"Il s'agit de distinguer la lune, de son reflet dans l'onde."

Ø - The Fool

La lignée des Déïlidis, originaire de Saphir, a beaucoup voyagé. La branche d'où est issue Cornélia était établie à Grenat -Onyx à l'époque- depuis des décennies. Réputés pour leurs connaissances en herboristeries, les Déïlidis aidaient les familles à soigner les maux, mettre au monde. Toutefois, la véritable raison de leur réputation découlait de leurs talents dans le domaine de la magie. Onyx, parfaitement avancée dans le domaine de la médecine, n'apprenait rien de nouveau des Déïdélis. Néanmoins, la touche de magie qu'ils pouvaient apporter à certains soins leur apportait une clientèle bien plus spécifique. Au delà des patients locaux, des familles se déplaçaient pour avoir accès à leur savoir et leurs charmes. Cependant, le ménage n'était pas des plus rangés. Le père, Amos Déïlidis, souffrait d'une addiction aux jeux, et bientôt, le foyer ne put suivre les dépenses et pertes de ce dernier. Afin de palier à ce manque, Prunella, sa femme, commença un nouveau commerce. Les patients devenaient des clients, achetant charmes et malédictions. La mère révéla ainsi ses talents en magie noir, que personne ne soupçonnait auparavant. Un tel commerce ne peut cependant pas perdurer longtemps, les rumeurs prirent de l'ampleur, et bientôt, les Déïlidis, installés depuis un siècle, durent partir du domaine familial. Ce fut une honte, une humiliation, et les différends entre les deux parents furent enterrés. Il ne fallait plus parler.

A la recherche d'une terre accueillante, d'un emploi, de quoi combler le silence et oublier le passé, la famille Déïlidis parvint dans le domaine d'adorateurs d'un Dieu oublié. Une secte qui les accueillit à bras ouverts, les nourrit, logea. Cornélia, enfant à cette époque, profondément troublée par le changement brutal d'environnement, fut charmée par l'endroit et ses habitants. Elle qui avait souffert de cette fuite, tant on l'avait abreuvée de fierté familiale, retrouvait une notion de prestige. Elle devint rapidement assoiffée par ce sentiment. Elle grandit alors dans une obsession de loyauté envers le culte, cherchant à monter en grade, à prouver sa valeur, à retrouver une valeur, du prestige. Et elle réussissait. Ses parents, trop obnubilés par leurs remords et les non-dits, s'abrutissant dans leur travail, délaissaient complètement leurs enfants. Cornélia n'en avait cure, qu'il s'agisse de ses parents ou de ses adelphes : seul l'avis des puissants du culte comptaient, de même que son dévouement à la cause. Cornélia, idôlatrant les adorateurs, idôlatrait le Dieu, martyr subissant l'oubli, incarnant des valeurs pures et jugées pourtant naïves et futiles. Dans sa dévotion, les puissants la remarquèrent.

XVIII - The Moon

Toutefois monter en grade ne signifiait pas seulement du prestige, mais également des tâches plus lourdes. Les rituels, les offrandes étaient bien plus conséquentes, bien plus éprouvantes pour Cornélia qui sentait sa magie être drainée sans pour autant avoir véritablement le temps de se reposer, de ressourcer son énergie magique. La jeune femme était épuisée, physiquement, magiquement, et émotionnellement. Elle avait une sensation de fierté après chaque rituel, une joie profonde d'avoir pu aider son idole, une joie rapidement brisée par les annonces qui suivaient : ce n'était pas assez, il n'était pas contenté, il n'attendait pas cela. Cornélia était d'abord furieuse, ressentant une injustice face à ce qu'elle estimait comme une ingratitude : elle avait la sensation de s'offrir entièrement, elle et son culte, et pourtant il n'était jamais satisfait. Mais cette rage s'estompait peu à peu, laissait place à la culpabilité, propice à l'assujetissement : qu'avait-elle à dire face au jugement d'un Dieu?

C'est ainsi que Cornélia, dévouée et convaincue de la justesse de sa cause, aveuglée par le prestige qu'on lui miroitait, fut entraînée dans un cercle vicieux d'abus. Car l'utilisation aussi abusive de sa magie tarissait ses pouvoirs, sa vitalité, sans qu'elle ne s'en rende compte. Effrayés que la jeune femme perde définitivement ses pouvoirs, le culte prit une décision : il s'agissait d'un pacte. Cornélia devait sombrer dans la magie noire. Epuisée, drainée, désespérée, elle accepta. Ce fut une mutilation terrible : son corps se grava de marques noires, deux cornes poussèrent sur son crâne dans une souffrance atroce qui la plongea dans plusieurs mois de convalescence. On craignait qu'elle ne survive guère. Cornélia ne succomba pas, gagna une nouvelle puissance, au péril d'une partie de son âme. Cornélia avait perdu l'intensité de la joie, la tranquilité de l'âme. Tourmentée et mélancolique, le vague à l'âme, elle errait, tandis que les erreurs, les mauvais enchantements, les rituels noirs s'accumulaient.

VI - The Lovers

Mais tout n'était que fabulation. Le Dieu, offensé par l'usage que faisait de lui le culte, infligea à l'être le plus magiquement impliqué le châtiment divin. Cornélia fut atteinte d'une malédiction divine, la peste bleue. Les jours qui suivirent furent un rêve fiévreux pour la jeune femme, qui, alitée, délirait et n'avaient conscience de rien. Elle se réveilla au milieu de la forêt, et prit conscience de l'abandon qu'elle avait subit. Personne ne l'avait sauvée. Ni ses parents, ni ses adelphes, ni ses supérieurs. Elle prit conscience de son corps, devenu bleu, de la souffrance physique, des papillons, des hallucinations. Elle se traina comme elle put, dans un état semi-conscient, vivant seulement de fureur.

C'est ainsi qu'Encre la trouva. Sa première sauveuse. Elle la nourrit, la soigna à la morphine, lui expliqua le monde actuel. Cornélia avait grandi en dehors du monde, ne connaissait rien de la situation géopolitique. En prenant conscience de l'annexion d'Onyx, devenu Rubis, Cornélia n'avait qu'un souhait : porter allégeance à sa nouvelle supérieur, Isabella Lise d'Amade, elle aussi trahie par les Dieux, elle aussi assoiffée de vengeance. C'est ainsi qu'Encre la mena au Palais de Rubis.