La Sorcière aux pierres scintillantes


Authors
Misical
Published
8 months, 21 days ago
Updated
7 months, 10 days ago
Stats
7 24325 4 35

Chapter 1
Published 8 months, 21 days ago
2836 4

Explicit Violence

Prime n’est pas qu’un simple chevalier, c’est un chasseur de monstres et un expert en sorcellerie. Il est engagé pour enquêter dans la région de Nathber suite à de nombreuses disparitions et de terrifiantes rumeurs. Habituellement, les bêtes dévoreuses d’hommes ne sont pas courantes dans ce genre de montagne. Le chevalier s’attend à trouver la sorcière qui les a invoqués, mais surtout à découvrir la raison de tous ces drames…

Theme Lighter Light Dark Darker Reset
Text Serif Sans Serif Reset
Text Size Reset

Les ruines oubliées


Une silhouette vêtue d’une cape sombre, sous laquelle se laissaient deviner quelques plaques de métal, traversait d’un pas lent la forêt rougie par l'arrivée de l'automne. L’on pouvait distinguer une épée à sa ceinture. L'air de la montagne commençait à se rafraîchir. Les feuilles de la forêt luxuriante, quant à elles, prenaient peu à peu cette teinte si spécifique à cette saison de l’année. Au sol, la terre humide côtoyait les chutes des hauts végétaux, entre feuilles et branches, mais également la flore plus basse, comme diverses herbes et champignons habilement dissimulés çà et là.
La forêt était, en plus de cela, très vivante, de par sa faune. Entre les chants des oiseaux sauvages, le bourdonnement des insectes et les autres cris des animaux, le voyageur finissait par trouver toute cette agitation bien trop bruyante pour lui. Il n’était plus capable de discerner le cliquetis que faisait sa propre armure dans ses déplacements. Toutefois, malgré cette cacophonie, il perçut le grondement sourd d’un orage en approche.
Les terres de Nathber étaient renommées pour regorger de plantes aux propriétés thérapeutiques. Beaucoup de mages et de guérisseurs circulaient entre la forêt et les villes pour la cueillette et leurs achats. Peu importe la saison de l’année, la nature avait toujours une végétation bien précise à offrir. Il y avait constamment du monde et du passage, les villes étaient immenses, modernes et resplendissantes. Elles abritaient toutes sortes de populations, de la modeste à la plus riche, de la plus ordinaire à la plus magique. Et pourtant, malgré la vie paisible et un commerce florissant, les temps devenaient sombres : des rumeurs étranges sur de mystérieuses disparitions circulaient partout dans la région, mais depuis peu, les on-dit devenaient presque absurdes. On parlait de créatures fantomatiques qui apparaissaient uniquement de nuit, dévorant troupeaux de moutons et bergers dans un silence lugubre, s’évaporant aussitôt le soleil levé, ne laissant plus qu’un village désolé au petit matin. Le territoire entier était terrifié… Et c’est ce qui expliquait pourquoi l’homme ne croisait aucun humain sur sa route.
Il se nommait Prime. Il s’agissait d’un chevalier, un chasseur de monstres, de faits occultes et de sorcellerie. Les autorités locales avaient fait appel à lui, puisqu’en se basant sur les témoignages, il était évident qu’il s’agissait là de l'œuvre d’une sorcière. Il se méfiait bien de ce genre de rumeurs ; les gens avaient tendance à exagérer leurs propos dès qu’on leur donnait un peu trop d’intérêt. Mais les disparitions étaient bel et bien réelles, alors il fallait prendre cette affaire très au sérieux.
Alors qu’il avançait prudemment sur un chemin de terre humide, ses réflexions s’arrêtèrent en même temps que ses pas : il venait de tomber sur des traces d’animaux encore fraîches. Le jeune homme s’accroupit quelques instants pour examiner ces empreintes de plus près. Il était difficile de savoir au premier coup d’œil s’il s’agissait d’un animal sauvage on ne peut plus banal, ou d’une créature occulte qui faisait semblant d’en être un. Les traces étaient nombreuses, mais Prime ne s’en soucia pas plus longtemps et reprit sa route. Puisque les empreintes étaient récentes, ces animaux devaient sûrement être encore dans les parages. Vu que les oiseaux chantaient à tue-tête et n’avaient pas fui la zone en sentant un quelconque danger, c’était une évidence même ; ce n’était pas ce qu’il cherchait.

Son errance l’enfonça de plus en plus au cœur de la forêt, qui était devenue bien plus dense. Les troncs d’arbres étaient immenses, le terrain devenait moins praticable puisqu’il suivait la courbe des montagnes. Prime ne se déséquilibra pas. Il était étonnamment agile malgré son armure. Gravissant les épaisses racines d’un arbre, il retomba lourdement au sol sur ses deux pieds. Le bruit de la faune et les obstacles de la flore auraient pu l’agacer, puisque son expression ne trahissait aucune satisfaction, mais le chasseur préférait clairement déambuler ici qu’être en ville. La foule et son vacarme étaient loin d’être aussi agréables que le chuchotement des feuilles. Il se sentait plus à l’aise et bien plus libre de ses mouvements lorsqu’il n’y avait personne autour de lui pour le gêner. Les parfums de la forêt étaient bien plus plaisants que ceux que l’on pouvait croiser dans les ruelles sombres. Ici, pas de fer, de rouille ou de sueur, il n’y avait que l’odeur de la mousse ou de la menthe poivrée.
En chemin, le chevalier fut plusieurs fois étonné de tomber nez à nez avec des biches ou des renards. Eux qui étaient habituellement si farouches à la vue des hommes, ces derniers n’avaient pas fui et continuaient leur route comme s’il n’avait jamais croisé l’homme à l’armure scintillante. À en croire leur réaction, ces animaux étaient habitués à voir des hommes ici et là. En y songeant un peu plus, ce n’était pas si étonnant. Il n’y avait que les mages pour s’enfoncer aussi loin dans la forêt. C’était un groupe d’individus qui respectait énormément la nature et qui ne chassait pas. Et c’était si commun d’en croiser à Nathber.

Le ciel lui parut de plus en plus sombre, tandis que les premières gouttes de pluie annonçaient l’arrivée imminente de l’orage. Prime continua d’avancer parmi les prémices de la pluie jusqu’à trouver un chemin un peu plus praticable. Il fut très surpris de découvrir les ruines d’un vieux monastère abandonné entre les arbres. Il s’en approcha, curieux. La nature avait repris ses droits sur la pierre taillée. Du lierre, de la mousse et des champignons recouvraient les murs qui tenaient encore fièrement debout. Par hasard, il restait encore des morceaux de toit à quelques endroits ; le chevalier choisit de s’abriter dessous tandis qu’il contemplait la pluie s’abattre sur la forêt. Un hasard, une aubaine ? Il ne savait le dire, mais il préféra se contenter de l’idée d’être au sec dans un premier temps.
Il tira sur sa cape pour qu’elle recouvre l’entièreté de son armure, tout en réfléchissant aux différentes options qui s’offraient à lui. La pluie n’était certainement pas un avantage et elle allait brouiller le peu de pistes qu’il aurait pu trouver. Si c’était le seul problème, il aurait pu le gérer autrement, mais l’averse était un phénomène qui trompait les sens. Un esprit malveillant pouvait s’infiltrer partout où il le voulait bien plus facilement lorsqu’il pleuvait. Prime se gratta la nuque, agacé. Il devait chasser un type de créature bien spécifique ; des dévoreuses d’hommes. Il n’avait pas le temps de jouer avec des esprits tourmentés, mais puisqu’il faisait encore jour, il n’y avait aucun risque de les apercevoir.
Le chevalier croisa les bras sous sa cape, appuyant son dos contre le mur en pierre en regardant au loin. Le temps changeait rapidement en montagne. Il espérait donc que cette pluie ne s’éternise pas. Il ferma les yeux, profitant du calme et de cette paix, relâchant ses muscles. Le son de la pluie battant la végétation, le grondement lointain de l’orage, le parfum des plantes amplifié par l’humidité… Il arrivait même à discerner l’eau s’infiltrant entre les fissures des pierres.
Alors qu’il pensait pouvoir continuer à profiter de ce calme, le jeune homme ouvrit subitement les yeux, se tournant brusquement vers l’intérieur du monastère en ruines. Son cœur avait manqué un battement, et avec la pluie tombant en trombe sur la forêt, il n’était pas sûr de ce qu’il avait cru entendre. Le tintement d’une pierre précieuse. Un son presque inaudible, et pourtant, il l’avait si clairement entendu qu’il en était troublé. Il avança prudemment vers le cœur des ruines, ne faisant que quelques pas avant de la croiser.
Elle était là, silencieuse, la silhouette grande et élancée. Une jeune femme se tenait debout, un panier en osier en main calé contre sa hanche. Elle se tourna lentement vers le chevalier, retirant poliment sa capuche pour dévoiler une longue chevelure d’ébène qui s’entortillait autour de son visage, faisant ressortir son teint pâle. Ses yeux étaient clairs, du même azur que celui du ciel d’hiver. Calme, froid et vaste. Mais le regard de Prime fut attiré par le scintillement de la pierre précieuse bleue qu’elle portait en pendentif autour de son cou et qui reposait sur le haut de sa poitrine. Était-ce cette pierre qu’il avait cru entendre ? La jeune femme fronça curieusement les sourcils avant de lui sourire tendrement.

— Vous n’êtes pas un mage pour vous enfoncer aussi loin dans la forêt. Qui êtes-vous ?

Sa voix était douce, et il pouvait sentir une touche d’amusement dans sa question. Ses yeux céruléens scintillaient de curiosité, comme si cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas eu l’occasion de faire la conversation. Le jeune homme tira sur sa cape pour dévoiler son armure tout en s’inclinant respectueusement.

— Je ne suis qu’un simple voyageur, Mademoiselle.
— Un simple voyageur serait-il autant armé pour traverser une forêt ? N’êtes-vous pas plutôt un noble chasseur ?
— Je crains de n’avoir rien de noble, mais le terme de chasseur n’est pas si éloigné de la réalité.
— Qu’êtes-vous venu chasser dans ce cas ?

Prime releva son regard écarlate pour croiser le sien, impassible. La jeune femme lui sourit à nouveau, attendant patiemment sa réponse et n’étant nullement gênée par son soudain silence. Le son de la pluie avait repris sa place entre eux, et même abrités ici, ils pouvaient entendre quelques gouttes s’échapper des toits délabrés. Ce ne fut qu’après quelques secondes qu’elle comprit qu’elle ne s’était toujours pas présentée tandis qu’elle l’assaillait de questions. Son sourire s’attendrit, alors qu’elle plissait légèrement ses yeux pour lui offrir un regard sincère. Elle tira sur un pan de sa robe pour s’incliner à son tour. La pierre autour de son cou s’agita à ce mouvement, scintillant une nouvelle fois.

— Je suis une humble guérisseuse, j’habite dans la région.
— Et vous vous promenez seule, malgré le danger ?
— Je ne crains pas les bêtes de la forêt, je sais les éviter.
— Qu’en est-il des mauvais esprits ?

Sa question sut la faire taire et lui faire perdre son sourire un peu trop naïf à son goût. La jeune femme le scruta quelques instants, la bouche entrouverte, comme si elle en avait perdu la parole. Elle finit par lâcher un soupir désolé, tout en détournant les yeux et remettant une mèche de cheveux derrière son oreille :

— Je vois… Vous êtes ici à cause des rumeurs. Vous traquez ces créatures de la nuit, n’est-ce pas ? Toutefois, si je puis me permettre de vous donner mon avis, vous devriez faire demi-tour. Vous n’êtes pas le premier chasseur à s’aventurer par ici… Ceux qui ont eu le malheur d’aller trop loin dans la forêt n’en sont jamais revenus.
— Je vous remercie pour votre sollicitude, mais dès lors que j’ai accepté un contrat, je m’y tiens jusqu’au bout.
— Je vous prie de m’écouter ! Ne faites pas de folie !

der1jaq-eb4c3106-fddd-4e36-8edc-14f59ead

Elle s’avança si brusquement vers lui que le chevalier eut un mouvement de recul, mais impossible pour lui de détacher son regard du sien.

— Vous savez tout ce que l’on raconte sur ces créatures ? Comment elles déchiquettent leur proie ?! C’est trop dangereux, vous devriez partir !
— Mais si personne ne s’en occupe maintenant, il y aura d’autres victimes. Il semblerait qu’elles descendent jusqu’au village pour attaquer les bergers.
— Il faut se méfier des rumeurs…
— Les morts ne sont pas des rumeurs.

Il lui répondait calmement mais avec tellement de fermeté qu’elle ne savait plus quoi rétorquer. Prime voyait bien que la jeune femme semblait très inquiète à son sujet, mais il avait surtout l’impression qu’elle lui cachait quelque chose. Il soupira, posant une main sur l’épaule de la guérisseuse, aussi bien pour la rassurer que pour la repousser de quelques centimètres de lui :

— Écoutez, je comprends votre inquiétude… Mais si vous vous souciez à ce point-là de la sécurité du peuple, vous devriez me laisser faire mon travail.

Elle inspira douloureusement, mais finit par approuver de la tête. Le chevalier l’observa longuement. Les traits de son visage étaient fins, sans aucune imperfection, et lorsqu’elle baissait ses yeux azur, ils étaient partiellement masqués par de longs cils noirs. Tout chez elle n’était qu’élégance, même ses mains avaient de longs doigts délicats, pareils à ceux des artistes. C’était si inattendu de croiser une telle dame en ces lieux qu’il était tenté de croire qu’il s’agissait en réalité d’une sorcière.

— Très bien, je n’insisterai pas… Votre décision est prise de toute façon. Je ne peux que vous souhaiter bonne chance.
— Je ne crois pas en la chance, mais je vous remercie.

Elle releva sa tête dans un demi-sourire curieux. Le chevalier arqua un sourcil, se demandant bien ce qu’une telle expression pouvait cacher.

— Vous chassez des créatures occultes et maléfiques, mais vous ne croyez pas en la chance ?
— Est-ce si surprenant ? Demanda-t-il, toujours aussi curieux.
— Bien sûr ! Rit-elle, sans aucune once de méchanceté. Si vous côtoyez la magie d’aussi près, aussi bonne que mauvaise, vous devriez croire en votre chance !

Prime ferma les yeux quelques instants, silencieux. La pluie tombait toujours autour d’eux, même si elle semblait enfin se calmer. Il finit par les rouvrir, fixant le sol. Que pouvait-il lui répondre ? Il n’était pas quelqu’un de très chanceux, ni lui, ni son père et encore moins le reste de sa famille. Rien que de songer à ce funeste souvenir, il serra le poing, comme si la chevalière qu’il portait à son doigt lui brûlait la peau. La guérisseuse remarqua bien que ce silence n’était pas comme les précédents. Elle osa toucher sa main du bout des doigts, ramenant le jeune homme au présent. Ce dernier soupira lourdement, remettant ses cheveux en arrière, légèrement agacé :

— Je sais d’expérience qu’il faut se méfier de la magie… De toutes les magies.

Il jeta un regard en direction de la guérisseuse. La jeune femme frémit, un frisson l’électrisant et remontant le long de sa colonne vertébrale. Son regard grenat était si perçant qu’elle ne réussit pas à détourner le sien. Elle se sentit subitement honteuse et une vieille angoisse lui noua la gorge. Elle se pinça les lèvres, regrettant immédiatement ses paroles, se rendant compte qu’elles avaient causé du tort à son interlocuteur. Elle s’inclina respectueusement, rougissant d’embarras ; c’était la première fois depuis longtemps qu’elle rencontrait quelqu’un qui semblait autant rejeter la magie.

— Veuillez m’excuser, j’ignorais que…
— Ne vous en faites pas, c’est dans votre culture. Ne faites pas attention à moi.

Il détourna la tête, remarquant que la pluie s’était finalement arrêtée. Il était temps pour lui de reprendre la route. Il s’intéressa à nouveau à la jeune femme, lui adressant un discret sourire qui la prit au dépourvu :

— Je vous souhaite un bon retour chez vous, Mademoiselle la guérisseuse.
— Je… Hésita-t-elle. Je vous souhaite bon courage.

Le chevalier approuva silencieusement de la tête, puis il tourna les talons pour quitter les lieux. La jeune femme leva des yeux désolés vers lui tandis qu’il s’éloignait lentement, disparaissant derrière les arbres. Elle espérait de tout cœur qu’il s’en sortirait, puisqu’elle savait exactement vers quel danger il avançait.