L. Reflets de l'Ancien Monde - Le tombeau de glace



Explicit Violence

Après une catastrophe de grande ampleur, une partie de l’humanité est retournée vivre auprès de la nature, abandonnant la vaste Neos, capitale technologique des hommes. Parmi ces exilés, les reculés, certains appelés Porteurs gardent en eux des entités indispensables au maintien de la stabilité. Que deviendra le monde s'ils venaient à tous disparaître ?

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Partie 1 chapitre 7


Un souffle de vent glacé vint jusqu’à elle, la faisant frémir des pieds à la tête. Elle empoigna son manteau avec plus de force, grelottante, tout en suivant Aokura qui marchait sans ralentir devant elle. L’herbe humide lui fouettait les mollets et elle était épuisée, mais elle n’avait même pas le courage de demander à son compagnon de voyage dans combien de temps ils arriveraient au prochain lieu de halte. 

Elle leva la tête pour regarder devant elle, plissant les paupières pour protéger ses yeux du vent glacial, et aperçut alors, plongée dans la nuit, ce qui semblait être une sinistre cabane de bois, droit devant eux. Elle était à moitié dissimulée par des arbres immenses dont les rameaux couraient sur le toit, leurs feuilles frémissant sous les vents agités de la nuit.

L’endroit était intimidant mais peu lui importait : Nahru avait bien trop envie de poser ses bagages pour discuter de la qualité des lieux.


Aokura s’approcha prudemment de la demeure, jetant des regards furtifs tout autour de lui. Nahru se questionna quant à l’utilité de son geste : il faisait si sombre qu’on distinguait à peine l’horizon. 

—   Je crois qu’il n’y a personne, déclara Aokura en se rapprochant de la porte. Je vais passer devant, suis-moi et ne fais pas de bruit.

Nahru était trop fatiguée pour poser la moindre question. Le sorcier ouvrit lentement la porte ; un léger crissement se fit entendre avant de céder sa place au silence. Aokura entra, prudemment, sa progression trahie par le grincement du plancher sous ses pas. Nahru le suivit à pas lents et resta dans l’entrée, calée contre la porte qu’elle n’osa pas refermer, et attendit en silence que son compagnon finisse d’inspecter les lieux, ses mains serrant toujours machinalement les pans de son manteau bien fermé. Elle sentait son rythme cardiaque accélérer au fur et à mesure que les bruits de pas de son protecteur s’éloignaient, craignant d’entendre soudain le rugissement d’une arme à feu ou la manifestation soudaine d’un intrus tentant de les prendre par surprise.  


À l’issue d’un instant qui lui parut interminable, Nahru vit une lumière s’allumer dans la pièce adjacente à l’entrée. Elle resta un moment ébahie par le réconfort extraordinaire que cette simple lueur apportait à son esprit apeuré et fatigué. Aokura réapparut alors dans l’entrée, ses yeux ternis par des cernes qui témoignaient de son manque de sommeil. Il n’avait pas dormi la nuit précédente, qu’ils avaient dû passer dans une forêt, à la lueur faiblarde d’un feu sommaire. Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres en découvrant Nahru crispée près de la porte.

—   Allez, entre te réchauffer, il n’y a rien à craindre, dit-il. 

Il referma la porte et la verrouilla à l’aide d’un vieux loquet métallique, tandis que Nahru entrait timidement dans la pièce lumineuse. Son regard tomba d’abord sur le feu qui crépitait dans la cheminée, projetant des lueurs blafardes sur les murs, les chaises et la table de bois sombre, calées contre un mur de la pièce comme pour prendre le moins d’espace possible. Le reste de la pièce était vide, et suffisamment spacieux pour accueillir une vingtaine de personnes. La seule fenêtre se situait sur le mur du fond, et était couverte d’un volet intérieur en bois, solidement fermé. 

Nahru déposa ses sacs près de la table, à côté de ceux du sorcier, et s’avança vers la cheminée, s’agenouillant en face des flammes qui dansaient sur des bûches de bois sec. Elle ferma les yeux en appréciant avec délice la chaleur inonder son visage, réchauffant son corps meurtri par le vent glacé qui sévissait à l’extérieur.

Elle tourna vers Aokura, qui se rapprochait avec une chaise au bout de chaque bras. 

—   Où sommes-nous ? demanda Nahru d’une voix à peine audible.

—   Une planque assez loin au nord de Neos, répondit Aokura en déposant les chaises près du feu. 

Il se laissa tomber sur l’une d’elles et s’y affaissa, jambes croisées, laissant retomber sa chevelure sur le sol poussiéreux. Nahru grimpa sur la seconde chaise et s’y assit également, à moitié assoupie.

—   Depuis combien de temps on a quitté Anethie ? demanda-t-elle. 

—   Une semaine, répondit le sorcier sans quitter la cheminée des yeux. T’as perdu ta notion du temps ou quoi ?

—   Peut-être…

Le sorcier jeta un coup d’œil à Nahru qui scrutait les flammes, le regard éteint. Il ne savait pas si c’était l’épuisement ou ses tristes souvenirs qui l’accablaient à ce point, mais il ressentit subitement de la peine pour elle. 

—   Tu devrais aller dormir, lui dit-il. Je vais trouver un moyen de contacter les loups, j’ai besoin de savoir s’ils ont du nouveau.

Elle ne répondit pas, et se contenta d’observer ses gestes tandis qu’il sortait son calumet, qu’il remplit d’herbes séchées. Elle n’avait même pas la force de lui faire une remarque désobligeante. Elle n’avait plus la volonté de prononcer un seul mot.

Nahru se leva de sa chaise et marcha à petits pas vers la porte derrière elle. Elle entra dans la pièce et jeta un regard circulaire sur les lits sommaires qui y étaient disposés, usés par le temps mais ayant le mérite de tenir debout.

Elle souleva la couverture du lit le plus proche, envoyant danser dans l’air une nuée de poussière fine. Elle retira ses chaussures, son manteau, et se glissa habillée dans les draps glacés, sans même se demander s’ils étaient en bon état. Elle frémit, gelée par le contact du tissu froid contre son corps, attendant que l’épaisse couverture lui permette de se réchauffer.

Elle avait laissé la porte entrouverte, et contemplait la cheminée d’un regard perdu. Elle apercevait en partie le sorcier, qui fumait sans quitter les flammes des yeux. Fugaces, ses pensées allèrent à la rencontre de ses souvenirs, qui lui paraissaient déjà si lointains. Sa jeunesse dans son village, même si elle s’était toujours sentie quelque peu enfermée, était une époque qu’elle regrettait déjà autant que possible. Un temps révolu qui n’existait plus que dans les souvenirs qu’elle chérissait.

Nahru sentit sa gorge se serrer. Elle resserra ses bras autour de son corps tremblant, se recroquevilla, et pria pour trouver le sommeil avant que ses tourments ne la rattrapent. 


Une voix. Un chant berçait son sommeil.

Elle mit quelques instants à savoir si elle rêvait ou était bien consciente de ce qu’elle entendait. Mais elle était si épuisée qu’elle n’avait pas la force d’ouvrir les yeux pour tenter de comprendre d’où provenait ce son, comme la longue plainte d’un animal appelant ses semblables.

Elle se contenta de serrer contre elle un pan de la couverture qui la recouvrait, frémissant légèrement contre le matelas rigide. Et elle sombra à nouveau dans le sommeil.


Ce furent les gazouillements des oiseaux diurnes qui la réveillèrent pour de bon. Nahru ouvrit doucement les yeux, ankylosée, et se redressa sur son lit. Elle s’assit avec difficultés en raison des courbatures qui lui engourdissaient les jambes suite à sa longue marche de la veille, et demeura un instant immobile, à tendre l’oreille. Mais aucun bruit n’émanait de la pièce adjacente. Aokura s’était-il endormi devant la cheminée ? Elle sourit en l’imaginant affalé sur son siège, le calumet encore dans la main et les cheveux poussiéreux à force d’avoir traîné par terre.

Pour aller vérifier son hypothèse, Nahru enfila ses chaussures et se dirigea vers la porte, qui s’ouvrit dans un léger grincement. Elle jeta un coup d’œil dans la pièce, mais Aokura n’était pas là. En revanche, elle fut surprise de découvrir un loup assis sur la table au fond de la pièce, en train de réparer minutieusement une sacoche de cuir. Il avait ses yeux d’un jaune intense déjà rivés sur elle, et un large sourire sur le visage. Sans attendre, il descendit de son perchoir pour aller à la rencontre de la jeune fille qui le dévisageait avec étonnement.

—   Mademoiselle Nahru, dit-il, j’espère que vous avez passé une bonne nuit.

C’était vraisemblablement un autre loup de la meute de Kerem. Comme ceux qu’elle avait pu croiser à Anethie, il avait une chevelure immaculée en bataille, et de très nombreux tatouages noirs sur le corps. Il portait pour tout vêtement un pantacourt en tissu fin qui laissait passer sa queue de fourrure, et une tunique sans manches. Son visage gentil et conciliant lui fit penser à Ludovic, qu’elle avait rencontré une semaine plus tôt.

—   Le seigneur Aokura m’a appelé cette nuit, pour que je vienne veiller sur vous pendant son absence, poursuivit le jeune loup devant le silence de l’intéressée. 

Nahru lui jeta un regard intrigué.

—   Appelé ?

—   Les loups n’ont pas besoin de rapaces pour communiquer sur de longues distances, répliqua son interlocuteur avec un sourire timide. Leurs voix suffisent.

Nahru se détourna du nouveau venu et se dirigea machinalement vers la fenêtre. Elle avait dû dormir longtemps : le soleil était déjà bien haut dans le ciel, et éclairait une plaine magnifique où seuls quelques arbres aux troncs noueux rompaient la monotonie du paysage.

—   Où est-il parti ? demanda alors Nahru d’une voix faible, conséquence de son récent réveil.

—   Rendre un service dans une ville voisine, répondit le loup en poussant les outillages et le cuir qu’il travaillait vers le mur, libérant de la place sur la table. Ne vous inquiétez pas, je pense qu’il ne tardera pas à revenir.

Cette réponse ne lui apporta qu’une satisfaction biaisée. Elle s’approcha de la table sur laquelle le loup était en train de déposer des vivres qu’il sortait d’un grand sac de toile. Pain, fruits, et préparations sur laquelle elle ne put mettre de nom ; la simple vue de ces victuailles fit gargouiller son ventre.

—   Servez-vous, je vous en prie, reprit alors le loup. Vous devez avoir faim.

Nahru approuva d’un petit signe de tête et prit place sur une chaise de bois, avant de s’attaquer avec un entrain modéré à la pomme qu’elle avait à portée de main. Elle dévisagea ensuite le loup, qui fit de même avant de se crisper soudainement.

—   Mille excuses, je ne me suis pas présenté, dit-il en inclinant le buste. Je m’appelle Iden, c’est un plaisir de faire votre connaissance, mademoiselle Nahru.

—   Iden… répéta Nahru, pensive. Vous aussi, vous faites partie de la meute de Kerem ?

—   En effet, affirma le loup en se rasseyant sur la table, triant ses outils et récupérant la sacoche qu’il bricolait. Le seigneur Aokura m’a fait venir cette nuit pour que je vienne veiller sur vous le temps qu’il termine ce qu’il avait à faire.

—   Qu’est-ce qu’il est parti faire ?

Iden ne répondit pas immédiatement, et Nahru discerna la gêne se dessiner sur son visage. Il ne semblait enclin ni à lui répondre, ni à lui mentir.

—   Il m’a dit de ne pas vous en parler, avoua-t-il alors, baissant le regard sur son ouvrage.

Un silence. Nahru, agacée, détourna le regard et s’attaqua à un autre fruit, qu’elle n’avait jamais vu. Son goût invraisemblablement amer ne calma pas sa frustration, et elle saisit une bouteille de verre remplie d’eau fraîche pour tenter d’en faire passer le goût désagréable.

Soudain, les oreilles d’Iden se redressèrent et il tourna la tête vers la fenêtre, puis la porte d’entrée. Nahru leva les yeux à son tour ; avait-il entendu quelqu’un arriver ?

Comme pour confirmer ses soupçons, la porte d’entrée grinça et des bruits de pas contre le plancher vieilli se firent entendre dans la demeure silencieuse. Iden redescendit de la table et inclina le buste lorsqu’Aokura pénétra à pas lents dans la pièce, épuisé. Son regard ordinairement flamboyant paraissait éteint, et sa longue chevelure n’avait pas son éclat habituel.

—   Désolé d’avoir traîné, dit-il à Iden en lui mettant un petit sac de tissu rempli dans les mains. Elle a pas été trop chiante, j’espère ?

Nahru posa ses deux poings sur la table en toisant le sorcier, mais ce dernier l’ignora et se contenta d’un signe de tête entendu à Iden, qui posa le sac sur la table à côté de lui.

—   Je vais rattraper le sommeil qui me manque, déclara ensuite le sorcier en se débarrassant de sa cape poussiéreuse contre une chaise vieillie.

—   T’étais où ? lança alors Nahru, mécontente de subir une réprimande indirecte en plus de se faire joliment ignorer.

—   Mêle-toi de tes affaires, rétorqua Aokura en lui jetant un regard en coin, avant de se diriger vers la petite pièce qui lui avait fait office de chambre.

Nahru se leva brusquement, furieuse, mais fut arrêtée par un geste de bras vif d’Iden qui la coupa dans son élan. Le loup s’inclina à nouveau vers Aokura.

—   Je veillerai sur les environs. Soyez sans crainte, seigneur Aokura.

Le sorcier lui jeta un regard entendu et disparut dans la petite pièce, fermant vivement la porte derrière lui. Nahru resta un instant immobile, frémissante de rage, tandis qu’Iden se retournait vers elle, le visage désolé.

—   Navré, mademoiselle Nahru, dit-il. Mais je pense qu’il vaudrait mieux le laisser se reposer pour l’instant.

Nahru ne répondit pas et se rassit lentement sur sa chaise, les larmes aux yeux. Elle haïssait le voir se comporter de cette façon. Elle avait cru que son attitude changerait après s’être rendu compte qu’elle devait être protégée à tout prix, au nom de son vieil ami défunt mais également au profit de leur monde tout entier. Pourtant, il gardait ce comportement égoïste et continuait d’être détestable avec elle. Elle sentit ses poings se serrer, et baissa la tête sur ses genoux, se sentant incapable d’avaler autre chose.

Iden reprit place sur la table, près du sac en tissu ramené par le sorcier, et lui jeta un regard timide.

—   Mangez, vous avez besoin de reprendre des forces, dit-il.

Elle leva timidement les yeux vers la table, contemplant d’un regard perdu les denrées posées face à elle. Au prix d’un effort considérable pour calmer sa frustration, elle s’empara d’un morceau de pain qu’elle entreprit de mastiquer sans plaisir.

Devant sa mine défaite, Iden poussa un léger soupir et reprit son travail.

—   Vous savez, le seigneur Aokura est dur parfois, mais il est toujours droit et sait ce qu’il a à faire. Je n’ai jamais entendu personne dans la meute se plaindre de lui ou de ses actions.

—   Croyez bien que si j’en faisais partie, ce serait différent, maugréa Nahru sans lever les yeux.

Iden décocha un sourire à la fois attristé et amusé.

—   Le seigneur Aokura a beaucoup changé depuis qu’il a perdu son père, le respecté Isaël d’Anethie. Vous devriez essayer d’être patiente avec lui. Son existence non plus n’a pas été de tout repos.

—   Qu’y a-t-il dans le sac qu’il vous a donné ? questionna Nahru en guise de réponse.

Iden jeta machinalement un regard vers ledit sac, qu’il empoigna pour jeter un regard à l’intérieur, avant de le refermer avec son poing.

—   De l’argent qu’il a reçu pour ses services.

—   Services ?

Iden détourna le regard. Nahru fronça les sourcils mais ne renonça pas : elle voulait des réponses, et était déterminée à les obtenir, considérant légitime d’obtenir quelques informations sur les occupations secrètes de son compagnon de voyage, surtout après avoir subi les conséquences combinées de sa fatigue et de sa mauvaise humeur.

—   Ça restera entre vous et moi, assura Nahru en baissant la voix. Quels sont les services dont vous parlez ?

Iden sembla hésiter, et jeta un regard machinal vers la porte de la chambre, toujours close. Puis il se pencha vers Nahru, gêné d’avoir à outrepasser un ordre du sorcier.

—   Le seigneur Aokura… aide des citadins à se débarrasser de leurs fauteurs de trouble, dit-il.

Nahru se redressa, surprise de cette réponse. S’il ne faisait qu’aider des citoyens à se défendre contre des criminels, pourquoi chercher à le cacher ?

—   Se débarrasser ? répéta-t-elle néanmoins, craignant soudainement ce que le loup entendait par là.

Iden détourna les yeux et se redressa pour s’atteler de nouveau à son ouvrage.

—   Certaines personnes sont prêtes à payer cher pour qu’on les débarrasse définitivement des voleurs qui envahissent les grands axes marchands, dit-il. Et les méthodes radicales qu’ils préconisent ne sont pas toujours en adéquation avec les lois de leur clan. Mais dans certaines régions, les convois de nourriture se font régulièrement attaquer. Et certains clans dont la survie dépend grandement du commerce ne peuvent se permettre de perdre ainsi le fruit de leur labeur.

Nahru s’adossa contre sa chaise sans quitter Iden des yeux. En d’autres termes, Aokura était payé pour tuer des gens dans le secret. Était-ce pour cette raison qu’il n’avait pas hésité une seule seconde à abattre les deux hommes qui les avaient attaqués à Helem ? Côtoyait-il la mort depuis si longtemps que l’assassinat était devenu pour lui un acte presque banal ?

—   Le seigneur Aokura ne prend pas des vies par plaisir, reprit alors Iden devant l’air décontenancé de Nahru. Il a notre meute à sa charge, et même si nous nous débrouillons très bien pour trouver notre nourriture, nous avons de grosses lacunes en ce qui concerne les soins. Et certains médicaments coûtent très cher.

—   Ça fait longtemps qu’il fait ça ? questionna Nahru d’une voix faible.

—   Depuis qu’il a renoncé à son titre de sorcier d’Anethie, je crois, répondit Iden. Cela doit faire presque sept ans. 

—   Je vois…

Nahru continua de manger en silence, considérant en avoir suffisamment appris pour le moment. Aokura semblait porter encore de nombreux secrets avec lui, et elle connaissait à peine son passé, mais son voyage à ses côtés ne faisait certainement que débuter. Elle espérait simplement que le temps jouerait en sa faveur et le pousserait à se comporter plus humainement, car elle ignorait combien de temps elle devrait encore supporter sa compagnie.


Le sorcier ne reparut pas de la journée, vraisemblablement résolu à rattraper tout son sommeil en retard. Nahru avait passé sa journée avec Iden, observant son habilité pour la réparation de la sacoche qu’il travaillait. Il lui avait présenté ses outils un par un, lui parlait de ses origines, de la vie que l’on mène lorsqu’on est indépendant et solitaire. Iden faisait partie de ces jeunes combattants qui se devaient de faire leurs preuves, et partaient donc aux quatre coins du continent, seuls ou en groupe, pour tenir Aokura et le reste de la meute informés quant aux éventuels événements inhabituels se déroulant au sein des autres villes, n’hésitant pas à les prévenir en cas d’anormalité ou de danger de vaste ampleur. Ils étaient également tenus d’entretenir les vieilles demeures que le sorcier avait élues comme haltes pour ses propres voyages, lorsqu’il parcourait le continent en quête d’une âme prête à donner cher pour ses pouvoirs.

Nahru put néanmoins profiter d’une vision réconfortante lorsqu’Iden lui apporta une bassine d’eau tiède avec un linge. Cela faisait une semaine qu’elle n’avait pas pu se laver à l’eau chaude, et cela lui manquait particulièrement.

—   Tenez, ça vous fera du bien avant de reprendre la route, affirma le loup. Voulez-vous que je nettoie vos vêtements avant le voyage ?

Stupéfaite qu’il veuille rendre service à ce point, Nahru ne sut que répondre sur l’instant. Iden la regarda avec un sourire amical, puis se laissa aller à rire devant la mine décontenancée de son interlocutrice.

—   De toute façon, il faut que j’arrange la cape du Seigneur Aokura, dit-il. Si vous avez un vêtement dont vous souhaitez que je m’occupe, confiez-le-moi.

Nahru réfléchit un instant puis se dirigea vers l’un de ses sacs. Elle en tira une tunique sombre qu’elle avait dû porter plusieurs jours de suite, ainsi qu’un pantalon qu’elle avait ruiné par mégarde en trébuchant à proximité d’une flaque de boue, ce qui avait valu sa mauvaise humeur pour le restant de la journée et l’hilarité de son compagnon de voyage.

Elle accepta qu’Iden arrange ses vêtements, et le surveilla du regard jusqu’à ce qu’il sorte de la demeure pour gagner la remise. Elle se retint de plonger tête la première dans la bassine et entreprit de se laver sommairement, et surtout, le plus vite possible. Elle n’avait pas envie qu’Aokura ressurgisse pendant qu’elle s’acharnait à nettoyer les traces de boue qui avaient tenu bon sur ses mollets.

Elle se décida ensuite à rejoindre Iden, peu envieuse de devoir converser avec le sorcier si ce dernier se décidait à se réveiller. Elle osa sortir de la maison seule, jeta un regard circulaire sur la plaine et se hâta de contourner la maison pour entrer dans la petite remise qui y était rattachée. Elle passa donc une partie de l’après-midi à assister Iden du mieux qu’elle pouvait dans sa tâche, ravie de pouvoir discuter posément avec quelqu’un qui ne cherchait pas en permanence à la rabaisser ou se moquer d’elle. Elle se demanda même si, d’une façon ou d’une autre, elle ne pourrait pas obtenir de rester plus longtemps dans cet abri en compagnie du jeune loup, pendant qu’Aokura irait calmer ses nerfs sur d’autres criminels, loin d’elle.


Lorsque le soir tomba, Aokura n’était toujours pas sorti de la chambre. Iden et Nahru s’étaient sommairement restaurés et avaient rallumé un feu dans la cheminée pour réchauffer la pièce mal isolée. 

Elle resta pour discuter avec lui aussi longtemps qu’elle le put. Mais lorsqu’elle sentit que sa tête peinait à rester droite, et que des picotements commençaient à la démanger au niveau de la nuque, elle se décida à aller s’accorder une nouvelle nuit de sommeil. Iden ferait une nuit blanche pour veiller sur eux. L’idée la faisait culpabiliser, mais la simple vue de son sourire aimable la dissuada d’objecter son intention. Elle se décida donc à retourner dans la chambre à pas lents, priant pour qu’Aokura soit toujours endormi et évite de lui adresser la parole.

Nahru ouvrit la porte le plus silencieusement qu’elle put, et la referma sans bruit après s’être engouffrée dans la pièce. La fenêtre sur sa gauche, au carreau totalement opaque et épais, laissait passer une timide clarté reflétée par la lune. 

Aokura était assoupi dans un lit en face de l’entrée, voisin de celui qu’elle avait utilisé la nuit précédente. Sa chevelure immaculée était étendue en cascade tout autour de lui, et il s’était à peine recouvert les jambes avec la couverture poussiéreuse, ayant comme elle décidé de garder ses vêtements.

Sans trop savoir pourquoi, elle l’observa en train de dormir. Le voir aussi détendu changeait radicalement de ses excès de mauvaise humeur habituels, et de ses grands airs dédaigneux auquel son visage angélique s’était accommodé.

Sans faire de bruit, Nahru se dirigea vers son lit et s’y allongea en tâchant d’éviter de le faire grincer. Elle garda ses yeux ouverts un instant, songeuse, écoutant la respiration paisible du sorcier qui n’avait visiblement pas été perturbé le moins du monde par son arrivée. 

Elle laissa ses paupières se clore d’elles-mêmes.


****


Contrairement à ce que Nahru avait espéré, ils durent quitter le refuge dès le lendemain, emportant toutes leurs affaires dont celles qu’Iden avait pris le soin de nettoyer. Nahru avait été stupéfaite de constater que tout avait eu le temps de sécher en moins d’une journée, mais le sorcier avait admis avoir utilisé ses pouvoirs afin d’accélérer le processus.

Iden les accompagna jusqu’au pas de la porte, avec son sourire timide habituel.

—   Merci pour tout, Iden, dit Aokura en sortant son calumet. Continue à observer les alentours de Neos, et préviens les autres que je pars pour l’Est, du côté d’Ellone. Et d’ici quatre mois, je devrais être de retour dans la région de Lyrade.

—   Entendu, Seigneur, répondit poliment Iden en inclinant le buste. 

Nahru se retourna une dernière fois vers Iden, déçue de se séparer si tôt d’une personne aussi aimable et serviable que lui. Elle savait bien que la compagnie d’Aokura risquerait de lui être bien moins agréable.

Le loup adressa un sourire sincère à Nahru et inclina la tête.

—   Je suis sûr que nous nous reverrons bientôt, dit-il. Faites bon voyage.


La route les accueillit de nouveau. Sans poser de questions sur leur prochaine destination, Nahru se laissa porter par les vents agiles qui les accompagnaient dans la plaine, la tête pleine de questionnements mais l’esprit gonflé d’une détermination qui la surprit elle-même. 

Elle suivit les pas d’Aokura, qui s’était remis à fumer, le regard tendu vers l’horizon.