N'aie pas de regret


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Chapter 1
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La princesse Éclat et ses compagnons poursuivent leur route à travers la région de Montfran et tombent sur la ville de Maygate. Ses habitants sont régulièrement victimes des attaques de dragons et accueillent très mal l'arrivée de nos voyageurs. Fort heureusement, le comte Edmund intervient et les invite dans son château. La princesse accepte son hospitalité uniquement pour pouvoir enquêter sur ce dragon, car il est inconcevable pour elle qu'il attaque une ville sans raison...

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Maygate


Quelque chose avait changé dans l’air. Éclat leva la tête, laissant la chaleur du soleil couler sur son visage. Répondant à son changement d’humeur, Tempête freina jusqu’à s’arrêter complètement.

— Qu’y a-t-il ?

Elle reconnut le timbre grave de Lune. Elle se tourna vers lui.

— Nous avons quitté la forêt, déclara-t-elle simplement.

Ce n’était pas une question et le dragon ne s’y trompa pas.

— Nous ne devrions plus être très loin de Maygate, annonça-t-il.

Arlette accueillit la nouvelle avec un soupir de soulagement. À ses côtés, Firmin esquissa un sourire.

— Ne me dis pas que tu es déjà fatiguée, la taquina-t-il.
— Pourquoi ne le serais-je pas ? Ça va faire deux jours que l’on marche ! Si j’avais su que c’était aussi loin, j’aurais pris une monture !

Firmin haussa les épaules, dissimulant difficilement son amusement devant l’air exaspéré de la servante.

— Où sont les autres ? reprit-il après un court d’instant.
— Juste derrière nous, lui apprit Éclat.

Arlette secoua la tête.

— Encore une fois, vous m’impressionnez, lâcha-t-elle. À vous voir, on pourrait vous croire désavantagée par rapport à nous, pourtant vous avez souvent un temps d’avance sur nous.

Éclat gloussa, et son rire sonna comme une clochette d’argent. Lune sourit.

— Je les entends seulement discuter derrière, avoua-t-elle.

Un peu en retrait, Carsius discourait activement sur les différents types d’oiseaux qu’avaient abrités les bois, pendant que Kalika marchait tête baissée, visiblement peu concernée.

— Regardez !

Tous se tournèrent vers la direction indiquée par Firmin.

— Qu’y a-t-il ? demanda Éclat.
— Un bourg avec un château, lui apprit Lune.
— Ce doit être Maygate. Tu vas pouvoir te reposer Arlette !

La servante se garda bien de répondre, cependant un sourire vint étirer ses lèvres.

Il leur fallut moins d’une heure pour atteindre la ville. C’était un bourg comme ils en avaient déjà croisé des dizaines. Des maisons à colombage s’alignaient, délimitant des rues étroites et boueuses. Des herbes fraîchement coupées jonchaient le sol, s’enfonçant un peu plus dans la terre à chacun de leur pas. Son capuchon rabaissé, Éclat se laissait envahir par les parfums et les sons environnants. Inconsciemment, Carsius et Kalika s’étaient rapprochés, à croire que la proximité avec la princesse suffisait à leur offrir une protection. La dragonne verte, en particulier, se sentait mal à l’aise à trop côtoyer les humains.

— Que se passe-t-il ? demanda Éclat en sentant sa monture s’arrêter.
— Je ne sais pas, il y a un attroupement, lui décrivit Lune.

D’instinct, il fut sur ses gardes. Moins inquiet, Firmin s’approcha de la foule. Disposés en arc de cercle, une bonne dizaine de personnes contemplait la carcasse encore fumante de ce qui avait dû être un atelier. Les squelettes tordus de colliers d’argent et de broches d’ambre saillaient entre les restes de meubles calcinés. De toute évidence, il s’agissait d’une orfèvrerie.

— Que s’est-il passé ? s’exclama vivement Arlette, bien que la réponse lui semblait évidente.

Plusieurs visages atterrés pivotèrent vers elle. Après avoir brièvement observé la jeune femme, un homme prit la parole.

— Vous n’êtes pas du coin, constata-t-il.
— Non en effet ! Quand est-ce arrivé ? reprit-elle en désignant les débris.

Plusieurs regards furent échangés et, finalement, une femme s’avança. Elle était large d’épaule et ses cheveux tirés en arrière venaient renforcer la dureté de ses traits.

— Cette nuit. Cela va faire plusieurs lunes qu’un dragon dévaste la région. C’est la quatrième fois qu’il vient ici, annonça-t-elle gravement. Vous devez venir de loin pour ne pas en avoir entendu parler.
— Un dragon ?!

L’exclamation d’Éclat les surpris tous. Les mains sur les hanches, la femme la tança :

— En quoi est-ce si surprenant ? Il est bien connu que ces créatures sont dangereuses et ce… Sa phrase mourut dans sa gorge. Son regard s’était fixé sur Lune, pour ensuite s’arrêter sur Carsius et Kalika.
— DRAGONS ! hurla-t-elle.

Son cri fut comme un signal, et un mouvement de panique s’empara de la foule. Réagissant à l’affolement général, Tempête rua, déstabilisant Éclat qui tomba lourdement au sol.

— Tout va bien ? s’empressa de demander Lune en la relevant.
— Ca va. Que se passe-t-il ?

Les bruits de course et les cris de panique emplissaient tout l’espace, la privant de repère. Près d’elle, le dragon se rembrunit.

— J’ai comme un mauvais pressentiment, déclara-t-il.

Il ne fallut que peu de temps pour que ses craintes se voient confirmées. Se frayant un chemin parmi les fuyards, des hommes armés s’approchaient. Si la plupart était simplement des paysans s’étant munis de fourches et d’épées émoussées, les autres arboraient une éclatante armure noire et s’avançaient lance en main. Par réflexe, Firmin porta la main à son fourreau, prêt à dégainer si besoin. Kalika s’était glissée derrière Éclat, jetant des regards sombres autour d’elle, alors que Carsius ouvrait de grands yeux étonnés.

— J’ai un truc entre les dents ? demanda-t-il insouciamment.

Kalika grogna une réponse peu appropriée et même Éclat ne se sentit pas le cœur à rire : elle ressentait trop de peur autour d’elle pour cela. Les hommes s’arrêtèrent à quelques mètres d’eux, menaçants.

— Écartez-vous ! ordonna un homme. Nous ne voulons que les dragons !
— Ce sont mes compagnons et amis que vous menacez, déclara Éclat.

Sa voix, forte et claire, résonnait étrangement dans le silence qui s’était installé. Son assurance ternit quelque peu celle des hommes présents. Brandissant une somptueuse lance à la pointe d’argent, un soldat se détacha du groupe et vint se poster devant elle. Sans une hésitation, Firmin se porta au-devant de sa maîtresse. Sa silhouette paraissait bien frêle, presque chétive, à côté de l’imposante armure noire ornée d’un cercle opalescent. Cependant il n’exprimait aucune émotion, si ce n’est une assurance tranquille.

— Ce sont des dragons, reprit le soldat, après un bref examen du jeune homme. Ils représentent une menace.
— J’ignore quels maux touchent votre ville mais je peux vous assurer qu’aucun de mes compagnons n’en est responsable, répondit distinctement la jeune femme.

Ostensiblement, elle se plaça devant Lune et les autres, telle une frêle barrière. Si les paysans semblèrent soudain moins confiants, ce ne fut pas le cas des soldats. D’un coup d’épaule, celui qui était le plus proche éjecta Firmin de son chemin.
Ou du moins essaya.
Agilement, le jeune homme avait esquivé l’attaque et avait enchaîné avec un coup dans le plexus solaire de son adversaire, coupant la respiration de ce dernier. Virevoltant, Firmin poursuivit sur une parade avant de faucher les jambes du garde, lequel tomba en avant, emporté par le poids de son armure. Sous le choc, il lâcha sa lance.

— Attention ! s’écria Lune.

Il réagit à l’instinct et plaqua Éclat contre lui. Trop tard malheureusement pour éviter que l’arme n’érafle la princesse. Celle-ci serra les dents sous la douleur et tituba.

— Princesse ! s’effraya Arlette en se précipitant vers elle.
— Ce n’est rien, la rassura aussitôt Éclat, la main fermement appuyée contre son bras. Juste une égratignure.

Le sang gouttait sous sa main, venant démentir ses propos.

— Je peux me soigner sans mal, insista la jeune femme devant la panique évidente de sa servante.
— Princesse ?

L’homme qui venait d’arriver était très différent de ceux déjà présents. Monté sur un cheval gris, il était vêtu d’un pourpoint bordeaux, brodé de motifs floraux. Une épée battait contre sa cuisse au rythme de sa monture, et un cercle d’or enserrait son crâne. Il devait avoir la vingtaine, bien que l’air surpris qu’il arborait actuellement le rajeunissait de plusieurs années.

— Ai-je l’honneur de me trouver en face de la princesse Éclat Light ? demanda-t-il galamment.

Sa voix était agréable, légèrement suave. Éclat acquiesça.

— Et vous êtes ? s’enquit-elle à son tour.
— Edmund Last, comte de Montfran. Ne prenez pas cet air désolé ! Je n’ai pas la prétention de croire que mon lopin de terre puisse intéresser une grande dame telle que vous. Mais j’en oublie mes bonnes manières !

Sautant de son cheval, il s’approcha de la princesse, dispersant la foule encore présente au passage. Soudain, il s’arrêta, prenant enfin conscience de la position dans laquelle se trouvait la jeune femme.

— Vous êtes blessée ! s’exclama-t-il, horrifié. Que s’est-il donc passé ?! Non ne dites rien ! Vous me raconterez tout une fois soignée ! Vous êtes mon invitée pour ce soir, bien évidemment ! De même que tous vos compagnons !

Éclat ouvrait la bouche pour exprimer son refus quand une main apaisante se posa sur sa cuisse. Elle reconnut le toucher d’Arlette.

— Nous ferions peut-être mieux d’accepter, lui souffla celle-ci. Je me sentirais plus à l’aise en vous sachant correctement installée. De plus, il a l’air de se passer des choses étranges dans cette ville.
— Mais nous devons retrouver le dragon, rétorqua la jeune femme.
— Nous le ferons, mais une fois que vous serez complètement remise.

Sa main commençait à être poisseuse de sang. Dépitée, Éclat baissa la tête, sa façon à elle de montrer sa soumission. Arlette sourit affectueusement.

Un bandage de fortune autour du bras, Éclat chevauchait en tête, en compagnie d’Edmund.

— J’ai vu qu’une certaine agitation régnait, je suis donc descendu voir, expliqua ce dernier. Je me félicite d’avoir pris cette initiative.
— Ces gens semblaient très remontés, admit la jeune femme.
— Oh ils le sont ! Voilà plusieurs mois qu’un dragon saccage régulièrement mes terres. J’ignore ce qui le pousse à agir ainsi. Il semblerait qu’il attaque uniquement de nuit. Il détruit quelques quartiers puis disparaît avant l’aube. Je ne sais plus quoi faire.
— C’est la première fois que j’entends une telle histoire, avoua Éclat. Habituellement les dragons évitent de trop s’approcher des humains.
— Ce sont des créatures dangereuses, elles l’ont toujours été, c’est pourquoi j’encourage leur traque.

Éclat frémit, ce qui n’échappa pas au jeune seigneur.

— Je connais votre quête, avoua celui-ci. Mais je mentirais en disant y adhérer. Enfin, nous aurons tout le temps de reparler de ça plus tard : nous sommes arrivés.

Mordillant sa lèvre inférieure, la jeune femme se laissa guider.

Le château était une immense bâtisse de pierre et de chêne. Ses façades abruptes avaient été construites davantage pour la défense que pour l’apparat. Cependant, l’intérieur se révéla plus chaleureux que ne le laissait présager la devanture, l’austérité des pièces étant contrebalancée par des teintures de couleurs vives et d’épais tapis moelleux. Après s’être assuré plusieurs fois qu’elle n’avait pas besoin de la présence d’un soigneur, Edmund avait fait conduire Éclat dans ses appartements.
La chambre était loin d’atteindre les proportions de celle qu’elle possédait à Claria, mais cela ne l’empêchait pas d’être chaleureuse et adroitement décorée. Une tapisserie représentant une femme entourée de chevaux s’étalait devant une commode en bois veiné de rouge. Le lit avait une taille tout à fait respectable et était couvert d’une épaisse couverture bordée de fourrures.
Quelqu’un avait même pris la peine d’aérer la pièce et de disposer des chandelles parfumées au miel. Se laissant guider par Firmin, Éclat s’assit sur le lit. Le pansement s’était défait et le sang s’était remis à goutter, avec moins d’intensité toutefois. Arlette alla aussitôt lui chercher de l’eau fraîche. Appuyée contre un mur, la posée sur sa hanche opposée, Kalika regardait Lune et Carsius inspecter les lieux.

— Pas mal comme endroit ! s’exclama le dragon rouge. Ça va nous changer de la belle étoile !
— C’est la chambre d’Éclat, signala froidement Lune.
— Ah ?

Le regard faussement innocent de Carsius arracha un soupir au dragon blanc.

— Je trouve cette histoire bizarre, insista la princesse. Pourquoi un dragon agirait-il de la sorte ?
— Par vengeance, proposa aussitôt la dragonne verte. Ça ne serait pas la première fois.
— Mais en frappant comme ça ? Au hasard ?

Kalika haussa les épaules. Éclat secoua la tête, décidément peu convaincue.

— Nous n’aurions jamais dû venir ici, reprit-elle. Nous devons aider ces gens ! Ils vont faire une bêtise si nous les laissons. Il faut retrouver ce dragon et comprendre ses raisons !
— Pour une fois restez un peu tranquille ! la fustigea Arlette. Nous devons d’abord nous occupez de cette vilaine plaie ! Ne pouvez-vous pas profiter de cette accalmie ? De plus, nous ne pouvons pas abandonner notre hôte de la sorte. Cela serait un manque de respect.

Éclat soupira. Elle avait bien conscience que son rang lui imposait certaines obligations, notamment envers ses sujets, cependant elle ne pouvait s’empêcher de considérer tout ceci autrement que comme une perte de temps. Délicatement, ses doigts trouvèrent sa plaie et en tâtèrent les bords. Elle n’était pas bien profonde, elle la soignerait facilement.

— Lune, puis-je te demander un service ?

Le dragon s’agenouilla devant elle, décidé. Carsius esquissa un sourire.

— Je voudrais que tu enquêtes sur ce dragon. Arlette n’a pas tort, je ne peux pas abandonner le comte, du moins pas tout de suite. Il faut croire que j’ai encore quelques obligations de princesse à respecter. Toujours est-il que cela ne doit pas nous retarder. Essaye de trouver une piste.
— Je m’y emploierai le mieux possible, affirma-t-il.
— Je viens avec lui, enchaîna Kalika. Hors de question que je reste enfermée en compagnie d’éphémères.

Éclat hocha la tête. Poussant légèrement Lune, Carsius s’approcha à son tour.

— Pour ma part, je resterai à vos côtés, prêt à vous offrir ma vie s’il le faut ! Ô Ma Dame !

D’un mouvement si rapide que personne ne put l’anticiper, il saisit la main d’Éclat et la baisa furtivement. Lune frémit mais ne fit aucun commentaire. La princesse sourit avant de retirer sa main, gênée par cette soudaine tirade.

— Qu’il en soit ainsi, déclara-t-elle.