Impératrice


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Misical
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2 years, 8 months ago
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2 years, 6 months ago
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Published 2 years, 8 months ago
1909

Isabella est une jeune femme qui a survécu à plusieurs tentatives d’assassinat. Au lieu de devenir craintive et peureuse, elle a plutôt développé une grande méfiance voire même de la paranoïa. Elle évolue dans cet empire, cherchant à rallier les victimes des Dieux à sa cause : conquérir le reste du continent et asseoir son autorité.

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Réveil amer


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*   *   *

     Elle ouvrit difficilement les yeux et les leva vers son plafond. L’impératrice était confortablement allongée dans un lit douillet et parfumé, un rayon de soleil matinal éclairant son visage terne. Ses longs cheveux clairs ondulaient de part et d’autre de sa tête ailée, tout comme ses plumes noires reposaient sagement sur son oreiller. Elle s’éveilla dans la même position où elle s’était endormie. Sa chambre était blanche et lumineuse, la journée qui commençait serait sûrement magnifique, mais la jeune femme resta figée dans ses draps blancs.
Sa nuit de sommeil n’avait rien de salvateur, rien de reposant. Chaque début de nuit, lorsqu’elle s’allongeait et fermait les yeux, son esprit ne vagabondait pas au pays des rêves, mais dévalait sa vallée de souvenirs cauchemardesques. Comment pourrait-il en être autrement ? Depuis l’assassinat de ses parents, elle ne savait plus ce qu’une douce nuit réparatrice signifiait. Lorsqu’elle fermait les yeux, elle voyait le visage en sang de ses frères, de sa belle-sœur… puis le rire sournois de tous les traîtres.
Isabella s’assit lentement dans son lit. Elle se frotta les yeux comme une enfant fatiguée, peut-être par réflexe pour essuyer ses dernières larmes. Remettant ses idées en place, elle se leva finalement tout en claquant des doigts : une armée de servantes arriva dans sa chambre et s’activa pour aider la dame à sa toilette, pour se vêtir et se coiffer. Une fois le travail fait, on lui servit le petit déjeuner en chambre puis toutes les servantes prirent congé. C’était le rituel du matin, l’impératrice déjeunait seule dans sa chambre. Après ses nuits chaotiques, elle ne voulait voir personne. Elle ne souhaitait pas que les gens puissent constater sa mélancolie. Sa triste mine pouvait être cachée par le fait que « la reine n’était pas du matin » et ses servantes avaient pris pour habitude de ne pas lui adresser la parole.

La jeune femme sirotait son thé, tout en contemplant le ciel bleu de sa fenêtre. Peut-être que la solitude lui pesait trop ? Et si elle demandait à sa dame de compagnie de venir déjeuner avec elle le matin ? Ou si elle demandait à Kitty de venir lui brosser les cheveux ? À moins que ça ne soit elle-même qui ne lui brosse sa belle tignasse sauvage de félin ? Serait-ce une solution ? Soulagerait-il son cœur ? Mais avec tout ce qu’elle avait vécu, avait-elle encore un cœur ? L’impératrice reposa sa tasse tout en lâchant un triste soupir.

     — Quel magnifique soupir, Madame.

Isabella releva la tête surprise, déployant les ailes noires de son crâne, avant de reconnaître l’intrus dans sa chambre :

     — Mélius, fit-elle sur un ton de reproche. Il ne me semble pas t’avoir appeler.
     — Je venais vous prévenir que votre leçon de musique allait bientôt commencer. Comme vous tenez en horreur le retard, je voulais m’assurer que vous ne le seriez pas.
     — Oh… soupira-t-elle, ayant oublié qu’elle s'était engagée dans ce genre de leçon.

Le majordome observa sa dame en silence. Depuis qu’elle était montée au pouvoir, elle avait décidé d’apprendre à manier un instrument de musique par an, si l’année précédente c’était le violon, cette année il s’agissait de la harpe. Il s’inclina respectueusement :

     — Je peux renvoyer le professeur pour aujourd’hui si vous ne vous sentez pas d’humeur.
     — Non. Je vais m’y rendre.

L’impératrice se leva gracieusement, puis quitta sa chambre, suivie de près par son domestique. Ils croisèrent les servantes qui pénétrèrent dans la chambre pour la nettoyer. Celles-ci esquivèrent l’homme du regard, comme si elles le fuyaient de peur, ce qui fit esquisser un sourire malicieux à la souveraine. Rien de plus étonnant que son majordome ne fasse cet effet-là : avec les deux cornes rouges enroulées autour de son crâne, il était évident qu’il s'agissait d'un démon. Mais étrangement, il ne les dévoilait pas tout le temps et se cachait derrière un visage plus humain. Seulement, il continuait de dégageait une aura inquiétante, de quoi faire fuir n’importe qui, mais pas Isabella.
Avançant à travers le couloir ivoire du palais, elle s’adressa à lui :

     — Le général Sköll n’est toujours pas rentré ?
     — Vous inquiétez-vous pour lui ?

La jeune femme resta silencieuse. Si elle posait des questions, ce n’était pas pour en avoir une en guise de réponses. Surtout que cette dernière était embarrassante. Pour être inquiète, il faudrait un cœur, des sentiments… Elle n’avait plus ni l’un ni l’autre. Et ce serait insulter Antarès si elle éprouvait ne serait-ce qu’un brin d’inquiétude. Son général avait traversé la même folie humaine, la même guerre civile, le même coup d'État. Il avait traversé et survécu, avec elle, à toute cette haine. Il avait vu le pire en l’humanité. Rien ne pourrait plus le surprendre, rien ne pourrait plus l’émouvoir. Alors pourquoi s’inquiéterait-elle pour lui ? Il lui reviendrait. Fidèle à sa famille, fidèle à son rang, fidèle à son sang. Il lui reviendrait. Toujours.
Les ailes de son crâne s'affaissèrent, tout en baissant son regard terne. Il était l’un des rares survivants et alliés qu’elle possédait. Il ne l’avait jamais trahie. Alors pourquoi ? Pourquoi se méfiait-elle autant de cet homme ? Il lui avait prouvé plus d’une fois sa loyauté. Elle le considérait même comme son bras droit et c’était à lui qu’elle confiait les missions les plus périlleuses. Alors pourquoi ? Pourquoi son cœur s'était fermé pour cet homme ? Peut-être qu’elle avait peur. Peur de le perdre, lui qui était le dernier survivant. L'unique survivant à se souvenir de sa famille. L’unique témoin qui a connu celle qu’elle était avant tout ces drames. L’unique lien qui la rattachait encore à cette douce enfance.
Il représentait beaucoup trop de choses à ses yeux. Le perdre lui serait fatal, dans tous les sens du terme. Non seulement il était l’un des piliers de son empire, mais il était également son dernier rempart avant de sombrer dans la folie. Elle ne supporterait pas de le perdre, et plus que tout, elle ne supporterait pas une trahison venant de lui. Plutôt que d’angoisser à cette possibilité, elle préféra effacer les dernières miettes de son cœur. Elle préféra se méfier, s’attendant au pire des scénarios. Elle préféra peindre mentalement le plus sombre des tableaux, car si un jour il devait se réaliser, alors peut-être… peut-être que ce noir abyssal qu’elle avait peint dans son âme ne serait pas aussi lugubre et terrifiant que celui qu’elle vivrait. C’était sa seule défense, c’était son unique carte à jouer.

     — Ne vous inquiétez pas pour Antarès, il vous reviendra.
     — Je sais.
     — À ce jour, je n’ai reçu aucune nouvelle ; je suppose donc que sa mission est en franc succès pour le moment.
     — Rien de surprenant venant de sa part. Je suis certaine qu’il nous ramènera un ou deux suspects pour les torturer comme il aime tant le faire.

Mélius arqua un sourcil dans un sourire narquois. Antarès était dans une mission d’infiltration. Il s’était glissé dans une famille noble à la recherche d’informations. Des murmures s’élevaient dans les bas-fond du royaume d’Émeraude. De nouveaux complots, de nouvelles alliances… Apparemment, on entendrait ici et là du fait que le royaume Grenat, anciennement Onyx, soit annexé au royaume de Rubis ne plaisait guère. Le militaire cherchait à savoir si la cité d’Émeraude allait s’allier à celle de Lapis pour se lancer dans une attaque folle contre Rubis. L’impératrice était au pouvoir depuis quelque temps, mais son empire était encore fragile. Antarès veillait à ce que personne n’abuse de cette fragilité pour s’attaquer à sa souveraine.

     — Peut-être qu’il vous rapportera un souvenir moins sanglant qu’un suspect. Qu’aimeriez-vous qu’il vous rapporte ?
     — Du thé noir. Il paraît qu’il a de nombreux bienfaits sur la santé. Il parait aussi qu’il a un parfum et un goût unique… Ce serait le souvenir idéal.
     — Je constate que vous appréciez lorsqu’Antarès vous ramène quelque chose d’unique.
     — Je suis un être spécial, dit-elle dans un sourire. N’importe qui ne m’offre pas n’importe quoi.
     — Kitty vous offre des mauvaises herbes qu’il ramasse dans les jardins, lui fit remarquer le démon.
     — Kitty m’offre les fleurs sauvages qu’il cueille dans les jardins, corrigea l’impératrice. Et comme je l’ai dit ; n’importe qui ne m’offre pas n’importe quoi. Ses fleurs sont l’incarnation même de son innocence. Je les accepte avec joie.
     — Que souhaiteriez-vous que je vous offre ?

L’impératrice s’arrêta, se tournant vers ce démon tout en le regardant de haut et en levant un sourcil curieux. Son majordome s’arrêta également, les mains derrière le dos, se tenant droit devant elle.

     — Ta sincérité me suffit. Tu es sous mes ordres, tu n’as pas besoin de m’offrir quoi que ce soit.
     — Antarès et Kitty sont également sous vos ordres. Tout comme votre dame de compagnie mademoiselle de la Forest Divonne, ou encore mademoiselle Déïlidis qui se plie à votre volonté. Ils vous font tous des présents…
     — Et ? Serais-tu jaloux, Mélius ? Un démon serait-il jaloux des relations entre mortels ? Oh... À moins que tu n’ais envie de m’entendre te remercier ?

Il ne répondit pas et la jeune femme traduit ce silence pour une réponse honteusement positive. Elle plissa des yeux, fronçant légèrement le bout de son nez. Isabella l’avait déjà remercié. Une seule et unique fois. Un doux mot, chuchoté entre deux sanglots d'effroi et d’horreur. Une mélodie si agréable à l’oreille du démon qu’il ne saurait la retrouver nulle part. Il la regarda avec amusement. Pour lui, ce jour-là était inoubliable… mais peut-être qu’Isabella voulait enterrer ce souvenir, tout comme elle avait enterré son traître de fiancé.

     — Une impératrice ne remercie pas un serviteur.

Sa voix résonna dans le couloir et elle tourna les talons pour reprendre la route vers son cours de musique. Le majordome sourit. Il aurait aimé la taquiner encore, lui souligner que Kitty était lui aussi un de ses serviteurs, mais il savait qu’elle jouerait sur les mots pour lui donner tort. Il savait qu’elle aurait toujours le dernier mot. C’était ce qu’il lui plaisait chez elle. Ricanant pour lui-même, il lui emboîta simplement le pas. Sa vie était devenue bien plus stimulante depuis qu'il avait contracté un pacte avec cette femme. Il ne regretterait jamais son choix.

*   *   *