L. Reflets de l'Ancien Monde - Le tombeau de glace



Explicit Violence

Après une catastrophe de grande ampleur, une partie de l’humanité est retournée vivre auprès de la nature, abandonnant la vaste Neos, capitale technologique des hommes. Parmi ces exilés, les reculés, certains appelés Porteurs gardent en eux des entités indispensables au maintien de la stabilité. Que deviendra le monde s'ils venaient à tous disparaître ?

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Partie 1 chapitre 5


Lorsque la silhouette imposante de Neos commença à apparaître au loin, la nuit était déjà tombée. Sephyra sentit son rythme cardiaque accélérer tandis qu’elle survolait les vastes étendues agricoles entourant Neos. Les campagnes étaient exploitées sur une centaine de kilomètres autour du centre de la ville, pour tâcher de nourrir son million de citoyens. Sephyra se demanda quelle fraction infime de ces parcelles immenses et diverses suffirait à nourrir tout le peuple anethien pendant une année entière, et elle avait presque peur de la réponse. D’autant plus que Neos produisait suffisamment de nourriture pour qu’une partie de ces denrées soient vendues à l’extérieur ; elle en avait même déjà trouvé à Anethie. 

Sephyra se laissa bercer par le vent nocturne, suivant les ondulations du fleuve qui la mènerait jusqu’au cœur de la cité. Si elle avait appris une chose concernant les villes humaines, c’est qu’elles avaient tendance à suivre les rivières, comme c’était le cas pour Anethie, et pour tant d’autres.

À mesure qu’elle progressait, le paysage sous elle s’éclairait. Les fenêtres des habitations étaient pour beaucoup allumées, du sol jusqu’aux édifices les plus démesurés. Comme si Neos ne dormait jamais.

Sephyra se laissa descendre jusqu’à un premier immeuble dont la cime défiait les nuages, des bouffées d’air chaud chatouillant ses ailes. Elle atterrit sur le sommet de la structure, trottinant quelques mètres sur le sol plan pour ralentir. Puis elle se rapprocha du vide, le cœur battant à tout rompre, ignorant le vent qui soufflait avec force à cette altitude.

Le paysage qu’elle avait sous les yeux défiait la vision qu’elle s’était fait de son monde en dix-huit ans d’existence. Elle savait qu’Anethie était considérée comme une vaste cité, mais celle qu’elle observait à présent la surpassait de si loin qu’elle se demanda quel mot pourrait qualifier son immensité. Elle n’apercevait plus l’horizon ; juste d’immenses tours lumineuses sur lesquelles grimpaient une myriade de plantes ornementales, mariant les couleurs et les formes dans une élégante harmonie entre le végétal et l’artificiel. Elle n’aurait pas su dire de quels matériaux ces structures étaient constituées, hormis le bois et le verre qu’elle crut reconnaître ; le reste était un fascinant mystère à ses yeux. Elle tenta de compter le nombre d’étages de la plus haute tour qu’elle pouvait apercevoir, mais abandonna rapidement. Même si les fenêtres étaient presque toutes illuminées, la taille impressionnante de l’édifice la dissuada rapidement de se lancer dans un tel calcul.

Elle constata également très vite que de nombreux toits d’immeubles, à l’instar de celui sur lequel elle avait atterri, étaient couverts de diverses cultures. Les Neosiens n’exploitaient donc pas que leurs champs excentrés pour se nourrir : leur système entier semblait pensé pour rentabiliser chaque mètre carré d’espace. 

Décidant de couper court à sa contemplation de Neos, Sephyra se redressa, étirant ses ailes quelque peu endolories. Il fallait qu’elle se rapproche au maximum du palais présidentiel, pour éviter de se perdre dans une ville gargantuesque dans laquelle elle n’avait pour l’instant aucun repère. D’après ce qu’elle avait appris sur le sujet, le palais, qui comprenait également le quartier général des forces armées, se trouvait au centre exact de la cité. 

Après avoir pris quelques minutes supplémentaires de repos, elle décolla en direction d’un autre bâtiment plus éloigné, duquel elle pourrait avoir un autre point de vue. 

Elle visita trois autres sommets de bâtiments, avant de finalement apercevoir ce qui ressemblait à une très vaste étendue de verdure, ponctuée par de majestueux arbres, en plein cœur de la ville. Les routes contournaient l’ilôt naturel comme s’il était sacré, et que la technologie ne devait en aucun cas empiéter sur sa surface. 

Sans hésiter, Sephyra décolla de nouveau puis amorça une descente douce en direction du parc. Elle perdit progressivement de l’altitude, décrivant des cercles de moins en moins larges, pour finir par atterrir, avec un léger surplus d’élan, dans l’herbe grasse et parfaitement entretenue. Essoufflée, elle se redressa et regarda autour d’elle. Peu de personnes étaient présentes ; elle ne distinguait que quelques ombres éclaircies par les lampadaires installés le long des chemins de terre. 

Sephyra s’était beaucoup documentée sur Neos avant de s’y rendre, et avait entendu parler de cet endroit, qui se trouvait à proximité du lieu qu’elle cherchait. Elle rejoignit le chemin le plus proche d’elle, et chercha donc à sortir de l’espace de verdure.

Personne ne semblait l’avoir remarquée. C’était mieux ainsi. Elle replia ses ailes autant que possible après les avoir brièvement étirées, puis elle remit son sac en bandoulière en place. Elle vérifia machinalement que son sabre était toujours attaché à sa hanche, et dans la foulée, espéra que sa présence ne lui poserait pas de problèmes. Contrairement à la plupart des clans de Reculés, à Neos, il n’était pas permis de posséder des armes à moins que cela soit exigé par le travail. Pour des questions de sécurité, sans doute.

Sephyra chassa ces pensées. Elle devait se concentrer sur sa première tâche : trouver la résidence présidentielle. Elle sortit le plan de la ville qu’elle avait récupéré à Londor, ville composite située à proximité de Neos, au cours de sa dernière halte. Retrouvant rapidement la localisation du parc dans lequel elle avait atterri, elle vérifia que l’endroit qu’elle cherchait se trouvait bien dans les environs. D’après le plan qu’elle avait sous les yeux, seulement trois kilomètres à vol d’oiseau la séparaient de son objectif. 

Prenant son courage à deux mains, elle quitta le parc pour s’aventurer dans les rues animées de Neos. Le Reflet de l’Ancien Monde n’était pas moins impressionnant vu du sol : les édifices comptaient tous au moins trois ou quatre étages, construits avec de belles briques claires sur lesquelles grimpaient divers végétaux qu’elle ne parvint pas à identifier. Les rues étaient larges, parsemées d’arbres parfaitement alignés, et illuminées en permanence par de hautes structures métalliques qui permettaient d’y voir aussi bien qu’en plein jour. Elle qui s’était dit qu’arriver de nuit aurait au moins le mérite de renforcer sa discrétion, elle s’était peut-être fourvoyée. De surcroît, son physique atypique avait tendance à attirer les regards : à mesure qu’elle s’approchait des rues plus fréquentées, elle nota que de nombreuses personnes lui lançaient des regards intrigués. Les passants étaient certainement plus étonnés par ses ailes que par le fait qu’elle soit une Reculée : confirmant ce qu’elle savait de Neos, de très nombreux Reculés déambulaient dans les rues, affichant de façon plus ou moins visibles leurs attributs animaux. Elle en croisa beaucoup sur sa route, dont certains qui lui souriaient gentiment au moment de la dépasser, comme pour soutenir une camarade. 

Elle ralentit un instant pour observer avec étonnement et fascination d’étranges machines à deux roues sur lesquelles certains se déplaçaient avec célérité. Les engins filaient droit sur les routes pavées, propulsés par le mouvement de pédalier opéré par leurs pilotes. Il allait falloir qu’elle soit très vigilante lors de ses déplacements pour ne pas entrer en collision avec l’un deux.

En dépit de son émerveillement, Sephyra se dirigea machinalement vers les rues les plus étroites et les moins fréquentées, où seuls les piétons pouvaient se rendre. D’après ce qu’elle savait, les grandes avenues étaient équipées de systèmes de transports collectifs très sophistiqués, qu’elle était curieuse de voir, mais elle se dit qu’elle ne manquerait pas d’opportunités de les découvrir à l’avenir, et préféra se concentrer sur son objectif premier. Elle se rendit donc naturellement dans les zones les moins bruyantes, dans lesquelles elle pouvait poursuivre sa route sans être dérangée par les regards surpris de quelque curieux. 

Les boutiques fermées devant lesquelles elle passait désormais contrastaient beaucoup avec les hauts immeubles qu’elle avait vus en arrivant. Comme si Neos était à mi-chemin entre une ville surdéveloppée et un village paisible qui éteignait méticuleusement toutes ses lumières une fois la nuit tombée. Pourtant, la technologie était partout, et avec elle, le confort de vie. Sephyra vit à plusieurs endroits des distributeurs d’eau potable, qui ne semblaient nullement avoir besoin de pompe pour fonctionner ; des rues propres et entretenues, associées à une verdure omniprésente ; des éclairages dont elle peinait à comprendre comment ils fonctionnaient, car ne semblaient pas avoir besoin de flamme ni même de combustible. Elle était plus fascinée à chaque nouveau pas, alors même qu’elle se trouvait dans la ville depuis moins d’une heure, et qu’il lui restait encore presque tout à découvrir.

Elle aperçut alors, au fond de la rue dans laquelle elle s’était engagée, un petit groupe de personnes qui discutait joyeusement devant une boutique illuminée et particulièrement bruyante. Sephyra se demanda quels instruments pouvaient bien produire un tel vacarme, capables d’étouffer les conversations animées des personnes se trouvant à l’intérieur du bâtiment. Elle détourna son regard et passa sans prêter attention aux fêtards, qui la regardèrent passer, leurs verres à la main, généreusement éméchés. L’un d’eux ne put s’empêcher de l’apostropher.

—   Salut toi ! lança-t-il joyeusement. On est perdue ? Viens t’amuser avec nous !

—   Non merci, répondit-elle derechef en s’éloignant.

Sephyra ne prêta pas attention à leurs exclamations indignées et leurs appels incessants pour qu’elle change d’avis. Et elle ne parvint à se détendre que quelques rues plus loin, lorsqu’elle n’entendit plus ni la musique ni leurs vaines sollicitations. Elle avait beau être émerveillée par ce qu’elle pouvait voir, elle n’était pas prête à se joindre à la première fête venue –d’autant qu’elle ne connaissait pas encore les coutumes de la ville, et n’avait pas envie de les apprendre auprès de soiffards inconnus. De surcroît, des choses bien plus importantes l’attendaient.

Elle s’arrêta devant un grand panneau qui affichait un plan du quartier où elle cheminait, et localisait ce dernier dans l’immense ville. Elle remarqua non sans soulagement que le palais présidentiel était très proche ; le plan qu’elle avait récupéré à Londor semblait bel et bien fiable. En quelques minutes de marche, elle parviendrait à son objectif. Mais pour l’heure, elle devait trouver un endroit où dormir.

Elle opta pour ce qui annonçait être un modeste hôtel. Le bâtiment était étroit, enserré entre deux boutiques à la devanture particulièrement raffinée. En s’avançant dans l’édifice plongé dans le silence, elle aperçut un homme en train de lire à l’accueil. Une bougie allumée à côté de lui permettait d’éclairer les pages de son ouvrage, passionnant à en juger par son impassibilité vis-à-vis de ce qui l’entourait.

Le temps que l’homme daigne lever le regard vers elle, Sephyra sortit une petite besace remplie de pièces argentées. Avant de partir, elle avait réussi à troquer un peu de lyres anetiennes, la monnaie locale, avec l’équivalent en dîmes de Neos. Elle en confia une maigre part au vieux concierge qui lui donna en échange la clef de sa chambre pour la nuit. Sans s’attarder davantage, Sephyra monta au premier étage du petit bâtiment, ouvrit la porte qu’on lui avait désignée et la referma sans bruit derrière elle.

Elle plissa le nez en entrant : pour sûr, le faible prix qu’elle avait eu à payer était en adéquation avec la modestie des lieux. Les meubles semblaient en relativement bon état, mais l’atmosphère était lourde et sentait la moisissure. Elle posa avec soulagement ses affaires puis se dirigea vers la fenêtre, l’inspectant quelques secondes avant de comprendre le mécanisme permettant de l’ouvrir. Elle laissa l’air pénétrer la pièce, et se laissa tomber sur le lit dont le matelas s’affaissa à peine sous son poids. Étendue de tout son long, elle se mit à fixer le plafond parsemé de taches d’humidité. 

D’après ce qu’elle avait compris, les recrutements qui l’intéressaient auraient lieu dès le lendemain. Dès le lever du soleil, elle pourrait aller tenter de faire ses preuves, pour intégrer le corps des Chasseurs de Neos. Des guerriers entraînés entre autres à l’arme blanche, et aptes à servir de gardes du corps privilégiés. 

Malgré la grande angoisse qu’elle éprouvait vis-à-vis de la nouvelle épreuve qui l’attendait, épuisée par son voyage, Sephyra ferma rapidement les yeux.


Le lendemain arriva trop vite à son goût. Elle ne s’attarda pas dans la petite chambre d’hôtel, et la quitta seulement quelques minutes après s’être réveillée, le temps d’enfiler une nouvelle tenue et de se laver sommairement le visage. Elle n’avait pas eu trop de difficultés à comprendre de quelle façon fonctionnaient les robinets Neosiens : elle avait trouvé le système relativement intuitif et somme toute assez proche des traditionnelles vannes à leviers utilisées à Anethie.

Le soleil se levait à peine tandis qu’elle arpentait les rues en direction du palais présidentiel. La température était agréable ; elle avait opté pour un dos nu permettant à ses ailes de sortir librement, serrant des bandages autour de sa poitrine pour limiter sa gêne au combat. Ses jambes étaient protégées par un corsaire sombre en lin épais, tels que ceux qu’elle portait habituellement lors de ses entraînements à Anethie. À en juger par l’extrême diversité de tenues vestimentaires qu’elle avait constaté la veille et constatait à nouveau en ce jour, elle se dit qu’elle se fondrait parfaitement dans la masse.


Elle croisa moins de personnes qu’elle l’aurait cru, ce qui n’était pas pour lui déplaire. La plupart des gens allaient certainement travailler, le pas pressé, le regard tendu droit devant eux. Ils n’avaient pas le temps de s’étonner de l’étrange créature qu’elle devait être à leurs yeux. Il sembla même à Sephyra qu’elle ne les surprenait pas tant que cela, en fin de compte. Après tout, Neos était réputée pour accueillir les gens sans distinction, quelle que fut leur race ou leur patrie d’origine. Et même si peu d’ethnies de Reculés avaient des ailes, elle n’était pas forcément la première qu’ils voyaient.

Sephyra ne put retenir un soupir mélancolique en repensant à Anethie. Elle se rendit compte qu’elle aurait donné cher pour que la ville dans laquelle elle avait grandi adopte le même type de mentalité.


Après quelques minutes de marche, Sephyra arriva sur une immense place pavée, parcourue en tous sens par des citoyens qui avançaient à une allure plus ou moins soutenue, certains même chevauchant les étranges machines à deux roues qu’elle avait pu apercevoir la veille. La jeune femme tâcha de se frayer un chemin parmi les Neosiens, tout en se rapprochant du centre de la place où avait été dressée une impressionnante statue. D’après ce qu’elle put lire sur l’écriteau qui y était fixé, elle était à l’effigie d’un certain Victor de Brennes, le premier dirigeant de la ville. Et c’est lorsqu’elle leva à nouveau le regard qu’elle put admirer, au fond de la vaste place, le palais présidentiel de Neos. 

Elle ne l’avait vu qu’en images sur des plans touristiques de la ville, mais il était bien plus impressionnant en vrai. Elle l’observa tandis qu’elle s’en rapprochait, esquivant les passants avec plus ou moins de facilité. L’imposant bâtiment était quasi-entièrement fait d’une pierre ocre, qui reflétait les rayons du soleil matinal. Le haut bâtiment central, entouré par deux ailes recouvertes d’immenses fenêtres, était orné de gravures et sculptures en arabesques raffinées dont elle pouvait admirer les détails avec de plus en plus de facilité au fur et à mesure qu’elle se rapprochait de l’édifice.

Comme pour mettre une touche finale à cette structure grandiose, une cour d’entrée magistrale s’étendait devant le bâtiment, délimitée par de hautes grilles noires. Les deux portes de la cour étaient néanmoins grandes ouvertes en ce jour spécial de recrutement. 


Sephyra franchit les grilles noires en serrant la bandoulière de son sac dans sa main. Elle regarda autour d’elle. Les autres personnes venues concourir provenaient certainement des quatre coins du monde : elle vit des Neosiens, et des Reculés de toutes sortes. Certains gardaient forme humaine, mais étaient malgré tout reconnaissables à leurs couleurs de cheveux ou d’yeux inhabituelles. Beaucoup semblaient se connaître, du moins nombreux étaient ceux qui discutaient ouvertement entre eux ; peut-être était-ce pour mieux cacher leur appréhension. Elle en dénombra en tout une quarantaine : des jeunes comme elle et des guerriers plus chevronnés. Les armes qu’ils portaient sur eux étaient toutes différentes, certains n’en affichaient même aucune. Elle était en train de se demander comment on pouvait bien espérer rivaliser à main nues contre des lames tranchantes, lorsque deux Neosiens, un homme et une femme à la posture impeccable vêtus de costumes noirs et de lunettes aux verres teintés, sortirent du palais et vinrent ouvrir en grand les portes de celui-ci pour inviter les concurrents à entrer.


L’intérieur était aussi grandiose que l’extérieur. Le plafond était immensément haut, et l’entrée présentait un large escalier droit menant aux étages supérieurs, vraisemblablement privés. Sephyra resta un instant ébahie en observant le lustre à la complexité extraordinaire qui était suspendu juste au-dessus de l’entrée, décoré de centaines d’ornements scintillants qui embellissaient l’ouvrage. L’intérieur était parfaitement calme ; seuls les pas timides des nouveaux venus résonnaient dans l’espace immobile. Sephyra aperçut quelques Neosiens perchés sur les balcons du premier étage qui observaient les concurrents avec curiosité. Le recrutement annuel des Chasseurs semblait être un divertissement en vogue au palais présidentiel.

Les deux Neosiens qui avaient ouvert les portes conduisirent les candidats dans l’aile gauche du bâtiment, et leur firent traverser un long couloir bordé de nombreuses fenêtres, qui laissaient abondamment filtrer la lumière du jour naissant. Sephyra dut plisser les yeux pour ne pas être éblouie, et choisit de se concentrer sur les détails des ornements du mur qui défilait à sa droite.

Ils furent invités à entrer dans une immense salle quasiment vide : les seuls meubles qu’ils pouvaient voir étaient des tables calées tout au fond de l’espace, en face d’une immense estrade, uniquement accessible depuis le premier étage du bâtiment. Une place de choix pour ne pas perdre une seule miette des prestations. Sephyra sentit son appréhension prendre de l’ampleur : la perspective de devoir faire démonstration de ses capacités dans cet immense espace avec autant de paires d’yeux pour l’épier n’était pas des plus rassurantes.

Dans un grincement, la porte qui menait sur l’estrade en hauteur s’ouvrit. Une femme au teint de peau sombre, relativement petite et vêtue d’un costume militaire impeccable ainsi que d’une casquette qui masquait en partie sa courte chevelure d’ébène, en sortit et s’avança jusqu’à la rambarde, avant de jeter un regard circulaire sur les candidats qui s’avançaient timidement dans la pièce pour se rapprocher d’elle. Les deux neosiens qui avaient accompagné les candidats refermèrent la porte par laquelle ils étaient entrés, et se tinrent droits, dans l’attente de la suite de la procédure.

—   Bienvenue à tous et à toutes, lança alors la femme d’une voix puissante. Je suis la générale Jane Krowder, de l’armée de Neos. Vous êtes ici aujourd’hui car vous prétendez intégrer le corps des Chasseurs, l’armée personnelle d’élite du Président. Je demande à toutes celles et tous ceux qui doutent de leurs aptitudes au combat de quitter cette salle, car une fois engagés, vous devrez participer à un tournoi qui décidera des plus aptes d’entre vous à intégrer l’armée de Neos. Vous combattrez avec des armes factices ou modifiées pour limiter au maximum le risque de blessure. L’objectif ici n’est pas de vous laisser repartir d’ici en fauteuil roulant. Néanmoins, vous devez savoir que ces affrontements comporteront naturellement des risques, et vous devrez en assumer les conséquences si vous veniez à être blessé.

Sephyra jeta un regard oblique sur les candidats autour d’elle : certains s’échangèrent quelques murmures, mais aucun ne quitta la pièce. Elle non plus n’avait pas la moindre envie de le faire. Après tout, elle n’était pas intimidée par le fait de devoir se battre, ni de risquer quelques blessures. Elle avait l’habitude des entraînements anethiens qui étaient assez rudes, même s’ils utilisaient souvent des armes de bois. 

—   Vous allez vous affronter en combat singulier, reprit la Générale, et seules les armes blanches seront autorisées. Avant de commencer, nous vous poserons quelques questions personnelles, vérifierons que vos armes sont aux normes et que vous êtes ici pour les bonnes raisons. Cela se fera sous la forme d’un court entretien. Veuillez vous soumettre à la procédure avec diligence : cela facilitera le déroulement de cette journée. Je vous rappelle au passage que cette année, sept places pour des postes de Chasseurs sont vacantes. Cela implique donc que seuls sept d’entre vous seront admis dans le corps d’armée – si vos capacités sont suffisantes, bien entendu. Comme vous le savez sans doute, cette année est spéciale, et nous souhaitons nous assurer que nous avons bien fait d’élargir le champ des candidatures cette année. Je compte sur vous pour nous en faire démonstration.

De nombreux murmures furent échangés, tandis que Sephyra approuvait d’un petit signe de tête. Cette information vint confirmer ce qu’elle avait cru comprendre en se renseignant sur les Chasseurs. Cette faction avait longtemps été fermée et restreinte en termes d’accès, jusqu’à ce que le jeune président neosien décide d’en faire un groupe plus ouvert, que n’importe qui pourrait s’essayer à intégrer, quelles que soient ses origines ou son style de combat. L’important était d’être fort et discipliné. Sephyra, qui s’était toujours sentie quelque peu mise à l’écart à Anethie, ne pouvait qu’approuver un tel état d’esprit de la part du président de Neos, qui semblait faire beaucoup d’efforts pour éviter les distinctions entre Reculés et Neosiens. Ainsi, pour certainement la première fois depuis l’histoire de Neos, des Reculés allaient pouvoir tenter d’intégrer le corps des Chasseurs.


Aussitôt après le départ de Krowder, Sephyra remarqua que des personnes en costume militaire s’installaient derrière les bureaux qu’elle avait vus au fond de la pièce, étant discrètement entrés pendant le discours de Krowder. D’un seul mouvement, les candidats se dirigèrent alors vers les nouveaux venus pour démarrer les entretiens. 


Sephyra attendit une demi-heure avant d’être convoquée à son tour. Elle prit place en face de la plus jeune militaire parmi les quatre qui avaient été désignés pour cette phase de recrutement : une jeune femme vêtue d’un tailleur rose, au visage arrondi encadré par une dense et courte chevelure blonde, avec des yeux bleus gris qui l’observaient avec un mélange de stupeur et de curiosité, derrière de grandes lunettes aux montures fines.

—   Bienvenue, dit-elle finalement en se redressant, saisissant une pile de feuilles qu’elle déposa en face d’elle, faisant tant bien que mal une place sur son bureau encombré. Je suis Aline Touret, et je vais vous poser quelques questions pour en savoir davantage sur vous, et estimer si vous seriez apte ou non à faire partie des Chasseurs.

Elle guetta une éventuelle réaction de Sephyra qui, trop tendue pour répondre, se contenta d’acquiescer en silence. Aline saisit alors un stylo et se tint prête à écrire.

—   Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter ? demanda-t-elle. 

Sephyra réfléchit à toute vitesse la formulation de sa réponse, et prit la parole en tâchant de paraître suffisamment crédible.

—   Cae-La Sephyra d’Anethie, dit-elle d’une voix quasi-robotique en raison de son stress. Je… suis née à Euresias mais j’ai grandi à Anethie.

Aline leva un sourcil, surprise.

—   Je m’y connais assez peu quant au monde des Reculés, affirma-t-elle, mais je pensais vraiment que seuls des loups vivaient là-bas.

—   J’étais la seule exception, pour tout vous dire.

Aline était perplexe mais elle ne sembla pas remettre l’affirmation de Sephyra en cause. Elle se contenta de griffonner quelques mots sur son formulaire.

—   Quelle est votre date de naissance ? enchaîna-t-elle.

—   Je… suis née en l’an 11 de l’ère Onem. Je ne connais pas le jour exact.

Aline releva les yeux vers Sephyra, une expression surprise sur le visage.

—   L’ère Onem, vous dites ? S’agit-il du calendrier anethien ?

—   Oui, répondit Sephyra plus précipitamment qu’elle ne l’aurait souhaité. 

Aline prit un instant pour feuilleter un large classeur qui comprenait un grand nombre de tableaux imprimés. Le papier lui semblait relativement répandu à Anethie, mais le simple classeur d’Aline comportait possiblement autant de feuillets que ce qu’utilisaient l’ensemble des Anethiens en une année entière.

—   Cela nous fait donc l’année 804, déclara Aline en consultant l’un des tableaux, puis en griffonnant le résultat de sa conversion sur son formulaire. Très bien. Autre question, pourquoi souhaitez-vous intégrer les Chasseurs ?

Sephyra se sentit idiote de ne pas avoir réfléchi plus tôt à sa réponse à une telle question. Pourtant, elle la connaissait parfaitement et avait déjà eu à en parler avec Anetham en personne, réputé pour son intransigeance. Sans doute ne peinerait-elle donc pas à paraître crédible face à une neosienne qui ne savait d’elle que son nom et année de naissance.

—   Je souhaite découvrir une vie autre que celle que j’ai vécue à Anethie, répondit alors Sephyra avec sincérité. J’ai été entraînée au maniement du sabre toute ma vie, je pense donc être apte à remplir les missions réalisées par les Chasseurs.

—   Que savez-vous de ces missions ?

—   D’après ce que j’ai pu entendre, il s’agirait d’assurer avant tout la protection directe des politiciens neosiens, en particulier le Président. J’ai également cru comprendre que les Chasseurs étaient amenés à assister les forces de police lorsqu’ils effectuent la traque de criminels particulièrement dangereux ou coriaces.

Même si elle tâchait de le dissimuler, Sephyra était assez fière de pouvoir employer des termes neosiens avec justesse. Elle se dit que ce point lui permettrait certainement de gagner en crédibilité. Pourtant, Aline ne laissait rien transparaître à chaque fois qu’elle utilisait ces mots inconnus des Anethiens et qu’elle avait dû faire l’effort d’apprendre.

À l’issue de la dizaine de minutes que dura l’entretien, Aline agrafa ensemble plusieurs feuilles dont celle sur laquelle elle avait griffonné, rajusta ses lunettes sur son nez puis releva les yeux vers Sephyra avec un sourire.

—   Merci pour ces réponses, dit-elle. Je vais maintenant vous demander de bien vouloir présenter vos armes à la personne située derrière moi, afin d’en effectuer la vérification. Bonne chance pour le recrutement.

Sephyra remercia la jeune femme et se leva pour contourner le bureau, et confier son arme à un grand militaire en uniforme qui restait inlassablement posté près de la porte du fond. L’homme vérifia sommairement l’état de son sabre, jeta un coup d’œil à Sephyra sans doute pour vérifier qu’elle n’avait pas d’arme cachée, et s’empara d’une lame factice de taille similaire, qu’il tendit à la jeune femme.

—   Ce ne sera pas exactement les mêmes sensations qu’avec votre arme, mais au moins avec ça vous ne tuerez personne, dit-il. Je vous rends votre arme juste après la sélection. Allez attendre avec les autres candidats, je vous prie.

Sephyra s’empara de la lame factice, un peu dubitative, et s’en retourna près de la vaste zone vide de la pièce, où les quelques candidats qui avaient terminé leurs entretiens patientaient avec une appréhension plus ou moins visible. Comme eux, elle entreprit de manipuler son arme d’emprunt pour s’échauffer, et s’habituer un minimum à sa différence de poids et d’équilibrage.

Étant donné le nombre de places pour celui de candidats, Sephyra estima qu’elle aurait approximativement une chance sur six d’être recrutée. Mais à présent, tout dépendrait de ses aptitudes au combat. 


La procédure s’écoula en moins de deux heures, et céda sa place au moment que tous redoutaient et attendaient : les affrontements. Les candidates et candidats furent appelés au hasard pour s’affronter à tour de rôle, forcés de jurer avant chaque combat qu’ils se battraient loyalement et sans armes cachées, et tâcheraient de ne pas blesser leurs adversaires. 

On leur expliqua qu’ils auraient chacun droit à trois combats, contre trois adversaires différents. La victoire n’était pas forcément un gage de réussite, pas plus que la défaite ne signerait leur échec. La générale Krowder seule déciderait du début et de la fin des combats, sans aucune contestation possible -des militaires étaient postés contre tous les murs, armes à feu visibles, dissuadant tout candidat de chercher à contester la Générale. Les styles de combat et les stratégies seraient également décortiqués par la demi-douzaine de militaires chevronnés qui avaient pris place sur le balcon au premier étage, et discutaient déjà entre eux activement lorsque la phase de démonstrations débuta, inaugurée par deux Neosiennes qui s’élancèrent l’une vers l’autre dès que le signal leur fut donné. 


Sephyra observa les autres candidats combattre sans dire mot. Plus ou moins sûrs d’eux et aguerris, elle arrivait à décrypter leurs moindres mouvements de lame, voir où leurs dagues voulaient se planter avant d’être contrées ou stoppées, deviner dans quel sens les coups allaient repartir.

Gauche. Puis en dessous. Remontée latérale sur la droite. Esquive. Sephyra se surprit elle-même à analyser aussi aisément la chorégraphie de combat de ceux qui se battaient sous ses yeux. Observant à tour de rôle les mouvements de leur bras et leur jeu de jambe, elle n’avait aucun mal à comprendre en quelques instants quel était le style de combat favorisé par chacun. Mais tout serait-il différent, une fois que ce serait elle qui serait au centre de l’attention ? 


Elle déglutit lorsque vint son tour, mais s’avança au cœur de la salle sans discuter, le regard droit. Un homme d’une trentaine d’années lui faisait face ; il portait une épée courbée qui ressemblait quelque peu à la sienne. Sephyra brandit devant elle la lame factice qu’on lui avait attribuée et se mit en position, déployant lentement ses ailes pour lui donner à la fois de l’équilibre et de l’envergure. Même si elle lut une pointe d’intimidation dans les yeux de son adversaire, ce dernier se tint prêt également, et la toisa sans ciller.

Lorsque Krowder donna le signal, il fut le premier à charger.

Droit devant.

Sephyra esquiva sans mal, donnant un grand coup d’aile vers l’arrière. Le déplacement soudain d’air déconcerta son adversaire, et elle lui donna un coup dans le dos avec le plat de la lame.

L’homme se rééquilibra tant bien que mal, serrant les dents sous la douleur du coup. Il la regarda avec colère. Et rechargea aussitôt.

Coup latéral, côté gauche. Puis remontée dans le sens inverse. Coup horizontal, reprise de la garde, feinte, puis fauchage.

Elle bondit et déploya ses ailes.

L’homme tressaillit lorsqu’il la vit au-dessus d’elle, agitant ses larges ailes pour redescendre au sol à une allure tranquille, son arme levée. Elle atterrit en douceur et fixa son regard sur lui. Il était en train de perdre ses moyens. Lorsqu’il repartit à l’assaut, Sephyra sentit qu’elle devinait encore mieux la trajectoire de ses coups. Elle les évita sans mal, déplaçant à chaque fois d’imposantes quantités d’air avec ses ailes, ce qui déstabilisait son adversaire même si cela ralentissait en même temps ses esquives. Elle parvint à lui porter de nouveaux coups avec le dos de la lame, sans en recevoir de son côté. L’homme était visiblement à bouts de nerfs mais résigné à continuer, et allait charger une nouvelle fois lorsqu’il entendit la voix de Krowder interrompre brutalement l’affrontement.

Furieux, il regarda en direction des gradins, et Sephyra fit de même.

Un silence total venait de s’imposer dans la salle. Depuis l’estrade en hauteur qui permettait d’avoir une vue imprenable sur l’arène, deux nouveaux venus avaient assisté au combat sans qu’on les remarque jusqu’à cet instant. Légèrement en retrait, un homme à la carrure impressionnante, âgé d’une quarantaine d’années, regardait les candidats avec amusement, ses yeux bruns pétillants sur son visage carré, caressant sa dense barbe châtain assortie à sa courte chevelure. Il portait un costume militaire gris légèrement différent de ceux que Sephyra avait vus jusque-là, et avait un brassard en cuir rouge au bras droit. 

Mais celui qui attirait vraiment l’attention de tous était un homme plus jeune, vêtu d’un costume noir impeccable, ses mains croisées dans son dos, qui avait interrompu l’affrontement pour pouvoir dire un mot à Krowder. Ce faisant, il observait l’arène et les candidats avec un léger sourire et un intérêt visible. Sephyra ressentit un mélange d’intimidation et de fascination en le voyant, sans vraiment comprendre pourquoi. Il était assez grand, et jeune pour un homme de son rang. Son perçant regard azuré la fixait sous de fines mèches de cheveux noirs de jais, qui lui retombaient jusque dans la nuque. Elle se sentit comme hypnotisée par ces yeux qui ne la quittaient pas, et frémit bientôt sans même s’en rendre compte, stupéfaite par la prestance d’un simple être humain, qui avait fait taire tout le monde rien qu’en se montrant.

Sephyra n’avait pas eu besoin qu’il se présente. Elle avait aussitôt deviné de qui il s’agissait.

Nelson James, président de Neos.

Le temps s’arrêta l’espace d’un instant, durant cet échange de regards qui ne dura pourtant que quelques secondes. Comme si elle sentait que l’arrivée de cette personne dans son existence serait loin d’être anodine, Sephyra garda son regard tendu vers l’estrade, sans mot dire, gravant une première image dans son esprit du renommé dirigeant du Reflet de l’Ancien monde.

La voix de Krowder qui avait lancé le combat la sortit soudain de sa rêverie. Elle proclama l’affrontement terminé et demanda à Sephyra et son adversaire de se retirer de l’espace de combat. Les deux s’exécutèrent sans rechigner, encore essoufflés par leur prestation.


Sur l’estrade, l’homme massif s’accouda à la rambarde en émettant un sifflement admiratif.

—   Elle est étonnante, celle-là, dit-il avec une voix amusée. C’est bien la première fois que je vois une Reculée avec une telle allure !

—   Jack, appela alors la voix de Nelson.

L’homme massif tourna la tête vers le président, qui gardait son visage angélique rivé sur l’arène.

—   Je veux que celle-là rejoigne les Chasseurs, dit-il.

—   Vous êtes sûr ? réagit Jack. Elle a l’air de se débrouiller c’est sûr, mais peut-être que d’autres candidats seront plus aptes qu’elle…

—   Si c’est le cas, vous trouverez bien une huitième place, conclut simplement Nelson en quittant l’estrade.

Jack regarda le président partir avec un soupir. 

—   Bien compris, dit-il.


Les autres affrontements s’enchaînèrent avec plus ou moins de rapidité. Le niveau des combattants était relativement homogène ; en résultait le plus souvent des combats serrés. Plusieurs heures s’écoulèrent, entrecoupées de pauses au cours desquelles les combattants pouvaient se restaurer sommairement. Mais Sephyra était si nerveuse qu’elle ne se sentait pas d’humeur à avaler quoi que ce soit.

Lorsque le dernier combat s’acheva, Krowder quitta l’estrade tandis que les six militaires qui s’y trouvaient toujours lançaient leurs délibérations, dans le silence tendu de la pièce, à peine troublé par les quelques murmures nerveux des candidats essoufflés qui s’interrogeaient quant à leurs prestations.

Et lorsque le général Krowder ouvrit la porte de la salle du rez-de-chaussée, mains dans le dos, pour s’avancer vers les candidats, les six militaires avaient fait leur choix.

—   Messieurs dames, veuillez annoncer les vainqueurs, les pria Krowder de sa voix puissante.

—   Je vais annoncer les noms des sept personnes désignées, répondit l’un des six militaires en rajustant une paire de lunettes carrées sur son nez. Aucune contestation ne sera acceptée.

Il s’éclaircit la voix tandis qu’un silence de mort s’élevait dans la pièce.

—   Jolan Berger. Elise Renan. Roxane de Freyia. Lucéria-Lys de Mygolhen. Anir de Drass. Cae-La Sephyra d’Anethie. Et pour finir, Clay de Londor.

Sephyra ne prêta aucune attention aux exclamations de joie des quelques candidats cités, tant l’annonce lui paraissait extraordinaire. Elle avait réussi. Les soldats postés dans la pièce, quant à eux, surveillaient les candidats avec attention, prêts à réagir à toute forme de contestation un peu trop véhémente de quelque candidat éconduit. 

Les personnes n’ayant pas eu la chance d’être citées quittèrent la pièce à pas lents, plus ou moins frustrés par leur échec. Après leur départ, les portes de la salle furent closes, et le général Krowder s’avança vers les sept sélectionnés avec un sourire confiant.

—   Je vous félicite pour vos performances, dit-elle d’une voix énergique. Vous avez si faire vos preuves au cours de cette journée, ce qui vous donne à présent le droit d’entrer à titre provisoire dans le corps des Chasseurs. Comme vous le savez peut-être déjà, ce corps d’élite possède plusieurs rangs, allant de cinq à un. Vous êtes dès maintenant de rang cinq, mais dès que votre efficacité parmi nous aura été prouvée, vous monterez en grade et ferez donc officiellement partie des Chasseurs. 

Sephyra jeta un petit regard autour d’elle. Confiants, les autres vainqueurs semblaient déjà se voir aux plus hauts rangs, au vu des sourires qui étiraient leurs visages. 

—   En revanche, reprit Krowder avec un regard sombre, si vous vous comportez de façon inadéquate ou enfreignez les règles, je m’assurerai personnellement de votre renvoi, et vous ne pourrez plus jamais prétendre à ce poste. Pour l’heure, nous allons vous conduire à vos appartements, et dès demain, notre Chasseur de premier rang vous dira tout ce que vous devez savoir de plus. Durant votre période d’essai, on vous assignera diverses missions qui pourront vous permettre, selon votre aptitude à les braver, de monter en grade plus ou moins rapidement. Sur ce, je pense que vous avez tous et toutes mérité un peu de repos après vos victoires !

Les sept gagnants saluèrent le général Krowder, avant d’être conduits dans une pièce adjacente où les attendait un splendide buffet. 

Le cœur léger, Sephyra se laissa tenter par les plats surprenants et colorés qu’elle avait sous les yeux, n’osant que trop peu adresser la parole aux autres nouvelles recrues dont certaines semblaient aussi intimidées qu’elle. Tandis qu’elle s’attaquait à un fruit rouge qu’elle n’avait encore jamais vu, elle jeta un regard perdu par la vaste fenêtre qui embellissait la salle. La nuit tombait doucement. 

En fin de compte, elle avait réussi à intégrer les Chasseurs sans trop de difficulté, ce qui l’encourageait beaucoup pour poursuivre dans la voie qu’elle avait choisie. Mais les choses sérieuses arrivaient maintenant ; elle le savait. Tout ne faisait que commencer.