La lettre de Raphaël

Harahel trouva sans peine la salle dans laquelle il avait été convié. C’était une grande et longue salle blanche à haut plafond ; la décoration était assez sobre, mis à part quelques gravures et colonnes de la même couleur que les murs. Sur les côtés pouvaient être observés des cages d’escaliers, menant sûrement aux étages supérieurs… Mais Harahel savait qu’il n’était pas autorisé à errer dans la tour. C’était le bâtiment le plus important du Paradis, là où les Archanges — et, paraît-il, Dieu — résidaient.

Aussitôt eut-il avancé dans la pièce vide que le bruit de ses pas résonna dans la tour entière, ce qui alerta son hôte de sa venue. Le prince Raphaël accourut vers Harahel et, avec un grand sourire, posa ses mains sur ses épaules :

— Harahel ! Merci d'être venu si vite. Je parie que tu meurs d'impatience de savoir à quel être humain tu vas être assigné !

Harahel, d'un geste sec, libéra ses épaules de l'empire de Raphaël :

— En réalité, votre altesse, si je suis venu, c'est pour vous signaler une erreur. Je ne peux être ange gardien, c'est impossible !

Raphaël laissa ses bras retomber le long de son corps :

— Harahel, tu sais bien que je ne fais jamais d'erreur.

Il n’y avait animosité ni mépris dans sa voix, seulement un désir sincère de rétablir la vérité.

— Ce... Ce n'est pas possible, répliqua Harahel. Je ne peux pas. Je ne le mérite pas.

— Ta modestie est admirable, vraiment. Mais laisse-moi te rassurer : tu as de loin toutes les compétences et les connaissances nécessaires. Tu connais les us et coutumes des Hommes sur le bout des doigts ! Après tout, c'est toi qui collectes et analyses leurs écrits depuis des millénaires. Je pense qu'aucun ange au Paradis ne connaisse mieux la civilisation humaine que toi.

— Prince Raphaël, je ne suis qu'un intellectuel. Je passe mes journées à la bibliothèque ; mes connaissances ne sont que théoriques, je n'ai jamais eu d'expérience pratique.

— Ce travail d'ange gardien est donc une occasion en or pour toi ! Tu te feras très vite la main, je le sais. Tu as un instinct d'ange gardien en toi.

— ...

Harahel faisait de son mieux pour ne rien laisser paraître, mais il bouillait à l'intérieur. Un instinct d'ange gardien, lui ? Quelles foutaises. Raphaël se méprenait totalement : lui aussi, il avait été dupé par l'image travailleuse et responsable qu'Harahel avait toujours essayé de dégager. Et maintenant, voilà que son petit jeu se retournait contre lui. Mais il restait une dernière carte.

— Mais... Prince Raphaël... La bibliothèque ! Je ne peux pas la laisser seule ! Qui s'en occupera en mon absence ?

Raphaël, ressentant la détresse d'un bibliothécaire toujours si dévoué à son travail, prit délicatement les mains d'Harahel et le regarda d'un air sérieux :

— C'est vrai. J'imagine que ça doit être difficile pour toi, de te projeter dans cette position... Mais je te promets que tout ira bien. Nous sommes au Paradis. Tes livres seront en sécurité, personne ne les volera ni ne les abimera. Et une vie humaine n'est pas si longue... Avant même que tu t'en rendes compte, tu seras de retour parmi nous.

Harahel était à court d'idées. À court d'excuses.

Il avait conscience qu'être désigné pour devenir ange gardien était un honneur, réservé aux individus les plus dignes. La tâche en elle-même ne représenterait qu'une fraction de son existence, en effet ; une vie humaine est bien courte comparée à l'éternité, et jamais un ange n'a été assigné à un nouvel humain après la mort de son premier protégé. Une courte galère pour une reconnaissance éternelle... Mais Harahel n'était toujours pas convaincu. À bout de mots, il était figé sur place.

Raphaël, voyant que son interlocuteur n'avait plus d'objection, le mena par la main :

- Si tu n'as plus de questions, laisse-moi te présenter l'âme de ton futur petit protégé. Il va te plaire, je l’ai choisi rien que pour toi. Tu verras, vous avez beaucoup de choses en commun.