Juste avant l'aurore


Authors
Ethelea
Published
6 months, 24 days ago
Updated
6 months, 24 days ago
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Chapter 2
Published 6 months, 24 days ago
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Explicit Sexual Content Explicit Violence

Prime, le chevalier solitaire, oeuvre à la protection des villages en affrontant des créatures hostiles. En terrassant l'une d'elle, il a le sentiment qu'une menace bien plus grande le guette. Il va alors demander conseil auprès de Tomolo, sorcière aux grands pouvoirs. Leur enquête pourrait bien le pousser à affronter les démons les plus terribles de son passé.

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Author's Notes

Cette histoire s'inscrit dans l'univers Colombe et Corbeau de Misical, et est liée au spin-off "La sorcière aux pierres scintillantes".

Chapitre 2


L’ambiance animée de la ville céda sa place au calme de la campagne, puis à la sérénité de la forêt qui marquait la frontière entre les deux régions voisines. Tandis qu’il circulait entre les troncs des chênes et des conifères, Prime contemplait avec mélancolie les reliefs discrets du sol, les pierres affleurantes couvertes de mousse humide, les racines puissantes des arbres qui ondulaient jusqu’à sortir du sol. La forêt était pareille à ses souvenirs, rythmée aussi bien par la course du soleil que par le gazouillement joyeux des oiseaux, qui donnait vie à cette nature reculée. Le parfum des herbes médicinales et des fleurs fraîchement écloses caressa bientôt ses narines. Résolument, cette ambiance était beaucoup plus plaisante à ses yeux que celle de la ville.

Prime se laissait envahir par la sérénité du lieu, mais ne perdait pas sa route de vue. Il était aisé de s’égarer dans ces bois denses et sauvages, et il n’avait pas le temps de faire des détours. Il commençait à reconnaître les lieux, son aura familière de plus en plus présente, incarnée par certains arbres remarquables, des monolithes aux formes caractéristiques, probablement installées des siècles auparavant par quelque mage solitaire.

Il fut surpris par un bruissement de feuilles, et aperçut une biche s’enfuir agilement en bondissant entre les bosquets. Cela faisait bien longtemps qu’il n’en avait pas vu une de si près. Alors qu’il cherchait le meilleur sentier pour poursuivre son avancée, il remarqua au loin une forme se détacher de la sylve ombragée. Elle voletait entre les arbres, et fonçait dans sa direction. Prime ne sortit pas son arme : il avait reconnu de loin les formes graciles d’une fée. Le petit peuple semblait toujours occuper les lieux, ce qui n’était pas sans le rassurer.

— Messire Prime ! lança joyeusement la fée dès qu’elle fut à portée du chevalier.

Elle se mit à virevolter joyeusement autour de lui tandis qu’il reprenait la route en lui adressant un salut respectueux. 

— Quelle joie de vous voir par ici ! renchérit-elle. Madame Tomolo va être si heureuse de vous revoir. Vous lui avez énormément manqué, vous savez.

Prime lui jeta un regard amusé.

— Voilà qui est flatteur, dit-il. 

Le chevalier poursuivit sa route en n’écoutant que d’une oreille les élucubrations de la petite créature qui continuait de lui raconter combien son absence avait été vécue comme un long supplice par son amie et fidèle alliée, bien conscient que les fées n’avaient, de façon générale, pas leur pareil pour inventer et exagérer les histoires.

Lorsque la forme familière de la petite maison des bois se dessina devant lui, Prime décocha un sourire instinctif. De la fumée s’échappait de la toiture par la cheminée : peut-être la sorcière était-elle en train de préparer quelque concoction dont elle avait le secret.

Avant même que Prime n’atteigne la porte d’entrée, la fée, qui s’était entre-temps installée sur son épaule, décolla à tire d’ailes et alla taper la porte avec toutes les forces dont elle disposait, en criant à tue-tête.

— Madame, madame ! Venez vite, c’est important !

Prime fit quelques pas pour se rapprocher de la porte d’entrée, ajustant machinalement sa cape encore humide par-dessus son armure. Il retira une feuille morte qui s’était emmêlée dans sa chevelure fine, puis s’éclaircit la voix. Alors qu’il allait toquer, des pas déterminés se firent entendre dans la demeure. 

— Qu’y a-t-il encore ?! vociféra une voix à l’intérieur. Je vous ai déjà demandé de ne pas me déranger le matin !

Un cliquetis résonna et la porte s’ouvrit brusquement sur une silhouette gracile, dotée d’une longue chevelure d’ébène, et vêtue d’une robe ample qui tombait jusqu’à ses chevilles. Ses joues empourprées trahissaient son énervement vis-à-vis de la fée qui voleta innocemment face à elle.

— Quand est-ce que vous allez enfin...

Elle s’interrompit lorsqu’elle se rendit compte de la présence du chevalier, qui la regardait avec surprise, la main encore levée pour toquer à la porte. La sorcière porta une main à sa bouche et recula d’un pas, le cœur battant.

— M… Messire Prime ! s’exclama-t-elle. Je suis désolée, je ne pensais pas que ce serait vous ! Je veux dire… quel bon vent vous amène ? 

Prime ne put retenir un rire léger face à l’expression décontenancée de la sorcière, qui essayait désormais d’arranger sa dense tignasse. Ses yeux céruléens se plongèrent temporairement dans les siens, avant qu’elle ne détourne le regard, embarrassée. Le chevalier se demanda instantanément comment il avait fait pour passer tant de temps sans songer à aller lui rendre visite.

Il s’inclina respectueusement, une main contre la poitrine.

— On m’a dit qu’une guérisseuse de talent vivait dans cette contrée, dit-il avec un petit sourire. 

Tomolo se laissa aller à rire, et recula de quelques pas.

— Je peux peut-être vous aider, Messire chevalier, répondit-elle en l’invitant à entrer.

Prime s’avança dans la demeure. Arrivé auprès de Tomolo, il saisit délicatement la main de la jeune femme, et y déposa ses lèvres.

— Mes respects, mademoiselle, dit-il.

Tomolo se crispa instantanément, inapte à dissimuler la gêne qui se manifesta sur son visage, trahie par ses pommettes rosies. Elle jeta un regard à l’extérieur : la fée observait la scène en se tenant les joues, un sourire béat sur les lèvres.

La jeune femme referma sans douceur la porte de sa maison, espérant avoir enfin un peu de tranquillité. Elle jeta un sourire timide à Prime, et l’invita à déposer ses effets encombrants. Le visiteur s’exécuta en observant la demeure. Rien n’avait changé ; les livres étaient sagement rangés dans leurs larges étagères, et les plantes d’intérieur grimpaient contre les murs dans l’espoir de glaner un maximum de lumière, étendant leurs racines dans de grands pots en terre cuite. Au-dessus d’un lit supplémentaire que la sorcière utilisait pour accueillir d’éventuels blessés, et où il avait dormi bien des nuits, un carillon orné de pierres précieuses valsait lentement.

Levant les yeux, il aperçut, perchés sur des poutres de bois, une petite troupe de chats qui l’observaient de leurs grands yeux curieux. Deux entièrement noirs, et trois parés de belles couleurs entre le fauve et le gris. Il sourit. Les chatons de Minuit avaient bien grandi.

— Vous ne devez pas vous ennuyer, entre les chats et le petit peuple qui vit à vos portes, conjectura Prime en jetant un regard à l’extérieur via l’épais carreau de verre, tout en pliant soigneusement sa cape.

— Je vous le confirme, soupira Tomolo en s’approchant de la grande marmite qu’elle avait installée dans la cheminée, et sous laquelle crépitait un feu tranquille.

Elle alla remuer le contenu à l’aide d’une grande louche en bois. Intrigué, le chevalier s’approcha, humant les subtils parfums que la concoction répandait dans l’air.

— Que préparez-vous ? demanda-t-il.

— Un breuvage très prisé, répondit la sorcière d’une voix énigmatique. 

Elle porta la louche à ses lèvres, pour humer de plus près sa préparation. Le parfum caractéristique des essences florales qu’elle avait utilisées n’était pas encore très présent : il allait falloir prolonger la cuisson.

— C’est un remède universel dont j’ai le secret, expliqua fièrement Tomolo. Rien de tel pour aider le corps à guérir en cas de maladie ou de blessure.

Elle jeta un regard machinal vers Prime, et fronça les sourcils. Le jeune homme avait retroussé la manche de son chemisier, dévoilant un épais bandage sur son avant-bras.

— Vous vous êtes blessé ? interrogea-t-elle en se levant, inquiète.

Prime jeta un regard vers son bras comme s’il remarquait à peine la blessure.

— Un serpent de grande taille m’a mordu, mais je n’ai presque plus mal, répondit-il. C’est peu de choses.

— J’en doute, rétorqua Tomolo en se rapprochant et en lui saisissant le bras. La blessure est enflée, ça se voit. 

Sans laisser la moindre chance à Prime de protester, elle le fit s’asseoir à sa table et le força à poser son bras dessus, tandis qu’elle retirait minutieusement son bandage. Le chevalier la regarda faire, conscient que lorsqu’elle était dans cet état, il ne servait à rien de chercher à négocier.

Le bandage retiré dévoila la blessure, faite de deux trous imposants qui marquaient l’emplacement que le serpent géant avait réussi à atteindre de ses crochets. Autour des deux points d’impact, la peau était légèrement violacée, et la zone était encore quelque peu gonflée.

— Une morsure sèche, constata-t-elle avec soulagement. Je vais quand même appliquer un onguent, sans quoi la cicatrisation risque d’être pénible, informa Tomolo en se levant. 

Tandis que la sorcière fouillait dans ses étagères, Prime entendit un tapotement contre la vitre la plus proche, au-dessus de la table en bois massif. Il jura apercevoir de petites silhouettes s’agiter de l’autre côté. Elles lui faisaient de grands signes, semblant désigner alternativement Tomolo et son invité.

Prime se massa négligemment la nuque en poussant un soupir. La fée semblait avoir appelé du renfort.

— On a de la compagnie, maugréa Prime en désignant la fenêtre.

Tomolo se tourna vers le carreau et réprima un juron. Elle alla s’emparer du rideau en coton épais et le ferma d’un geste vif.

— Je me demande ce qu’ils ont, maugréa Tomolo en se rasseyant. Je les ai rarement vus aussi agités…

Elle ouvrit le petit pot qui contenait l’onguent et commença à l’appliquer délicatement sur la blessure de Prime, qui frémit légèrement lorsque la pommade froide entra en contact avec sa peau brûlante. 

— Désolée ! s’empressa de répliquer Tomolo. Je fais vite. Cela ira vite mieux, vous verrez…

Elle s’appliqua à masser lentement la blessure. Prime la regardait faire, perturbé par les frissons qui remontaient de son avant-bras jusqu’à sa nuque. Le contact délicat des doigts de Tomolo appliquant l’onguent avait à la fois quelque chose d’apaisant, et de très déroutant. Il observa ses traits délicats et son expression concentrée, admirant un instant son épaisse tignasse qui ondulait joliment sur son dos fléchi, ses cils délicats qui masquaient partiellement l’azur de ses yeux. Prime en vint à penser malgré lui qu’en fin de compte, rien que pour cet instant privilégié, se blesser en avait peut-être valu la peine.

— Vous ne m’avez toujours pas dit pour quelle raison vous étiez venu jusqu’à moi, remarqua Tomolo pour briser le silence. Est-ce pour une simple visite de courtoisie ?

— Malheureusement non, répondit Prime avec un semblant de culpabilité. J’ai peur que ce soient de mauvais augures qui m’amènent.

Tomolo releva les yeux vers lui, surprise.

— De quoi s’agit-il ? questionna-t-elle en fronçant les sourcils.

— J’ai l’habitude des contrats qui me demandent d’éliminer diverses menaces pour protéger les villages alentour, répondit Prime. Et ces derniers temps, on m’a demandé d’éliminer par deux fois une créature qui semblait… différente. Comme un animal normal, qui se serait transformé pour devenir plus grand, plus dangereux… et plein de colère. Comme si tuer n’était pas une nécessité pour se nourrir, mais… une impulsion incontrôlable. 

Tomolo finit d’appliquer la pommade en un lent geste, songeuse.

— Ce n’est pas tout, renchérit Prime. Quand j’ai tué le loup géant qui sévissait dans le comté d’Adel, la comtesse m’a appris que la criminalité était en forte hausse dans la région, et que personne n’en comprenait la raison. Comme si les gens perdaient subitement la raison, les uns après les autres, pour commettre de terribles exactions, sans lien apparent les unes avec les autres.

Tomolo fronça les sourcils tandis qu’elle s’affairait à remettre un bandage sur l’avant-bras de son hôte.

— Et cela arriverait à plusieurs personnes simultanément ? questionna-t-elle. Comme si quelqu’un lançait un maléfice qui pourrait affecter plusieurs personnes d’un coup ?

— Non, rétorqua Prime. La Comtesse semblait affirmer que cela arrive aux personnes les unes après les autres.

— Comme un mal qui se transmet ? murmura la sorcière pour elle-même.

Tomolo fut tirée de ses réflexions par le bruit caractéristique d’un caillou lancé contre une vitre. Elle sursauta et se tourna vivement vers la seconde fenêtre de la pièce, et de l’autre côté de laquelle deux farfadets lui faisaient de grands gestes en semblant désigner Prime.

— C’est une plaisanterie ? rugit-elle en se levant.

Prime ne put réprimer un rire tandis que la jeune femme s’affairait à tirer le rideau de la dernière fenêtre visible de la pièce.

— Espérons que cette fois, nous aurons la paix, maugréa Tomolo en se rasseyant.

Prime souleva délicatement son bras, consciencieusement bandé par la sorcière. 

— Merci, dit-il. Je suis chanceux d’être l’ami d’une guérisseuse de si grand talent.

Tomolo décocha un sourire amusé.

— Ce n’était rien voyons, répondit-elle. C’est la moindre des choses. Je suis contente que vous soyez là, vous m’avez manqué.

Elle s’interrompit brutalement, les yeux écarquillés, comme si sa dernière phrase lui avait échappé. Elle détourna vivement le regard et se mit à tapoter nerveusement ses doigts sur la table. Prime décocha un sourire ému.

— Vous m’honorez, dit-il. 

Tomolo se souvint que sa marmite était toujours sur le feu, et profita de ce prétexte salvateur pour s’éclipser, afin de vérifier la cuisson de sa mixture. Prime l’observa se pencher près du feu, puis remuer la louche d’un long geste gracieux. Sa robe ample masquait à peine ses formes élégantes, et tandis qu’elle s’accroupissait sous la marmite pour calmer les flammes, sa longue chevelure glissa jusque sur le sol, ondulant gracieusement sur le plancher.  

— Qu’allez-vous faire, au sujet de ce que vous a rapporté la Comtesse ? questionna subitement Tomolo en se redressant. Vous comptez aller mener votre enquête ?

Prime cligna des yeux, le temps de se reconnecter à la réalité. 

— Oui, dit-il. Je trouve la situation préoccupante.

Tomolo observa son ami avec une pointe d’inquiétude.

— Et si je vous accompagnais ? proposa-t-elle. Je veux m’assurer que votre blessure guérisse correctement. Et puis, en tant qu’héritière de Lanma, c’est aussi mon devoir que de veiller sur ces contrées. Je veux vous aider à comprendre d’où provient ce mal qui s’est abattu sur la région d’Adel.

Le chevalier considéra son amie avec gratitude.

— Votre compagnie me serait des plus agréables, dit-il. Si vous êtes avec moi, je suis certain que nous découvrirons vite ce qu’il se trame.

Tomolo approuva d’un vif signe de tête. 

— C’est décidé, alors, dit-elle. Je vous propose que nous partions demain, dès l’aurore. Vous aurez bien besoin de vous reposer un peu après cette longue marche.

Prime lui adressa un signe de tête reconnaissant et un sourire chaleureux. Tomolo prit une grande inspiration, et se rendit jusqu’à la fenêtre la plus proche pour faire un peu d’air. Elle écarta le rideau, et faillit bondir en arrière lorsqu’elle constata que non seulement les deux farfadets étaient toujours là, mais en plus ils avaient appelé des fées en renfort pour tenter de forcer l’ouverture de la fenêtre.

La sorcière ouvrit brutalement le carreau en pestant, et les petites créatures se faufilèrent sans demander leur reste dans les bosquets les plus proches. Minuit et ses chatons en profitèrent pour sortir, escaladant agilement le rebord de la fenêtre pour disparaître à leur tour dans la dense sylve.