L’amortelisia


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Cher Neville,

Comment vas-tu ?

J’ai bien reçu l’échantillon. Il est parfait ! Je pense que je pourrai passer d’ici peu pour commencer les premiers prélèvements. Encore tous mes remerciements pour avoir accepté de t’occuper du bois de saule. Je suis certaine qu’il produira de merveilleuses baguettes.

Moi et Olivier vous embrassons.

Thalie

P.-S.: Tous nos vœux pour votre anniversaire de mariage !

Figé, Neville relisait la lettre pour la troisième fois. Pendant ce temps, la chouette de Thalie choisissait un des arbres du jardin pour y piquer un petit somme. Elle voleta un peu trop près d’un bosquet de fleurs violettes qui tentèrent de l’asperger de pollen, et poussa un hululement indigné en s’échappant juste à temps. Neville n’avait toujours pas relevé la tête.

Leur anniversaire de mariage ! Comment avait-il pu l’oublier ? Accablé, il se laissa tomber par terre, son arrosoir encore à la main. Qu’allait dire Rey ? Il n’avait même pas de cadeau !

Il jeta un coup d’œil furtif vers la maison. Il était encore bien tôt. Il s’était levé à l’aube pour prendre soin de plusieurs plants délicats, et avait pris toutes les précautions du monde pour ne pas réveiller sa femme - y compris se retenir de pousser un cri de douleur quand il s’était cogné le pied dans un meuble.

Combien de temps avait-il devant lui pour préparer quelque chose ? Peut-être une heure ? Il posa son arrosoir, retira ses gants, et plia la lettre de Thalie pour la glisser dans sa poche. Rey se réveillait souvent plus tôt que d’habitude quand il n’était plus là ; il n’avait même peut-être que vingt minutes. Il se précipita vers la cuisine.

***

-Bon anniversaire !

Rey bâilla en se redressant dans le lit.

-Mais… Nous ne sommes pas en août…? marmonna-t-elle en se frottant les yeux.

-De mariage ! ajouta précipitamment la voix de Neville.

Rey ouvrit de grands yeux. Il avait enfilé sa plus belle robe de sorcier et lui tendait un grand plateau. A côté d’une rose fraîchement coupée, il avait disposé du thé, du café, des gâteaux encore chauds, de la confiture et du pain grillé.

-Oh, murmura Rey en sentant ses yeux s’embuer. C’est adorable… Bon anniversaire à toi aussi !

Il s’approcha d’elle à pas très lents pour ne rien renverser et posa le plateau sur la couverture. Rey, un grand sourire aux lèvres, étala de la confiture sur un petit pain et croqua dedans.

-C’est bon ? s’enquit-il avec inquiétude. C’est la première fois que j’essaie les recettes du livre que nous a offert la mère de Ron.

“Très bon !” tenta d’articuler Rey - mais elle avait la bouche pleine. A la place, elle lui planta un baiser collant sur la joue, ce qui le fit rosir.

-J’ai failli oublier, confessa-t-elle en goûtant le thé. Je m’en suis rappelé il y a tout juste quelques jours. Tu veux voir ton cadeau ?

-B-Bien sûr ! dit Neville en déglutissant.

Rey le regarda.

-Tout va bien, Nev ? Tu as l’air un peu nerveux.

-Je vais très bien !

Il tenta de détourner l’attention de sa femme.

-J’ai reçu une lettre de Thalie… Tu veux la voir ?

-Bien sûr. Tiens, va voir ton cadeau pendant que je lis ça. Il est caché sous le lit. Je ne savais pas où le mettre.

Rey pouffa de rire et Neville s’empressa de lui tendre la lettre, puis de s’agenouiller pour regarder sous le matelas. Un paquet était effectivement présent, qu’il tira vers lui. Il avait une grosse boule dans la gorge, et défit les cordons autour du papier d’un air absent. Rey commentait la lettre de Thalie, mais il ne l’entendait pas.

-Qu’est-ce que tu en penses ? finit-elle par lui demander.

-Pardon ?

Rey pencha la tête sur le côté, l’air partagée entre l’inquiétude et la curiosité.

-Je te proposais de les inviter la semaine prochaine.

-Ah ! Oui ! s’exclama Neville d’une voix un peu tremblante. Formidable ! Faisons ça !

Rey fronça légèrement les sourcils. Dans sa robe de velours, Neville semblait transpirer. Il ouvrit enfin le paquet et souleva lentement à hauteur d’yeux le bocal qu’il contenait. A l’intérieur, une petite plante bleue s’agitait doucement, déployant des feuilles très fines.

-Le vendeur m’a assuré que la plante pouvait tenir le coup plusieurs jours dans le paquet cadeau, dit Rey un peu anxieuse à présent. Elle te plaît ? C’est une amortelisia. On raconte qu’elle fleurit là où on s’aime. Je… Je trouvais ça romantique. Je sais que tu avais adoré l’article écrit dessus dans le…

Neville pinçait les lèvres, les yeux pleins de larmes. Rey s’interrompit, posa la tartine qu’elle tenait encore à la main et sortit immédiatement du lit, la gorge nouée.

-Qu’est-ce qu’il y a ? Ça ne te plaît pas ? Je peux sûrement la changer…

-Si, si ! couina Neville. C’est… C’est parfait, c’est… C’est juste moi qui ne suis pas à la hauteur.

Rey s’agenouilla à côté de lui pour le prendre dans ses bras.

-Ne dis pas une chose pareille ! C’était un merveilleux petit-déjeuner, et tu es un merveilleux mari. Pourquoi n’aurais-tu pas droit à un cadeau ?

Mais Neville renifla et posa délicatement le bocal devant lui. Il hésita, mais devant l’inquiétude de Rey, se décida à avouer.

-J’avais… J’avais oublié la date. Grand-mère a raison de dire que je suis horriblement tête en l’air, regarde un peu ce que j’ai oublié. C’est…

Mais il ne put terminer sa phrase - Rey avait résolument tourné son menton dans sa direction pour l’embrasser. Se souvenant vaguement qu’il y avait une plante très fragile sur le côté, Neville se contorsionna pour enlacer sa femme et lui rendre son baiser. Quand elle rompit le contact, elle posa ses mains de chaque côté de son visage.

-Qu’est-ce que je dis toujours sur ta grand-mère, Neville ?

-De ne pas l’écouter aveuglément, répondit-il dans un soupir. Reconnais tout de même qu’elle a raison sur ce point.

-Elle a tort sur le fait que ce soit horrible. Je t’aime comme ça. Je ne suis pas fâchée, ni triste, sauf si tu l’es. Alors ne t’en veux pas, d’accord ? C’est la seule chose qui pourrait me gâcher la journée.

Neville finit par sourire, et la reprit dans ses bras.

-D’accord.

A côté d’eux, dans son bocal, l’amortelisia écarta quelques feuilles, dévoilant une fleur rose.