[FR] La création des Yuanies


Authors
Seiden
Published
2 years, 29 days ago
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Introduction à l'espèce des Yuanies.

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1994 : Mise en vente du premier légume OGM
2008 : Première utilisation de l'outil CRISPR
2015 : Première utilisation de CRISPR sur des embryons humains
2041 : Première hybridation d'animaux ne pouvant se reproduire ensemble
2052 : Première hybridation d'un humain avec un singe
2077 : Utilisation des premiers Yuanies (Caniors)
2101 : Utilisation des premiers Yuanies civils (NOM)
2125 : Naissance du premier Yuanie Antecorn

Les progrès du génie génétique ne cessaient de repousser leurs propres limites : après les balbutiements de Crispr, un outil moléculaire permettant d'insérer un nouveau gène dans le génome de n'importe quelle espèce, des techniques d'amplification génétique toujours plus poussées permirent de manipuler et fusionner les génomes des espèces connues en toute liberté, mélangeant les attributs désirés afin d'obtenir des fruits et légumes à la croissance parfaite, du bétail adaptés aux conditions d'élevage de masse, des levures produisant diverses vitamines, ou des chiens et chats au pelage toujours plus coloré et original. Il suffisait de mélanger la résistance à la sécheresse d'un cactus du Sahara à votre plant de tomate local, ou de permettre à votre docile cochon d'Inde d'exprimer les pigments bleu vif d'un perroquet tropical.

Au-delà des aspects économiques et écologiques offerts par ces avancées mémorables, ces techniques offraient également un tout nouveau terrain de jeu pour les scientifiques les plus avares de nouveauté, curieux de voir jusqu'où ces hybridations géniques pourraient aller. Après avoir créé une pomme-orange à la pulpe croquante, ils commencèrent à hybrider des espèces animales, fusionnant les génomes de deux parents au sein d'un œuf. On expérimenta en mélangeant une grenouille rainette à une grenouille venimeuse, on croisa un lézard vert avec une couleuvre, on s'attaqua aux mammifères en hybridant un lapin avec un rat, puis on se rapprocha des humains en croisant ce même lapin avec un lémurien. Les règles d'éthique en vigueur dans la plupart des pays posèrent là leur limite : on ne joue pas avec le génome des grands primates, ce lémurien aux longues oreilles devrait donc rester l'hybride le plus proche de l'espèce humaine.

Cependant, tandis que la plupart des pays occidentaux et asiatiques collaboraient pour mettre en place de nouvelles règles d'éthique concernant la production et le maintien de ces hybrides, l'État Fédéral de Russie, qui était resté en marge de la plupart des organisations gouvernementales internationales suite à l'invasion de l'Ukraine, de la Biélorussie et des trois Balkans, n'avait que faire de ces règlementations. Une équipe d'un institut de recherche de Moscou s'entreprit à réaliser le rêve de l'un de leurs anciens confrères, le biologiste Ilya Ivanovich Ivanov qui, déjà en 1920, avait tenté d'hybrider des humains et des chimpanzés via une insémination artificielle. Modifiant légèrement les chromosomes de leurs sujets simiens afin de les rendre compatibles avec les chromosomes humains classiques, ils parvinrent à féconder un ovule humain avec un spermatozoïde de singe. Dans un premier temps, les résultats, qui 'poussaient' dans un utérus artificiel, ne devaient pas dépasser un stade de développement somme toute relativement précoce, ceci afin de ne pas trop alerter l'opinion internationale, dont les médias s'affolaient déjà sur le sujet. Leurs expériences finirent par attiser la jalousie de chercheurs nord-américains, conscients des avancées considérables que l'absence de contrôle éthique permettait aux équipes Russes de réaliser. Il suffit alors d'adapter un peu les lois, qui autorisaient déjà le travail sur des embryons humains tant qu'ils n'atteignaient jamais le stade de fœtus, afin de réaliser eux aussi leurs propres hybrides humains, à condition qu'ils ne sortent jamais de leur incubateur. S'ensuivit alors une course scientifique opposant les Russes aux Nord-Américains, dont le but était de créer l'hybride le plus improbable, réitérant les expériences avec des espèces de plus en plus éloignées des hominidés : un lémurien, puis un lapin, un porc, et enfin un chien. Ces expériences, suivies de près aussi bien par les comités d'éthique que par les médias internationaux (le public étant, comme souvent, très opposés à ces jeux scientifiques), devaient ne jamais donner naissance au moindre enfant hybride. Cependant, une fois les médias lassés (la coupe du monde de football étant finalement un sujet plus rentable que les expérimentations isolées de quelques scientifiques fous), les équipes russes purent s'aventurer à mener à terme le développement de l'un de leurs embryons chimp-humain, donnant ainsi naissance, le 23 Mars 2052, au tout premier hybride entre humain et une espèce n'appartenant pas au genre Homo (car, après tout, ne l'oublions pas, les humains s'amusaient déjà à hybrider Sapiens et Néandertalis il y a de cela 50 000 ans). Justifiant leurs entorses aux règles éthiques par des questions d'ordre psychologique, prétendant vouloir étudier les capacités cognitives et l'aptitude au langage de leurs hybrides, ils donnèrent ainsi naissance à une douzaine de créatures. En réalité, en cette période que l'on qualifia plus tard de "guerre froide génétique", il s'agissait surtout de démontrer leur supériorité scientifique et technique face aux États-Unis.

Après des décennies d'efforts, d'innovations mais surtout d'échecs, la communauté scientifique avait fini par se détourner de la robotique et de l'intelligence artificielle, qui s'étaient finalement avérés forts décevant en déni des espoirs que toute la société basait sur eux. La lutte des classes et la course au confort de chacun ayant mené à un rejet des métiers manuels ou difficiles, on avait pensé que les robots pourraient se charger des basses tâches, mais leur capacité d'initiative limitée les rendait somme toute assez peu utiles. Ces nouvelles créatures hybrides, désignées par le grand public par le nom de "yuanies" (contraction phonétique de "human-animals"), semblaient porteuses d'un nouvel espoir aux yeux de nombreux innovateurs et entrepreneurs : hybridées à l'humain elles pouvaient présenter une intelligence suffisante, une autonomie et une capacité d'initiative et d'adaptation propre au cerveau animal, et une certaine dextérité manuelle, sans pour autant bénéficier d'un état de conscience suffisamment avancée pour être considérés comme des individus humains. Bien sûr, de nombreux cœurs sensibles s'offusquèrent du sort réservé à ces êtres bien vivants, mais on leur rappela rapidement que, si l'on peut exploiter les vaches ou les poules pour leur chair, leur lait et leurs œufs, il n'y a finalement aucune raison de ne pas autoriser l'utilisation d'une étrange créature OGM pas si humaine que ça. Finalement, seuls les groupuscules végan continuèrent à protester, tandis que les omnivores finirent par reconnaitre que la bipédie ne devrait pas suffire à accorder des droits supplémentaires à ces nouveaux animaux. Les yuanies se présentaient donc comme une alternative idéale aux robots ou aux travailleurs immigrés pour les nombreuses tâches que la classe moyenne rechignait à réaliser.

Ainsi, plusieurs laboratoires autour du globe s'attelèrent à la création de créatures dociles et agiles, développant différents modèles selon les tâches à effectuer. Les avancées scientifiques sont souvent liées à la guerre, et c'est ainsi qu'en 2077, les premiers yuanies brevetés, sous le nom de "Caniors", furent un modèle d'hybrides à l'apparence féline ou canine capables de mettre en œuvre leur agilité et leur discrétion afin de remplacer les soldats humains sur des missions périlleuses, la mort de ces animaux étant finalement plus facilement acceptée par le grand public que la perte d'un soldat humain. Le génome des Caniors fut amélioré et optimisé au fil des années, maintenant leur niveau d'intelligence juste suffisant pour une utilisation autonome sans affoler les débats éthiques, et leur offrant une résistance à l'effort, à la soif ou au radiations nucléaires largement supérieure à celle des humains. En à peine une dizaine d'année, le public finit par accepter l'existence de ces créatures qu'il ne voyait de toute façon pas, se souciant peu des guerres organisées par son propre pays dans ces contrées lointaines d'Afrique ou du Moyen Orient.

La séquence génétique des Caniors fut ouverte à la vente afin d'aider au financement de futures recherches. En 2091, la firme [NOM], spécialisée en constructions de bâtiments publics ou commerciaux et renommée dans le monde entier pour ses ouvrages défiant toute gravité, décida de s'offrir la précieuse séquence génétique qui leur permis, suite à de multiples modifications, la création de leur propre modèle de yuanies : un hybride équin capable de transporter de lourdes charges tout en restant suffisamment habiles pour travailler sur des chantiers de construction. Cette seconde espèce, nommée [NOM], ouvrit la voie à de nombreuses autres : des hybrides canins, félins ou même murins se virent confiés des tâches de plus en plus nombreuses, tel que le ramassage des déchets dans les rues, le déchargement de containers de marchandises ou l'entretien des

routes et autres infrastructures. Ces différentes espèces de yuanies étaient présentés comme de simples animaux, dont les conditions de vie étaient finalement bien plus enviables que celles de nos poulets. Cependant, comme pour toute avancée scientifique un peu trop ambitieuse pour son temps, ces créatures peinaient parfois à se faire accepter du grand public qui se sentait mal à l'aise face à ces travailleurs à l'apparence trop humaine. Face à des mouvements de protestation devenus de plus en plus fréquents et de plus en plus agressifs, s'accompagnant parfois de la mise à mort par des civils de nombreux yuanies travaillant dans les rues, l'usage des hybrides finit par se cantonner à leurs utilisations premières au sein de l'armée ou de grandes entreprises, à l'écart du public.

À l'époque de ces débats éthiques, le jeune Vassili Vadik Zuyev venait de terminer sa thèse à l'université d'état Lomonossov à Moscou. Fasciné par ces créatures nouvelles, il décida de leur consacrer sa carrière, ayant le sentiment d'assister aux débuts d'une ère nouvelle où ces hybrides finiraient par devenir bien plus que de simples ouvriers bon marché. Suivant de près chaque avancée concernant les yuanies, il avait pour eux une toute autre ambition. Étant avant tout fasciné par les capacités cognitives de l'espèce humaine et par l'intelligence hors normes de certains de ses confrères scientifiques, il rêvait de bien plus grand pour ces hybrides que de simplement transporter de lourdes charges : il souhaitait reprendre les vieux rêves de l'Intelligence Artificielle en créant des êtres capables d'aider les humains dans des tâches plus complexes que de simple travaux physiques, faisant d'eux des assistants aux capacités variées dans les domaines de la comptabilité, de l'enseignement, de la médecine ou même de la recherche. Il n'était pas sûr de pouvoir donner à ses hybrides une intelligence supérieure à celle d'un humain diplômé, mais le fait qu'aucune loi n'oblige à verser un salaire à un animal permettait une réduction drastique des coûts de main d'œuvre, le principal inconvénient étant la nécessité d'éduquer soi-même ses assistants.

Après de nombreux travaux novateurs lui ayant permis l'acquisition d'une solide réputation dans la communauté scientifique, il fonda son propre laboratoire et réunit des chercheurs de tous horizons afin de donner naissance à un nouveau modèle de Yuanie à l'intelligence bien plus développée que ses prédécesseurs. Défiant les règles ayant permis la commercialisation de ces hybrides et grâce à la connaissance des gènes affectant le QI des individus humains, il les dota d'un cerveau aux capacités semblables, en théorie, à celles de la tranche supérieure de la population humaine. Soucieux de rendre son espèce unique sur tous les points, il décida de lui conférer une apparence se démarquant des autres espèces déjà existantes en basant leur anatomie faciale sur une espèce qui n'aurait pas encore été utilisée par ses prédécesseurs. L'un de ses collaborateurs, s'étant découvert une passion pour les ongulés africains lors de ses nombreuses années d'études à Johannesburg, suggéra d'utiliser les antilopes comme base esthétique pour ces hybrides si particuliers. La proposition fut acceptée, et l'équipe de scientifiques se mis alors à l'œuvre pour finaliser le génome du projet. Après quelques années d'essais peu convaincants (l'inconvénient de ces hybrides étant leur temps de génération très long), ils finirent par donner naissance en 2125 à quelques individus à l'intelligence suffisante. Issus de différents types d'antilopes, ils présentaient des pelages aux couleurs et aux motifs variés. Ainsi sont nés les Antecornes.