Kingdom of Onyra - Balade en ville


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MickuV
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3 years, 6 months ago
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3 years, 6 months ago
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Chapter 1
Published 3 years, 6 months ago
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Alors qu'il se promenait autour du camp de l'Armée de la Libération, le mercenaire Cyriel tomba sur la princesse Katia qui le rejoignit. Avant qu'elle ne retourne dans sa tente une fois la marche terminée, elle lui demanda son aide afin qu'elle puisse aller en ville et voir la vie des habitants. Au début réticent, Cyriel accepta.

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Partie 1


Voilà bien une petite demi-heure que nous nous entraînions tous ensemble. Ou plutôt que nous subissions le programme de Jodan. Nous nous étions mis non loin du campement, en plein cœur de la forêt, afin de rester cachés des potentielles patrouilles de la reine. D’habitude, on essayait de travailler les points qui nous faisaient défaut mais il avait tendance à imposer ses propres exercices et, en bons amis, nous nous sentions incapables de refuser, bien que nous avions souvent l’impression de régresser avec ce qu’il proposait. Je me rappelle qu’Antoan avait même essayé de l’éviter toute la matinée pour s’entraîner avec les soldats de la Libération mais notre ami l’avait croisé sur le chemin à son grand regret.
Je m'étais assis contre un arbre à regarder Antoan et Lima supportant les consignes de Jodan depuis que nous avions commencé et j'avais été rejoint par Myrtle qui faisait une pause dans ses exercices de tir à l'arc. Notre amie aux cheveux beiges devait courir sur son partenaire en hurlant afin de lui assener un puissant coup avec son épée de bois tout en le prenant par surprise. Avec une telle description, j’imagine que vous vous dites que ses deux choses étaient incompatibles et je ne peux que vous donner raison. Antoan arrivait à chaque fois à parer le coup de Lima avec une grande facilité et ils ne voyaient aucun intérêt à continuer comme ça. J’assistais à ça depuis plusieurs minutes et je ne faisais que m’ennuyer. Pourtant, Jodan insista pour qu’elle continue jusqu’à ce qu’elle réussisse au moins une fois ce qu’il voulait absolument avoir. Elle ne prit que réprimande sur réprimande, si bien qu’elle s’arrêta brusquement en jetant son arme de bois après une énième parade d’Antoan. La pauvre en était agacée et je ne pouvais que la comprendre.

— Bon, ça suffit, lâcha-t-elle d’un ton sec. J’ai besoin d’une pause, j’en ai assez.
— Tu f’ras une pause quand t’auras enfin réussi, déclara Jodan.
— Non, je ne veux pas continuer. Ton entraînement n’a aucun sens et j’en ai marre.
— Comment ça « aucun sens » ?! Une attaque surprise, c’est une victoire garantie !
— Une attaque surprise où tu cours sur ton ennemi en criant pour qu’il t’entende bien ? lui fit remarquer Antoan avec un rictus. Y’a rien qui cloche pour toi ?
— J’vois pas l’problème. Quand j’le fais, ça marche toujours.
— C’est parce que tu gueules si fort que ton adversaire est paralysé de peur. Pour quelqu’un d’aussi douce que Lima, ça ne marchera jamais.
— C’est juste qu’elle manque d’assurance, expliqua notre rustre ami, ce qui blessa un peu la concernée. Elle ose même pas crier, elle fait juste des p’tits « yaah ».
— Ça ne serait pas mieux qu’elle essaye sans crier ? suggérai-je.
— Ça nous éviterait d’attirer l’attention des soldats qui passeraient par hasard dans le coin, ajouta Myrtle avec raison.
— Bah non, ça donne plus de force à ton coup. Ça fait partie de l’exercice, on peut pas se passer de ça.
— Eh bien ton exercice est bidon ! s’écria soudainement Lima, lâchant encore plus sa frustration. Continue si ça te chante mais moi, j’irai m’entraîner dans mon coin !

Elle alla se poser au côté de Myrtle, épuisée par tout ça et laissant Jodan dans l’incompréhension. Il se reprit pourtant bien vite, se tournant vers Antoan pour lui dire :

— Tant pis, on va s’entraîner tous les deux.
— Oh, j’aimerais vraiment mais toutes ces parades m’ont vraiment épuisé, déclara-t-il bien que je voyais au ton de sa voix qu’il mentait. J’ai besoin de me reposer, désolé vieux !
— Rooh bon, va te reposer, c’est bon ! Mik’, c’est à ton tour !

Même si je n’avais pas très envie de participer à son prochain exercice, je dus m’y résigner et me lever pour ne pas le faire attendre plus longtemps. En passant à côté d’Antoan, ce dernier me fit une petite tape amicale dans le dos pour me montrer son support. Je regardai Lima tout en avançant vers Jodan et elle me sourit tout de même, m’encourageant pour ce qu’on aurait pu qualifier d’épreuve, même si c’était un peu exagéré, je le conçois. Notre entraîneur autoproclamé me remit l'épée qu'elle avait jeté ainsi qu'un bouclier de même matière pour ensuite m'annoncer ce que nous allions faire.

— Allez, on va faire à peu près la même chose mais cette fois, c’est moi qui vais attaquer et on va faire autrement. Je vais me cacher dans le coin et toi, tu vas devoir me chercher. Quand je bondirai sur toi, tu devras parer mon attaque. C’est pas compliqué.
— Oui, je pense que je devrais m’en sortir...
— T’attends deux petites minutes puis tu commences à me chercher dans cette zone, me dit-il en m’indiquant l’endroit en question. Et surtout, te retiens pas parce que je vais tout donner comme si j’étais ton ennemi.

Il prit une arme d’entraînement qui semblait un peu plus grosse que la mienne avant de disparaître derrière les arbres. Myrtle soupira en soulignant que tout ce que nous allions réussir à faire avec ses leçons, c’était de blesser quelqu’un. Antoan se sentit obligé de rassurer les filles en promettant que jamais il ne pourrait leur faire du mal, Lima lui répondant avec un petit coup sur l’épaule en lui disant de se taire. Elle avait l’air de rire, comme si sa colère contre Jodan était déjà passée et j’en étais rassuré. Une fois le temps d’attente écoulé, je me dirigeais vers l’endroit qu’il m’avait indiqué, mon vieil ami me souhaitant bonne chance au passage.
J’avançai prudemment entre les troncs, guettant chaque buisson et écoutant chaque bruit qu’il y avait autour de moi. S’il souhaitait nous mettre dans des conditions réelles, il avait réussi car je m’attendais à ce que n’importe quoi me saute dessus à cet instant. Je serrai fort les poignées de mes équipements, me préparant à la moindre embuscade de sa part. À chaque fois qu'un son se fit entendre, je me tournai brusquement dans sa direction pour constater qu'il ne s'agissait que d'un renard en train de chasser ou encore d'un oiseau qui venait de prendre son envol. Je n’étais vraiment pas très à l’aise et oubliais presque qu’il ne s’agissait que d’un entraînement. Je sentis une goutte de sueur couler le long de ma joue droite, me forçant à m’arrêter pour souffler et me ressaisir. Je soupirai en constatant que je prenais ça beaucoup trop à cœur. C’était cet instant qu’avait choisi Jodan pour sortir d’un buisson, poussant un hurlement bestial tout en bondissant sur moi, arme prête à me fracasser le crâne. J’avais eu un tel sursaut que mon corps décida de lui-même de donner un coup de bouclier assez puissant pour dégager cette menace qui était pourtant mon ami. Réalisant ma bêtise, je me précipitai vers lui pour constater qu’il gisait sur l’herbe, inconscient avec du sang qui coulait depuis son front.
Les autres me rejoignirent rapidement suite à mon appel, constatant de son état. Si Myrtle commenta la situation avec un « Qu’est-ce que j’avais dit ? », Antoan me regarda en lâchant un petit rire avant de commenter :

— Bah mon vieux, tes parades sont plutôt efficaces. Tu l’as eu du premier coup.
— Je ne l’ai pas fait exprès ! m’écriai-je, quelque peu désemparé. Il m’a fait sursauter et mon bouclier est parti tout seul...
— Vu le cri qu’il a poussé, je te comprends, m’avoua Lima. On l’a entendu de là-bas et même-moi, j’ai sursauté.
— Lui qui d’habitude paralyse ses ennemis sur place, on dirait bien qu’il a trouvé un adversaire à sa hauteur ! Si ça se trouve, avec un coup comme ça, tu l’as rendu plus intelligent.
— Arrête de plaisanter et pousse-toi un peu, ordonna Myrtle en le bousculant pour ensuite sortir de sa sacoche en cuir de quoi lui faire un bandage de fortune.
— Il va s’en remettre ? demanda Lima à Myrtle qui fut couper par Antoan avant même de pouvoir répondre.
— Mais oui, il en a vu d’autres, tu sais ! Ce n’est pas ça qui va nous le faire taire à jamais. Au moins, l’entraînement s’est fini plus tôt que prévu. Merci à toi, Cyriel.

Je n’étais pas vraiment content que cela se termine de cette manière. Antoan prenait cela avec légèreté mais j’y étais habitué à force, contrairement à Myrtle qui lui lança un mauvais regard pendant que Lima était bien plus inquiète pour Jodan. Il s’occupa tout de même de le transporter jusqu’au campement, la laissant ainsi aux soins d’un des guérisseurs de l’armée. En sortant de la tente, mon ami d’enfance posa sa main sur son épaule, voulant me faire comprendre que je n’avais pas à culpabiliser avant de partir dans son coin. Lima, insatisfaite de notre séance qui n’avait finalement servi à rien, me proposa de reprendre l’entraînement un peu plus tard. J’acceptai son offre pour la laisser avec notre amie archère. Ne trouvant pas grand-chose à faire en attendant, je décidai d’aller retourner en forêt pour m’y promener et me détendre un peu.
Je longeai ainsi le campement depuis l’extérieur, ne voulant plus trop penser à cet entraînement raté. Je me disais que Jo’ allait de toute façon se relever en oubliant comment il aurait perdu connaissance. J’imaginais déjà Antoan sortir une excuse comme quoi des soldats de la reine se seraient attaqués à nous et que l’un d’entre eux l’aurait assommé sans qu’il ne l’aperçoive. De toute manière, ce n’était pas comme si sa vie était en danger, il s’en remettra bien vite, me dis-je. C’était toujours comme ça avec lui, maintenant que j’y pense.
Alors que je réfléchissais à tout ça, je m’arrêtai brusquement lorsque j’entendis des bruits de pas à ma droite. Ceux-ci m’avaient paru étranges, comme si on voulait avancer sans se faire remarquer. Est-ce que cette chose était en train de m’observer ? J’étais incapable d’apercevoir quoi que ce soit derrière les buissons qui se présentaient face à moi. Cependant, les pas reprirent, s’éloignant petit à petit de moi. Était-ce un animal qui passait tout simplement par-là ? Ou alors l'un des gardes qui surveillaient les alentours ? Ou bien, était-ce un espion travaillant pour la reine Tatiana ? Je redoutais que ce soit la troisième possibilité, bien évidemment. Pour en avoir le cœur net, je suivis le son de cette marche suspecte, la main posée sur mon arme si le besoin venait à se manifester. J'espérais au fond de moi que ce n'était pas nécessaire. J'essayais d'être le plus discret possible mais je devais faire autant de bruit que la chose que je souhaitais voir et qui n'avait pas l'air de m'avoir remarqué jusqu'au moment où je n'entendis plus rien de sa part. Elle s'était soudainement arrêtée et j'en fis de même à la seconde qui suivit. Ma respiration s'accéléra un peu mais je la cachais comme je pouvais, me demandant de rester calme. Ça ne semblait pas vouloir se rapprocher de moi. J'en conclus donc que mon approche n'avait pas encore été perçue mais n'osai pas avancer davantage. J'attendis de voir ce qui pouvait se passer, tentant d'entrevoir ce dont il s'agissait entre les troncs.
Une voix brisa le silence. Elle était discrète mais j'avais clairement entendu ce qu'elle disait. Un seul mot : « Viens ». C'était celle d'une femme, j'en étais sûr. Pourtant, j'avais l'impression de la connaître mais j'avais du mal à en juger avec cet unique appel. Je me demandais d'ailleurs qui en était le destinataire. Elle recommença. « Viens, n'aie pas peur ». Cette fois, j'avais pu identifier cette personne : il s'agissait de la princesse. Me demandant ce qu'elle pouvait bien faire en dehors de sa tente, je repris mon approche. Mes mains avaient laissé mon épée dans son fourreau, sentant qu'il n'y avait aucune menace. Je la vis enfin, accroupie au sol, tendant la main en direction d'un buisson où se tenait assis un petit lièvre gris. C'était donc à lui qu'elle s'adressait. L'animal la fixait mais ne fit aucun mouvement. Elle insista, toujours aussi immobile. Je ne pus m'empêcher de sourire devant une telle scène. C'est là que le petit habitant de la forêt commença à venir dans sa direction. Elle le félicita avec douceur et je pouvais sentir son bonheur dans ses paroles. Malheureusement, il m'aperçut et fit rapidement demi-tour pour détaler loin. Je suppose qu'il avait pensé que j'étais un chasseur, vu mon accoutrement. La princesse se retourna pour comprendre et eut un léger sursaut en constatant ma présence, la faisant se relever. Elle semblait honteuse, ne voulant pas affronter mon regard, chose qui me surprenait.

— Princesse, est-ce que vous vous sentez bien ? lui demandai-je.
— Je vais bien, messire, me répondit-elle tout en portant ses yeux au sol. Je suis navrée, je n'aurais pas dû quitter ma tente ainsi.
— Ne vous excusez pas, princesse. D'autant plus que je ne suis pas vraiment en droit de vous réprimander pour ça.
— Certes...
— Mais j'imagine que vous souhaitiez prendre un peu l'air.
— Comment le savez-vous ?!

Elle n'avait pu contenir sa surprise, si bien qu'elle avait relevé la tête pour me regarder. Elle s'en rendit compte et se sentit encore plus embarrassée qu'avant.

— Je... Pardonnez-moi...
— Ce n'est rien, la rassurai-je. Je suppose que vous en aviez assez de rester enfermée dans votre tente.
— Je l’admets, oui... Je suis consciente que le seigneur Siméon fait cela pour mon bien ainsi que pour celui du royaume...
— Mais cela reste frustrant pour vous... Vous ne pouvez pas vous faire plaisir comme vous le voudriez. Je ne peux que vous comprendre... Je n'aimerais pas me retrouver à votre place.
— Personne ne le voudrait...

Elle me tourna le dos, le regard à nouveau planté au sol. Je me doutais que cette situation pouvait être difficile pour elle et ça depuis un bon moment. J’avais un peu mal au cœur en la voyant si dépitée. J’avançai un peu pour aller à ses côtés. Elle me regarda puis me dévisagea rapidement.

— Vous allez me raccompagner jusqu’à ma tente, n’est-ce-pas ? me dit-elle avec une once de tristesse dans sa voix.
— C’est ce que je devrais faire, en effet. Cela dit...

Son regard se posa à nouveau sur moi, me montrant cette fois un visage interrogatif. Je lui répondis avec un léger sourire.

— Tant que nous ne nous éloignons pas du camp et que je reste auprès de vous pour vous protéger, vous pourriez vous promener sans crainte.

Sa surprise se changea petit à petit en bonheur qu’elle ne manqua pas de communiquer.

— Merci, messire !

Nous entamâmes ainsi notre marche, la princesse Katia restant bien à mes côtés. Comme à mon habitude, je gardai ma main gauche posée sur le pommeau de mon épée tout en avançant. Nous nous arrêtâmes quelques fois lorsque nous croisions quelques animaux afin de les observer. M’étant promené de nombreuses fois dans les bois proches de la cité, je savais comment bien agir pour ne pas les déranger. C’était amusant de voir que la princesse était heureuse rien qu’en les regardant. J’admets que j’avais parfois du mal à la quitter des yeux dans ces moments-là. Elle le remarqua mais m’adressa à chaque fois un sourire en retour avant de reprendre notre parcours autour du campement.
Katia respira l’air sylvestre un bon coup avant de le laisser s’échapper à l’aide d’un soupir heureux. Elle semblait bien plus apaisée, ce qui me réjouissait. Elle se tourna vers moi et avoua :

— Vous allez me trouver capricieuse, messire, mais je trouve cela dommage que ce ne soit qu’une courte promenade.
— Je peux le comprendre, votre Altesse, lui répondis-je. Je ressens la même chose que vous.
— Oh ? Ainsi, passer quelques instants en compagnie d’une personne de sang royal vous réjouit à ce point ?
— Oh non, n’allez pas croire que... !
— Allons, je ne faisais que vous taquiner ! avoua-t-elle en riant. Je sais très bien que vous n’êtes pas comme ça.

Je n’avais rien trouvé de mieux comme réponse qu’un air gêné.

— Et pour être honnête, continua-t-elle, je suis ravie que ce soit vous et non quelqu'un d'autre qui m'ait trouvée.
— Pourquoi dites-vous cela ?
— Si ça avait été les chevaliers Zéphyrias, Aldrich ou bien messire Dollam, on m’aurait très certainement ramenée dans ma tente sans discuter. Mais vous, j’ai l’impression que vous comprenez ce que je ressens. C’est pour cela que j’apprécie votre compagnie plutôt que celle d’un autre.
— Eh bien... Vous m’honorez, princesse.
— Pensez-vous que nous pourrons faire d’autres promenades comme celle-ci, à l’avenir ? me demanda-t-elle, toujours avec le sourire.
— Si votre Altesse me le demande, je ne vois pas comment je pourrais refuser.
— Et si c’est une amie qui vous le demande, messire Cyriel ?

Cette question m’avait vraiment surpris. Sous-entendait-elle qu’elle me considérait déjà comme un ami ? Même si cela faisait plusieurs mois que nous nous étions rencontrés, j’avais l’impression de ne pas l’avoir assez côtoyée pour avoir ce privilège. Cela étant, quand j’imaginais l’enfance qu’elle avait pu avoir, je me disais qu’elle ne devait pas avoir eu beaucoup d’amis, au point de s’attacher rapidement aux personnes qu’elle apprécie.

— Dans ce cas, ça serait avec plaisir, répondis-je avec un sourire sincère.

Elle m’adressa alors toute la joie que son visage pouvait transmettre. Nous revînmes à notre point de départ quelques instants après. Je pouvais voir qu’elle était déçue à l’idée de devoir retourner à sa tente aussi vite. Elle s’était même arrêtée de marcher, regardant dans la direction opposée au camp. Elle resta comme ça une trentaine de seconde avant de reprendre la parole.

— C’est dans cette direction que se trouve la ville la plus proche, n’est-ce-pas ?
— Hmm... C’est exact, oui. Pourquoi me demandez-vous cela ?
— Je souhaiterai m’y rendre, avoua-t-elle après un léger silence. J’aimerais voir comment y vivent ses habitants. Sont-ils heureux malgré le règne de ma mère ou bien terrorisés à cause d’elle ? Et puis... j’aimerais profiter de la ville moi-même.

Elle baissa les yeux pour cette dernière phrase. Je ne voyais pas quoi lui répondre d’autre qu’un « Je comprends » mais j’avais le sentiment que cela n’aiderait en rien. Puis son regard quitta le sol pour revenir vers moi.

— Messire... Est-ce que nous pourrions y aller ensemble demain ?
— Je ne crois pas que le seigneur Siméon serait d’accord pour ça...
— Je ne veux pas que nous lui demandions son accord. Je veux que nous y allions en cachette.
— Pardon ? Mais cela risque de nous attirer des ennuis. Imaginez que nous nous fassions attaquer par les hommes de votre mère et qu’ils vous capturent.
— Vous serez là pour me protéger !
— Et si on remarque votre disparition dans le camp ? Ça serait la panique, on vous chercherait partout.
— Je ferais mine d’être malade ce soir et on pensera que je préférerai rester dans mon lit sans qu’on me dérange ! Je suis sûre que tout ira bien. Il n’y a qu’à vous que je peux faire cette demande... Je vous en prie, Cyriel.

Elle avait pris ma main droite entre les siennes et la serra sans s’en rendre compte. Quand elle le réalisa, elle lâcha vite prise tout en s’excusant. Évidemment, après l’avoir vu dans cet état, je me voyais mal de refuser sa demande. J’en soupirai même devant elle.

— Si vous pensez qu’il n’y aura aucun problème... C’est d’accord.
— Oh, du fond du cœur, merci ! Je savais que je pouvais compter sur vous ! Je vous propose que nous nous retrouvions demain matin, à l’aube, à l’arrière de ma tente. Cela vous convient ?
— Oui, j’y serai, princesse. Maintenant, nous devrions rentrer au camp avant que les gens ne s’aperçoivent que vous n’y êtes plus.
— Bien sûr, vous avez raison. Je vous suis, messire.

Je la raccompagnai ainsi jusqu’à sa tente, avec la chance de ne croiser personne sur le chemin. Moi qui n’avais surtout pas envie de croiser le chemin du chevalier Zéphyrias, j’en étais plus que ravi. S’il m’avait vu, il aurait fait tout un scandale et je commençais déjà à en avoir assez de toujours l’avoir sur le dos. Elle me remercia une nouvelle fois pour la promenade avant de s’y engouffrer. Je ne savais pas encore comment j’allais me débrouiller pour l’amener à Ortiges le lendemain mais je décidai d’y réfléchir dans la soirée pour ainsi rejoindre Lima comme je lui avais promis.

*

Alors que le soleil commençait à peine à se lever, je sortis de notre tente pour retrouver la princesse Katia. J’avais eu beaucoup de mal à dormir cette nuit-là car je m’étais quasiment réveillé à toutes les heures, de peur de rater l’aube. Fort heureusement pour moi, je n’étais pas vraiment fatigué mais je redoutais l’être en plein jour. J’avais prévenu les autres que j’allais devoir m’absenter toute la journée pour me rendre à la petite ville d’Ortiges, expliquant que je devais y récupérer quelques affaires. Antoan avait supposé que je devais surtout y retrouver une jolie fille et qu’il m’encourageait pour mon rendez-vous avec elle. Sincèrement, j’avais préféré ne pas chercher à le contredire, ne voulant pas déformer la réalité.
J’avançai dans le camp prudemment, évitant le plus possible le moindre soldat qui était de garde. J’avais déjà l’impression de préparer un enlèvement alors moins on me voyait, mieux je me portais. J’avais même fait un grand détour afin de ne pas passer devant les deux hommes qui gardaient l’entrée de la tente de la princesse au point même de sortir du camp lui-même pour le longer. Une fois arrivé à l’arrière, je ne vis personne. Elle devait m’attendre à l’intérieur pour pouvoir me rejoindre, me dis-je. J’approchai alors de la toile pour y murmurer ma présence et il ne fallut que quelques secondes pour que Katia en sorte. Elle avait recouvert sa longue chevelure bleue de son capuchon blanc et m’adressa un tendre sourire tout en me saluant sans un son. Je ne perdis pas plus de temps pour lui demander de me suivre d’un simple geste de la main afin que nous quittions le campement pour de bon.
Nous avançâmes ainsi entre les arbres pendant une bonne dizaine de minute, la princesse restant quasiment collée derrière moi pour ne pas me perdre de vue. Nous nous étions alors assez éloignés pour pouvoir parler sans qu’un soldat puis nous entendre.

— Merci d’être venu, messire, commença-t-elle d’une voix basse.
— Je vous en prie, princesse. Je vous l’avais promis.
— Justement, en parlant de ça... Je tenais tout de même à m’excuser.
— Vous excuser ? Par rapport à quoi ?
— J’ai repensé à comment j’avais réagi avec vous et je me suis trouvée capricieuse. On aurait cru voir une petite fille forçant la main de son tuteur pour avoir ce qu’elle souhaite. Je trouve ça indigne pour une personne de mon rang.
— Vous n’avez pas à vous en vouloir, lui répondis-je calmement. Au contraire, voir que la vie de vos sujets vous intéresse tant au point de vouloir constater de vos propres yeux s’ils sont heureux, je trouve ça tout à fait admirable. Je ne voyais pas une petite fille capricieuse mais une personne concernée par le bien-être de son peuple.
— Je... J’admets ne pas avoir vu la chose sous cet angle. Mais savoir que vous ne m’en voulez pas me rassure. Merci encore, Cyriel.

Je lui souris en retour et rouvris la marche en direction du sentier. Nous pûmes profiter du réveil des oiseaux avec leurs chants mélodieux tout en le traversant. Ils m’apaisaient et, en revoyant l’expression que le visage de la princesse affichait, je ne devais pas être le seul.

— Nous allons devoir faire beaucoup de marche pour arriver à Ortiges. J’espère que ça ne vous dérange pas, princesse.
— Oh non. Je m’y attendais, à vrai dire. Et puis, un peu de marche ne peut pas me faire de mal.
— Bien sûr. Mais si vous avez besoin d’une pause, n’hésitez pas à me le dire. Nous irons à votre rythme.
— Vous pensez que j’en aurais besoin ? me demanda-t-elle en haussant un sourcil.
— Eh bien... Je ne voulais pas vous contrarier...
— Allons, je plaisante ! J’apprécie votre inquiétude à mon égard et je vous ferai part si le besoin vient à se manifester.

J’avais décidément l’impression de toujours me faire avoir avec ses plaisanteries mais je ne pouvais pas lui en vouloir. Après tout, elle n’avait aucune mauvaise intention en les faisant.

— Tout de même, continua-t-elle, j’étais si impatiente d’y aller. C’est si excitant, je trouve.
— Excitant ? Pourquoi donc ?
— J’ai l’impression d’être libre, de pouvoir me déplacer là où bon me semble. Je peux faire ce que je veux et personne n’est là pour me surveiller. Enfin, si, vous êtes là. Mais vous, c’est différent.

Je ne voyais pas où elle voulait en venir par « différent ». Je n’eus le temps de lui demander plus de précision qu’elle passait déjà à autre chose.

— Vous savez, quand j’étais encore au château, j’observais parfois la cité depuis ma fenêtre. Je rêvais de pouvoir m’y balader sans que ma mère soit toujours après moi. Je voulais juste m’évader de cet enfer.
— C’est compréhensible, oui...
— Mais je suis loin de tout ça, à présent ! Dites-moi, en tant que mercenaire, vous avez pu voyager là où bon vous semble, je me trompe ?
— Hmm oui. Mais à vrai dire, ça ne fait même pas une année que je suis devenu mercenaire. Avant, je travaillais dans les champs du duché royal avec mon père et nous vivions aux faubourgs de la cité.
— Oh vraiment ? Moi qui pensais que Zéphyrias se moquait de moi quand il disait que vous n’étiez qu’un vulgaire paysan parmi tant d’autres.

Entendre ça de la bouche de la princesse ne m’étonna guère mais ça avait réussi à me faire souffler légèrement du nez d’agacement.

— Mais pour moi, il a tort, continua Katia, peut-être suite à ma réaction. Vous n’êtes pas quelqu’un de banal. Je trouve que vous êtes quelqu’un d’admirable.
— Vous me flattez, princesse.
— Je suis sincère. Même si vous ne faites pas parti de la noblesse comme lui ou moi, vous êtes bien plus poli et respectueux que d’autres de notre rang.
— À vrai dire, ma mère faisait partie de la noblesse avant de rencontrer mon père, lui avouai-je. Elle a tout laissé derrière elle pour le suivre. Elle nous a éduqué moi et mon frère comme l’avait fait son père.
— Elle a donc abandonné sa vie de confort pour suivre l’homme qu’elle aimait ? C’est si merveilleux !
— Et elle n’a jamais regretté son choix, ajoutai-je avec une petite fierté. Elle était heureuse et c’était tout ce qui importait à ses yeux.
— « Était » ? Vous voulez dire que... ?
— Ils sont malheureusement morts il y a quelques mois. Peu de temps avant que je devienne mercenaire. Ils ont été assassinés sans que je sache pourquoi ni par qui.
— Oh, par les déesses... Je suis navrée.

Je me tournai vers elle et vis qu’elle se sentait très mal d’avoir ramené ce mauvais souvenir dans mon esprit. Il était vrai que malgré les mois qui s’étaient écoulés, je trouvais encore leur mort injuste, m’empêchant de faire pleinement mon deuil. Ils nous avaient quitté d’une manière si brutale, je m’en sentais tout simplement incapable.

— Ne culpabilisez pas, princesse, dis-je d’un ton très posé. Vous ne pouviez pas savoir.
— Tout de même...
— C’est moi qui ai voulu vous parler d’eux, vous n’avez pas à vous sentir fautive pour ça. Oublions ça et profitons plutôt de notre promenade jusqu’à Ortiges.
— Vous avez raison. Ne pensons pas à ce genre de choses.

Nous continuâmes notre marche en silence, ne trouvant pas d’autres sujets pour ne pas rester sur cette sombre discussion. En réfléchissant un peu, je me dis qu’il était plus judicieux d’imposer des pauses sur la route en plus de prendre quelques détours afin de ne pas arriver trop tôt à la ville. Il aurait été dommage que nous ayons eu à patienter dans les rues que tout le monde se réveille et j’étais persuadé que la princesse souhaitait y voir des activités diverses. Cela étant, nous étions encore bien éloignés de notre destination, laissant le temps aux ortigeois et ortigeoises de vaquer à leurs tâches quotidiennes avant notre entrée dans leur petite cité.
Nous sortions enfin de la forêt au bout d’un quart d’heure de marche, le soleil nous accueillant d’une bien meilleure manière. Katia ne manqua d’admirer son arrivée dans le ciel et de profiter de la légère brise matinale qui nous caressait le visage, me demandant même une petite pause peu après pour se détendre tout en regardant l’horizon. Elle était à mes côtés, assise sur le premier rocher que nous ayons pu trouver aux alentours et je ne pouvais m’empêcher de la regarder, la trouvant si belle, surtout quand elle retira son capuchon pour laisser ses longs cheveux bleutés flotter légèrement. Je me forçais, à mon grand regret, à ne pas trop laisser mon regard sur elle, m’amenant à faire des petites choses pour m’occuper comme tapoter sur le pommeau de mon épée. La princesse décida tout de même de briser ce silence reposant en m’adressant à nouveau la parole, d’un ton amusé :

— C’est bête mais je pourrais rester ici pendant des heures.
— La ville ne viendra pas à nous, j’en suis navré, princesse.
— Ça aurait été bien trop simple, n’est-ce-pas ? fit-elle avec une légère déception. Cependant, cela ne vous dérange pas d’attendre cinq minutes de plus ? Ou peut-être dix...
— J’attendrai aussi longtemps que nécessaire.
— Dans ce cas, je vous propose d’attendre une bonne heure.
— Malheureusement, je ne peux pas vous laisser tant de liberté.
— Ooh, voilà qui est bien dommage.

Nous nous envoyâmes mutuellement un sourire qu’elle accompagna d’un léger rire tout en passant la main dans ses cheveux.

— Vous me rassurez, Cyriel.
— Pardon ? laissai-je échapper par surprise.
— J’avais peur que vous soyez un peu plus hésitant avec moi, sous prétexte que je sois une princesse. Mais nous parlons comme si nous étions de vieux amis et ça me fait plaisir. Enfin, je dis ça mais vous avez toujours peur de me contrarier quand je vous taquine !
— J’ai encore du mal à déceler vos pièges, en effet, avouai-je en croisant les bras.
— Au moins, vous ne le prenez pas mal. J’en avais peur au début mais plus je parle avec vous, plus je me sens en confiance.
— Je vous le dirai si vous me dites quelqu’un chose qui me déplaît.
— J’espère. Vous savez, je n’ai eu que très peu d’amis lorsque j’étais une petite fille. Quand mon père était encore de ce monde, je me souviens avoir joué avec les enfants de ses amis mais ce n’était pas comme si je les voyais tous les jours. Mais après sa mort, ma mère ne me laissait jamais avec des personnes de mon âge. Pour elle, c’était juste des distractions dans l’éducation qu’elle m’imposait. J’étais si seule.

Elle avait baissé les yeux après avoir terminé sa phrase et ne montrait plus que de la tristesse. Une question me tarauda l’esprit et je ne pus m’empêcher de la lui poser.

— Est-ce que vous avez eu de véritables amis pendant votre enfance, princesse ? À vous entendre, vous n’avez eu que des partenaires de jeux sans qu’il n’y ait une véritable attache avec eux.
— J’ai eu une personne que je considère encore aujourd’hui comme une grande amie, oui. Je dirais même comme une grande sœur. Il y avait une servante qui s’occupait principalement de moi quand j’avais onze ans. Elle s’appelait Lydie et était vraiment très gentille avec moi. Elle venait parfois dans ma chambre en cachette pour jouer avec moi. Je lui parlais de mes problèmes et elle était là pour me soutenir quand ça n’allait pas, autant dire qu’elle était toujours là. Elle illuminait mes journées, croyez-moi.

Elle avait retrouvé le sourire mais celui-ci transparaissait la nostalgie. J’avais tout de même un mauvais pressentiment par rapport à cette histoire.

— Qu’est-elle devenue ? demandai-je en me doutant de la réponse.

Ses lèvres tombèrent subitement et un lourd silence s’installa. Elle semblait avoir énormément de mal à me donner sa réponse, me faisant regretter cette question.

— Pardonnez-moi, je n’aurais pas dû vous le...
— Ma mère l’a tuée...

Cela semblait si évident à mes yeux que je n’avais pas vraiment eu de surprise lorsqu’elle me l’avoua. Ses yeux fixèrent le sol tandis que ses mains se refermèrent jusqu’à trembler légèrement. Une larme coulait le long de sa joue.

— Un jour avant, poursuivit-elle, elle m’avait réprimandée pour des broutilles, mais quand j’ai voulu me défendre, elle m’a donné une violente gifle. Une des bagues qu’elle portait au doigt a ouvert une plaie sur ma joue, et quand Lydie a vu ça, elle s’est énervée, puis est allée voir ma mère pour lui dire ce qu’elle pensait d’elle et de sa façon de me traiter. Le lendemain, je l’ai retrouvée pendue à un arbre du jardin, le visage horrifié. Alors que j’étais en pleurs, ayant perdu la seule amie que j’avais, ma mère s’est mise derrière moi pour me dire des mots qui m’enragent encore aujourd’hui. « Que cela te serve de leçon ». Après...

Elle se tut à nouveau. Je remarquai qu’elle avait posé sa main sur son ventre, comme si elle ressentait une profonde douleur. Elle cherchait aussi à récupérer son souffle alors qu’il venait de s’accélérer.

— Vous vous sentez bien ?
— Oui, me répondit-elle brièvement. Je vais bien.
— Que s’est-il donc passé après ?
— Oh... Rien d’important. Bien, je pense qu’il est temps de repartir, m’annonça Katia tout en se relevant et en remettant ses cheveux dans son col.
— Êtes-vous sûre que ça va, princesse ?
— Ne vous en faites pas, Cyriel. (Elle posa son regard sur moi, remettant son capuchon, et m’adressa un petit sourire.) Ça va passer. Vous venez ?

Elle réengagea la marche, me laissant quelque peu perplexe. Je décidai malgré tout de ne pas revenir sur le sujet et de la rejoindre au plus vite. Elle resta silencieuse tout le reste du trajet.