourrais pas vivre ici. Trop froid, trop petit, je deviendrais dingue en peu de temps.

Kyelle sourit en songeant que de l’avis populaire, le professeur nourrissait déjà quelques grains de folie, quand son regard fut attiré par un autre officier du vaisseau qui lui faisait de grands gestes en fond.

- Merci professeur, ça sera tout. Continuez de vous préparer.

L’homme hocha la tête et repartit étudier à voix haute ses relevés, qui concernaient sans doute les conditions de pression et d’autres facteurs à l’extérieur de la navette. Le commandant traversa la soute en de grande enjambée, évitant de heurter qui que ce soit en longeant les machines, et parvint enfin à l’ingénieur qui tentait de capter son attention plus tôt, un fichier à la main.

- Commandant, nous avons reçu le reste des ordres.

Peu enclin à plus de conversation, il lui tendit sa tablette, qui présentait en format officiel la mission, ou plutôt un court résumé. La femme lut rapidement le contenu, et fronça les sourcils.

- Plus de signal de la colonie ? Ça signifie ?

- C’est le problème, soupira l’ingénieur. Ça donne l’impression que tout le monde a disparu du jour au lendemain sans laisser de nouvelle. Soit ils sont tous partis, soit… Bah, c’est bien ce qu’on doit trouver.

- J’avais compris. Comment on s’en est rendu compte ?

- Ils avaient des échanges réguliers avec notre planète… La routine. Mais depuis quelques semaines, silence radio.

- Une idée de pourquoi on ne nous a pas donné plus de détails avant de partir ?

- Ça, il faudrait directement demander aux gouverneurs.

- Ok. Enfilez votre combi, Râman, on part bientôt.

Il acquiesça à son tour et fila chercher son matériel. Kyelle balaya de son œil unique les fourmis qui s’affairaient devant elle, avant d’aller, elle aussi, chercher les encombrantes tenues spatiales que toute sortie imposait. Elle avait un mauvais pressentiment. Les cachotteries du gouvernement ne lui plaisaient pas, mais qu’y pouvait-elle ? Il fallait bien que quelqu’un s’y colle. En l'occurrence, c'était pour sa pomme.


            Chassant ses mauvaises pensées, elle rejoignit le reste de l’équipe d’expédition aux vestiaires, dernier moment pour elle où elle pouvait vérifier que chacun était prêt. Elle croisa sur le chemin Fowler, la personne qui leur faisait office de pilote, déjà équipée et qui lui servit un petit signe de la main sur la tempe à la place du salut militaire. Elle ne releva pas, elle était habituée à ses excentricités, à commencer son sens de l’humour aussi renversant et déplaisant que les loopings qu’iel s’amusait à faire toujours aux mauvais moments avec les navettes. Sans commentaire.

- Ça a pas l’air d’aller fort, Commandant. On vous a piqué vos tartines au p’tit déj ?

- C’est pas le moment. Concentrez-vous sur la mission.

- D’ac. Je serai opérationnel, comme d’habitude.

Iel s’écarta finalement pour la laisser passer, et le pilote disparut rejoindre le sas de sortie. Kyelle passa la dernière porte avant d’accéder au vestiaire commun qui servait à tous pour s’équiper, ainsi qu’à passer les ultimes visites médicales avant la sortie. La voyant arriver, le médecin en charge lui sourit et lui tendit la main pour l’inviter à le suivre. Pendant qu’il s’assurait qu’elle était en état pour sortir – étape qui pouvait paraître futile mais était essentielle – le Commandant en profita pour finaliser en quelque sorte son tour d’inspection.

- Docteur, tout le monde est en état ?

- Bien sûr. Pas plus mal que d’habitude en tout cas, vous savez ce que c’est… Ils ne sont pas sereins à l’idée de sortir sans connaître le terrain. Je m’inquiète un peu pour Fowler, entre nous. Iel n’est pas souvent sorti de la Citadelle et c’est sa première vraie mission à l’extérieur.

- Il faut bien commencer quelque part.

- Vous avez raison. C’est une mission de routine, de toute façon, n’est-ce pas ?

Le médecin avait usé de ce ton désinvolte qui ne s'utilise que sous couvert de gros doutes, ce que Kyelle ne manqua pas de noter.

- Si on veut, Voltaïr… On n’est là que pour chercher des informations de toute façon. Rien de compliqué.

- À voir votre tête, on ne dirait pas, renchérit le médecin, qui ne joua pas longtemps la carte de la naïveté.

Elle se mordit la lèvre inférieure pour toute réponse. Il avait raison, elle s’inquiétait toujours un peu, et encore plus quand elle était loin de chez elle. Avoir la responsabilité de plusieurs dizaines d’hommes dans un espace clôt en plein milieu du vide galactique l’angoissait, à se demander pourquoi. Elle finit par secouer la tête et regarder Voltaïr avec un regard autoritaire.

- On verra sur place. Vous voyez encore du monde après moi ?

- Coltin a encore dû oublier de venir. Je le rappelle quand j’en ai fini avec vous, on s’équipe et on vous rejoint.

Il termina son examen, lui indiquant qu’elle pouvait passer à la suite, et elle se dépêcha d’enfiler sa combinaison spatiale. Elles avaient été grandement améliorées par rapport à ce que les siècles précédents avaient pu connaître, mais elle les trouvait toujours assez inconfortables et peu pratiques sur les bords : articulations trop rigides, qui réduisaient les mouvements, et en même temps, des points vulnérables, pas assez protégés… mais il avait bien fallu faire des choix de conception. Rien ne pouvait être absolument parfait, aussi décida-t-elle d’écarter sa frustration naissante et de finir de s’équiper. Elle ramassa les systèmes d’oxygène et son casque, avant de redescendre dans la soute.


            L’équipe l’attendait presque au complet, minus le médecin et le professeur qui avaient pris du retard, et devaient sans aucun doute l’allonger en discutant, comme ils savaient si bien le faire. Elle put saluer les derniers membres de la mission, Elijea, capitaine et par extension son bras droit, Dao et Zackery Shipley, dont les grades plus simples ne faisaient pas pour autant d’eux des soldats plus médiocres. Chacun un casque sous le bras, ils commencèrent à embarquer à bord du Gecko, le véhicule qui leur servait lors des explorations une fois au sol.

- Je fais chauffer les moteurs, annonça Fowler, déjà à son poste qu’iel affectionnait tant. Hé, Commandant, vous pourriez pas dire aux deux intellos de se magner un peu ? C’est toujours eux qu’on attend, c’est pas juste.

- Ils se lèvent plus tôt que vous pour travailler, Fowler. C’est de bonne guerre, réplica-t-elle avec un demi-sourire.

- On sait qui sont vos chouchous, conclut-iel sur un ton détaché, mais cachant mal l’ironie sous-jacente.

Les deux manquants arrivèrent enfin, marquant en quelque sorte la fin de la préparation. Et surtout, le début de la mission.

- Tout est prêt, chacun a rempli ses missions ? s’enquit le Capitaine.

- Pour la partie technique, tout roule. Pas de problème sous le capot de ce bébé.

- Râman?

- Idem, répondit l’intéressé. J’ai vérifié les systèmes de communication, les canaux d’urgence… Tout fonctionne. J’ai aussi essayé de capter des signaux provenant de Fells, mais même à cette distance, il n’y a toujours rien. On dirait que tout est mort.

-Nous verrons sur place.

Après une dernière phase de vérification, la partie de l’équipage restant à bord du vaisseau s’éloigna du sas, qui s’ouvrit après dépressurisation et permit au Gecko de sortir, roulant désormais dans les crevasses du désert rocailleux, tout droit en direction de la pseudo-ville fantôme.


Le temps semblait passer au ralenti, et l’ambiance se faisait pesante. Le silence uniquement entrecoupé par les chocs provoqués par les nids-de-poule n’arrangeait rien.

- C’est chouette, vous parlez tellement que j’ai l’impression de conduire des macchabées dans leur tombeau.

- La ferme, Fowl.

-Lieutenant…

Elijea lança un regard au lieutenant Zackery, incitation à un peu moins d’agressivité, même s’il était notoirement connu qu’il supportait mal le pilote.

- Je saurais m’en souvenir, fit le plaisantin en un haussement d’épaule.

- Oh, s’il vous faut un peu plus de bruit, je peux toujours parler de l’environnement extérieur.

- Allez vas-y prof’, je sais que tu meurs d’envie de nous en faire part, de toute façon.

Le scientifique se redressa alors un peu sur son siège, ravi d’avoir un public attentif et il entama quelques explications sur la formation des planètes, la richesse du sol sur lequel ils avançaient en silicium et fer, et d’autres informations dont peu avaient réellement quelque chose à faire, mais que tous écoutaient, faute d’autre occupation.

- … à tort, certains ont interprétés ces creux comme des impacts de collisions avec des météorites. Peu probable, à mon avis, plus évident seraient des traces d’un magmatisme ancien. Corroboré par la formation géologique…

- Attendez, vous voulez dire qu’il y avait des volcans ici ?

- Il y a très longtemps. Température externe actuelle d’environ -150° Celsius, pas vraiment les conditions idéales de volcanisme…

- Super, coupa le pilote, je sens que je vais épater la galerie avec ces nouvelles connaissances de géomorphotruc quand on rentrera. Qu’est-ce que je ferais sans toi, Coltin. Et sinon, on arrive.

En effet, les formes géométriques peu distinctes au loin étaient devenues des bâtiments rectangulaires, plantés dans le sol à la façon d’une petite ville de quelques kilomètres à peine. Elle était, à l’instar de la Citadelle, recouverte d’un dôme semi-transparent qui devait contenir une atmosphère artificielle et maintenir une température vivable pour les colons.

- Allez, maintenant, plus question de laisser tomber le casque. Tout le monde l’enfile et se branche au canal général. Vous vous souvenez tous de comment ça marche ?

- Oui maman, merci maman.

- Fowl…

- Ça ira, Zackery.

Le lieutenant lança un regard mauvais au pilote, qui fut vit couvert par le casque presque opaque et brillant qu’il enfila. Quand chacun fut équipé, le médecin livra une question timide qui n’avait pas réussi à se frayer un chemin entre les piques de ses coéquipiers.

- Si je me souviens bien, nous avons aussi des canaux privés, c’est ça ?

- Exact. Ça sera utile quand Fowler et Zack feront des joutes verbales, tenta Dao, qui avait été bien silencieux.

- Ça, et quand le doc ira conter fleurette à sa douce moitié. Aïe ! Pourquoi dès que je dis un truc, tu fais tout pour me contredire ?

- Réflexe, se défendit Coltin.

- C’était pas une raison pour me frapper !

Kyelle ferma les yeux. Elle se demandait pourquoi elle avait gardé cette équipe, qui passait le plus clair de son temps à se tirer dans les pattes. Puis se rappela. Évidemment, elle avait besoin de leurs compétences. Fowler, bien que ne faisant pas l’unanimité et loin de là, était un excellent pilote, si ce n’était un des meilleurs que la Citadelle ait jamais connu. L’avoir aux commandes était une chance à côté de laquelle on ne pouvait pas passer. Râman, bien que timide et discret, était un ingénieur et un informateur hors pair. Il s’était plusieurs fois illustré lors de missions d’espionnage, de tactique ou encore de contre hack, et elle avait jeté son dévolu sur lui et lui seul. Coltin et Voltaïr s’étaient aussi révélés être des atouts non négligeables. Le premier était ce genre de scientifique dont les créations n’avaient que deux fins envisageables : devenir une avancée absolument géniale ou exploser. Une machine à science qui ne s’arrêtait que rarement de parler, et dont les connaissances déjà impressionnantes semblaient croître toujours plus. L’autre versant de la paire, le médecin, marchait un peu dans l’ombre de son compagnon, mais Kyelle n’en appréciait pas moins la présence. Une fiabilité à toute épreuve, pensait-elle et le pilier psychologique de l'équipe. Tout comme Elijea, qui en plus de cela était un meneur né, ou du moins possédait ce charisme qui menait les troupes au bout du monde si on leur demandait. Elle pardonnait ensuite volontiers les sautes d’humeur du Lieutenant Zackery, qui à la suite d’expériences durant son enfance, avait développé des facultés relatives aux champs gravitationnels incroyables. Restait encore Dao. Pour lui, elle avait des raisons différentes. Des raisons personnelles. Il n’avait rien d’extraordinaire à première vue, mis à part avoir été mis à pied à deux reprises, ce qui relevait en soit d’un exploit. Mais il y avait autre chose que Kyelle seule peut-être savait : il avait un cœur d’or. Il l’avait aidée, à de nombreuses reprises, et il était naturel pour elle de lui renvoyer l’ascenseur. Et elle devait l’avouer : il avait un bon coup de fusil à pompe, toujours très utile en cas de besoin. C’était peut-être une équipe bruyante parfois, mais ils étaient tout de même soudés et fiables, et c’était tout ce qui comptait pour le Commandant.

Ils finirent de mettre leur casque, et après que chacun eut rejoint le canal principal, ils sortirent pour poser le pied pour la première fois sur le sol rocheux. Dao passa en tête et sauta sans ménagement, surpris quand il retomba.

- Oh ! La gravité est différente de celle qu’on a ressentie jusque-là.

- Évidemment. Véhicules et navettes, équipés en connaissance de cause, génèrent des champs artificiels.

- Oui, et ça me file d’ailleurs d'affreuses migraines, nota Zackery.

- Navré pour ça, répondit le scientifique. Je verrai si je peux travailler sur ce problème en rentrant.

Kyelle coupa leur discussion en leur rappelant la raison de leur venue et la mission complète, et l’équipe constitua des binômes. Depuis qu’elle était sous son commandement, l’escouade avait toujours fonctionné ainsi : établir des paires permettait d’avoir toujours un œil sur son coéquipier et de cerner rapidement s’il y avait un quelconque problème. Ce qui ennuyait plus le commandant était la répartition hasardeuse de ces duos : les spécialistes avaient eu la bonne idée de se mettre ensemble, ce qui donnait des petites équipes peu polyvalentes. Mais au fond, pour la sécurité de tous, elle s’en fichait, elle préférait avoir des paires peu diversifiées mais harmonieuses. Alors que le matériel, à comprendre principalement sac de vivres et armes, étaient à son tour déchargé, Kyelle se tourna vers l’ingénieur et le pilote.

- Râman, Fowler, vous restez au véhicule. J’ai besoin de relevés cartographiques et des volumes de l’endroit, si possible. Voyez aussi si vous pouvez  capter un quelconque signal provenant de l’intérieur.

- Ce sera fait. Vous allez entrer ?

- Comment veux-tu qu’on fasse autrement ?

- Personnellement, ça m’arrange. On se les pèle déjà malgré les combinaisons. On sera mieux ici, pas vrai Râman ?

- Parle pour toi, je vais devoir me taper l’installation dehors pendant que tu resteras au chaud.

Le ton plaintif, mais habituel de l'ingénieur fit au mieux rire. Fowler lui administra une tape amicale sur l’épaule, avant de remonter dans le Gecko, tandis que son compagnon commença à sortir les scanners et autres appareils dont lui seul connaissait le secret pour les installer en périphérie. Le reste du groupe ramassa les divers équipements, et partit en direction de la bordure de la colonie.


Ils marchèrent une centaine de mètres avant d’atteindre le mur bétonné d’enceinte qui enserrait Fells. Plusieurs entrées se dessinaient en relief le long de la paroi, de diverses tailles : ils purent y reconnaître des sorties de véhicules, dont les traces de roues qui les devançaient indiquaient un usage fréquent, et des portes à hauteur d’homme. C’est une de ces dernières qu’ils choisirent, plus discrète qu’une arrivée en grandes pompes, sans compter qu’ils ignoraient s’ils avaient ne serait-ce qu’un moyen d’ouvrir les immenses fermetures de hangar. D’un rapide coup d’œil, les portes semblaient fonctionner grâce à un système simple, et un peu archaïque, un code et un lecteur de carte. Un soupir se fit entendre.

- Rassurez-moi, on a bien les clés pour rentrer ?

- Mmh, j’ai bien… Je peux tester ? 

Le professeur se fraya un chemin dans la masse jusqu’au lecteur, sortit une carte de son barda d’équipement, et devant les yeux interloqués de ses coéquipiers, la porte s’ouvrit. Il se retourna, et tâcha, confusément, d’expliquer son petit tour, devant les regards suspicieux de ses collègues.

- Passe hmm… quasi-universel.

- Coltin, vous êtes conscient qu’en tant que Commandant, on m’a donné tous les logs nécessaires ? Je suis quand même impressionnée que votre carte ouvre des complexes aussi éloignés de la Citadelle.

- Pardonnez-moi, Commandant. Un peu trop de précipitation de ma part. 

Il se rangea sagement, s’effaçant pour laisser les corps plus militaires passer en premier.


            L’intérieur était sombre, l’atmosphère pesante. Le sas dans lequel ils étaient entrés était petit, et contenait avec peine ses six occupants, qui durent allumer leurs lampes frontales pour y voir plus clair. L’architecture de révélait étonnamment simple : des blocs de béton armé, à la surface rugueuse et décorée, au mieux, par des bandes de couleur rappelant le drapeau aman ou encore les majuscules formant « Union Amane ». Et plus étonnant que le reste, la pièce ne ressemblait pas à un sas de dépressurisation, pourtant nécessaire pour passer de l’intérieur à l’extérieur, ou inversement.

- Cette architecture est… bizarre, nota Zackery.

- C’est de l’architecture spatiale. Pas pensée pour l’esthétique, plutôt sens pratique.

- Ça n’explique pas pourquoi ça a l’air aussi… vétuste. 

La question fut éludée. La salle suivante était –effectivement- le sas de dépressurisation, qui avait été sans doute placé par sécurité en second poste. Cependant, au bout de quelques secondes, ils comprirent que l’ensemble du bâtiment avait dû perdre son atmosphère artificielle depuis quelques temps.

- Au moins… On sait qu’on ne trouvera pas de survivant.

- Non, ce n’est pas impossible. Ce genre de station a toujours plusieurs points indépendants les uns des autres, par sécurité. Ce n’est pas impossible que seule cette partie ait été dépressurisée. Et puis, même sans ça, il est possible de vivre avec des combinaisons et des batteries recyclant l’oxygène pendant un long moment…

- Vous êtes toujours trop optimiste, doc… Sans vouloir vous peiner.

- J’espère bien qu’il y aura des survivants. Sinon, mes talents ne serviraient pas ici. 

Si le médecin semblait un peu vexé, les soldats n’en firent pas grand cas, et puisque que plus rien ne les retenait, ils avancèrent encore, quittant les entrées exiguës pour un espace « ouvert ».


            Ce sur quoi ils débouchèrent présentait des similarités avec ce qu’ils connaissaient comme étant des rues chez eux : de longs axes de circulation à angle droit, au sol bétonné traversé par des marques blanches et jaunes. Il était percé par les bâtiments, uniformément gris et parfois surmontés de cartouches rouges, indiquant les fonctions ou numéro des lieux ; ainsi que des plantes et des carrés d’herbe. De toute évidence, on avait essayé de recréer un paysage familier pour les astronautes envoyés sur Fells. Mais le décor ne trompait pas : là où le dôme de la Citadelle tentait de recréer un ciel bleu ou gris – selon la météo établie – celui de Fells était d’une transparence limpide, et laissait apparaitre en permanence le ciel étoilé de la colonie, dû à une atmosphère trop faible. Alors que tous levaient le nez pour regarder les environs et essayer de comprendre ce qui avait bien pu se passer dans cette colonie apparemment fantôme, un détail troubla le lieutenant.

- Une minute… En partant du principe que cet endroit est privé d’air depuis un bout de temps… Comment se fait-il que les plantes soient encore vertes ? Elles auraient dû mourir, non ?

- Simple, répondit le professeur sans même se détourner du bâtiment qu’il inspectait. Il doit s’agir de plantes factices.

- Mais ça ne serait pas plus pratique d’en avoir ? Pour, je ne sais pas, l’oxygène, peut-être ?

- Plus facile à dire qu’à faire. Conditions difficiles à recréer. Les végétaux supportent moins bien que nous les atmosphères créés de toute pièces, les tests ont souvent été des échecs.

- Mais c’est une colonie de peuplement, il y a forcément de l’agriculture quelque part…

- Lieutenant, vous posez beaucoup de questions. Cela ne concerne en aucun cas la mission.

Le ton du scientifique n’invitait pas à poursuivre la discussion, mais suffit attiser la méfiance de Zackery, qui le suivit pendant quelques minutes du regard, avant que l’attention générale ne soit ramenée par le Commandant.

- Sans plan et en restant ici, on ne trouvera pas d’où partent les communications et ce qui est arrivé aux signaux. Le mieux est de commencer à explorer. Si nous trouvons avant que Râman nous envoie les coordonnées, tant mieux. Sinon, nous aurons au moins fouillé, dans tous les cas, nous ne perdrons pas de temps.


Ils décidèrent de passer par le premier bâtiment en face du sas d’entrée. L’atmosphère ténue et impropre à la respiration laissait flotter des particules de poussière au travers des faisceaux de lampes qui balayaient le couloir de béton gris, et semblait alourdir encore l’atmosphère. Ils débouchèrent enfin sur une salle, relativement spacieuse. De longues tables, des chaises nombreuses et des chariots disposés aux coins des pièces renvoyaient à un réfectoire.

- Une sorte de cantine ? Pas utilisée depuis un moment, en tout cas, remarqua Elijea.

- Un indice de plus pour estimer que la colonie n’est plus occupée depuis longtemps. 

Le Capitaine passa le long des rails qui bordaient la cuisine, vide et silencieuse. Elle était similaire à celles qu’il connaissait et qui alimentaient les quartiers généraux de la Brigade : un service fonctionnel et collectif. Rien de fantaisiste, tout était conçu pour être pratique. Il passa un doigt le long des paillasses métalliques, récoltant une fine mais évidente couche de poussière.

- En tout cas, tout est bien rangé. On aurait pu s’attendre à plus de désordre si la colonie avait eu une attaque ou un dysfonctionnement interne.

- Pas si c’était en pleine nuit. 

Elijea sauta par-dessus le rebord de métal et atterrit à l’intérieur de la cuisine. Il inspecta chaque îlot gris brillant, et finit par trouver le détail qui clochait. Tout était rangé, mais tout était aussi prêt à être utilisé. Il était certain qu’il avait manqué quelques minutes aux cuisiniers avant de se mettre à l’œuvre. Avant qu’il ait pu faire part de ses impressions au groupe, la radio du Commandant sonna, et elle répondit aussitôt.

- Équipe principale, nous vous recevons.

- Commandant, on a comme un problème, répondit la voix de Fowler, brouillée par la distance. Les radars de Râman ont capté une anomalie dans le secteur.

- Quel genre d’anomalie ?

- Je vous le passe, il saura mieux vous l’expliquer que moi.

Après quelques interférences qui signalaient un changement d’interlocuteur, la voix de l’ingénieur prit la suite.

- Commandant, j’ai positionné plusieurs engins de haute précision, autour du Gecko… Je les ai vérifiés plusieurs fois, mais aucun ne semble défaillant. Ils captent tous un même signal.

- Venant de Fells ?

- Justement, c’est le problème. C’est à l’extérieur et ça se balade… Au début, j’ai pensé à une interférence géomagnétique, quelque chose du genre, mais ça suit un tracé trop… intelligent. Ça ne ressemble pas à du hasard, quoi que ça puisse être.

L’immobilité gagna peu à peu chaque membre de la mission. Quelques lampes frontales balayèrent la pièce, chacun cherchant un regard auquel se raccrocher. Se rassurer.

- J’ai demandé à bord s’ils avaient envoyé un autre véhicule à notre rencontre, mais la réponse est négative, reprit Râman. Et ça vient du nord, soit de l’opposé.

- À quelle distance ? Vous avez un visuel ?

- Pas encore, c’est caché par le relief. Et je dirais… moins d’un kilomètre maintenant. Il s’est bien rapproché de nous.

Le nez du commandant se retroussa légèrement signe d’insatisfaction, et elle s’adossa à l’une des plaques métalliques du mur. La nouvelle inattendue la laissait perplexe. Il pouvait, dans le meilleur des cas, s’agir d’un véhicule de la colonie – expliquant son abandon actuel – mais elle n’y croyait que très moyennement, de même pour l’éventualité d’un matériel défaillant. Du reste, elle n’envisageait qu’une autre possibilité : celle qu’un autre gouvernement ait mis son nez dans les affaires de l’Union Amane… Et un plan se dessinait déjà dans sa tête : une attaque de la colonie, motifs à un guet-apens par la suite… Ça s’apparentait à une véritable déclaration de guerre. Mais dans ce cas, pourquoi n’avaient-ils reçu aucun signalement d’une attaque provenant de Fells ? Avaient-ils été hackés avant, malgré les dispositifs de sécurité ?

- Commandant, je sais que ça va vous sembler stupide, mais ce truc me fait vraiment flipper… Je veux dire, la mission est déjà flippante de base, mais en plus, rajoutez une inconnue qui se balade sur une planète à peine explorée à la limite de notre territoire, avouez que y a de quoi avoir les jetons.

- Fowler, Râman, on ne prendra aucun risque inutile à ce sujet. Quittez le véhicule et récupérez le matériel. Non, laissez quelques radars, je veux voir ce que ce truc va faire. Et puis, rejoignez-nous à Fells. Entrée S-452, la plus en face. Elijea et Zackery viendront vous chercher. Je veux que vous restiez en communication constante jusqu’à votre arrivée.

- Entendu.

D’un geste entendu, le capitaine et celui qui était relativement son bras droit quittèrent la pièce pour accueillir les deux derniers, non sans avoir récupéré les logs d’entrée avant. Voyant les deux scientifiques du groupe partis faire leur vie plus loin dans le bâtiment, traînés comme à leur habitude par une curiosité trop grande, Dao en profita pour s’asseoir sur une table et se connecter uniquement au canal de Kyelle.

- Ça s’annonce pas bon, pas vrai ?

- C’est… trois fois rien. Mais je préfère être prudente. On ne va pas commencer à s’inquiéter pour si peu.

- Si peu, comme une colonie déserte, un machin qui se balade librement dehors et un manque flagrant de détails sur la mission ? Je veux connaître ton avis, Kyelle. Pas celui du Commandant.

Elle tourna la tête, et regarda au travers de la visière du casque, et rencontra les yeux sombres du soldat. Et les cicatrices claires qui couraient sur la peau de ses arcades sourcilières, l’arête brisée de son nez, ses pommettes qui à elles seules suffisaient pour témoigner de l’expérience de l’homme. Elle soupira.

- Qu’est-ce que tu veux que je pense ? On est sans doute dans une belle merde, voilà ce que je pense. Mais je ne veux pas que les autres en soient conscients, ça affecterait le moral de tous. Râman et Fowler sont encore des novices dans ce genre de mission, j’ai surtout peur pour eux.

- Alors on va leur mentir pour les protéger pour le moment, c’est ça ? fit-il avec un air dubitatif.

- Au moins tant qu’on ne sera pas fixés à ce sujet. Si ce sont les Unités ou bien la Fédération qui ont organisé ça, on est peut-être qu’on est en amont d’un scandale et si on s’en sort, c’est qu’on aura eu plus que de la chance. Ça serait bien le pire des scénarii, tiens…