Once de Mélancolie


Authors
Misical
Published
5 years, 3 months ago
Updated
4 years, 4 months ago
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Chapter 6
Published 4 years, 4 months ago
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Abelia, maîtresse du domaine de Lekinos, protège et veille sur sa ville depuis des siècles. Elle prend très à cœur sa mission, mais se sent infiniment seule. Sa vie change avec l’arrivée de la Brigade des Morts. Tout comme elle, ses soldats transcendent le temps et elle finit par tissait des liens solides avec eux. Elle ne se doute pas que sa vie va être chamboulée à cause de ses sentiments qu’elle redécouvre.

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M’en veux-tu ?


La nuit était tombée, et Karnak était encore assis à son bureau, finissant d’écrire son rapport. Depuis qu’il s’était permis quelques libertés envers sa Dame, il en avait honte et préférait clairement se jeter corps et âme dans son travail pour éviter d’y songer et de se cacher dans un trou de souris. Vraiment… Qu’est-ce qu’il lui avait pris ? De la regarder, de lui parler ou même de l’approcher comme il l’avait fait ? Ce n’était clairement pas de son genre d’agir ainsi, lui qui était toujours dans la retenue. Il devait sûrement être jaloux de la relation entre Dame Abelia et Hood. Ils étaient proches, parfois même assez complices. Pourtant, elle était tout aussi proche avec son jeune conseiller Cian, même parfois très douce avec lui uniquement, et Karnak n’en ressentait aucune jalousie. Alors pourquoi la ressentait-il envers Hood ? Peut-être parce que Cian n’était pas un Transcendant et qu’il avait la sensation que leur Dame le maternait plus qu’autre chose, tandis que Hood était leur égal, à lui comme à elle : un Transcendant depuis des siècles.

Karnak reposa sa plume dans son encrier, tout en se pinçant s’arête du nez, fatigué. Il avait autant de respect pour Cian que pour Hood, mais si l’un était très sage, l’autre n’en faisait qu’à sa tête et c’était insupportable ! L’imaginer dans les bras de sa Dame ne serait-ce qu’une seconde le plongeait dans une colère noire. Ils n’avaient franchement rien en commun ! Et pourtant, c’était difficile de ne pas voir que c’était bel et bien en présence du soldat dissident que leur Dame devenait plus naturelle. Tout en gardant son élégance et sa délicatesse qui la rendaient unique, elle perdait ce masque d’inaccessibilité qu’elle se donnait en tant que noble. Il n’y avait que lui qui arrivait à cet exploit. Cet idiot de soldat.
Alors oui, il était affreusement jaloux, même s’il essayait de se le cacher. Mais comment taire cette rivalité ? Surtout lorsque leur Dame n’avait que son nom aux lèvres. C’était la goutte de trop, il avait totalement perdu l’esprit, il avait craqué et cédé face à sa jalousie. Sa Dame était bien généreuse, elle aurait pu le renvoyer, ou bien encore le réprimander en le recroisant. Rien de tout ceci. Elle resta elle-même, continuant à le féliciter pour son travail, même s’il y avait une touche de gêne dans sa voix désormais. Décidément, il avait tout gâché.
Le chef rangea les derniers documents dans son tiroir, puis se leva de son bureau. Il était très tard. Il n’avait plus la tête à travailler, mais encore moins l’envie de dormir. Il s’avança vers sa fenêtre et contempla les lumières de la ville au loin. Cela faisait des années qu’il veillait sur ce domaine… Hood avait raison sur un point : c’était comme si le Dieu Nuktos les avait envoyés en vacances ici. C’était un lieu paisible et rayonnant. Pendant des siècles, la Brigades des Morts avait été au service de leur Dieu, risquant leur vie de Transcendant. Karnak était tellement habitué à côtoyer la mort qu’il avait oublié comment apprécier la tranquillité. Il avait redécouvert une vie presque normale au côté de Dame Abelia. Plus que le domaine, c’était bien cette femme qui l’avait séduit. Évidemment, il était toujours dévoué à Nuktos et répondait présent lorsque ce dernier lui demander des missions très spécifiques, mais il revenait toujours ici. Tout comme Hood et les autres membres de la garnison, il avait trouvé sa place ici. Dame Abelia les avait tous accueillis : ici, c’était chez eux.

L’on toqua à sa porte. Surpris par l’heure, Karnak se retourna vers cette dernière et autorisa la personne à entrer. Il fut très confus lorsqu’il reconnut sa Dame passer la porte. C’était plutôt rare qu’elle vienne le trouver.

— Ma Dame ? questionna-t-il, inquiet.
— Karnak… J’ai à te parler… hésita-t-elle. Je crois bien que tu mérites d’avoir une réponse claire de ma part.

Même si elle se tenait droite, ses joues étaient rouges et son regard fuyant. La jeune femme avait les mains croisées posées sur son ventre. Le soldat eut le souffle court. Une réponse ? À ses sentiments ? Il n’était pas prêt à l’entendre.

— Vous n’êtes pas obligé de me répondre aussi vite…

Abelia baissa les yeux, perdant le peu de courage qu’elle s’était donnée. Les histoires d’amours, c’était bien plus facile à lire dans les livres que d'en vivre une. Comment lui dire qu’elle avait énormément d’affection pour lui, mais qu’elle ne ressentait rien de plus sans le froisser ?

— C’est important. Pour moi, mais pour toi aussi. Comment pourrais-je être digne de ta confiance, si je ne suis pas totalement transparente face à toi ?

La Dame releva des yeux humides vers son ami. Ce dernier en fut troublé à tel point qu’il commençait à douter… Et si finalement elle avait des sentiments pour lui ? Non. Il se fourvoyait, il le savait au plus profond de lui-même. Il serra le poing en silence, écoutant sagement ce qu’elle voulait lui dire.
La jeune noble chercha ses mots, mais aucune formulation ne lui vint en tête pour adoucir ses propos…

— Karnak… Je m’excuse d’avoir été aveugle… Je n’avais aucune idée de ce que tu pouvais ressentir pour moi. Je suis sincèrement touchée que tu m’aimes… mais pour moi… Tu es mon ami le plus précieux qu’il soit.

Le jeune homme eut un rictus nerveux, avalant sa salive pour essayer de garder sa contenance. Même s’il le savait, c’était tout de même douloureux à entendre. C’était certain désormais, il venait de se faire éconduire. Il ne put s’empêcher de lâcher un bref soupir dégoûté qui fit relever les yeux de sa Dame vers lui, confuse.

— Un ami ? C’est bien la première fois qu’un mot sonne aussi mal à mon oreille…

Abelia fut bouche bée, à la fois triste et honteuse. C’était la première fois qu’il la voyait aussi vulnérable. Le soldat regretta immédiatement ses paroles, levant la main vers elle pour la rassurer.

— Ne vous méprenez pas, je ne rejette pas votre amitié ! Au contraire, je suis heureux que vous ne m’ayez pas chassé après ma conduite déplacée l’autre jour… Je suppose que c’est par amitié que vous m’ayez pardonné et je vous en remercie.
— Karnak… Je ne pourrais pas te rendre l’amour que tu me portes… Mais je ne veux pas te rendre triste pour autant ! Je veux que tu sois heureux !

Il se retint de toute ses forces de lui répondre « alors donnez-moi une chance » mais il préféra serrer les dents et fermer les yeux. Peine perdue, il le savait. Prenant appui sur son bureau derrière lui, il réfléchit quelques instants avant de relever son intérêt vers sa Dame.

— En aimez-vous un autre ?

La jeune femme eut un hoquet de surprise, plaçant sa main devant sa bouche et devenant plus rouge que tout à l’heure. Le chef pencha la tête, les yeux rivés sur elle. Il avait vu juste, ça aussi, il le savait.

— C’est Hood, n’est-ce pas ?

Elle baissa la tête et fixa le sol d’un air coupable. Était-ce si facile à le deviner ? Pourquoi Myomu et Karnak avaient trouvé ses sentiments pour lui aussi aisément, alors qu’elle-même ne venait de les découvrir qu’il y a peu ?

Il y eut un silence lourd.

— M’en veux-tu ? demanda-t-elle.
— Non.
— Tu sembles si froid pourtant.
— Peut-être… soupira-t-il. Je suis simplement jaloux de cet idiot. Mais je ne lui en veux pas à lui non plus. Est-il au courant ?
— Pas encore… Je n’ose lui dire.
— C’est vrai que c’est difficile de savoir ce que ce baudet a dans la tête. Je ne serai pas surpris qu’il n’ait rien vu, rien compris.
— C’est bien pour cette raison que j’hésite.

Le chef fronça des sourcils, réfléchissant. Il n’avait plus grand-chose à perdre, alors il s’osa :

— Si jamais il vous repousse… Je serai toujours là pour vous consoler.

Abelia le regarda avec un sourire désolé. Elle était touchée que malgré tout, il songe encore à elle. Elle ne pouvait pas savoir ce que l’avenir lui réservait, encore moins penser à lui donner une chance puisqu’elle ne rêvait qu’à Hood. Elle ne voulait pas lui imposer ce fardeau, mais ne souhaitait pas non plus le contredire. Elle lui avait fait assez de mal ainsi. La jeune noble préféra le remercier et le laisser seul.

En ouvrant la porte, elle se retrouva nez à nez avec Hood qui fut aussi surpris qu’elle. Abelia referma la porte derrière elle, attendant les explications de la présence du soldat sans se douter que ce dernier les attendait également. Il y eut un léger silence gênant, que le rouquin préféra briser :

— Tu étais avec Karnak ?
— Oui…
— Pourquoi ?
— Ce… ça ne te concerne pas !

Hood fronça des sourcils, très peu satisfait de la réponse. Abelia en profita pour s’enfuir d’ici, mais le soldat l’attrapa par le bras dès le premier pas. Elle se retourna vers lui, choquée.

— Qu’est-ce qu’il te prend ? Lâche-moi !
— Rien de ce qu’il y a entre toi et Karnak ne me concerne pas. Alors dis-moi !

C’était la première fois qu’elle le voyait autant sur la défensive. Craignait-il quelque chose ? Elle n’en avait aucune idée. Mais elle avait une certitude : elle ne voulait pas se disputer avec Hood, encore moins devant le bureau de Karnak et surtout pas après cette conversation ! Elle retira vivement son bras, ne lâchant pas du regard son interlocuteur :

— Très bien, tu as gagné. Mais pas ici, suis-moi.

Il n’avait certainement pas envie d’attendre, mais il consent à respecter son choix. En chemin, Abelia devenait de plus en plus nerveuse, tandis que Hood retrouva son calme. Il se surprit lui-même. Pourquoi avait-il réagi si violement ? L’idée que sa Dame puisse ressentir quoi que ce soit pour son supérieur le mettait réellement dans un tel état ? À ce point-là ? Il se pensait bien plus détaché, bien plus mature. Il fallait croire que non.

La Dame s’arrêta au milieu d’un couloir ouvert, donnant sur la cours intérieure. Vu l’heure, l’endroit était totalement désert et il n’y avait aucun garde pour faire sa ronde. Elle se retourna vers le soldat, bien plus nerveuse et fébrile que devant Karnak. Hood croisa les bras.

— Al…
— J’ai repoussé Karnak, coupa-t-elle avant même qu’il ne finisse son mot.

Le jeune homme cligna des yeux, décontenancé.

— Je ne voulais pas lui donner de faux espoir, même s’il me semble qu’il n’en avait pas… Mais je me devais d’être honnête avec lui.
— Et… et comment il va ? demanda-t-il pour cacher son soulagement.
— Je ne saurais le dire… Évidemment il n’est pas content, mais il m’a surtout dit qu’il était jaloux.
— Jaloux ? répéta le soldat.

C’était le moment ou jamais. Elle devait profiter de cette opportunité pour tout lui avouer. Ses joues étaient si rouges et elle sentait qu’elle avait subitement très chaud. Pourquoi était-ce si compliqué ? Elle lui avait pourtant avoué la pire de ses peurs sans trembler ! Et voilà que lui déclarer sa flamme lui faisait perdre tout son courage.

— Jaloux, oui, confirma-t-elle.
— De qui ?
— De… hésita la jeune femme. De celui que j’aime.

Hood arqua un sourcil, ressentant une pique de jalousie à son tour. Cette femme avouait qu’elle en aimait un autre, mais était désespérément énigmatique ! Elle était en train de flirter avec les limites de sa patience, il en était certain ! Il se frotta le front pour éviter de dire quoi que ce soit de déplacer. Après tout, ce n’était pas une chose aisée à avouer. Il voulait bien lui donner du temps, mais cette fois, son impatience se faisait plus que sentir.

— Qui est… ?
— C’est toi.
— Pardon ?
— Celui que j’aime, c’est toi.

Sa jalousie et son impatience s’envolèrent d’un seul coup, ne laissant place qu’à de la surprise. Lui ? Son cœur se mit à battre plus vite, surtout en voyant sa Dame devenir de plus en plus gênée face à son silence. C’était donc pour cette raison que sa sœur l’avait poussé à réfléchir sur ce qu’il ressentait. Cette petite peste devait être au courant de tout. Il irait lui tirer les oreilles plus tard, pour l’heure, il fallait rassurer sa Dame.

— Moi, donc, reprit le soldat.

Abelia ne fit qu’approuver de la tête, n’osant plus le regarder dans les yeux. C’était insupportable ! Elle ne savait strictement pas à quoi cet idiot pouvait bien penser ! Voulait-il la rejeter ? Se retenait-il de lui rire au nez ? Était-il gêné parce qu’il ne savait pas comment la repousser sans la froisser ? Comme c’était éprouvant ! Maintenant elle comprenait ses héroïnes d’histoire d’amour qui se mettait à pleurer pour un oui ou pour un non, car là tout de suite, si elle n’avait pas encore sa fierté, elle aurait volontiers fondu en larme !

— Depuis quand ? demanda Hood.
— Est-ce si important ? répondit-elle d’une faible voix.
— Non, pas vraiment… Je dois bien avouer que j’ai découvert ce que je ressentais pour toi pas plus tard que hier.
— Hier… ? répéta la Dame tout en relevant ses yeux humides vers lui, curieuse.

Interloqué, le jeune homme détourna la tête tout en rougissant et en se grattant l’arrière du crâne. Il n’y avait que lorsqu’elle paraissait aussi fébrile qu’il avait une subite envie de la prendre dans ses bras pour la consoler.

— Ma petite sœur ! avoua-t-il, surprenant Abelia par la même occasion. Elle fouine dans tous les coins et m’a posé des questions gênantes. Il faut croire qu’elle est douée pour tirer le ver du nez des gens !

La Dame eut un discret sourire, mais même s’il parlait de sa sœur et de tout le reste, il n’était pas en train de lui donner une réponse claire. Ce qu’il remarqua. Ce fut à son tour de virer entièrement rouge et d’être extrêmement gêné. Voilà, maintenant c’était deux idiots qui se tenaient droits comme des piquets au milieu d’un couloir vers minuit passé. Si le cadre aurait pu être romantique, leur attitude ne l’était certainement pas !
Hood se redressa, lâchant ses bras le long de son corps et regarda Abelia qui releva la tête vers lui.

— J’ai pris conscience que je t’aime, et que je ne supporterai pas que tu choisisses Karnak pour être à tes côtés.
— Espères-tu que je chasse Karnak ?
— Nan ! Oh par Nuktos, Je ne suis pas aussi cruel ! C’est juste que je serai extrêmement jaloux si je vous vois vous tenir la main, par exemple…

Ou n’importe quoi d’autres, mais ça, il se gardait bien de le lui dire. Abelia eut un petit rire soulagé. Elle lui prit délicatement la main en souriant :

— C’est toi que je veux à mes côtés.
— Et j’en suis honoré, ma Dame.

La soldat posa un genou à terre, inclinant respectueusement sa tête et embrassa la main de sa Dame. La jeune femme ne put s’empêcher d’avoir un rire nerveux, tant elle était peu habituée au sérieux de son ami. Il se releva, se rapprochant d’un pas vers elle, lui tenant désormais les deux mains. Elle détourna la tête, encore timide et ayant du mal à réaliser ce qu’il se passait réellement. Hood sourit, mais ne voulait pas précipiter les choses inutilement. Il déposa un baiser sur son front pour la rassurer. Celle-ci eut un sourire bien moins timide et bien plus sincère, puis elle lui proposa :

— Allons-nous promener !
— À cette heure-ci ?
— Oui ! Je n’ai pas envie de te laisser !

Hood haussa des épaules en riant. Très bien ! Ils iraient donc se promener dans les jardins au beau milieu de la nuit. Après tout, ce n’était pas la première fois qu’il cédait à l’un de ses étranges caprices. C’était juste qu’aujourd’hui, contrairement aux fois précédentes, il lui tiendrait la main jusqu’à la fin de leur aventure.