L. Reflets de l'Ancien Monde - Le tombeau de glace



Explicit Violence

Après une catastrophe de grande ampleur, une partie de l’humanité est retournée vivre auprès de la nature, abandonnant la vaste Neos, capitale technologique des hommes. Parmi ces exilés, les reculés, certains appelés Porteurs gardent en eux des entités indispensables au maintien de la stabilité. Que deviendra le monde s'ils venaient à tous disparaître ?

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Partie 2 - Chapitre 1


La nuit était tombée sur Anethie depuis plusieurs heures, lorsque la meute parvint jusqu’aux abords de la cité. Dissimulés parmi les arbres, perchés sur des rochers en hauteur qui les maintenaient hors de la vue des gardes de la ville en contrebas, les loups tatoués observaient les rues avec insistance, leurs yeux jaunes brillant dans l’obscurité nocturne.

Luna s’accroupit au bord d’un relief escarpé, oreilles dressées, et énuméra tous les ennemis potentiels qu’elle apercevait. Pas un ne lui échappa. Elle entendait distinctement les pas de chacun d’entre eux, et le cliquetis discret de leurs plaques d’armure — une précaution supplémentaire adaptée à ce temps de guerre.

Elle tourna la tête en entendant les pas de son meneur derrière elle, et se redressa pour lui faire face, sans manquer de le saluer avec respect. Pour sa part, le seul tatouage qu’il portait était un symbole symétrique noir sur son front, avec un triangle au sommet, deux branches recourbées et qui descendait en pointe jusqu’entre ses sourcils froncés.

— Quelle est la situation, Luna ? demanda-t-il.

— Cinq gardes à l’entrée principale, et quinze autres dans le reste de la ville. Aucun civil dans les rues, du moins, pas à proximité. Trois gardes devant la demeure d’Anetham. C’est tout ce que j’ai pu voir.

— Ça me paraît peu… Les autres soldats sont certainement sur le champ de bataille.

— Nous avons eu de la chance de pouvoir avancer si loin sans en rencontrer, déclara Luna. Je pensais croiser au moins une brigade dans la forêt, même avec le détour que nous avons fait.

— Quoi qu’il en soit, je pense qu’il est l’heure.

Luna approuva d’un signe de tête énergique et leva la main pour que les loups tatoués postés derrière elle la rejoignent. Sans plus de cérémonie, d’un geste franc, elle les envoya en direction d’Anethie.

Cinquante loups dévalèrent la pente raide qui les séparait de la cité et s’engouffrèrent dans les rues avec une célérité démente. Les premiers cris d’alerte des gardes suivirent de près l’intrusion, et le son caractéristique des combats se mit à résonner dans la nuit.

Luna sortit ses deux dagues et se tourna vers son chef, qui ne quittait pas la cité des yeux.

— Votre heure est enfin venue, Prince Athem, dit-elle.

Athem jeta un regard brûlant en direction de la demeure de son père. Et sortit son sabre sans plus attendre.


****


Jhésel pénétra à pas lents dans la chambre d’Anetham, le regard fatigué, un bol d’eau et une serviette fraîche dans les mains. 

Ses nuits étaient bien courtes depuis que son roi peinait à assurer ses fonctions, et avait plus que jamais besoin de son soutien infaillible. Rongé par un mal dont les médecins du royaume peinaient à identifier la source, le fier seigneur d’Anethie ne quittait presque plus sa chambre, mais ne passait pas un instant sans se battre. Malgré ses efforts, jour après jour, son ennemi invisible gagnait du terrain.

Le vieux loup franchit le rideau souple fait de tronçons de bambou attachés entre eux, et s’approcha de son souverain sans bruit. Ce dernier était allongé dans son lit, recouvert d’épaisses couvertures pour mieux lutter contre la fraîcheur de l’hiver, bien qu’elle eût tendance à s’estomper au fil des jours. Fiévreux et épuisé, Anetham tendit une oreille et rouvrit les paupières, déposant ses yeux vitreux sur son conseiller au visage inquiet.

— Seigneur Anetham, chuchota Jhésel. Comment vous sentez-vous ? La fièvre est-elle tombée ?

Anetham referma les yeux en poussant un gémissement fatigué. 

— Je n’en ai pas l’impression, dit-il. Ce n’est pas dans cet état que je pourrai convenablement guider l’Union. Je maudis mon impuissance…

— Ne vous en faites pas, mon Seigneur, le rassura Jhésel avec bienveillance. Cela fait maintenant plus de deux mois que les forces de Neos ont diminué d’intensité. Il n’y a plus de conflits dans les villages que nos troupes occupent. Peut-être que la paix dont nous rêvons n’est plus très loin…

Anetham poussa un long soupir. Il aurait aimé que son conseiller dise vrai. Néanmoins, il ne pouvait s’empêcher de penser que c’était autre chose que la simple lassitude du conflit qui avait entraîné ce relâchement soudain des Neosiens. Comme s’ils préparaient quelque chose.

Des cris lointains coupèrent court à ses réflexions. Jhésel tressaillit. Il abandonna les affaires qu’il avait emportées avec lui sur le premier meuble venu et se hâta en direction de la large fenêtre qui arrosait la pièce de la timide clarté lunaire. Il retint un cri de stupeur en apercevant une fumée noire s’élever depuis la caserne des soldats, à l’entrée de la ville. Des silhouettes arpentaient les rues à toute allure en combattant et immobilisant les gardes sur leur passage. Sans faiblir, elles progressaient dangereusement en direction du Palais d’Anetham. 

— Nous sommes attaqués ! s’exclama Jhésel en se précipitant vers la porte de la chambre.

— Attaqués ? répéta Anetham en se redressant péniblement. Impossible ! Qui ?

— Je l’ignore, mon roi, répondit Jhésel précipitamment, mais restez à l’abri !

Il sortit de la pièce en courant et commença à héler les soldats du palais sur son passage. 

Anetham rassembla ses forces et se laissa descendre de son lit, posant ses pieds délicatement sur le sol. Tremblotant, mesurant chacun de ses pas avec la plus grande précaution, il s’avança péniblement en direction de la fenêtre. Il reprit son souffle, et écarta au maximum le rideau décoratif qui couvrait en partie le carreau translucide.

Il écarquilla les yeux en apercevant la fumée noire s’élever dans le ciel obscur, engendrant la panique parmi les citoyens qui vivaient à proximité du foyer des flammes. Il vit ses soldats se faire attaquer par la mystérieuse armée mentionnée par Jhésel, et crut, à sa plus grande horreur, reconnaître les loups de la meute de Kerem, qui avaient déserté Anethie trois mois auparavant, rapatriés par Aokura.

Il serra les poings, tremblant de rage. Ainsi, c’étaient des Reculés qui venaient s’en prendre à lui ? Comme s’il n’avait pas assez de problèmes avec Neos, le siège de l’Union était maintenant aux prises avec ceux qu’il considérait autrefois comme des alliés ?

Frémissant de rage, Anetham se détourna de la vitre. Il voulait partir de cette pièce et aller mener l’assaut contre ces traîtres, mais la réalité s’imposa rapidement à lui : ayant à peine la force de rester debout, il pouvait encore moins se battre ou donner des directives. Dégoûté par son impuissance, il repensa avec rage à l’époque où son royaume prospérait, encouragé par les prédictions d’un avenir radieux. 

Si la grande Anethie tombait maintenant, ce serait sa vie entière, et celle de toute sa lignée qui deviendrait un immense échec. 


****


Athem rabattit sa lame à vive allure pour maintenir ses assaillants à distance. Décontenancés par la présence du prince renégat, les gardes mirent un instant de trop pour se décider à contre-attaquer, et les coups bien placés des loups tatoués dans leur nuque ne leur laissèrent pas la moindre chance de rester conscients. Ils s’écroulèrent aux côtés de leurs armes tandis qu’Athem se redressait, essoufflé, en rangeant son sabre maintenant que la voie principale était enfin dégagée.

— Il faut continuer d’avancer, déclara-t-il aussitôt pour ne pas briser la lancée. Allons rendre visite au seigneur Anetham…

— Je ne vous laisserai pas faire !

Le rugissement désespéré interpella Athem qui se retourna, surpris de constater que l’un des gardes se débattait encore malgré le nombre impressionnant de loups affairés à l’immobiliser par tous les moyens. Ses deux bras captifs, agenouillé sur le sol, il continuait de forcer avec une volonté démentielle pour s’avancer faiblement en direction d’Athem, déterminé à stopper son coup d’État dans une ultime manœuvre désespérée.

— Rayan.

Le garde releva la tête en direction de son ami, qu’il ne pouvait désormais plus considérer comme tel. Il était hors de question qu’il laisse les choses se perpétrer de cette façon. Hors de question qu’il abandonne les siens comme l’avait fait Athem, et tourne le dos à sa patrie pour revenir la poignarder dans le moment le plus critique.

— Arrête de te débattre, Rayan, conseilla Athem en restant parfaitement calme. Vous avez perdu ce combat.

Rayan serra les dents et parvint à libérer l’un de ses bras avec un grand cri de rage. Mais en conséquence, trois loups tatoués revinrent à l’assaut et bondirent sur lui pour le clouer au sol.

— Je n’ai pas l’intention de renverser ce royaume. C’est Neos qui est mon ennemie, continua Athem, imperturbable. 

— Comment… pourquoi faire une chose pareille, dans ce cas ?! rugit Rayan, incapable d’abandonner sa lutte.

Pour toute réponse, Athem s’avança et s’agenouilla devant lui. Dans la seconde, plusieurs lames se figèrent contre le cou de Rayan, l’invectivant de ne rien tenter de déraisonnable.

— J’irai avec, ou sans toi, déclara Athem. Je te propose de me faire confiance une fois de plus, la dernière si tu veux. Fais ton choix. 

Incapable de formuler une réponse claire, les larmes aux yeux, Rayan vit la silhouette brouillée d’Athem qui se relevait, imperturbable, pour reprendre sa route vers le palais.

Le silence fut sa seule réponse.


****


Des cris en provenance de l’entrée de sa demeure tirèrent Anetham de ses sombres pensées. Il sentit son cœur affaibli frapper sa poitrine, et se plaqua contre le mur près de la fenêtre pour ne pas tomber. Les assaillants étaient arrivés jusqu’au Palais. Il entendit les exclamations paniquées des ministres et des corps s’écroulant au sol. Anetham tressaillit. Ce serait bientôt son tour. Alors autant mourir en souverain digne.

Haletant, il se retourna pour attraper son sabre accroché au mur, d’une main faible qui tremblait sous le poids de la lame. 

Des pas précipités derrière lui. Il prit une grande inspiration, et se retourna pour faire face à ses assaillants.

Ses yeux s’écarquillèrent, et le manche de son sabre glissa hors de ses doigts frémissants. L’arme heurta le sol, et demeura immobile. Luna rangea habilement ses lames et s’écarta pour laisser passer son chef, qui entama quelques pas tranquilles vers le vieux loup.

— Athem… murmura Anetham, sans parvenir à croire ce qu’il voyait. Comment… comment peux-tu…

Il s’interrompit, la gorge nouée, ravagé par la trahison insoutenable de ce fils unique qu’il avait élevé seul. Athem tenait dans sa main le sabre qu’il avait hérité de la famille, avec une splendide garde en fer forgé qui ondulait autour de la garde. La lame, brillante et nette, portait les gravures ancestrales de toutes les lames royales. Les symboles d’une lignée digne et fière, qu’il venait de déshonorer par ses actions.

— Mon Prince, Anethie est entre nos mains, déclara Luna après avoir reçu confirmation de Ludovic, qui les avait rejoints en toute hâte.

— Parfait, déclara Athem sans quitter son père des yeux. Allez calmer l’opposition, je vous rejoins bientôt.

Luna et Ludovic s’inclinèrent et repartirent énergiquement vers l’entrée du palais. 

Un silence s’imposa dans la chambre du roi d’Anethie. Le vieux loup sentit sa fièvre se faire plus envahissante que jamais, et de la sueur commença à perler sur son front. Les tympans palpitants, il se laissa lentement glisser contre le mur, jusqu’à s’asseoir à même le sol, sans quitter son fils des yeux. Cette félonie venait d’achever sa volonté, pour le terrer dans un insupportable sentiment de révolte et de défaite.

— Vous n’avez pas l’air de vous porter au mieux, Père, remarqua Athem. 

— Athem… grogna Anetham. Comment oses-tu venir souiller ainsi la ville de tes ancêtres ?

— Je suis simplement venu reprendre ce qui me revient de droit, répliqua le jeune loup en rangeant lentement son sabre dans son fourreau. Je ne pense pas que vous m’auriez gentiment laissé venir jusqu’à vous pour discuter, alors j’ai dû utiliser les grands moyens. Mais rassurez-vous : je n’ai pas l’intention de mettre Anethie à feu et à sang. Quelque chose de plus important m’attend.

— Alors que fais-tu ici ? rugit Anetham en puisant dans ses dernières forces. Tu ne penses pas qu’avec la menace de Neos, il y a des ennemis prioritaires à combattre ?!

— Bien sûr que si, répondit Athem en entamant quelques pas en direction de la fenêtre. C’est d’ailleurs pour ça que je suis ici. La meute de Kerem est d’une grande force, mais comparée à Anethie, elle comprend trop peu de soldats. Il n’y a qu’en reprenant le contrôle de cette armée que je pourrai faire quelque chose pour sauver ce monde du chaos.

— Tu as enfin compris que ce satané Nelson est responsable de tout ce désastre ? s’exclama le vieux loup avec furie. Il t’en aura fallu, du temps ! 

Le regard perçant d’Athem obliqua en direction de son père, qui se tut. 

— Nelson n’est que la partie émergée de l’iceberg, déclara Athem. Derrière lui se cache quelqu’un de beaucoup plus dangereux, et c’est lui que nous devons atteindre.

— De qui parles-tu ? questionna Anetham sans comprendre.

— Nous ignorons son vrai nom, mais ce que nous savons, c’est qu’il veut s’emparer des Esprits de tous les Porteurs, répondit Athem en jetant un regard vague sur son royaume. Et je compte bien l’en empêcher, grâce à cette armée. Avec ou sans votre accord.

Le vieux loup rassembla toutes ses forces, et se hissa sur un siège derrière lui, dans lequel il se laissa ensuite tomber. Haletant, il regarda avec insistance l’étrange tatouage qui ornait le front de son fils.

— Qu’est-ce que ce symbole ? maugréa-t-il.

— Le symbole de la Résistance, répondit Athem. Le groupe que Sha-Lin et moi avons fondé pour faire éclater la vérité, et détruire notre véritable ennemi. De quoi enterrer cette Union puérile qui a gâché les forces de ce royaume.

— Ne te moque pas de moi, Athem ! rugit Anetham. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour défendre notre monde contre les humains, et tu le sais ! 

— En restant confortablement assis ici ? Vous ignoriez même que Nelson n’était qu’un vulgaire pion…

— Quelle insolence… Tu ne manques pas de culot !

— On se demande de qui je tiens, répliqua innocemment Athem en s’appuyant contre la fenêtre.

Un nouveau silence s’imposa dans la chambre, tandis que les cris s’évanouissaient peu à peu, que ce soit dans le Palais ou dans le reste de la ville. Les soldats avaient tous été maîtrisés par les cent trente-trois guerriers qu’Athem avait ramenés avec lui, assurant la victoire par le surnombre évident. Finalement, cette guerre lui avait bien rendu service : si tous les soldats de la cité des loups n’étaient pas partis faire rempart contre Neos dans les villes voisines, il n’aurait jamais pu renverser la situation aussi facilement.

— Que comptes-tu faire, à présent ? gronda Anetham. Te lancer à cœur perdu dans la bataille, avec ces loups tatoués ? Depuis quand sont-ils à ta botte, je pensais qu’ils n’écoutaient que ce borné d’Aokura ?

— Aokura est mort, Père.

Le vieux loup se tut, stupéfait de la nouvelle. Athem, quant à lui, faisait de son mieux pour rester impassible.

— Comment ? balbutia Anetham. Qui a bien pu…

— Nous n’en sommes pas sûrs, l’interrompit Athem. Nous l’avons retrouvé inerte à Odori après que les Neosiens ont attaqué, il y a deux mois. Suite à cela, je me suis donc permis de rassembler ces loups tatoués, comme vous les appelez. Ils vont m’aider à abattre celui que nous pensons être responsable de sa mort. Par chance, il s’agit aussi de celui qui tire les ficelles derrière ce cher Nelson.

Anetham ne répondit pas. Il était forcé d’admettre que le décès du dernier représentant des sorciers d’Anethie ne le laissait pas indifférent. Il avait longtemps espéré qu’Aokura ait une progéniture moins têtue que lui, qui retournerait dans sa patrie pour défendre les terres de ses aïeux. Qu’en s’attirant la confiance de Nahru, il aurait pu permettre le retour d’une lignée de Porteurs au pays des loups. Mais une fois de plus, tout ne s’était pas passé comme il l’aurait souhaité.

— Et où est Sephyra ? demanda finalement Anetham. Elle n’est pas venue avec toi ?

Athem ne répondit pas tout de suite. Il laissa son front s’appuyer contre le carreau, et poussa un soupir.

— Disparue, dit-il. Depuis que cet homme que nous recherchons a attaqué Odori avec son armée de Neosiens, elle est introuvable. Sha-Lin a lancé de nombreuses recherches, en vain. J’ai fait de même et n’ai pas obtenu plus de résultats.

Anetham garda ses yeux fixés sur son fils, pensif. Le vieux loup était-il soudainement en train de perdre tout ce qu’il avait aimé et protégé au cours de sa vie ? Serait-ce bientôt au tour d’Athem lui-même, quand il se jetterait de toutes ses forces dans la bataille ?

— Quelle idiote, grogna Anetham en détournant le regard. Si elle avait pris la peine de m’écouter, elle aussi…

Le sabre d’Athem se stoppa à quelques millimètres de son front, et Anetham tressaillit. Il ne l’avait même pas vu dégainer. Le regard glacial du jeune loup en disait long quant à son ressenti suite à l’affirmation de son père.

— Je ne dormirai pas en paix tant que je ne saurai pas ce qu’elle est devenue, déclara Athem en grinçant des dents. J’enverrai des éclaireurs jusqu’au bout du monde, même si c’est pour retrouver son cadavre… Alors ne vous avisez pas de dire un mot de plus sur la fille que vous avez recueillie pour l’utiliser, puis l’abandonner à son sort.

La rage d’Athem disparut de son visage aussi soudainement qu’elle s’y était dessinée. Il baissa son sabre en frémissant, puis le rangea précipitamment et sortit de la pièce sans attendre, perturbé par sa propre réaction. Anetham le regarda s’éloigner sans mot dire. Il sentit alors que la fièvre lui montait de nouveau à la tête, et il s’affaissa dans son siège en poussant un long soupir.


****


Nelson pénétra dans la pièce sombre et referma doucement la porte derrière lui.

L’ancienne chambre d’officier avait perdu de sa superbe, n’étant plus qu’un lieu de repos improvisé et bien gardé. Nelson s’avança calmement vers le lit calé contre le mur du fond, entre deux commodes vides qui ne servaient plus qu’à remplir l’espace. Allongé sur le matelas épais, Tehäniel tremblait violemment, un bras sur le visage, ses doigts crispés sous une douleur manifestement insupportable.

Nelson attrapa une chaise qu’il amena jusqu’auprès du lit. Il s’y laissa tomber, et jeta un regard préoccupé à son associé.

— Ton état ne s’améliore pas, on dirait, commenta-t-il.

Tehäniel poussa un grognement en guise de réponse. Depuis son retour d’Odori, il avait été pris de violents maux qui l’avaient empêché de poursuivre sa mission capitale. Cela faisait maintenant deux mois qu’il était cloué au lit, à peine capable de s’exprimer. C’étaient les soldats partis avec lui qui avaient été contraints de faire leur rapport au Président, lui expliquant que la Porteuse avait réussi à prendre la fuite, car un puissant ennemi s’était interposé. Tehäniel avait ensuite éradiqué la menace, sauvant ainsi les soldats venus à Odori à ses côtés, mais le déferlement de puissance qu’il avait dû déployer pour venir à bout du sorcier Anethien avait amené son corps à un point de rupture. Depuis cet affrontement, son quotidien était partagé entre épuisement et souffrance.

— Il reste beaucoup à faire, continua Nelson. La Porteuse d’Amelicäa est en sûreté comme prévu, mais d’autres doivent être secourus au plus vite.

— Je le sais, rétorqua Tehäniel en écartant son bras. Je partirai à la recherche des derniers Porteurs dès mon rétablissement. J’honorerai ma part du contrat.

— J’y compte bien, répliqua Nelson en se relevant. Nous devons les mettre en sûreté avant qu’il ne soit trop tard. Si nous échouons, la paix pourrait ne jamais revenir.

Nelson repoussa la chaise qu’il avait approchée et commença à s’éloigner pour quitter la pièce à pas lents. Le sorcier remit son bras en place sur ses yeux, avant qu’un sourire énigmatique n’étire subitement ses lèvres.

— Au fait, lança-t-il. Je ne vous ai pas dit ? J’ai rencontré la fugitive là-bas.

Nelson se stoppa.

— Celle qui s’était malencontreusement enfuie, continua Tehäniel. Je lui ai réglé son compte. Inutile de me remercier.

Nelson ne répondit pas, et sortit de la pièce sans plus de cérémonie.


****


Son poing frappa violemment son bureau noir. Il eut du mal à retenir un hurlement de rage.

Il balaya les affaires posées sur son bureau d’un coup que seule sa colère guidait. Les dossiers et rapport qu’il avait l’habitude de ranger avec le plus grand soin s’éparpillèrent sur le sol.

Il se laissa tomber dans son fauteuil et s’affaissa sur son bureau, tête baissée, mâchoires crispées. Ses poings étaient si serrés qu’ils s’étaient mis à trembler.

— C’est comme ça que tu tiens tes promesses, Sephyra ? maugréa-t-il entre ses dents.

C’était la deuxième fois. Et, visiblement, la dernière.


Elle lui avait échappé.