Modern Knight - Virée nocturne


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MickuV
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2 years, 11 months ago
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Comme à son habitude, Méo passa sa soirée dans son coin à observer les étoiles sur le toit de la Hinker Corp.. Cherchant à confier son secret à une personne de confiance, Jane vint le rejoindre pour passer quelques temps ensemble.

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Pendant que Méo était allongé contre un mur à regarder le ciel étoilé, Natalia contempla la capitale illuminée, se tenant contre le rebord. Elle adorait venir sur le toit de la société pour voir ce spectacle pourtant si banal pour son maître mais qui comprenait ce qu’elle pouvait ressentir. Elle n’avait jamais eu l’occasion de voir une ville baignée autant dans la lumière à son époque, si bien qu’elle pouvait rester ainsi durant des heures. Elle ferma les yeux un instant, respirant la douce brise qui lui caressa le visage et qui la mit de bonne humeur. Méo laissa échapper un rictus en la voyant ainsi.

— Qu’il y a-t-il, Méo ? lui demanda-t-elle, un peu intriguée.
— Rien, c’est juste que j’aime bien te voir comme ça, avoua-t-il. Tu as toujours l’air plus légère à chaque fois.
— Je ne peux pas m’empêcher d’apprécier cet horizon d’Onyra. Toutes ces lumières, c’est si... J’allais dire « magique » mais ce n’est pas vraiment le cas, en fin de compte.
— La magie a plein de formes, non ?
— Oui, c’est vrai...
— Tiens, je me pose une question. On est d’accord que tu ne peux pas mourir comme nous ?
— Eh bien, oui... Mais pourquoi tu dis ça subitement ?
— Juste, je me demandais ce qu’il se passerait si tu sautais de cette hauteur. Est-ce que tu atterrirais sans trop de casse ? Est-ce que tu utiliserais toute ton énergie pour encaisser les dégâts et tu perdrais connaissance ?

Natalia haussa un sourcil devant son questionnement.

— On ne sait jamais ! continua Méo. Imagine que je me fasse attaquer en bas de la tour alors que tu serais en train d’admirer l’horizon. Ça serait bien plus rapide de sauter que de prendre l’ascenseur dans ce genre de situation, t’es pas d’accord ?
— Une chose est certaine : je ne sauterai pas pour tester ta théorie, Méo.
— Bah, tant pis. Au pire, je saurais me débrouiller le temps que t’arrives.

Elle leva les yeux vers le ciel tout en haussant les épaules avant de se tourner à nouveau vers l’horizon tandis que son acolyte se contenta de se redresser contre son mur pour regarder plus haut. Ressentant à son tour la tendresse de l’air, Méo se demanda s’il ne devrait pas en profiter pour faire une petite virée en moto. Il était pourtant si bien dans ce calme qu’il décida de rester encore un moment à compter les étoiles jusqu’à ce qu’il entende des pas. En tournant la tête, il vit Jane marcher dans sa direction et lui faire un geste avec un petit sourire quand leurs regards se croisèrent. Une fois proche, elle lui demanda :

— Je ne te dérange pas, Méo ?
— Hmm non, répondit-il tout simplement. Pourquoi ? Un souci ?
— Oh non, du tout. C’est juste que... j’ai pensé que tu avais besoin un peu de compagnie parce que tu restes souvent dans ton coin et... Enfin non, tu as Natalia à tes côtés, se corrigea-t-elle en jetant un coup d’œil à la concernée, alors tu n’es pas vraiment seul, en fin de compte...
— Ça va, pas besoin de t’expliquer, Jane. Tu peux t’asseoir avec nous, si tu as envie.

Elle le fixa, un peu surprise avant de le remercier et de s’installer à ses côtés, ramenant ses jambes contre elle. Méo l’observa quelques instants avant de ramener son regard en direction du ciel. Jane lâcha un long soupir, se disant qu’elle avait encore dû passer pour une cruche avec son manque de confiance. Les minutes passèrent et le calme avait déjà repris sa place malgré cette nouvelle présence. D’un nouveau coup d’œil, le jeune homme remarqua qu’elle avait le regard sur ses pouces qu’elle s’amusait à superposer l’un après l’autre. Il valait mieux que ce soit lui qui engage la conversation, pensa-t-il bien qu’il n’aimait pas trop le faire.

— Comment t’as su que j’étais là, au fait ?
— C’est Kay qui m’a dit que tu aimais bien te mettre ici le soir quand il faisait bon.
— Ah ok.

Le silence revint. Ce n’était définitivement pas son truc de tenir une discussion. Natalia les observait depuis un petit moment et sentait qu’elle allait devoir lui venir en aide.

— J’aime beaucoup observer la ville et son horizon en toute tranquillité, ajouta-t-elle avant que Jane recommence à jouer avec ses doigts machinalement, et Méo reste souvent à mes côtés pour se reposer ou pour observer les étoiles.
— Oh, tu aimes ce qui touche aux étoiles ? demanda Jane en se tournant vers le jeune homme.
— Je m’y intéresse pas vraiment mais je trouve ça joli. Les regarder m’aide à me détendre.
— Je te comprends. En été, il m’arrivait de sortir dehors en pleine nuit pour les contempler. J’allais à la falaise près chez moi et j’y restais à peu près une heure. Je pense même que j’aurais pu y rester au point de m’endormir toute seule mais je ne voulais pas non plus inquiéter mon père. S’il s’était réveillé et qu’il aurait remarqué que j’avais disparu, il aurait fait une crise de panique.
— J’comprends, ouais.
— Après, je pense qu’il s’en saurait douté, puisque je lui disais le lendemain que j’avais discuté avec Maman avant d’aller me coucher.
— Ta mère ? Je croyais qu’elle...
— Oui, oui... En fait, quand j’étais enfant, mon père m’avait dit que les gens qu’on aimait nous regardaient quand les étoiles apparaissaient. Bon, j’ai grandi depuis et je sais qu’il m’avait dit ça pour me dire que ma mère n’était pas partie pour toujours mais... j’aime encore y croire aujourd’hui.

Les trois levèrent la tête vers les nombreuses lumières qui accompagnaient la lune. Si Jane avait un sourire mélancolique en les regardant, serrant doucement son pendentif, Méo se demanda si ses parents le regardaient vraiment tandis que Natalia laissa échapper un soupir triste mais discret. La première se mit à rire avec gêne après quelques secondes de vide sous le regard intrigué du jeune homme.

— Pardon, c’est ridicule ce que je vous dis.
— Je trouve pas, non, rétorqua Méo. Peut-être que tu as raison, au fond.
— J’en doute mais c’est gentil. Et puis, je n’ai pas besoin des étoiles pour avoir ceux que j’aime près de moi.

Elle posa sa main gauche sur son pendentif en argent une fois sa phrase terminée. Méo jeta un coup d’œil à son bracelet, réalisant à quel point un simple objet peut représenter une personne que l’on aime. Il l’avait tellement fixé lorsqu’il vivait encore parmi les Revel, espérant à chaque fois que sa vieille amie d’enfance se porte bien. Il avait toujours voulu la revoir à l’époque mais il ne souhaitait pas la mettre dans une mauvaise situation après ce qui était arrivé à ses parents.

— Elle fait quoi Kay, au fait ? demanda-t-il soudainement. Je trouve ça bizarre qu’elle ne t’ait pas accompagnée.
— Elle s’était mise dans son coin pour écrire. Je ne voulais pas la déranger plus que ça.
— Forcément... J’imagine qu’Iris faisait la même chose, du coup.
— Non, la dernière fois que je l’ai vue, elle discutait avec les autres. Je les envie, ça doit faire du bien de pouvoir se poser quelques instants et ne plus penser aux Adeptes ne serait une heure ou deux.
— T’y arrives pas, toi ?
— Je ne peux pas m’empêcher de penser à Luisa, pour être honnête. C’est mon amie d’enfance et jamais je n’aurais pensé qu’elle pouvait avoir tant de secrets alors qu’on se disait pourtant tout.
— Ouais, je vois ce que tu veux dire.
— Maintenant que j’y repense, elle restait très vague sur sa famille. Elle vivait avec sa tante à Guernuse et je n’avais jamais vu son père. J’étais loin de me douter de ce qu’il pouvait être en réalité.
— Je me doute. En même temps, c’est pas tous les jours qu’on se demande si son pote ne fait pas parti de la mafia ou d’une secte.
— C’est sûr... Dis-moi, qu’est-ce que tu ferais si ton ami faisait parti des Adeptes et que tu devais te retrouver face à lui ?

Cette question n’était pas vraiment nouvelle pour Méo. Forcément, il s’était déjà posé la question par rapport à Kez. Est-ce qu’il les avait abandonné pour retourner auprès des Adeptes ? Est-ce qu’il allait devoir se mesurer à lui un jour ou l’autre ? Et surtout, qu’est-ce qu’il ferait dans cette situation ? Il aurait beau être son ennemi, il restait quelqu’un qui avait grandi avec lui, qui avait toujours été là en cas de problème, qu’il voyait comme un grand frère, comme un modèle. Mais s’il ne les avait pas abandonné, où était-il alors ? Beaucoup de questions qui amenaient toutes à la même réponse.

— J’en sais rien.

Jane écarquilla les yeux. Elle qui voulait un avis qui l’aurait aider, elle resta finalement au même point. Elle baissa les yeux et la vision des retrouvailles avec sa vieille amie prit vie dans son esprit malgré elle. Elle s’arrêta lorsque que Méo se leva et avança pour regarder l’étendue urbaine, les mains dans les poches de sa veste.

— Pour être franc, continua-t-il, j’aime pas penser à ça. Je l’ai déjà fait et ne pas trouver de réponse ne fait que m’énerver encore plus. Alors, plutôt que de me bousiller le crâne avec ça, je me change les idées.
— Et comment tu fais ? lui demanda Jane en allant à ses côtés. Ça a l’air facile quand tu le dis alors que moi, je galère...
— Perso’, je prends ma bécane et je pars rouler une bonne heure. Une fois sur la route, je ne pense plus aux problèmes et je vais mieux après. (Il se tourna vers elle.) Tiens, ça te dirait d’aller faire un tour avec moi ? J’avais prévu de rouler un coup ce soir alors, autant en profiter.
— Hein ? Oh non, ne te sens pas forcé, Méo.
— Je me sens pas forcé. Je te le propose mais tu peux dire non si t’as pas envie.
— C’est pas que je n’ai pas envie mais... je n’ai jamais pris de moto alors, j’ai un petit peu peur.
— J’essayerai de ne pas rouler trop vite, si c’est ça que te fait peur. Je peux bien faire ça pour une amie.
— Dans ce cas, je veux bien venir avec toi. (Elle hésita un petit moment avant de continuer.) Mais avant d’y aller, est-ce que je peux te parler de quelque chose en privé ?
— Ouais, bien sûr.
— Hmm... Tu veux bien qu’on aille un peu plus loin ?

Méo acquiesça sans trop réfléchir et tous deux laissèrent Natalia seule qui les regarda s’éloigner jusqu’à la petite serre d’Alister. Jane vérifia d’un rapide coup d’œil si quelqu’un s’y trouvait avant d’y pénétrer, tenant la porte vitrée le temps que le jeune homme ne la suive. Elle la referma puis colla son dos contre la surface froide qui lui donna un léger frisson. Il ne comprit pas vraiment pourquoi ils devaient s'isoler à ce point pour une simple discussion.

— Tu sais Jane, Natalia peut très bien garder un secret, lui indiqua-t-il. Puis, elle saura ce que tu me diras après sans que je le décide.
— Tu partages tes pensées avec elle, je sais bien. Mais ce n’est pas contre elle que je nous ai mis à l’écart. C’était au cas où quelqu’un d’autre viendrait et je n’aime pas parler de ça à n’importe qui.
— Hmm c’est grave, ton truc ?
— Non non ! C’est juste un sujet que je n’aime pas trop aborder en public... Mais je voulais avoir ton avis parce que je pense que tu es assez ouvert sur la question.
— D’accord...

Jane prit une grande inspiration pour se donner du courage sur ce qui allait être abordé. Méo alla se poser contre une caisse de sac d’engrais et attendit les bras croisés la suite.

— Tu vois, quand tu as dit « une amie », ça m’a fait un peu tiquer parce que... je ne me considère plus comme une fille depuis des années.
— Ah bon ? Tu te considères comment, alors ? Un mec ?
— Non plus, je ne me sens ni comme l’un ni comme l’autre. Pour être plus exact, je me qualifie de « non-binaire ». Je suis désolé, ça doit te paraître bizarre tout d’un coup.
— Un peu mais c’est parce que tu es la première... Euh non, le premier ? Comment on dit, du coup ? demanda-t-il en se grattant le haut du crâne l’air perdu.
— Tu peux dire « le » ou « lea premier », si tu veux.
— « Lea » ? Je ne savais pas que ça existait.
— Ça n’existe malheureusement pas dans notre langue. En fait, c’est bien ça le problème : les nouvelles questions sur le genre ne sont pas vraiment acceptées par tout le monde. C’est pour ça que j’évite d’en parler à n’importe qui.
— Ouais, normal.
— Mais je me suis rendu compte, continua Jane, que ma situation n’était pas si loin de celle des autres. Alors, j’hésite à leur en parler, ne serait-ce pour me sentir un peu plus à l’aise avec eux. Pas que je ne me sente pas à l’aise avec vous, je n’ai pas dit ça !
— Nan mais je comprends ce que tu veux dire. Te connaître un peu plus nous aiderait à avoir confiance en toi et inversement.
— Surtout que ça me donnerait un peu plus confiance en moi, avoua-t-iel en baissant les yeux.
— Je me doute, ouais. Écoute... (Il se releva tout en continuant sa phrase.) Les connaissant depuis longtemps, je peux t’assurer que Kay et Iris se montreront compréhensives. Kay pourrait même te poser plein de questions sur ça, curieuse comme elle est. Pour ce qui est de Neven, Angel et Lirhan, je ne les connais pas plus que toi mais j’ai pas l’impression que ça pourrait leur poser problème. Surtout Neven qui est ouvert à tous. Peut-être un peu trop même.
— Oui, je ne pense pas non plus que ça poserait souci. Enfin sauf pour Lirhan, j’ai beaucoup de mal à le cerner. Mais j’ai du mal à trouver le courage d’aller vers eux... (Iel releva les yeux vers le jeune homme.) Méo, tu ne voudrais pas leur dire à ma place ?
— Hm je préfère pas. Si tu veux avoir un peu plus confiance en toi, il vaut mieux que tu le fasses par toi-même, tu crois pas ?
— C’est vrai...
— Mais si ça peut t’aider à faire le pas, je veux bien être là quand tu voudras leur dire. Préviens-moi quand tu te sentiras prête... hum prêt et je serai à tes côtés.
— Je veux bien, oui. Je pense que nous verrons ça demain. Pour l’instant, on devait faire un tour en moto, non ? rappela Jane avec un léger sourire auquel Méo répondit de suite.
— Yep, allons-y.

Il avança vers la porte que Jane rouvrit. Lorsqu’il passe à côté, iel lui donna un simple merci pour l’avoir écouté et pour le soutien qu’il offre. L’homme aux cheveux bleus posa amicalement sa main gantée sur son épaule gauche, ce qui lui réchauffa le cœur d’une chaleur qu’iel voulait garder le plus longtemps possible. Tous deux se dirigèrent vers l’intérieur de la société Hinker Corp., repassant devant Natalia qui jeta d’abord un coup d’œil à Méo qui lui indiqua sans un mot qu’ils y allaient. Elle lui répondit d’un hochement de tête tout en lui envoyant la pensée de rester prudents puis tourna son regard vers Jane qui la regardait depuis plus longtemps que son ami. Iel se doutait qu’elle avait déjà les détails de leur discussion et appréhendait un peu sa réaction. Iel fut surpris de voir qu’elle affichait un sourire bienveillant mais cela eut pour effet de l’apaiser. Jane brisa le silence en lui disant « À plus tard » et Natalia lea salua d’un geste de la main avant de retourner à l’horizon.
Ils traversèrent le bureau d’Alister où ce dernier s’y trouvait encore pour consulter ses messages avant qu’il ne prenne enfin la décision d’aller manger. Si sa secrétaire n’était pas retournée chez elle, elle lui aurait gentiment rappelé de ne pas dénigrer son estomac au profit du travail mais le président de la société ne savait jamais quand s’arrêter. Il leva tout de même la tête lors du passage du duo et Jane lui adressa également un sourire. Iel semblait plus léger aux yeux d’Alister mais il ne fit aucun commentaire, se contentant juste de répondre avec un léger hochement de tête avant de retourner sur l’écran de son ordinateur. Ils quittèrent ensuite la pièce et se dirigèrent jusqu’à l’ascenseur.
La cage lumineuse aux portes vitrées descendit tranquillement tout en donnant vue sur les nombreux étages de la société. On pouvait y apercevoir les quelques employés circulant dans les couloirs, que ce soit ceux présents pour le ménage ou ceux qui restaient pour la soirée afin de terminer leur travail. Cependant, la plupart des secteurs étaient entièrement dans le noir, signe qu’il ne restait heureusement plus grand monde. Si Jane regardait chaque intérieur qui se présentait à lui, Méo fixa les mains contre sa nuque le panneau indiquant à quelle hauteur ils étaient. Comme à son habitude, il se contentait de parler que si son ami engageait la discussion. L’attente ne fut pas bien longue car ils arrivèrent au niveau du parking après deux bonnes minutes de descente.
Méo guida Jane jusqu’au coin réservé aux voitures du président, là où sa fidèle moto l’attendait. Étant un modèle prototype, Alister tenait à ce qu’elle ne soit pas garée parmi les véhicules du personnel. La grille s’ouvrit d’une simple connexion avec le portable du jeune homme et tout deux purent retrouver la V-Ike reliée à sa station de recharge, faisant que les courbes bleues qui la traversaient le long s’illuminaient à intensité variable. Méo débrancha le gros câble qui retourna ainsi à son bloc puis ouvrit le compartiment des casques où il en prit un qu’il donna à Jane.

— D’habitude, j’en mets pas, avoua-t-il. Mais vu qu’ils ont des micros dedans, ça sera plus facile pour causer tout en roulant.
— Oh c’est pratique, oui ! Alister pense vraiment à tout, c’est incroyable.
— Faut juste que je vois comment on les connecte à la V-Ike mais bon, y’a tout dans l’appli, alors...

Les deux les mirent sur leurs têtes puis Méo alluma le véhicule afin de relier le tout ensemble par réseau sans fil. Après un petit test micro, ils étaient enfin prêts à partir. Méo s’installa le premier suivi par Jane qui se posa derrière lui, se tenant bien à son ami pour éviter de tomber sur la route puis ils quittèrent le parking tranquillement pour rejoindre la rue onyraine.
En parcourant la capitale, Jane remarqua que les nombreuses personnes qu’ils pouvaient croiser n’arrêtaient pas de les observer à chaque fois qu’ils passaient à côté d’eux. Le design unique et hors du commun de la V-Ike avec sa couleur rouge assez voyante et ses lignes bleues qui la traversaient ne devait pas non plus aider. Si iel était gêné d’être un centre d’intérêt permanent, Méo n’y prêtait aucune attention étant concentré sur sa route. Tout ce qu’il souhaitait, c’était rejoindre le périphérique afin de pouvoir profiter d’une plus grande vitesse. Les zones à trente kilomètres par heure, les feux tricolores ainsi que les panneaux stop, ça n’avait que pour effet de le frustrer. Comment voulez-vous profiter d’une balade en moto si on doit s’arrêter toutes les dix secondes ? De plus, il avait remarqué que son passager n’était pas vraiment à l’aise à chaque fois qu’ils laissaient le temps aux autres de les regarder, si bien qu’il essaya de prendre d’autres routes moins fréquentées pour rejoindre au plus vite la voie rapide. Malgré un feu qu’il n’avait pas pu esquiver, ils purent enfin s’y faufiler parmi les autres voitures.
Méo pouvait enfin rouler comme il le souhaitait, slalomant entre les véhicules avec aisance pour ne pas à avoir à s’arrêter. Malheureusement, quand il sentit que Jane s’était serré plus fort contre lui, il décida d’être un peu plus prudent en suivant bêtement la route. Iel s’excusa de le brider autant mais il ne lui en voulait pas pour autant. Il lui conseilla plutôt de jeter un œil sur sa gauche afin d’y apercevoir les sommets illuminés de la ville. S’ils ne pouvaient retrouver que le haut de la tour principale de la Hinker Corp. où ils se trouvaient il y a moins d’une heure, les nombreux immeubles bien visibles offraient un spectacle assez inattendu qui réussissait à émerveiller Jane quelques instants. Iel relâcha un peu Méo, se sentant bien plus serein.

— Tu sais, commença-t-iel, Onyra me met souvent mal à l’aise tellement c’est grand. J’en oublie presque qu’elle peut se montrer belle une fois la nuit tombée.
— C’est pour ça que Nat’ aime bien regarder l’horizon de la ville le soir, lui avoua son ami aux cheveux bleus. Tu n’avais pas jeté un coup d’œil quand tu étais venu nous rejoindre ?
— Non, maintenant que tu le dis... Je n’avais pas la tête à ça et je le regrette.
— À cause de quoi ?
— Ce n’est rien, ne t’en fais pas. Ça va même mieux depuis.

Méo ne put creuser la question davantage à cause de la voiture qui avait subitement ralenti, le forçant à freiner un grand coup et laissant échapper un cri de la bouche de Jane, se collant contre son dos par réflexe en le serrant très fort.

— Désolé, ça va ?
— Oui... J’ai juste été surpris.
— Si l’autre n’avait pas freiné comme un con, aussi.
— Pas besoin de t’énerver contre lui, Méo. Il y a du monde en face, normal qu’il ait dû ralentir.
— Ouais, bon.
— Tu t’inquiètes pour moi ?
— Évidemment. Je te sens trembler, tu sais ?
— Oh. Pardon, c’est vrai que j’ai un peu peur...
— C’est normal, t’as pas à t’excuser. C’est la première fois que tu montes sur une moto, donc.

Même s’iel se sentait coupable de brider Méo dans sa balade, Jane ne put s’empêcher de sourire en constatant des efforts qu’il faisait pour lui. Iel le serra un peu plus tendrement, penchant sa tête sur le côté pour pouvoir regarder la route avec lui. Il tourna la tête quelques instants pour lea regarder et, voyant qu’iel était heureux, sourit à son tour avant de porter ses yeux à nouveau vers l’avant, la marche ayant repris une vitesse normale car quelques voitures avaient emprunté les voies de sorties entre temps, offrant un peu plus de liberté dans les déplacements.
Pendant qu’il continuait à rouler sans problème et que Jane était occupé à observer la ville de son côté, une autre moto aux tons noir et rouge leur passa devant par la voie de gauche et se plaça devant eux. Si le jeune adulte non-binaire n’y prêtait pas plus attention à celle-ci, Méo remarqua que la personne qui lui tournait maintenant le dos ralentissait, le forçant à faire de même une nouvelle fois. Sauf que cette fois, il n’y avait personne d’autre devant eux, laissant un vaste vide à la place. Ceux qui se trouvaient derrière le duo ne manquèrent pas de montrer leur agacement devant cette vitesse anormalement lente par des coups de klaxons soit répétés, soit assez longs, soit même les deux à la fois si bien que Jane avait quitté sa contemplation pour se demander ce qu’il pouvait bien se passer. Nombreux décidèrent de les doubler à leur tour, certains ne se privant pas d’insulter les deux motards au passage, chose qui agaça Méo étant donné qu’il n’y pouvait pas grand-chose. Celui en tête de course en revanche ne broncha pas une seule seconde, continuant sa lente et gênante avancée. Le Valdera souffla du nez et accéléra un bon coup pour suivre les doubleurs, Jane lâchant un bref « Doucement », surpris par la manœuvre.
Ils s’étaient ainsi bien éloignés du problème pour reprendre une marche à une vitesse bien plus raisonnable. Méo se demanda un instant si cette personne ne l’avait pas fait exprès mais il ne voyait pas de raison de le faire. Il essaya d’oublier ce qu’il s’était passé mais la moto noire était revenue à ses côtés, roulant maintenant à même allure sur la deuxième voie. Méo l’observa intrigué et remarqua que le conducteur « fouteur de merde » - comme il l’avait si bien pensé – était en réalité une conductrice à en juger par sa tenue plutôt moulante mais surtout son buste bien mis en valeur. L’inconnue semblait la fixer à travers la visière de son casque mais Méo avait bien du mal à y percevoir un quelconque regard à cause des reflets. Elle se mit soudainement à lui sourire et lui indiqua avec sa main droite gantée de la suivre avant de partir à toute vitesse, bien au-dessus de celle autorisée. Lui et Jane la regardèrent s’éloigner au loin, ce dernier ne comprenant absolument pas ce qu’il se passait. Elle connaissait Méo ? Pourtant, il n’avait pas l’air de vraiment la reconnaître, se dit-iel assez vite. Iel ne put réfléchir davantage à la question lorsque son ami lui lança :

— Jane.
— Oui ?
— Accroche-toi bien.

D’un coup de poignet, la V-Ike se déporta sur la voie de gauche pour foncer rattraper la mystérieuse motarde. Ne s’y attendant pas vraiment, Jane ne manqua pas d’hurler de peur tout en serrant très fort Méo qui souriait d’excitation devant le défi qu’on venait de lui lancer. Quand il vivait encore à Chalondes avec les Revel, il adorait participer à des courses de moto que ce soit avec eux ou avec les autres gangs et il en était souvent le vainqueur. Cette fois-ci, il n’était pas vraiment question d’être le premier mais de réussir à suivre la cadence qu’on lui imposait. Dépassant les voitures avec facilité, ne laissant qu’une traînée bleue aux yeux des conducteurs à son passage, il n’eut aucun mal à retrouver la femme en rouge sur sa bécane noire. Elle le remarqua au son de son moteur et se décala légèrement sur la gauche pour lui permettre de se mettre à son niveau. Elle l’accueillit avec le même sourire qu’avant.

— Je vois qu’on aime les défis, lui cria-t-elle assez fort pour qu’il puisse l’entendre malgré le bruit de leurs deux motos réunies. T’as pas intérêt à ce que ce soit de la frime parce que je ne te ferai pas de cadeau, mon beau !
— Lance la danse et tu verras bien ! lui répondit Méo avec simplicité.
— Arrêtez ça, s’il vous plaît, je veux descendre ! s’écria Jane mais les deux autres n’y prêtèrent pas vraiment attention.

Elle accéléra d’un coup sec pour reprendre la tête et Méo suivit sans aucune difficulté. Ils roulèrent entre les autres véhicules avec facilité, faisant même freiner certains de peur, provoquant parfois sans s’en rendre compte de légers accidents sans trop de gravité. Si Jane n’était toujours pas pour ce défi qu’iel qualifiait de « stupide », Méo n’y voyait encore aucune véritable difficulté. Il n’eut pas à attendre longtemps pour que la motarde relève le niveau en s’introduisant dans la voie à contre-sens. Au grand malheur du passager de la V-Ike, cette dernière suivit également le mouvement, esquivant deux voitures qui auraient pu les percuter. La tâche était bien plus ardue mais Méo se concentra au maximum pour ne pas entrer dans le moindre obstacle. Concernant Jane, la peur l’habitait tellement qu’iel était incapable d’ouvrir un seul œil. La cheffe de course ramena le duo dans le bon sens de la marche avant de les faire prendre la première sortie qui se présentait à eux.
Ils parcoururent les rues de la capitale à toute vitesse, se permettant de couper les giratoires lorsqu’ils en avaient la possibilité. Les automobilistes roulant forcément moins vite que sur le périphérique, les éviter devenait plus simple sauf lorsqu’ils étaient bien trop nombreux pour passer à travers. Dans ces cas-là, ils n’eurent d’autres choix que de couper par les trottoirs, effrayant les quelques piétons qu’ils pouvaient s’y trouver. Méo se sentait forcé de reconnaître que cette femme était très douée. Il se demandait s’il n’avait pas à faire à une professionnelle ou si elle était simplement une passionnée des grandes vitesses comme lui. En percutant une boite en carton qui traînait par là en voulant retourner sur la route, Jane poussa un nouveau hurlement en attendant le léger impact. Le conducteur aux cheveux bleus se tourna quelques instants vers lui pour lui demander :

— Jane, tu pourrais hurler moins fort ? Je commence à avoir mal aux oreilles.
— TU TE FOUS DE MOI ?! lui cria-t-iel encore plus fort dans les oreilles. ARRÊTE ÇA TOUT DE SUITE !!

Il lâcha un léger soupir puis releva la tête lorsqu’il entendit les sirènes des forces de l’ordre derrière lui. Si c’était le début de la fin pour Jane, la mystérieuse pensait autrement.

— Maintenant, ça commence pour de vrai ! annonça-t-elle fièrement avant de repartir de plus belle, Méo continuant de la suivre.

Les motards enchaînèrent les détours, essayant de semer les trois voitures de police qui étaient à leurs trousses mais ces derniers se révélèrent plutôt coriaces. Pour une fois qu’il y avait des flics capables de les suivre, pensa Méo entre deux plaintes venant de derrière. Ils tournèrent d’un coup sec et entrèrent dans une rue si étroite qu’elle ne pouvait laisser passer qu’un véhicule de leur taille. Deux purent les suivre sans problème tandis que la dernière percuta le premier poteau devant lui. Finalement, le jeune Valdera revit son jugement à la baisse en constatant de cet échec. Pensant s’être débarrassé d’un pot de colle, deux nouveaux véhicules entrèrent dans la poursuite quand ils arrivèrent dans l’avenue qui se présentait à la sortie du chemin étriqué où ils ne restèrent pas longtemps. À force de changer de route toutes les dix secondes, Méo se mit à la hauteur de sa copine fugitive pour lui parler :

— Tu sais où aller, rassure-moi ?

Elle lui répondit simplement avec un pouce en l’air avant de se remettre devant lui. Ils continuèrent leur danse routière une bonne dizaine de minutes avant de longer l’Anonie. Voyant que la femme en rouge se dirigeait vers le port, Méo et Jane ne comprirent pas ce qu’elle comptait faire. La réponse leur vint assez vite à l’esprit lorsqu’ils remarquèrent qu’elle les amenait tout droit vers un bateau avec une cargaison qui pouvait leur servir de tremplin. Avant même qu’ils puissent dire quoi que ce soit, elle leur lança :

— Voilà le grand final, mon beau !

Elle accéléra jusqu’à la limite de son bolide afin de réaliser son saut. Elle passa au-dessus du fleuve en tapis d’étoile avant d’atterrir violemment de l’autre côté de la rive, continuant sa route comme si de rien était. Bien qu’impressionné par cette performance, Méo ne se découragea pas et accéléra à son tour.

— Méo, tu es complètement fou ?! cria Jane. Tu vas pas faire faire ça ?!
— Accroche-toi bien, Jane !
— Mais si on tombait dans l’eau ?!
— Ça n’arrivera pas !

À leur tour, ils volèrent quelques instants sous le regard des policiers complètement médusés par ce qu’ils étaient en train de voir. Tout en pleurant, Jane se serra le plus fort qu’iel le pouvait contre Méo, à tel point qu’il peinait à respirer. Ils réussirent tout de même à se poser sur le sol et partit retrouver leur guide de course au plus vite.
N’étant plus poursuivi, ils pouvaient reprendre une allure plus conventionnelle, circulant tranquillement dans les rues de Dynaras, une des nombreuses villes frontalières d’Onyra. Ils se cachèrent dans une ruelle et s’arrêtèrent pour de bon, chacun descendant de leur véhicule. La mystérieuse femme retira alors son casque, dévoilant sa chevelure d’ébène ainsi que ses yeux d’émeraude aux deux autres. Elle se tourna vers Méo en lui adressant un tendre sourire.

— Eh bien, je me doutais que tu en avais dans le ventre mais je ne te pensais pas aussi fou que moi, lui avoua-t-elle en riant.
— Quand on me lance un défi, je ne sais pas refuser, répondit-il pendant que Jane posa son casque sur le siège de la V-Ike. Ça faisait longtemps que je n’avais pas eu de telles sensations, ça m’avait manqué ! (Il se tourna vers son ami) Tu vois, c’était pas si ho...

Jane s’était mis face à lui pour le baffer de toute ses forces. Il lea regarda complètement abasourdi et se rendit enfin compte qu’iel avait les larmes aux yeux en plus d’être en colère contre lui.

— Espèce d’idiot !! lui hurla-t-iel. J’ai cru qu’on allait mourir tout le long ! Tu m’avais pourtant promis tout à l’heure que tu ne roulerais pas trop vite parce que j’avais peur de t’accompagner ! Je n’aurais jamais dû te suivre, Méo ! J’ai vraiment été trop con... trop conne ! Plus jamais je ne monterai sur une moto avec toi, tu m’entends ?! Plus jamais !!

À chaque fois qu’il essayait de lea calmer, Jane surenchérissait au point qu’il préféra s’écraser plutôt que de prononcer le moindre mot. Iel se dirigea ensuite vers la belle inconnue pour continuer d’évacuer sa colère sur elle, la forçant à reculer d’un petit pas.

— Et vous ! Vous êtes vraiment irresponsable ! Vous auriez fait quoi si on avait un accident, hein ?! Et puis ceux qui en ont vraiment eu, vous y avez pensé ?!

Iel se retira ensuite pour aller se calmer seul dans un coin, les laissant tous les deux dans un silence gênant – du moins, pour Méo étant donné que la femme à la peau sombre ne put s’empêcher de rire devant cette situation.

— Eh bien, quel caractère ! s’exclama-t-elle. Elle est vraiment charmante.
— P’têt fait une connerie, moi...
— Oh, je suis sûre que ça lui passera, ne t’en fais pas. Sincèrement, je suis impressionnée par ta prestation. Je ne pensais pas que quelqu’un d’aussi jeune que toi pouvait être aussi doué avec une moto dans les mains.
— Hé, ne me cause pas comme si j’étais un gamin, tu veux ?
— Je vois que vous vous y retrouvez pour ce qui est du sale caractère. Bon, excuse-moi, je ne voulais pas être blessante.
— Ça va. Je m’appelle Méo, et toi ?
— Cherry. Ravie d’avoir pu croiser ta route, « Mimi-chou », dit-elle en ponctuant ce surnom par un clin d’œil.
— Je vais faire comme si je n’avais pas entendu. Bon, excuse-moi mais il faut que j’aille lui parler.

Il abandonna Cherry qui l’encouragea d’un signe de la main pour se rendre là où Jane était parti. Il lea retrouva assis devant un coin de porte d’immeuble, recroquevillé et fixant le sol sans un mot. Quand Méo s’approcha de lui, iel ne lui adressa pas ni la parole ni un geste. Le jeune homme demanda s’il pouvait s’asseoir à côté mais, vu qu’aucune réponse positive ou négative ne venait, il se permit de le faire. Ils ne se parlèrent pas, montant la gêne en Méo mais Jane ne partait pas pour autant. C’est à lui de faire le premier pas, après tout.

— Écoute...
— Non.
— Mais Jane, attends.
— Après ce que tu as fait, tu penses que j’ai envie de te parler ? lança-t-iel sèchement.
— Non. Forcément, non. Mais juste, écoute-moi deux minutes, ok ?

Jane ne répondit pas, laissant alors Méo s’exprimer.

— J’aurais pas dû t’embarquer dans un truc pareil. On aurait dû continuer à rouler tranquillement, comme prévu. Et puis... je t’ai traité comme de la merde.

Iel ne fit toujours aucune intervention, continuant de l’écouter en silence mais en bougeant légèrement la tête dans la direction opposée.

— T’as raison, j’ai été con. J’aurais pu me contrôler mais j’ai préféré passer mon propre plaisir avant le tien. Tout ça parce que je suis un abruti qui aime rouler trop vite. Si j’avais dérapé et que... Bref.

Le silence pesant revint l’espace d’un instant, gênant Méo comme Jane. Il ne savait plus vraiment continuer, n’importe quelle phrase dans sa tête était nulle pour lui. Il continua de réfléchir sur ce qu’il pouvait rajouter mais il se préféra conclure en détournant le regard de l’autre côté.

— Je m’attends pas à ce que tu me pardonnes. Juste... je suis désolé.
— ... Méo.

Il revint sur Jane, attendant impatiemment ce qu’iel comptait lui dire. Iel tomba les épaules avant de se tourner vers lui, les yeux noyés par les larmes depuis un bon moment.

— Promets-moi... de ne plus recommencer.

Méo lea regarda silencieusement, toujours honteux de ce qu’il avait fait, mais il était rassuré de voir qu’iel lui laissait une seconde chance. Il lui adressa un tendre sourire.

— Je te le promets.
— Vraiment ?
— Vraiment.

Jane baissa une nouvelle fois les yeux avant de sourire à son tour, le fixant alors. Iel continua de pleurer encore un peu mais Méo était là pour nettoyer sa joue d’un geste du pouce. Depuis son coin de mur, Cherry observa la scène, les trouvant absolument adorables. En les voyant ainsi, elle était presque désolée pour ce qu’il allait suivre.