Juste avant l'aurore


Authors
Ethelea
Published
5 months, 26 days ago
Updated
5 months, 26 days ago
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Chapter 1
Published 5 months, 26 days ago
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Explicit Sexual Content Explicit Violence

Prime, le chevalier solitaire, oeuvre à la protection des villages en affrontant des créatures hostiles. En terrassant l'une d'elle, il a le sentiment qu'une menace bien plus grande le guette. Il va alors demander conseil auprès de Tomolo, sorcière aux grands pouvoirs. Leur enquête pourrait bien le pousser à affronter les démons les plus terribles de son passé.

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Author's Notes

Cette histoire s'inscrit dans l'univers Colombe et Corbeau de Misical, et est liée au spin-off "La sorcière aux pierres scintillantes".

Chapitre 1


Le soldat chuta lourdement en échappant son épée. Devant lui, la bête contre laquelle lui et ses deux camarades s’acharnaient depuis déjà de longues minutes ne montrait toujours aucun signe de fatigue. 

La tête basse, ses yeux rouges rivés sur sa proie désignée, il avança lentement en retroussant ses babines, dévoilant d’immenses crocs immaculés.

— Attention !

Son camarade arriva juste à temps pour faire diversion. Il fit siffler sa lame en direction du loup gigantesque qui recula d’un bond, grognant furieusement. Le soldat à terre en profita pour récupérer son épée, et jeta un regard préoccupé à son second allié, dont la lame avait été brisée en deux par la créature, et qui n’avait toujours pas repris connaissance.

Le monstre n’avait plus la moindre patience, désormais. Il était habitué à affronter des cibles ridiculement plus faibles que lui, qui avaient à peine la force de hurler avant qu’il ne les dévore des pieds à la tête. 

La colère le consumait. Une rage si pure, si implacable, que tuer était devenu sa seule raison d’être.

Il bondit sur le soldat qui avait osé se placer entre lui et son repas désigné, et ce dernier s’écroula sous le poids de la créature. Son armure ne le défendrait pas longtemps face aux crocs acérés du monstre, qui s’empara de son avant-bras et serra les mâchoires. Le soldat hurla sous les yeux impuissants de son compagnon épuisé, tandis que d’abondants flots de son sang s’échappaient des interstices de son armure.

Soudain, une vive lumière éclaira la pénombre de ce début de soirée. Des bruits de pas de plus en plus forts retentirent, et le loup bondit en arrière, lâchant enfin sa proie, pour esquiver un coup de lame enflammée. 

Le soldat se jeta sur son allié pour l’aider à se redresser, tout en levant les yeux. Une silhouette venait de sortir des ténèbres, son épée encore rougeoyante, et marchait calmement vers la créature. Sa longue cape sombre comme la nuit s’agitait dans le vent, à l’instar de sa longue chevelure ébène qu’il avait sommairement attachée dans son dos.

Le soldat ouvrit de grands yeux. Il reconnut cette armure rutilante et cette chevalière que le jeune homme portait à sa main droite, celle qui tenait la sublime épée enflammée qui avait tant effrayé le loup géant.

— Vous… vous êtes ce chevalier dont on parle ? conjectura le soldat, encore secoué. Prime ?

— Gardez vos distances, répondit simplement Prime.

 Il darda son regard écarlate sur le loup géant, qui sembla hésiter à relancer un assaut, comme s’il avait senti que ce nouvel adversaire ne serait pas aussi facile à maîtriser.

— Nos attaques ne lui font rien, gémit le soldat en soulevant son camarade tant bien que mal pour l’aider à se reculer. Il est beaucoup trop rapide, impossible de... 

Il s’interrompit avec effroi lorsque le monstre attaqua, se jetant gueule ouverte sur Prime. Ce dernier esquiva avec agilité, et fit siffler sa lame en un grand arc-de-cercle qui frappa le dos du monstre. 

Le loup hurla et roula au sol, mais n’abandonna pas. Au lieu de temporiser, dévoré par la douleur et son intarissable fureur, il se jeta à nouveau sur Prime, mais ce dernier était toujours aussi prêt à l’accueillir. Il tendit sa lame droit devant lui, et le loup s’en saisit de sa puissante mâchoire. 

L’épéiste se mit sur ses appuis, surpris par la témérité de la créature qui avait bien compris que sans cette arme, il aurait le champ libre pour mettre à bien ses mises à mort. Quitte à sentir ses mâchoires brûler, s’il saisissait l’occasion de briser cette lame, la victoire serait sienne. 

Prime savait qu’il n’avait que quelques secondes pour faire lâcher prise à la créature, avant que ses mâchoires puissantes ne brisent son arme. Il serra son épée d’une main, et de l’autre, s’empara à l’aveugle de la dague en argent qu’il avait à sa ceinture, et sans hésiter, la planta dans l’un des yeux de la créature.

Le loup lâcha prise en poussant un horrible rugissement. Il secoua la tête en y passant vainement ses pattes, les nerfs électrisés par la douleur. Prime recula d’un pas et se remit en garde, son épée dans une main, sa dague dans l’autre. L’œil désormais unique de son adversaire se fixa à nouveau sur lui, et il retroussa ses babines partiellement brûlées pour dévoiler ses gencives sanguinolentes.

— Je sais qui tu es.

Prime fronça les sourcils et jeta un regard machinal autour de lui. Avait-il rêvé, ou cette voix avait émané des entrailles de cette créature ?

Profitant de la confusion, le loup bondit et Prime se laissa surprendre. Il chuta lourdement au sol, et la créature appuya sur chacun de ses bras, les immobilisant sous son poids.

Le chevalier sentit l’haleine brûlante et putride de la créature, qui ouvrit la gueule avec l’intention de la refermer sur sa tête, seule partie vitale de son corps qui n’était pas couvert de son épaisse armure.

— Sais-tu qui je suis ?

Un frisson remonta le long de l’échine de Prime au son de cette voix éthérée, étrange, et profondément malsaine. Elle émanait définitivement de la créature.

Dans un réflexe de survie, il redressa les genoux et envoya ses pieds à pleine puissance dans le thorax du loup, qui perdit ses appuis le temps que Prime libère son bras gauche, qui empoignait toujours fermement la dague d’argent.

  Il plongea son bras vers la gorge de la créature, et la courte lame s’y enfonça en laissant échapper un abondant flot de sang noir. Le loup tituba et recula, ses râles étouffés par son propre sang qui s’échappait de son encolure, et s’écroula enfin sur le sol, de violents spasmes agitant ses membres.

Prime se redressa lentement, le regard dardé vers le monstre qui cessa bientôt de bouger, ses yeux rivés dans le vide. En retrait, les deux soldats encore conscients fixèrent la dépouille de la créature sans un mot. Un silence pesant s’éleva, chassé par le vent du crépuscule.

Timidement, les chouettes se mirent à hululer dans la nuit.


***

Lorsqu’on toqua aux portes de son salon, la comtesse d’Adel se leva, saisissant sa robe ivoire et or pour ne pas la piétiner. Son majordome ouvrit sans attendre de réponse orale. Dès qu’il croisa le regard de la jeune femme, cette dernière comprit qu’il avait une bonne nouvelle à lui annoncer.

— Le chevalier est de retour, annonça finalement l’homme avec une voix légèrement fébrile.

Il s’écarta et laissa entrer Prime le premier. La comtesse ajusta sommairement sa chevelure rousse qui ondulait sur son épaule, et retint un gémissement de dégoût en observant la main de Prime, qui tenait la tête du monstre qui avait terrorisé ses terres des semaines durant. La gueule béante, son unique œil figé dans le néant, ses crocs semblaient encore prêts à mordre, malgré l’immobilité absolue de la créature qui avait été décapitée par précaution. L’armure de Prime semblait avoir été aspergée avec un liquide très sombre, qu’elle conjectura être du sang ; il en avait même quelques traces qui avaient tenu bon sur ses tempes. 

— Je m’excuse de venir à vous en cette heure tardive, déclara Prime. Voilà la créature qui sévissait sur vos terres, Madame, ajouta-t-il en tendant son bras devant lui, brandissant la preuve incontestable que sa mission avait été couronnée de succès.

— Êtes-vous blessé ? demanda la comtesse, préoccupée, en tâchant de ne pas regarder la tête de la créature, qui la mettait particulièrement mal à l’aise. 

— Je n’ai rien, répondit simplement Prime, mais trois de vos soldats étaient aux prises avec la créature lorsque je suis arrivé. Aucun n’a perdu la vie, heureusement.

— Je les ai fait conduire au poste de soin, assura le majordome en plaquant un mouchoir immaculé sur son nez. Ils devraient se remettre de leurs blessures. Madame, souhaitez-vous que…

Il désigna d’un geste fébrile la tête du loup, et la comtesse approuva d’un vif signe de tête.

— Qu’on débarrasse Messire Prime de cette créature, exigea la comtesse à l’attention d’un de ses gardes, posté à l’extérieur de son salon. Preuve est faite de son exploit. Vous pouvez annoncer à nos villages que le monstre qui les terrorisait n’est plus.

Le soldat s’avança vivement vers Prime, s’empara de la tête décapitée du monstre, et quitta le salon sans attendre, sous le regard soulagé de la comtesse et de son majordome.

Un homme vêtu d’un costume impeccable s’avança à son tour, et tendit à Prime une bourse généreusement remplie de pièces d’or.

— Vous m’avez rendu un fier service, Messire Prime, déclara la comtesse en joignant ses mains contre sa poitrine. Soyez-en remercié.

Le chevalier s’empara de la bourse avec un signe de tête. Le seul avantage d’une telle profession, où il dansait avec la mort si souvent, était de ne jamais être à court de moyens, de par les coquettes sommes d’argent qu’il recevait en l’échange de ses précieux services.

— Laissez-moi vous offrir à boire, pria la comtesse en lui faisant signe de prendre place d’une main, et en attirant l’attention de son serviteur de l’autre.

Prime s’avança vers le fauteuil le plus proche et s’y laissa tomber, soulagé de pouvoir s’asseoir ailleurs que sur le tabouret rudimentaire d’une auberge bruyante. On lui apporta un verre qu’on emplit d’un liquide ambré, dont le parfum floral était particulièrement attrayant.

La comtesse prit place en face de lui et leva son verre dans sa direction.

— À votre victoire, dit-elle avec un sourire ému.

Prime leva son verre à son tour et porta le liquide à ses lèvres. Il avait surveillé les laquais du coin de l’œil au moment où il avait été servi, afin de s’assurer que le breuvage qu’on lui avait proposé était strictement le même que celui de la comtesse, et que rien de suspect n’avait été glissé dans son verre. Depuis qu’un marquis zélé avait tenté de l’empoisonner pour le dépouiller et récupérer l’or qu’il lui avait cédé pour avoir attrapé un dangereux tueur, Prime était devenu quelque peu méfiant, surtout vis-à-vis des personnes de haut rang.

— C’est un réel soulagement que vous ayez pu venir à bout de cette créature, reprit la comtesse avec un sourire sincère. De plus, cela libèrera du temps pour nos soldats, ils ne savent plus où donner de la tête par les temps qui courent.

Prime reposa un instant son verre en jetant un regard interrogateur à la comtesse.

— Vous déplorez d’autres attaques ? D’autres créatures ? questionna Prime.

— Non, le rassura la comtesse. En revanche, nous observons une recrudescence sans précédent de la criminalité dans nos villages. Beaucoup d’agressions, et même de meurtres… Nous allons pouvoir redoubler d’efforts pour gérer cette situation délicate, grâce à vous. Mais nous avons encore beaucoup à faire.

Prime détourna le regard, songeur. C’était bien la première fois qu’il se souvenait avoir entendu de tels propos dans les environs, où les villages étaient réputés paisibles, et ce, à juste titre.

— Avez-vous une idée de ce qui a causé cette hausse de la criminalité ? interrogea-t-il en s’emparant à nouveau de son verre.

— Pas la moindre, déplora la comtesse. 

— Pourrait-ce être le fait de bandits, qui chercheraient à déstabiliser le comté et sévir plus facilement en agissant de façon synchrone ?

— J’en doute, admit la comtesse en baissant les yeux sur son verre, qu’elle buvait à petites gorgées. Nous avons déjà procédé à plusieurs arrestations. Un jour, un veuf. Le lendemain, une jeune fille tout juste sortie de l’adolescence. Puis un garçon de ferme, que tout le monde décrivait comme gentil et incapable de nuire à qui que ce fut… Nous n’avons identifié aucun bandit, seulement des citoyens normaux qui semblent… perdre la raison ?

Prime ne répondit rien, songeur. Il ne savait pas quoi en penser, mais pour sûr, la situation était préoccupante. Il porta sa boisson à ses lèvres et termina son verre en une grande gorgée. 

— Je dois prendre congé, s’excusa-t-il ensuite en se levant vivement. Il se fait tard, et je ne veux pas vous déranger davantage. N’hésitez pas à me solliciter à nouveau en cas de problème. Mais j’espère sincèrement que cette crise se calmera bientôt.

La comtesse se leva à son tour, et lui adressa un large sourire.

— Merci, messire Prime, dit-elle en saisissant machinalement le délicat pendentif qu’elle portait autour du cou. Mais comme vous dites, il se fait bien tard ; ne resteriez-vous point pour la nuit ? Je pourrai faire nettoyer vos vêtements et votre armure ; ils en ont bien besoin.

Prime poussa un léger soupir. Vu son état, c’était en effet une option séduisante.

— Je vais vous faire préparer une chambre sur-le-champ, affirma la comtesse en le dépassant à pas vifs. Vous avez bien mérité un peu de repos.


***


Prime quitta la riche demeure de la comtesse d’Adel aux premières lueurs du jour, sa cape nettoyée mais encore humide sous le bras. Prendre un bain et dormir dans un lit digne de ce nom lui avaient restitué toute son énergie, et il en ferait bon usage. La comtesse avait bien insisté pour qu’il s’attarde encore un peu, et Prime soupçonnait que ce n’était pas que son sens accru de l’hospitalité qui était à l’œuvre ici. Avoir un chevalier tel que lui sous la main était probablement bien pratique ; il s’était même attendu à ce que la jeune femme lui propose de faire partie de sa garde personnelle. Mais rester ici n’était pas une option viable pour lui. Quelque chose rôdait en son esprit, un mauvais pressentiment qui lui demandait de reprendre la route. 

Il se mit à arpenter les rues sans but précis, entièrement consacré à ses réflexions. Cela faisait maintenant plus d’un an qu’il avait repris son activité de mercenaire, offrant ses services aux villes qui avaient besoin d’être défendues face à des créatures, quelles qu’elles soient. Il avait alors l’habitude de terrasser de faibles monstruosités émanant de quelque contrée reculée, sans jamais faillir à son devoir. Mais ces derniers temps, ses journées étaient bien chargées. Cela faisait deux missions de suite où il avait senti la mort le frôler, ce qui ne faisait plus partie de ses habitudes. Seulement quelques jours auparavant, il avait passé des semaines à traquer une créature mystérieuse qui sévissait sur un large territoire, et tuait des villageois sans jamais laisser la moindre empreinte derrière elle. Après une longue enquête, il avait fini par débusquer un serpent aux dimensions anormales, et contre lequel il avait mené un furieux combat. Au prix d’une blessure sévère au bras, les crochets du serpent ayant réussi à percer son armure, Prime avait réussi à s’en défaire, mais n’avait toujours pas compris d’où était venue une telle créature. Il fit le rapprochement avec le loup ; devait-il aussi le faire avec cette hausse de la criminalité ? Avec ces citoyens ordinaires qui se retrouvaient coupables des pires exactions du jour au lendemain, les uns après les autres ?

Se passait-il quelque chose de plus grand, de plus inquiétant ? 


Prime leva les yeux, alors qu’il déambulait le long de hauts remparts offrant une vue splendide sur le village en contrebas, et les terres sauvages au-delà. Le comté d’Adel prenait fin au niveau de la chaîne de montagnes, marquant sa séparation avec la région de Nathber. De là où il se trouvait, Prime pouvait apercevoir les sommets escarpés de la montagne naissante, et devinait les denses forêts qui la recouvraient dans sa quasi-totalité. Il connaissait bien le chemin qui le mènerait jusqu’à Nathber.

Peut-être l’heure était-elle venue de rendre visite à une vieille amie.