L. Reflets de l'Ancien Monde - Le tombeau de glace



Explicit Violence

Après une catastrophe de grande ampleur, une partie de l’humanité est retournée vivre auprès de la nature, abandonnant la vaste Neos, capitale technologique des hommes. Parmi ces exilés, les reculés, certains appelés Porteurs gardent en eux des entités indispensables au maintien de la stabilité. Que deviendra le monde s'ils venaient à tous disparaître ?

Theme Lighter Light Dark Darker Reset
Text Serif Sans Serif Reset
Text Size Reset

Partie 1 chapitre 8


L’idée de se retrouver perdue dans un monde loin de chez elle l’avait toujours à la fois effrayée et, paradoxalement, fascinée. Elle n’avait jamais réellement appris à se débrouiller seule, à trouver sa nourriture loin des commodités de son village natal, à se repérer grâce aux constellations et aux mouvements du soleil. Elle n’avait jamais su se battre, ce dont témoignait son physique frêle, et sa peau claire et impeccable qui ne portait pas une seule cicatrice. Elle savait encore moins quels étaient les dangers qui pouvaient être rencontrés dans son vaste monde, dans une forêt profonde, ou au détour d’un grand chemin par une nuit de pleine lune.

Toutes ces choses qu’elle pensait inaccessibles s’imposaient pourtant à elle. Faisant preuve d’une patience qu’elle n’aurait jamais soupçonnée de sa part, Aokura lui enseignait jour après jour les nombreuses connaissances qu’il avait accumulées au cours de sa vie mouvementée. Il lui citait les noms des plantes comestibles ou aux vertus médicinales qu’ils trouvaient dans la forêt, sans manquer de la mettre en garde contre d’autres essences réputées dangereuses. Il lui parlait du mode de vie des animaux sauvages et de comment éviter les plus féroces d’entre eux, bien qu’il fût tout à fait capable de les repousser en cas de besoin. Il lui racontait l’histoire des grands clans telle qu’il la connaissait, l’agrémentant d’anecdotes personnelles et de remarques désobligeantes à l’encontre de certains dirigeants animés par des idéologies belliqueuses et surannées. 

Nahru se devait d’admettre qu’elle trouvait de plus en plus d’intérêt à voyager en sa compagnie. Certes, leurs disputes et autres provocations étaient toujours aussi fréquentes, mais au fond, cela ne lui déplaisait pas entièrement. En plus d’animer son quotidien et la stimuler quand elle sentait son esprit s’endormir, cela l’aidait à se sentir vivante. La monotonie de sa vie passée à Elantis l’avait poussée à rêver d’aventures. Peut-être qu’elle était finalement en train de mener l’existence qu’elle avait toujours souhaitée.

Une vie de voyages et de découvertes.


Les jours, les semaines et les mois s’écoulèrent de plus en plus rapidement. À chaque nouvelle journée, son nouveau paysage : elle traversa des plaines verdoyantes, des forêts aux tortilles quasiment impraticables, des vallées majestueuses, emprunta des flancs de falaise qui lui offraient des panoramas uniques. Elle visita tant de villes qu’elle ne sut retenir tous leurs noms ; seuls des souvenirs volatils de l’architecture des maisons et des éléments remarquables subsistaient dans sa mémoire chamboulée par son propre quotidien.


Après avoir voyagé au nord du continent, prenant soin de ne pas repasser par ce qui restait d’Elantis, Aokura la guida du côté de Lyrade, vaste région voisine des montagnes d’Odori. Le clan des cerfs y avait élu domicile, s’installant au sein même d’une forêt réputée pour abriter autant de richesses que de dangers potentiels, seulement connus de ses habitants. Pour cette raison, ce clan avait toujours été plus ou moins à l’abri des violences extérieures, perdu dans sa forêt profonde que seuls les connaisseurs savaient traverser. 

Nahru brûlait d’envie de voir des Lyradiens de ses propres yeux, mais Aokura n’était pas de cet avis.

—   Ils sont aussi bizarres qu’érudits, lui confia-t-il. Il leur faut quarante phrases pour dire bonjour et autant pour te demander d’où tu viens, et puis j’ai pas envie de les entendre raconter l’histoire de leur forêt pour la cinquième fois, c’est bon.

L’assertion étonna Nahru, mais la jeune fille se retint de le questionner davantage. Il avait certainement eu bien des occasions de voyager dans cette forêt et d’en rencontrer les habitants, depuis qu’il s’était froissé avec le monde anethien. 

Contrairement à ce que Nahru avait envisagé, le sorcier n’avait donc pas l’intention d’aller demander le gîte aux cerfs de Lyrade. Plutôt que de passer par l’impénétrable forêt qui marquait la limite de leurs terres, ils prirent un vaste chemin à l’ouest qui les emmènerait droit vers les montagnes. La fin de la journée arrivait à grand pas et Nahru était de plus en plus inquiète ; l’hiver s’était installé depuis longtemps et les nuits étaient glaciales. Elle n’avait pas envie d’avoir à camper dans de telles conditions, surtout au vu des épais nuages anthracite qui défilaient au-dessus d’eux, annonçant l’arrivée probable de pluies torrentielles. 

Le sentier était en pente de plus en plus sèche au fur et à mesure que les montagnes se rapprochaient. Nahru n’était pas d’humeur à se plaindre mais peinait de plus en plus à garder un rythme de marche décent aux yeux d’Aokura, qui devait faire des haltes régulières pour attendre que sa protégée le rejoigne. Il finit d’ailleurs par se lasser de son visage accablé par la fatigue : lorsqu’elle finit enfin de gravir le chemin escarpé au sommet duquel il l’attendait depuis cinq minutes, il attrapa le gros sac en bandoulière qu’elle portait et le mit sur son épaule avec un soupir agacé.

—   Allez, il reste seulement une demi-heure de marche, tu vas pas flancher maintenant, dit-il.

Il tourna les talons et reprit la route avant que Nahru ait pu répliquer ou contester le vol soudain de son bien. Même si elle se sentit considérablement allégée par cette perte de poids sur son épaule, la façon dont elle en avait été débarrassée lui donnait la désagréable sensation de n’être qu’un fardeau aux yeux de son protecteur. Ignorant la douleur de ses jambes qui se se lamentaient autant qu’elle de la situation, Nahru suivit le sorcier à pas vifs, en taisant ce qu’elle lui aurait volontiers répondu si elle avait eu l’énergie de se battre. 


La nuit était déjà tombée lorsqu’ils parvinrent enfin à destination. Nahru vit une maison de bois vieilli se dessiner près d’un regroupement d’arbres aux troncs raboteux, au sein d’une étendue d’herbe courte qui résistait tant bien que mal à l’hiver. Elle maudit intérieurement Aokura d’avoir choisi un refuge perché dans les hauteurs, plutôt que d’être resté tenir compagnie aux Lyradiens, quitte à devoir les écouter raconter leurs histoires des heures durant.

Aokura s’avança sans hésiter jusqu’à la porte qui ne tenait plus réellement en place, qu’il dut soulever et poser contre le mur adjacent pour pouvoir entrer.

—   Bienvenue chez Ethelindra, dit-il à Nahru lorsqu’elle le suivit à l’intérieur.

La jeune fille ne cacha pas sa stupeur : jamais elle n’avait vu une maison aussi remplie. Même s’il y avait assez peu de meubles, les murs étaient tous recouverts d’étagères sur lesquelles prenaient place des babioles multicolores et poussiéreuses. Fioles, parchemins, onguents, bijoux : un amas d’objets qui n’avaient rien à voir les uns avec les autres mais avaient tous leur place bien définie parmi les innombrables bricoles qui saturaient l’espace. 

Nahru s’avança vers une étagère recouverte de livres très anciens ; elle ne parvenait même pas à distinguer les écritures sur la tranche.

—   Je te déconseille d’essayer de les lire, dit alors la voix d’Aokura, derrière elle. Ils tomberaient en poussière à peine ouverts…

Nahru se retourna vers lui, et vit qu’il s’était agenouillé devant un grand coffre en bois qui reposait contre l’un des murs vieillis, en dessous de la seule petite fenêtre de la pièce, dont le carreau usé laissait abondamment filtrer l’air extérieur. Elle se rapprocha de lui avec curiosité, essayant de voir par-dessus son épaule ce que le coffre pouvait bien contenir.

Aokura se releva alors, une longue sacoche de cuir dans les mains. Il ouvrit et huma l’intérieur avec délice, décuplant la curiosité de Nahru. Jusqu’à ce qu’elle comprenne de quoi il s’agissait.

—   Attends un peu, c’est du tabac ça ? s’exclama-t-elle, révoltée à l’idée que le sorcier fasse de nouvelles réserves d’herbes à fumer.

—   Et alors ? répliqua-t-il en rangeant la sacoche dans son sac. Ma grand-mère produisait le meilleur tabac de Lyrade, et c’est pas peu dire, crois-moi.

Peu intéressée par son analyse des qualités relatives des herbes de la région, Nahru fronça les sourcils.

—   Ta grand-mère ?

—   Ethelindra do Noadia Vladanisther du Pays de Lyrade. C’est ma grand-mère lyradienne ; cette maison était la sienne. Mais elle est décédée il y a quelques années.

—   Attends, ça veut dire que tu as du sang lyradien ? s’étonna Nahru.

—   Oui. Mais je reste un loup même si je ne le montre pas. Mes parents en étaient tous les deux après tout. C’est juste que ma mère était à moitié lyradienne, et ça justifie ma grande taille comparé aux autres Anethiens, paraît-il… 

Nahru approuva intérieurement : déjà que le sorcier faisait presque deux têtes de plus qu’elle, elle n’avait pas pu s’empêcher de constater que pas un seul Anethien n’était aussi grand que lui, parmi tous ceux qu’elle avait croisés il y a quelques mois, lors de leur visite au Seigneur Anetham. Néanmoins, elle sourit en essayant d’imaginer Aokura avec les splendides ramures avec lesquelles se pavanaient les hauts dignitaires de la société lyradienne. Elle les avait vus dans de nombreux ouvrages, et avait toujours été à la fois attirée et amusée par leur allure si singulière. 

—   Et non, je ne peux pas me faire pousser de cornes, si c’est à ça que tu pensais, repris Aokura en lui jetant un regard suspicieux.

Nahru pouffa de rire, mais ne se laissa pas décontenancer par la clairvoyance de son compagnon de voyage.

—   Et il te reste de la famille proche ? demanda-t-elle innocemment, espérant pour une fois reprendre une conversation plus saine avec le sorcier.

Aokura ne répondit pas tout de suite, occupé à refermer à clef le coffre de bois, serrure par serrure.

—   À part un petit prince qui n’est que mon cousin éloigné, pas plus que toi, finit-il par admettre.

Il se tourna vers elle comme pour s’excuser de la brutalité de la réponse, mais la jeune fille lui adressait un sourire compatissant. Il lui rendit son regard avec surprise, comme s’il était étonné de partager la moindre ressemblance avec celle dont on l’avait affublé de la turbulente compagnie.

Il se releva enfin, époussetant machinalement sa cape qui avait souffert du trajet.

—   On va faire une halte ici le temps de reprendre quelques forces, dit-il. C’est pas très grand et il n’y a qu’une chambre, mais je peux dormir dans cette pièce, ça ne me gêne pas. 

Nahru jeta un regard circulaire dans la petite pièce et remarqua un divan en osier recouvert par un coussin poussiéreux. Elle avait du mal à imaginer quelqu’un de la taille d’Aokura puisse prendre place sur un lit aussi étroit.

—   Tu es sûr que…

Le sorcier ne l’écoutait plus ; il se débarrassa de son manteau de voyage dans un coin de la pièce, faisant valser sa chevelure dans son dos, puis entreprit de se débarrasser de ses chaussures. 

Nahru fit la moue et se dirigea à petits pas vers la chambre, attrapant son sac au passage. Elle ouvrit la porte avec délicatesse et la referma doucement derrière elle. Charmée par la petite chambre aux décorations aussi fournies que le reste de la maison, elle se laissa tomber sur le lit moelleux bien qu’ancien, jetant un regard par la fenêtre. Elle se releva pour aller fermer le volet de bois, espérant limiter ainsi les courants d’air et donc la fraîcheur de la pièce. Puis elle s’engouffra dans le lit en se recouvrant de toutes les couvertures à portée de main, et ferma les yeux, recroquevillée sur elle-même.


La nuit n’avait pas été des plus agréables. Malgré toutes les peaux et autres couvertures de tissu qu’elle avait posées sur elle, Nahru avait passé la nuit à grelotter, de plus en plus recroquevillée sous les draps vieillis par les années. Sa fatigue lui avait quand même permis de dormir une bonne partie de la matinée, et le soleil était haut dans le ciel lorsqu’elle trouva le courage de s’extirper du lit, pour ouvrir le volet et laisser la lumière matinale entrer dans la chambre.

Ses yeux s’agrandirent et elle sentit son cœur se soulever dans sa poitrine.


Elle bondit dans ses chaussures, attrapa son écharpe qu’elle avait laissée sur ses draps la veille, mit un autre pull et sortit de la pièce en courant. Elle traversa le salon sans écouter l’appel vain d’Aokura qui lui invectivait de ne pas trop s’éloigner, et elle se précipita à l’extérieur, noyant ses pieds dans la poudreuse blanche, euphorique et émerveillée par le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Ignorant le froid environnant qui la faisait déjà frissonner, elle regarda les flocons de neige tomber par milliers depuis les cieux, dansant dans la légère brise qui agitait ses cheveux et ses vêtements. Elle lança un grand éclat de rire et se mit à courir droit devant elle, de plus en plus vite, avant de se laisser tomber sur une petite colline normalement recouverte d’herbe courte. Elle roula dans la neige et se laissa aller sur le dos, observant de nouveau les cieux recouverts de nuages immaculés, reprenant sa respiration avec avidité sans perdre une miette de ce fabuleux spectacle.


Elle avait toujours adoré la neige. La voir tomber des cieux blanchis par les nuages était un spectacle dont elle s’était toujours délectée, et rien ne l’amusait plus que de courir après les flocons immaculés qui rendaient le paysage aussi blanc et vaporeux qu’un rêve. À Elantis, il ne neigeait pas suffisamment pour qu’elle puisse passer des heures entières à faire de multiples constructions avec la poudreuse, chose qu’elle avait toujours rêvé d’essayer un jour. Alors découvrir que quinze centimètres de neige étaient tombés en une seule nuit lui avaient fait oublier brutalement tous ses problèmes, et elle se sentait ivre du bonheur que lui prodiguait la simple vue de ce spectacle unique. 


Après quelques minutes de contemplation, elle entendit des pas étouffés se rapprocher d’elle. Puis elle aperçut dans un coin de son champ de vision le visage d’Aokura, affublé de son légendaire regard réprobateur.

—   Ça va, je te dérange pas ? ironisa-t-il. Je t’avais dit de pas t’éloigner.

Il poussa un soupir déchirant devant l’absence totale de réaction de la part de sa protégée. Elle continuait d’observer les cieux, les yeux mi-clos, comme si elle vivait le moment le plus précieux de son existence. Elle avait l’air si heureux qu’il n’avait pas envie de lui faire davantage de réprimandes. Il se contenta donc d’observer les alentours pour guetter une éventuelle menace, le temps qu’elle se décide à se relever.

Lorsqu’elle daigna enfin se rasseoir et secouer sa chevelure bicolore pour retirer les quelques flocons qui l’avaient recouverte, il se tourna à nouveau vers elle.

—   Tu vas attraper froid si tu te couvres pas plus.

Nahru leva un sourcil. Comment pouvait-il lui faire une telle remarque, lui qui était sorti avec un pantalon en lin et une chemise aussi fine que le tissu de ses tenues d’été ?

—   T’es mal placé pour me faire la morale, lança-t-elle. T’auras attrapé des engelures avant moi avec un accoutrement pareil.

Elle se releva en replaçant son écharpe autour de son cou, reconnaissant intérieurement qu’un manteau n’aurait effectivement pas été de trop.

—   Je suis pas comme toi, je crains pas le froid, répliqua Aokura en haussant les épaules. 

Le rire sarcastique de Nahru lui fit lâcher un nouveau soupir désabusé. Il passa sa main contre son oreille, effleurant le talisman qui ornait son lobe, suspendu à une chaînette. Puis il tendit le bras devant lui. 

Nahru poussa une plainte admirative lorsqu’elle vit les flocons de neige danser autour du bras de son compagnon de voyage, comme s’ils lui obéissaient ; elle les vit se cristalliser puis éclater en fragments plus fins, se liquéfier avant de redevenir subitement flocons, et qu’une nouvelle impulsion invisible ne les renvoie valser dans les airs. Nahru regarda Aokura avec un large sourire, mais de son côté, le sorcier restait impassible et concentré sur son exercice.

—   Comment tu fais ça ? demanda-t-elle finalement, bien que persuadée qu’elle n’obtiendrait pas facilement de réponse satisfaisante de sa part.

—   Avec les talismans.

—   Les quoi ?

Il baissa son bras, et relâcha son emprise sur les flocons qui reprirent leur chute lente en direction du sol gelé. Puis il se tourna vers Nahru et écarta les mèches qui dissimulaient son oreille, dévoilant plusieurs pendentifs bleutés qui brillaient sous les faibles lueurs du jour. 

—   Tes boucles d’oreille ?

—   Elles sont décorées avec des talismans. Comme des orbes miniatures, si tu veux. Une petite sollicitation, et leurs pouvoirs se réveillent. Ça m’évite d’utiliser mon sceptre en permanence ; un orbe de cette taille, ça se ménage.

—   Et donc si tu m’en donnais un, je pourrais faire comme toi ? questionna Nahru, le visage soudain illuminé d’espoirs naïfs.

—   Avec des années d’entraînement, pourquoi pas. Mais je t’en donnerai pas, de toute façon. 

En guise de réponse, Nahru se baissa et fit un petit tas de neige qu’elle assembla en une sphère presque parfaite, puis elle se releva et jeta un regard sournois à Aokura, qui se mit à la toiser avec méfiance.

—   Si tu fais ça…

Sa menace se révéla inutile ; il se fit frapper de plein fouet par la boule de neige. Le temps de se débarrasser de la poudreuse qui lui avait recouvert une partie de la tête, Nahru était déjà en train de s’enfuir à toute vitesse, assemblant dans sa course quelques autres munitions au cas où il la rattraperait.

Aokura décocha un petit sourire et s’élança à sa poursuite, ce qui arracha à la jeune fille un rire euphorique : elle était ravie de pouvoir ajouter un peu de piment à sa course. Elle continua de fuir à grandes enjambées en jetant de temps à autre des regards en arrière, pour constater que son protecteur gagnait de plus en plus de terrain, et qu’il n’allait pas tarder à lui rendre la monnaie de sa pièce. 

Elle lança une nouvelle boule de neige en espérant le ralentir, mais il esquiva agilement et parvint à lui attraper un bras dans la foulée. Elle poussa une plainte surprise et lança sa dernière munition de toutes ses forces contre le sorcier, qui, sans se laisser décontenancer par l’attaque, la fit ensuite trébucher et tomber tête la première dans l’épaisse couche de poudreuse.

Il se laissa tomber assis à côté d’elle tandis qu’elle se relevait, gémissant et secouant la tête pour ôter la neige qui lui gelait la peau et blanchissait sa chevelure bicolore.

—   Je t’avais prévenue, dit-il.

—   C’est bon, match nul, répliqua-t-elle avec un sourire en s’asseyant à côté de lui. 

Ils reprirent tous deux leur souffle en silence, observant les flocons qui continuaient de valser dans les airs. Partout alentour, le paysage silencieux se recouvrait de blanc, le dotant d’une clarté nouvelle que reflétaient les timides rayons du soleil.

Nahru se mit à grelotter, regrettant enfin de ne pas s’être couverte davantage au moment de sortir. Aucunement gêné par la température contrairement à elle, Aokura lui jeta un regard en coin.

—   Rentre te sécher, conseilla-t-il. La neige va continuer de tomber, tu ressortiras quand tu m’auras fait le plaisir de mettre des vêtements plus chauds.

Il se releva et Nahru l’imita sans broncher, poussant un dernier soupir nostalgique en regardant tomber les flocons tout autour d’elle. Elle ignorait pourquoi la neige lui procurait de telles sensations d’émerveillement et d’apaisement total, mais elle voulait en profiter le plus possible, continuer de la regarder recouvrir le paysage des heures durant. Elle avait besoin de ces instants qui la détachaient de tout, et lui permettaient enfin de faire le vide dans sa tête, loin de ses problèmes, de son destin de Porteuse, et des dangers qui la guettaient.


Aokura était en train de la distancer. Alors sans plus attendre, elle partit à sa poursuite, abandonnant les traces de ses pas hâtifs dans la neige immaculée.