N'aie pas de regret


Published
4 years, 8 months ago
Updated
4 years, 8 months ago
Stats
7 10059 1

Chapter 6
Published 4 years, 8 months ago
1401

La princesse Éclat et ses compagnons poursuivent leur route à travers la région de Montfran et tombent sur la ville de Maygate. Ses habitants sont régulièrement victimes des attaques de dragons et accueillent très mal l'arrivée de nos voyageurs. Fort heureusement, le comte Edmund intervient et les invite dans son château. La princesse accepte son hospitalité uniquement pour pouvoir enquêter sur ce dragon, car il est inconcevable pour elle qu'il attaque une ville sans raison...

Theme Lighter Light Dark Darker Reset
Text Serif Sans Serif Reset
Text Size Reset

Nuit sans lune


Kalika grogna et recula de quelques pas. Les soldats s’agglutinaient autour d’elle, tâchant de trouver une faille dans sa cuirasse d’écailles. D’un violent coup de queue, elle les envoya s’écraser à l’autre bout de la pièce. Si jusqu’à maintenant elle s’était efforcée de ne pas les tuer, elle ne savait combien de temps elle pourrait tenir ainsi. À ses côtés, Carsius appliquait la même technique, sans rencontrer beaucoup plus de succès.

« Il faut fuir ! » lança ce dernier.
« Impossible avec le dragon noir ! »

Elle sentit son exaspération mais n’eut pas le temps de répliquer : déjà, de nouveaux soldats avaient fait leur apparition.

« Ce n’est pas possible ?! Combien sont-ils ?! »
« Si seulement nous pouvions aller aider Lune ! »

Serrant les dents, Kalika reporta son attention sur le combat. Pour l’instant, seul comptait le fait de rester en vie ! En prenant bien garde à ne pas exposer son cou, elle fondit sur les soldats, les renversant sans difficulté. Un tiraillement lui apprit toutefois que l’un d’eux avait réussi à ficher sa lance sous une de ses écailles. Laissant la colère l’emporter, elle rugit et repartit à l’assaut.
Les soldats étaient toujours plus nombreux. Cependant, après plusieurs minutes de combat, Kalika perçut un léger changement dans leur comportement. Si elle n’en fut pas sûre au début, elle fut rapidement forcée revoir son opinion : doucement mais sûrement, l’intensité lumineuse avait commencé à décroître. Comme tous les dragons, Kalika était nyctalope, mais ce n’était pas le cas des hommes qui l’attaquaient. Intriguée, elle profita d’une brève accalmie pour chercher l’origine de ce changement. Elle ne mit qu’une poignée de secondes à repérer Firmin et Arlette qui, courant d’un bout à l’autre de la pièce, éteignaient les dernières chandelles encore vivaces. Par un heureux hasard, la lune était absente ce soir, si bien que les lieux se retrouvèrent bientôt plongés dans les ténèbres les plus complètes. Désorientés, les hommes avançaient en tâtonnant, n’osant plus frapper au hasard de peur de blesser l’un des leurs. Néanmoins, certains s’organisaient déjà, cherchant de quoi enflammer des torches. Mettant cette ouverture à profit, Kalika reprit l’assaut.

Nullement dérangés par l’absence de lumière, Lune et le dragon noir n’avaient pas cessé de combattre. Ils s’attaquaient sans relâche, indifférents aux murs qu’ils détruisaient ou aux soldats qui gémissaient autour d’eux. Après une ruade, Lune s’écarta de quelques pas, essayant de reprendre son souffle. Mais son adversaire ne lui en laissa pas le temps, et il dut contre-attaquer une nouvelle fois. La vitesse à laquelle son énergie le quittait l’effrayait, aussi s’efforçait-il de ne pas y penser. Il avait longtemps qu’il avait compris que leur seule chance résidait en la fuite, sauf qu’il ne voyait pas comment y arriver. De toute façon, le dragon représentait un danger trop grand pour être laissé en vie.
Il s’arqua, évitant ainsi une nouvelle morsure. Mais le mouvement, trop ample, le fit déraper et il s’écrasa lourdement sur le côté. Profitant de ce soudain accès de faiblesse, le dragon noir se jeta sur lui et enfonça profondément ses crocs dans son membre supérieur. Lune hurla. Il se débattit, espérant forcer son adversaire à lâcher prise, mais celui-ci tint bon. Il sentait le sang chaud s’échapper de la plaie par saccades, emmenant ses dernières forces avec lui. Soudain, contre toute attente, le dragon relâcha sa prise, lui permettant de s’extirper d’entre ses mâchoires. À bout de souffle, Lune roula sur le côté, cherchant à comprendre l’origine de ce revirement de situation.
Il ne fut pas long à comprendre.

Les soldats étaient finalement parvenus à allumer une torche. Caressée par les reflets d’or des flammes, Éclat se tenait debout, un poignard courageusement posé sous le menton du comte.
Les mains levées, ce dernier s’était défait de son sourire triomphant. Lune cligna plusieurs fois des paupières, mettant du temps à assimiler ce qu’il voyait ; Éclat avec une arme, en train de menacer un homme. Sa main tremblait et elle prenait visiblement sur elle pour ne pas craquer, cependant elle tint bon et l’arme ne quitta pas la peau d’Edmund. Cependant, il ne parvenait pas à comprendre comment elle avait pu…
Un éclair de lucidité le traversa soudain.
L’obscurité.
Voilà donc la raison de leur empressement à vouloir éteindre les chandelles. Si les ténèbres entravent la plupart des êtres, elles n’ont aucun pouvoir sur celui qui ne voit pas. Éclat avait réduit ses adversaires à son niveau, se conférant ainsi un avantage certain sur eux. Et alors que tous tâtonnaient, elle s’était glissée derrière le seigneur et l’avait maîtrisé. C’était à la fois simple et brillant.
Les combats avaient cessé et tous avaient désormais les yeux rivés sur la jeune femme. Se penchant vers Edmund, celle-ci lui souffla :

— Dites à vos hommes de lâcher leurs armes.

Elle grimaça en entendant sa voix trembler. Fort heureusement, Edmund ne semblait s’être rendu compte de rien.

— Lâchez vos armes ! ordonna-t-il.

Dans un fracas métallique, lances et épées allèrent s’écraser au sol. Concentrée, Éclat se pencha à nouveau.

— Maintenant, libérez le dragon.
— Je ne comprends pas.
— Libérez-le. Vous seul en avez le pouvoir.
— Je ne… aïe !

La jeune femme avait appuyé un peu plus fortement la lame, faisant perler le sang.

— Vous ne le ferez pas ! Vous n’êtes pas une tueuse, trouva le courage de rétorquer Edmund.

À sa grande surprise, Éclat confirma.

— Il est vrai que je répugne à donner la mort, avoua-t-elle. Mais ce n’est pas le cas de mes compagnons.

À peine avait-elle fini sa phrase que Firmin la repoussait avec douceur mais fermeté. Sans hésiter, elle lui laissa l’arme et recula de quelques pas, visiblement soulagée. Edmund se tendit en sentant la poigne du soldat sur son épaule.

— Faites ce que la princesse a ordonné, déclara simplement ce dernier.
— Mais je… Ah ! D’accord.

Le sang gouttait le long du couteau désormais. Résigné, Edmund se tourna vers les dragons.
Lune était toujours au sol, mais sa blessure ne saignait déjà plus. Quant à l’autre, il avait dardé son regard émeraude sur son maître, et semblait attendre. La voix tremblante, Edmund bégaya :

— Je… je te libère. Tu… tu peux partir… en paix.

Le soulagement qui se lut dans les yeux verts de la créature était au-delà de toute description.
Puis, elle ferma ses lourdes paupières et, à l’instar de la nuit qui se fond dans l’aube, elle disparut sans laisser de trace.
Le silence qui suivit avait quelque chose de surnaturel. Éclat poussa un long soupir de soulagement. Toujours sous forme de dragons, Carsius et Kalika se rapprochèrent.

« Il faut partir », déclara la dragonne.

La princesse ne pouvait qu’approuver. Aidée par Arlette, elle rejoignit Carsius et se hissa sur le dos rouge du dragon. Sa servante prit place derrière elle. Tenant toujours le comte sous la menace de son arme, Firmin s’approcha de Kalika. Si Edmund gémit, il ne tenta pas de se débattre et le soldat put se placer derrière lui sur le dos de la dragonne.

— Si vous bougez, il est mort ! lança Firmin à l’intention des soldats encore présents.

Mais la menace était bien inutile. Privés du soutien du dragon noir, les gardes présents n’avaient pas esquissé le moindre geste.

— Comment va Lune ? demanda Éclat, inquiète.
— Il est blessé mais survivra. Vous aurez tout le temps de le soigner une fois que nous serons à l’abri.

Éclat voulut répondre mais déjà, Carsius prenait son élan. Le vent sifflait à ses oreilles, la forçant à fermer les yeux. Quelques coups d’ailes plus tard, le dragon rouge s’était arraché de l’attraction terrestre et fendait la nuit, ombre parmi les ombres.