L. Reflets de l'Ancien Monde - Le tombeau de glace



Explicit Violence

Après une catastrophe de grande ampleur, une partie de l’humanité est retournée vivre auprès de la nature, abandonnant la vaste Neos, capitale technologique des hommes. Parmi ces exilés, les reculés, certains appelés Porteurs gardent en eux des entités indispensables au maintien de la stabilité. Que deviendra le monde s'ils venaient à tous disparaître ?

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Epilogue


Sephyra ne trouva pas le sommeil de toute la nuit. Elle passa des heures à contempler le plafond de la pièce dans laquelle elle n’aurait pas dû remettre les pieds un jour, la demeure des soldats où ceux qui n’étaient pas de garde ce soir-là se reposaient paisiblement à ses côtés. 

Le report de son voyage n’occupait plus ses pensées : même si elle souhaitait sincèrement revoir Euresias un jour, elle réalisait à présent à quel point elle s’était voilée la face. Elle avait simplement tenté de fuir. Échapper à la tristesse d’être séparée d’Athem ; faire ce choix elle-même plutôt que de le subir. Et désormais, elle était obnubilée par la proposition que le futur roi venait de lui faire. Elle en était à la fois heureuse et terrifiée ; elle avait pleinement conscience que sa présence à Anethie en dérangeait plus d’un, alors la perspective de la voir devenir reine ne serait-elle pas très mal accueillie ? 

Elle tâcha de chasser ces pensées sombres pour se concentrer sur ce qui lui restait à faire. Elle ne devait pas précipiter les choses. L’annonce officielle d’un éventuel mariage ne viendrait qu’après approbation du Conseil, autrement dit l’ensemble les ministres composant les hautes instances d’Anethie. Athem lui avait donc donné rendez-vous dès l’aube au palais le lendemain matin, pour cette réunion de la plus haute importance. Ce serait le moment de vérité ; celui où le Conseil déterminerait si cette union respectait les valeurs et des lois d’Anethie. Sephyra était sûre qu’ils obtiendraient au moins le soutien de Jhésel, mais elle craignait beaucoup la réaction des autres. Même si l’autorité d’Athem n’était plus à prouver, si jamais une majorité de ministres s’opposaient à leur union, ils ne pourraient peut-être pas concrétiser leur souhait.


C’est donc à la fois impatiente et anxieuse que le lendemain, aux premières lueurs du jour, Sephyra sortit de la bâtisse des soldats, et se rendit au palais. Sa respiration, qu’elle tentait de garder lente, soulageait son corps crispé, mais ne chassait pas le trac qui la consumait. Elle gardait les yeux rivés sur le sol, afin de ne pas trop attirer l’attention des rares passants qui arpentaient l’allée centrale de si bon matin.

Elle ne put s’empêcher de déglutir lorsqu’elle arriva devant les marches du palais. Les gardes, qui avaient été mis au courant de sa venue, la laissèrent passer en inclinant la tête. Elle ne put que leur rendre un regard timide, inapte à les saluer avec des mots.

Elle s’avança à pas tranquilles dans l’entrée du palais. Jhésel y était affairé à remettre des documents en place, dans de hautes bibliothèques logées dans un couloir étroit. Il remarqua rapidement la jeune femme, et abandonna aussitôt son activité pour aller à sa rencontre, les bras écartés en signe de bienvenue.

—   Vous voilà, dit-il avec un sourire chaleureux.

Il se rapprocha de Sephyra et posa une main sur son épaule. La peur intense qu’il pouvait lire dans les yeux de son interlocutrice sembla l’intriguer.

—   Avant d’y aller, dites-moi, lui murmura-t-il. Vous êtes bien certaine de votre décision ? Votre volonté devra être de fer si vous souhaitez saisir cette chance.

Sephyra sentait son cœur battre à tout rompre, et ses pensées se bousculaient tellement qu’elle pouvait naturellement se sentir en train de douter. Mais au fond d’elle, elle savait pertinemment qu’elle connaissait la réponse à cette question.

—   Je suis prête à vous suivre, dit-elle.

Jhésel décocha un large sourire, libérant l’épaule de Sephyra. 

—   Nous y allons, dans ce cas.

Sephyra prit une grande inspiration avant de confirmer d’un petit signe de tête. Puis elle suivit Jhésel à travers les dédales du palais, en direction de la salle de réunion.


Lorsqu’elle s’avança aux côtés de Jhésel dans cette pièce dédiée aux décisions de premier ordre, une dizaine de paires d’yeux déjà rivées sur elle, Sephyra se sentit encore plus tendue que le jour de sa première entrevue avec Nelson, bien qu’elle n’imaginât pas que ce fut possible. Jhésel la dépassa tandis qu’elle prenait place à l’extrémité de l’immense tapis de sol brodé d’élégants motifs. Droit devant elle, à l’autre opposé, Athem était assis en tailleur, à moitié avachi, et surveillait son auditoire d’un air songeur. Lui aussi semblait quelque peu préoccupé, et elle devina à ses yeux fatigués qu’elle n’avait pas été la seule à faire une nuit blanche. 

Jhésel s’installa aux côtés d’Athem sans manquer de le saluer. Installés de part et d’autre du tapis, les sept autres ministres attendaient que la réunion commence, imperturbables. À l’exception de Vassili, ils se retenaient poliment de s’intéresser outre mesure à Sephyra, qui ne passait pas inaperçue dans cet espace investi de loups d’Anethie. 

—   Maintenant que tout le monde est présent, commença alors Jhésel, nous allons pouvoir commencer.

Il s’empara d’un premier parchemin posé derrière Athem, et il entreprit de le dérouler avec soin, rajustant sur son nez sa paire de lunettes rectangulaires. 

—   Nous sommes ici pour réfléchir à l’intégration de Cae-La Sephyra d’Euresias, ici présente, à la famille royale d’Anethie, via son union avec le Prince Athem d’Anethie. Si le Conseil approuve cette union, ils pourront être couronnés souverains de cette cité dès le mois prochain. 

Jhésel baissa son parchemin un instant pour surveiller d’éventuelles réactions par-dessus ses lunettes. Mis à part Vassili qui affichait une expression de dégoût profond, et Athem qui se retenait visiblement de se jeter sur lui pour l’étrangler, Jhésel ne nota rien d’anormal dans l’ambiance générale de la pièce et poursuivit la lecture de son document.

—   Cet engagement doit avant tout être confirmé par chacun des partis ici présents, car dès lors qu’il sera approuvé, aucun retour en arrière ne sera possible. Autrement dit, cette union, qui je vous le rappelle est avant tout politique, en adéquation avec les traditions de notre cité, ne pourra voir arriver son terme que via le décès de l’un des époux, ou la mise à mal des hautes instances d’Anethie due à une mésentente chronique entre le roi et la reine.

Pour montrer qu’elle suivait, Sephyra approuva d’un petit signe de tête. Son cœur battait la chamade, et elle ne détachait pas ses yeux du parchemin que tenait Jhésel, incapable d’affronter le regard d’Athem, et encore moins celui de Vassili qui l’épiait quasiment depuis le début de la réunion.

Après avoir énoncé d’autres clauses qu’elle n’écouta que d’une oreille, Jhésel leva une nouvelle fois les yeux de son parchemin et regarda successivement Athem et Sephyra.

—   À présent, dit-il, je vais demander à chacun d’entre vous deux de confirmer que vous êtes prêts à vous engager ensemble pour l’avenir de notre belle cité.

Athem se redressa et afficha un air solennel. Sephyra se crispa davantage, abaissant ses ailes comme pour les rendre moins visibles, et les deux s’échangèrent leur premier regard depuis le début de la réunion.

—   Prince Athem ? le sollicita Jhésel. 

—   Mon souhait n’a pas changé, déclara le jeune prince. J’ai demandé à Cae-La Sephyra de devenir reine à mes côtés, et ma proposition tient toujours. 

Jhésel sourit et tourna son regard vers Sephyra.

—   Cae-La Sephyra ? 

La jeune femme prit une grande inspiration, réfléchissant au meilleur moyen de tourner sa phrase.

—   Je… Je tiens à accepter cette proposition, répondit-elle finalement, son cœur battant la chamade.

Pour une promesse de mariage, ce n’était pas terrible, mais ça ferait l’affaire. Pourtant, rien n’était encore décidé. En effet, Vassili se redressa après avoir entendu sa réponse, et s’éclaircit bruyamment la gorge.

—   Si vous me le permettez, Conseil, je vais maintenant formuler mon avis sur la question, dit-il avec sa superbe habituelle. 

Athem lui jeta un regard noir, et un fourmillement désagréable chatouilla la nuque de Sephyra. Vassili avait toute l’attention des ministres.

—   Notre belle Anethie a vu se succéder des souverains on ne peut plus respectables, de génération en génération, continua-t-il. La cité des loups est la fierté du monde Reculé, et l’arrivée au pouvoir d’un nouveau couple royal est un événement crucial pour notre prestigieuse civilisation. Résolument, une telle décision ne peut être prise à la légère.

Il profita d’une brève pause dans son discours pour jeter un regard sévère à Sephyra qui fronça les sourcils, résolue à ne pas se laisser intimider.

—   Je pense, à juste titre, que la cité des loups ne doit être dirigée que par des loups. A fortiori, des ressortissants de cette cité. Nous ne manquons pas de jeunes femmes tout à fait qualifiées pour remplir la noble tâche de reine, afin d’assurer à Anethie la pérennité qu’elle mérite.

—   Sous-entendrais-tu, Vassili, l’interrompit Athem en se penchant vers lui d’un air menaçant, que tu trouves inapproprié de ma part de demander sa main à une ressortissante d’un Clan différent du nôtre ?

—   C’est tout à fait ce que je sous-entends, répliqua Vassili en affrontant le regard d’Athem sans ciller. D’après ce que je sais, jamais les souverains de notre cité ne se sont permis de mettre à leur tête des étrangers, et…

—   Des étrangers ? répéta Athem en se redressant, le regard furieux. Tu ne trouves pas exagéré de qualifier ainsi quelqu’un qui a passé presque toute sa vie à Anethie ?

—   Là n’est pas la question, mon Prince. Je pense simplement qu’un renard-volant n’a rien à faire sur le trône de la cité des loups.

Athem serra les poings, mais Jhésel le dissuada de tout geste inconsidéré en posant une main sur son bras. Le jeune prince expira lentement, et jeta un regard sur son auditoire. Tous les yeux étaient rivés sur lui, curieux de savoir ce qu’il avait à redire face à l’argumentaire de Vassili.

—   Anethie a toujours eu un grand défaut, à mes yeux, déclara Athem. Elle n’a jamais été encline à tendre sa main à celles et ceux qui ne sont pas nés sur ses terres. Les étrangers restent des étrangers toute leur vie. Quoi qu’ils fassent, et quoi qu’ils disent.

Il releva les yeux vers Sephyra, qui frémit. Il ne semblait plus vraiment en colère, mais profondément attristé.

—   Pourtant, le seigneur Anetham, vingt-septième roi d’Anethie, a recueilli une orpheline issue d’un Clan lointain, il y a dix-huit ans. Il lui a offert une nouvelle vie, dans cette cité qui rejette les étrangers. Tant et si bien qu’elle a fini par partir, étouffée par ce rejet constant qui était devenu son quotidien. Mais la revoici aujourd’hui, après nous avoir aidés à sauver notre monde, et notre peuple. Demandant simplement sa place au sein d’un foyer, après tout ce qu’elle a fait pour nous.

Un silence suivit ses paroles. Athem ne quittait plus Sephyra du regard, qui peinait à le lui rendre, confuse par ce qu’elle venait d’entendre. Elle avait l’impression qu’il ne cherchait même plus à convaincre quiconque à ce stade, mais juste à libérer ce que son cœur s’était échiné à garder pour lui.

—   Que ceux qui s’opposent à cette union se manifestent, demanda alors Jhésel d’une voix forte.

Vassili fut le seul à lever sa main, sous le regard las des autres ministres qui, contre toute attente, n’eurent rien à objecter. Athem se détendit alors et lui jeta un regard en coin pour lui faire comprendre qu’il avait perdu.

—   Tu peux baisser cette main, Vassili, dit-il.

Vassili fusilla Athem du regard en s’exécutant. Il fut le premier à se lever et à quitter la pièce, avant même que Jhésel n’ait pu lever la séance ni en donner le fin mot.


****


Sephyra posa ses affaires dans une petite chambre qui servait autrefois de salle de réunion, avant que la demeure royale ne s’agrandisse. C’était en ce lieu qu’elle demeurerait jusqu’à son union avec Athem, cachée de tous. Elle n’aurait le droit de s’aventurer hors du palais qu’en des occasions très limitées et surveillées, comme si elle devait d’ores et déjà s’habituer à rompre avec la vie de citoyenne qu’elle avait toujours connue.

Sephyra jeta un regard tout autour d’elle. La pièce ressemblait presque à sa vieille maison qu’elle avait habitée étant plus jeune. Mais le parquet était en meilleur état, et les décorations sur les murs ajoutaient un charme certain à l’endroit. Un immense coffre en bois reposait au pied de son lit : elle entreprit d’y déposer ses affaires sommairement. Faire un rangement méthodique n’était pas sa priorité sur l’instant. Concernant son sabre, et alla le déposer religieusement sur un présentoir prévu à cet effet, sur le mur que longeait son lit. Cela lui rappela les vieilles traditions, qui voulaient qu’un individu endormi soit capable de se saisir rapidement de son arme en cas d’intrusion nocturne.

Sephyra recula pour mieux observer son sabre, et sourit en repensant à tout ce que cette simple flamberge d’acier lui avait permis d’accomplir, depuis qu’elle était en âge de s’en servir. Il s’agissait certainement de son bien le plus précieux, devant les petits bracelets tressés qu’elle avait gardés d’Euresias, et qui devaient encore se trouver quelque part soigneusement rangés dans l’un de ses sacs.

Sephyra s’assit sur son lit simple en pin massif, et observa machinalement l’extérieur, qu’elle apercevait au travers d’épais carreaux de verre. Elle repensa au moment où elle était allée récupérer ses biens dans la demeure des soldats, avant de se rendre au palais. Elle n’avait donné d’explications à personne, car l’annonce du futur mariage incombait exclusivement aux ministres. Heureusement, personne ne l’avait interrogée : les soldats qu’elle avait croisés s’étaient contentés de lui souhaiter bonne route. En la voyant quitter la bâtisse en transportant l’ensemble de ses affaires, ils avaient probablement conjecturé que l’heure de son départ était finalement venue, et d’une certaine façon, c’était le cas. La personne qu’elle avait toujours été s’en était allée ce jour, au profit d’une adulte mettant en marche son destin.

Elle appréhendait quelque peu les quatre semaines qui lui restaient à passer en tant que simple citoyenne, car elle s’apprêtait à embrasser un quotidien auquel elle n’avait jamais été réellement préparée. Mais ce tournant était celui qu’elle avait attendu toute sa vie. Elle allait endosser un véritable rôle, et pas des moindres, après de la personne à qui elle tenait le plus au monde. De lourdes responsabilités l’attendaient, mais cela ne l’effrayait plus. Elle avait trouvé sa place, cette fois.

Elle se laissa tomber en arrière sur le lit, et poussa un petit gémissement de douleur. Elle tourna la tête vers son aile meurtrie, et son regard s’assombrit. Elle était vraiment en sale état. La plaie avait presque fini de cicatriser, mais les peaux n’aimaient toujours pas être sollicitées. Ce n’était plus qu’un fardeau inutile à porter. 

Un souvenir amer qu’elle n’arriverait pas à effacer.

Sephyra ferma les yeux. Elle ne devait plus songer à tout cela. Elle devait laisser derrière elle cette période qui l’avait tant affectée. Un nouveau jour se levait sur sa vie, signant le début d’une nouvelle ère de paix et de bonheur pour elle et son entourage. Elle devrait œuvrer pour cela, et ne penser à rien d’autre.


Le futur mariage fut annoncé le soir même, devant le palais, par Jhésel lui-même. Aucun des futurs époux s’avaient été conviés pour y assister, conformément à la tradition. Cela convenait parfaitement à Sephyra. Elle était restée cloitrée dans sa chambre, mais n’avait pas pu s’empêcher d’entrouvrir sa fenêtre, l’oreille dressée. Elle avait vaguement entendu la voix de Jhésel, suivie d’exclamations plus ou moins enjouées. En définitive, alors que la nuit était tombée depuis longtemps et que la ville était redevenue silencieuse, Sephyra ignorait toujours quelle était l’opinion des citoyens quant à la nouvelle. En cet instant, elle aurait aimé être capable d’épier les demeures, pour savoir ce qui pouvait bien se dire à son sujet. Car au fond, elle n’était qu’une étrangère aux yeux de nombre d’entre eux. Beaucoup étaient probablement de l’avis de Vassili. À l’instar d’Athem, elle devrait faire ses preuves. 


Sans que Sephyra ne puisse s’en rendre compte, la cité d’Anethie commença néanmoins les préparatifs. Les couronnements n’arrivaient en moyenne que tous les trente ans, voire davantage. Qu’il soit contesté ou non, cet événement restait spécial, et se devait de marquer les esprits. 


Les journées suivantes parurent interminables à Sephyra. Elle avait peu de temps pour elle : les ministres ne la ménageaient pas et s’affairaient à lui prodiguer l’éducation dont elle avait besoin pour assurer son futur rôle ; lui donner l’étoffe d’une dirigeante. En plus de s’informer de façon très pointue sur son système politique, et de ressasser l’histoire d’Anethie afin d’être à même de comprendre tous les fondements de leur régime, Sephyra apprenait par cœur toutes les lois de la cité –elle avait d’ailleurs été stupéfaite d’apprendre qu’à Anethie, d’après une vieille loi surannée mais jamais abolie, il était formellement interdit de parler favorablement de Neos dans l’enceinte du palais. 


Au fil des heures et des jours, elle finit par mieux cerner la complexité dissimulée derrière une cité, composée de quelques milliers d’habitants à peine. Elle aurait encore beaucoup à apprendre, mais savoir qu’elle aurait à ses côtés quelqu’un de bien plus expérimenté qu’elle pour l’aider n’était pas sans la rassurer. Sa dernière source de mélancolie était désormais sa séparation provisoire avec Athem : depuis qu’elle s’était définitivement installée au palais, elle n’avait aucunement pu s’entretenir avec lui. Ils pouvaient à peine s’échanger un regard lorsqu’ils se croisaient, ce qui arrivait assez rarement de surcroît. Sephyra savait qu’un mariage était complexe à organiser et qu’à Anethie, il s’agissait d’un événement solennel où les époux n’étaient pas forcément unis pour des raisons sentimentales. Jhésel lui avait même expliqué que cette séparation était volontaire, justement pour que les époux puissent profiter pleinement de leur célibat une dernière fois avant d’être contraints de s’unir avec une personne pour laquelle ils ne nourrissaient pas forcément de réels sentiments. Malgré tout cela, Sephyra aurait bien aimé pouvoir parler avec lui, ne serait-ce qu’une dernière fois, avant que le grand jour n’arrive.


Il ne lui restait plus que deux semaines à patienter lorsqu’on lui informa qu’elle devait se soumettre à un rituel, en accord avec les traditions de la cité. Derrière le palais, au cœur de la montagne naissante, un lac très spécial s’étendait entre les monts, perpétuellement couvert d’une brume opaque, mais constamment caché par le palais et les reliefs alentours. Une source chaude l’alimentait en continu, ce qui rendait sa température anormalement élevée, même en plein hiver. L’histoire de la cité racontait que c’était là la première vraie richesse qui avait permis au Clan des loups de s’élever au-dessus des autres, leur apportant un confort et un bien-être inédits au sein du monde Reculé naissant. C’était un endroit très préservé et surveillé ; son accès était par conséquent particulièrement règlementé. Les Anethiens n’étaient autorisés à y pénétrer que très occasionnellement, notamment pour des raisons médicales, lorsque les soigneurs leur prescrivaient un long bain dans une eau chaude et inaltérée. Mais les loups lui prêtaient bien plus de facultés que celle de soulager les muscles et les dos fatigués. En effet, la source était également réputée pour apaiser le cœur et l’esprit, et purifier le corps. La tradition voulait que chacun des futurs époux s’y rendent à un jour d’écart l’un de l’autre, pour recevoir la bénédiction des anciens qui continuaient, selon les croyances, à hanter les lieux.


La nuit était tombée, et Anethie s’était endormie. Sephyra frissonna lorsqu’elle quitta le palais par l’une des sorties arrière, celle qui menait tout droit à la montagne. La jeune femme s’engagea sur la pente raide qui serpentait entre les conifères, et bien vite, la sensation de fraîcheur disparut, à mesure qu’elle forçait sur ses jambes pour garder un rythme décent. Elle ne portait qu’une robe légère à dos nu, qui laissait passer ses deux larges ailes. Ces dernières ne l’aidaient pas dans son ascension, et Sephyra regretta une fois de plus de ne pas pouvoir en faire usage.

C’est avec soulagement qu’elle atteignit la source, à l’issue de quelques minutes de marche sportive. Elle se laissa immédiatement enchanter par la vision de ce lac tapissé d’une brume blanche, enfermé entre des reliefs pentus, sous la lumière de la lune qui lui permettait d’y voir étonnamment bien. La scène lui parut presque irréelle, onirique.

Elle se décida à ôter la robe qu’elle portait pour seul vêtement, et descendit lentement dans l’eau. Même si elle s’y était préparée, elle fut étonnée de la chaleur qui émanait du lac, aussi douce et agréable que l’eau chauffée d’un bain après une longue journée de labeur. 

La jeune femme s’avança avec précaution jusqu’à ce que l’eau lui arrive à la taille, tâchant de ne pas glisser sur les pierres qui constituaient le sol du lac. Elle fit tremper ses ailes avec précaution, jusqu’à ressentir un fourmillement désagréable au niveau de la membrane déchirée. La chaleur ravivait quelque peu la douleur. 

Sephyra poussa un long soupir et leva les yeux. Elle ne pouvait rien voir autour d’elle : si elle fermait les yeux suffisamment longtemps, elle pourrait même se perdre dans ce monde immaculé, oubliant d’où elle était venue, quand elle était venue, et dans quel but. Mais en levant les yeux, par-delà les volutes de brume qui dansaient autour d’elle, elle pouvait distinguer la voûte sombre du ciel nocturne, et ses milliers d’étoiles qui scintillaient entre les nuages translucides.

Elle se perdit dans la contemplation des cieux. Son corps se détendit et elle eut l’impression que des souvenirs très anciens lui revenaient, appelés par cette quiétude qui apaisait la moindre de ses douleurs. Elle crut apercevoir des images dans son esprit, entendre des sons, des rires. Elle voyait le même ciel gorgé d’astres lumineux, ainsi qu’un visage souriant qui se penchait sur elle. Une voix féminine qui clapotait à ses oreilles, douce comme la brise en été. 

Une mélodie. Un chant. 

Elle ferma les yeux, et les notes vinrent d’elles-mêmes.

Comme si l’esprit des siens revenait vers elle en cette nuit spéciale, Sephyra fredonna sans le savoir la mélodie que sa mère lui chantait lorsqu’elle était jeune. Lorsque les rameaux d’Euresias protégeaient encore son existence si fragile, avant qu’elle ne soit bouleversée par cet événement qui avait changé sa vie.

Chacune de ses notes était une pensée. Un sentiment, une émotion. Une image floue qui disparaissait de son esprit en un instant, bientôt remplacée par une autre, tout aussi vague mais encore plus réelle. Le visage tendu vers le ciel, elle continua de semer ses notes pour qu’elles se propagent dans les vents, les yeux clos, apaisée, perdue dans un monde qui n’appartenait plus qu’à elle.


Elle laissa longuement résonner sa dernière note, avant de rouvrir les yeux. Jamais elle n’avait ressenti un tel apaisement, une telle sérénité. Peut-être que les Anethiens disaient vrai, après tout. Peut-être que ce lac avait réellement le don d’apporter l’ataraxie aux chanceux qui venaient s’y aventurer.

—   C’était magnifique. C’est toi qui l’as inventé ?

Sephyra sursauta et eut pour premier réflexe de croiser ses bras sur sa poitrine. Elle se retourna et contempla avec stupeur Athem, qui s’avançait dans l’eau à ses côtés pour la dépasser, un petit sourire sur le visage. Ses longs cheveux immaculés qu’il avait détachés flottaient tout autour de lui, ondulant gracieusement parmi les flots d’eau brumeuse. 

—   Que… Que fais-tu là ? bafouilla-t-elle, interdite.

—   J’ai entendu une mélodie et ça m’a intrigué, répondit innocemment le jeune loup en s’étirant. 

Sephyra le regarda s’éloigner sans mot dire. Contrairement à elle, il n’avait absolument pas l’air perturbé par la situation.

—   Je croyais que je devais venir ici seule, lança-t-elle, le regard méfiant.

—   Tu me connais, répliqua Athem avec un sourire. Je n’ai pas grand-chose à faire des règles futiles.

—   Des règles qui te déplaisent, plutôt, rétorqua Sephyra en détournant le regard, amusée. Je me demande bien ce que vont en penser les esprits des anciens…

Lorsqu’elle regarda à nouveau dans sa direction, il avait disparu. Perturbée, la jeune femme s’avança à son tour, progressant dans le nuage de brume, jusqu’à se rapprocher de reliefs escarpés qui plongeaient dans le lac pour en constituer les irrégulières limites. 

En regardant sur sa gauche, elle l’aperçut enfin. Il s’était installé sur un siège naturel formé par un rocher partiellement immergé, les bras croisés derrière la tête, et contemplait les cieux d’un air pensif. Assis, seule la partie supérieure de son torse émergeait du lac. Tâchant de refouler sa gêne, Sephyra s’avança à pas lents vers lui, jusqu’à ce que sa silhouette se dessine avec plus de précision à ses yeux.

—   On n’a pas eu l’occasion de discuter depuis la réunion du Conseil, se justifia Athem alors qu’elle s’arrêtait à ses côtés. Donc je m’étais dit que je pourrais venir te voir en douce. Après si ça te dérange, je…

—   Non, reste.

Il lui jeta un regard surpris, et elle détourna les yeux, nerveuse. Elle se sentait idiote de ressentir une telle gêne vis-à-vis de l’homme qu’elle n’allait pas tarder à épouser. Et d’un autre côté, elle ne pouvait s’empêcher de bénir la brume qui lézardait à la surface de l’eau, empêchant ainsi quiconque de voir au travers.

Athem se redressa et lui sourit.

—   Il y a de la place pour deux, dit-il.

Sephyra s’avança à pas lents vers le rocher, tâchant d’avoir l’air parfaitement détendue bien que ce fut loin d’être le cas, avant de s’y asseoir à son tour. L’eau lui arrivait désormais jusqu’au sternum, répandant une chaleur agréable dans tout son corps. Malgré tout, elle peinait à se décrisper.

—   Alors, comment ça se passe pour toi ? demanda Athem en reportant son attention sur la voûte céleste. 

—   Ça va, répondit-elle en l’imitant. Ma formation accélérée avance bien, ajouta-t-elle avec un sourire amusé. Mais je suis encore bien loin de tout savoir.

—   Tu apprendras le reste en pratiquant, la rassura Athem en se massant la nuque. Et à ce propos… Je ne sais pas si on t’a briefée sur la cérémonie en elle-même, mais c’est quelque chose de très… solennel. 

—   On m’en a juste touché deux mots, oui. C’est si terrible que ça ?

—   Terrible, non. Mais comme dans le temps les mariages étaient souvent arrangés, pour éviter aux époux de manifester publiquement de fausses preuves d’amour, les anciens ont décrété que les mariages se dérouleraient toujours de cette façon. Face au peuple, on ne devra pas se regarder, et encore moins sourire. En gros il faudra que tu aies l’air d’assister à un enterrement, résuma-t-il en croisant les bras. Mais si ça peut te rassurer, la deuxième partie de la cérémonie se passera en ville avec tout le monde. À ce moment-là on aura déjà un peu plus de libertés pour se comporter en êtres humains.

Sephyra jeta un regard timide vers Athem, qui avait poussé un long soupir après avoir terminé sa phrase.

—   Connaissant la rigidité des lois anethiennes, je ne suis pas étonnée, admit Sephyra. Si c’est la tradition, je m’y plierai.

—   Si je te dis ça, c’est parce que… commença Athem. Comment dire… Quand je t’ai proposé de devenir reine, j’ai été plutôt direct, je m’en suis rendu compte après coup. Et j’avais envie de te dire que ma décision était avant tout guidée par mes sentiments. Sincèrement.

Sephyra sentit ses joues s’enflammer. Elle n’en doutait pas réellement, mais cela faisait toujours plaisir à entendre. Elle lorgna vers Athem avec un petit sourire.

—   De mon côté, c’est juste pour le pouvoir que j’ai accepté, te fais pas d’illusions, répliqua-t-elle d’un air malicieux.

—   Ça je m’en doutais, vous êtes toutes les mêmes de toute façon, rétorqua Athem en haussant les épaules.

Sephyra échappa un petit rire, et releva les yeux vers les cieux. Elle ramena ses ailes devant elle, pour les réchauffer dans l’eau de la source. Une douleur vive remonta le long de son articulation, et elle se crispa. 

—   Tout va bien ? questionna Athem, en jetant un regard préoccupé à son aile meurtrie.

—   Oui… Je vais devoir assumer ce fardeau, répondit Sephyra en contemplant la membrane de son aile déchirée. Il aura le mérite de me rappeler les erreurs que j’ai faites. 

Athem se laissa glisser hors du rocher immergé, se plongeant dans le lac jusqu’à la taille, et devant le regard surpris de Sephyra, il vint se placer en face d’elle. La jeune femme, toujours assise sur le rocher pour sa part, replia machinalement ses jambes tandis qu’il se penchait vers elle, posant ses mains sur ses épaules.

—   Dis, Sephyra… commença-t-il. Tu ne penses pas que tu pourrais laisser ce fardeau derrière toi ? Définitivement ?

La jeune femme regarda Athem sans comprendre, tandis que ses joues se remettaient à prendre des couleurs.

—   Tu peux reprendre faire disparaître tes ailes, et passer à autre chose, continua Athem. Je sais que ça risque d’être difficile, tu ne t’es jamais entraînée à la métamorphose. Mais tu as ça dans le sang, je suis sûr que tu peux le faire. Oublier ces souvenirs. Les laisser partir.

Sephyra ne répondit pas. Elle ne pouvait pas quitter Athem des yeux, et réfléchissait en même temps à ce qu’il était en train de lui suggérer. Faire disparaître ses ailes ? Abandonner l’apparence qui la liait à son monde natal, cette île lointaine et mystérieuse qu’elle aurait tant souhaité contempler de ses propres yeux ?

Elle sentit une larme glisser sur sa joue, la même qu’Athem caressa tendrement avec un sourire confiant qui acheva de la convaincre.

—   Je vais essayer, dit-elle.

Le sourire d’Athem s’élargit, et sans prévenir, il se pencha sur elle pour l’embrasser. Sephyra sentit un frisson la parcourir, puis elle ferma les yeux et passa ses bras derrière sa nuque, pour l’étreindre doucement. Elle frémit en sentant la main d’Athem descendre le long de sa cuisse, puis lui soulever la jambe pour la bloquer contre lui. Soupirante, elle choisit de s’abandonner à ses sentiments, bien décidée à rendre cette nuit secrète inoubliable.


****


Le chant des oiseaux la subtilisèrent à son sommeil. Elle ouvrit les paupières, étendue sur le ventre, vêtue d’une robe légère laissant son dos à l’air libre. Le soleil était déjà haut dans le ciel. Combien de temps avait-elle dormi ?

Elle se redressa sur son lit, évitant soigneusement que ses omoplates n’entrent en contact avec quoi que ce fut. Cela faisait plusieurs jours qu’elle s’échinait à faire disparaître ses ailes, et la veille, elle avait enfin réussi. Ses omoplates étaient désormais aplaties comme celles d’un Neosien, mais des marques rougeâtres s’étendaient encore là où ses ailes avaient disparu. Après avoir bénéficié des instructions de quelques Anethiens experts en métamorphose, elle avait passé de longues heures éreintantes à se concentrer de toutes ses forces sur ses ailes, forçant ses cellules à l’apoptose de masse, laissant ses tissus régresser et ses os alaires tomber. L’épreuve avait été particulièrement laborieuse, et éprouvante. Les ministres avaient mis été au courant de son choix, et par conséquent, s’étaient gardés de trop la solliciter durant ces quelques jours. En revanche, ils étaient venus la voir régulièrement, lui apportant tout ce dont elle pouvait avoir besoin, pour s’assurer qu’elle ne perde pas connaissance suite à l’épreuve que constituait sa toute première métamorphose. 

Sephyra resta assise sur son lit un long moment. Elle sentait son dos en feu, en particulier dans la partie supérieure, et avait l’impression que du sang en coulait. Mais quand elle passait sa main près de sa chute de reins pour intercepter un éventuel filet sanglant, il n’y avait rien. 

Elle frémit. Il valait mieux qu’elle attende avant d’essayer de se mettre sur ses jambes, car elle ne se sentait qu’à moitié consciente. Les ramures des arbres, à l’extérieur, dansaient paisiblement dans le vent, et Sephyra peinait à suivre leurs mouvements. Sa vue était encore quelque peu altérée, et elle sentait son cœur battre la chamade, ce qui ne calmait pas la douleur intense qui lui martelait le dos.


Elle ne sut pas combien de temps exactement elle dut rester assise, droite comme un piquet, tentant par tous les moyens de rester consciente. À l’issue d’un moment qui aurait aussi bien pu être quelques secondes que quelques minutes, elle entendit des rires d’enfants résonner devant le palais. Puis l’un de ces rires se mua en pleurs. 

Sephyra posa ses deux pieds au sol et se leva. Ses jambes répondirent avec beaucoup plus de discipline que ce qu’elle aurait cru, mais sa notion d’équilibre avait été grandement altérée. Elle faillit plusieurs fois s’effondrer en avant tandis qu’elle marchait à pas lents vers la fenêtre, avant de s’asseoir sur le rebord de celle-ci, considérant son effort suffisant pour le moment.

À travers le carreau, elle put apercevoir le groupe d’enfants qu’elle avait entendus. L’un d’eux était par terre, son genou replié contre lui. Sephyra remarqua ensuite Athem, descendant en toute hâte les marches du palais, pour venir s’accroupir près de lui. Les pleurs avaient déjà cessé. Il resta sur place un moment, rassurant le jeune blessé jusqu’à ce qu’il ose se remettre sur ses jambes, encore un peu boitant, et puisse aller à la rencontre de ses parents qui le rejoignaient à pas vifs. Elle devina qu’Athem échangeait quelques mots avec eux avant de leur dire au revoir, ébouriffant au passage la tignasse immaculée de l’enfant, qui s’éloigna ensuite avec ses parents en lui faisant de grands signes du bras. 

Face à la scène, Sephyra décocha un sourire attendri. Athem ne ménageait pas ses efforts pour se faire apprécier de son peuple. La jeune femme espéra de tout cœur que sa bonne volonté serait récompensée, et que les loups sauraient le voir bientôt comme un véritable souverain, et non pas comme un renégat revenu illégitimement au pouvoir, et tentant de les séduire en masquant habilement son visage de tyran.


Le lendemain, Sephyra décida qu’il était grand temps que son quotidien reprenne son cours normal. Après avoir passé une nouvelle nuit étalée sur le ventre, s’empêchant par de se tourner pour que ses omoplates restent à l’air libre et ne touchent rien, elle se leva de bonne heure. Elle allait commencer par marcher, pour tenter de reprendre une démarche naturelle d’ici le jour où le peuple d’Anethie devrait la considérer reine. Il valait mieux que sa première impression en tant que telle soit honorable.

Sephyra quitta sa chambre à pas lents, les bras tendus de part et d’autre de son corps, tâchant de rester droite. Elle se força à longer les murs, qu’elle avait plutôt tendance à éviter d’instinct, habituée à devoir éviter de cogner ses ailes partout. Son dos la lançait encore, au rythme de ses pas. 

Elle quitta l’aile du palais où se trouvait sa chambre provisoire, pour commencer à arpenter les longs couloirs qui lui feraient office d’aire d’exercices. Elle croisa peu de monde, et cela lui convenait parfaitement : elle n’avait pas envie que sa rééducation soit épiée par l’ensemble des hautes instances. Et encore moins par le reste de la ville d’Anethie.

Mais lorsqu’elle parvint près de la bibliothèque, elle tomba nez-à-nez avec Vassili, qui en sortait en portant sous le bras deux ouvrages aussi anciens que denses. Il s’arrêta brusquement en voyant Sephyra, la jaugeant de bas en haut.

—   Sephyra ?... dit-il. Je ne vous avais pas reconnue, sans vos excroissances disgracieuses… Mais si vous pensez être devenue des nôtres ainsi, vous faites erreur. Vous ne serez jamais une louve d’Anethie.

Sephyra fronça les sourcils. Il ne faisait pas de détours pour lui manifester son antipathie.

—   Je me moque de ce que vous pensez de moi, Vassili, répondit-elle froidement. Et je vous encourage vivement à essayer de supporter ma présence, si vous souhaitez rester ici.

Vassili se tendit. Il posa sans douceur les deux ouvrages qu’il tenait sur une commode voisine et fit un pas vers Sephyra qui frémit malgré elle.

—   Est-ce une menace ? gronda-t-il. Ma légitimité est cent fois supérieure à la vôtre. Qu’espérez-vous accomplir, très exactement ?

—   Je n’ai rien à vous dire.

Sephyra se détourna de lui et reprit sa démarche. Elle l’entendit lâcher une exclamation outrée,  suivie d’un gémissement de dégoût ostentatoire. Il venait sans doute de remarquer les traces rougeâtres qui marquaient les omoplates de la jeune femme depuis la disparition de ses ailes.

—   Qu’est-ce que vous convoitez, au juste ? reprit Vassili froidement en suivant ses pas. La gloire ? La célébrité ? Vous ne trouverez ni l’un ni l’autre, ici. Mais il est encore temps pour vous de renoncer, vous savez. Je peux même vous aider à…

—   À croire que c’est ma place qui vous intéresse, siffla Sephyra en se retournant brusquement. Pourquoi ne pas demander Athem en mariage, dans ce cas ? Il accepterait peut-être.

Vassili fut si surpris de sa réponse qu’il resta figé un court instant, avant qu’un rire franc ne s’échappe de sa poitrine. Il agita sa main comme pour balayer la suggestion ironique de son interlocutrice.

—   Non, jeune fille, dit-il. Ce n’est pas votre place que je convoite, mais la sienne –votre déplaisante compagnie mise à part, bien évidemment. Ce n’est un secret pour personne. Ne vous attendez pas à pouvoir me faire du chantage en vous basant sur ce que je viens de vous dire.

Sephyra ne trouva aucun mot pour répondre à cette provocation directe de la part de Vassili. Elle n’avait aucun réel fondement, pas plus que son acharnement à témoigner son désaccord vis-à-vis du moindre sujet se rapportant à Athem, de près ou de loin. En y repensant, c’était la première fois de sa vie qu’elle rencontrait une telle personne. Même Luna, avec qui des tensions s’étaient créées dès leur première rencontre, ne faisait pas preuve d’une telle méchanceté.

La jeune femme n’ajouta rien, et s’éloigna aussi vite que ses pas mal assurés pouvaient la porter, désireuse d’oublier cette altercation. Elle entendit Vassili prendre une direction opposée, ce qui la soulagea, mais ne calma pas sa frustration. Elle sentit ses paupières s’humidifier. Il était déjà assez difficile pour elle de faire face à la peur d’être rejetée par le peuple d’Anethie, pour en plus devoir encaisser les attaques directes de Vassili. Elle n’avait pas besoin de cela. Juste d’être comprise, soutenue. Et qu’on lui laisse sa chance.

Sa séance de marche s’acheva de façon prématurée. Sephyra était retournée d’instinct dans sa chambre, tant sa rencontre avec le stratège l’avait secouée. Elle se laissa tomber assise sur le rebord de la fenêtre, laissant sa tête reposer contre la vitre, et poussa un long soupir en fermant les yeux. Elle aurait tellement aimé qu’Athem soit là, tout de suite, pour venir la rassurer. Lui dire que Vassili était rongé par la jalousie, et que de vieux conflits sans fondement le poussaient à tout tenter pour les discréditer. Qu’au fond, il n’avait rien contre elle, mais considérait que s’en prendre à elle n’était ni plus ni moins qu’une façon indirecte d’attaquer celui qu’il voulait réellement détrôner.

Elle rouvrit les paupières, observant l’extérieur. Personne devant le palais. La journée commençait paisiblement. Les prochains jours, Sephyra marcherait encore. Elle avait déjà fait de bons progrès, et elle ne devait pas se laisser démoraliser. Le plus difficile n’était pas encore arrivé pour elle.


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Lorsque le soleil commença à apparaître de l’autre côté des arbres, après une longue nuit presque sans sommeil, Sephyra sut que le jour était venu.

C’est le cœur battant qu’elle se leva, et passa les dernières heures qu’il lui restait à vivre en tant que simple citoyenne et étrangère d’Anethie. Peu après son réveil, on lui avait emprunté son sabre, qui était un élément important de la cérémonie. Elle l’avait presque regretté : quelques mouvements de chauffe auraient eu le mérite de lui faire oublier qu’elle s’apprêtait à prendre un tournant drastique dans son existence.

Sephyra revêtit la robe de cérémonie qu’on lui avait confectionnée. Elle était bien plus complexe que tous les vêtements qu’elle avait un jour portés dans sa vie, mais depuis l’absence de ses ailes, elle éprouvait beaucoup moins de difficultés à s’habiller. Elle s’avança à petits pas devant un miroir tout en rajustant le nœud de tissu dans sa nuque. La robe était très travaillée ; sous un corset blanc et or, une fine robe ivoire cheminait de son cou jusqu’à ses pieds, embelli par une ceinture de perles et un bustier aux tons violacés. 

Elle observa longuement son reflet, guettant avec attention le moindre détail indésirable. La première impression qu’elle donnerait en tant que reine se devait d’être irréprochable. Une personne était venue l’heure précédente pour la coiffer, arrangeant ses boucles sauvages en un splendide chignon décoré d’épingles blanches et dorées. Il n’était plus question d’espérer cacher ne fut-ce que le haut de sa cicatrice à l’aide d’une mèche rebelle : plus un cheveu ne dépassait, hormis à l’arrière de son crâne. 

Mais il était temps de cesser de songer au passé et à ses blessures. Son avenir l’attendait. Elle prit une grande inspiration, et son rythme cardiaque s’emballa lorsqu’elle entendit des pas dans le couloir. Jhésel apparut bientôt, après avoir signalé sa présence en toquant contre le mur.

Elle lui sourit, cachant tant bien que mal son appréhension quant à tout ce qui allait suivre. Et après un rapide échange, elle consentit à le suivre jusque dans la salle du trône, sans jeter de regard en arrière.


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Les citoyens se bousculaient déjà dans les rues d’Anethie, impatients d’assister à l’arrivée de leurs nouveaux souverains. Les soldats et gardes, armés de leurs lances imposantes, dissuadaient quiconque de toute intention ou geste inconsidéré. Le soir tombait doucement, mais les douces températures de l’été rendaient le temps agréable. Au fur et à mesure que le ciel dégagé prenait des couleurs, la foule se densifiait. 

Sha-Lin parvint à se glisser entre deux gardes qui la laissèrent passer dès qu’ils la reconnurent, ce qui lui permit de se rapprocher des marches. Imposant, Ferox la suivait de près, mais marchait avec difficulté ; son genou gauche le faisait toujours souffrir. Sha-Lin se retourna vers lui avec un regard anxieux au moment où il la rattrapa pour se placer à ses côtés, mais il lui sourit pour la rassurer. Il replia ensuite ses ailes pour ne pas prendre trop de place, tandis que Sha-Lin détournait le regard en direction du sommet des marches, un léger sourire sur le visage. 

Ils avaient reçu une invitation pour la cérémonie aussitôt celle-ci approuvée par le Conseil, et n’avaient pas hésité un seul instant à venir. Ils n’avaient pas revu Athem et Sephyra depuis l’enterrement de Nahru. Quelques mois s’étaient écoulés et leurs vies avaient repris leur cours normal, mais ils n’avaient jamais autant ressenti le besoin de rester en contact avec la cité des loups. Pour eux, les Anethiens étaient devenus bien plus que des compagnons d’arme ; cette ville était comme leur deuxième patrie, en plus d’être la demeure de leurs deux meilleurs amis. 

—   Arrête de sautiller, Sha-Lin, glissa Ferox à l’oreille de la jeune aigle qui ne tenait pas en place.

—   J’y peux rien, j’ai tellement hâte de les voir ! répliqua-t-elle avec un large sourire. Et de leur dire la nouvelle, aussi !

Ferox poussa un soupir et lui jeta un regard interrogateur.

—   Tu penseras à les féliciter avant toute chose, au moins ? 

—   Arrête de me prendre pour un bébé, répliqua Sha-Lin en se blottissant contre lui.

Ferox l’entoura de son bras et contempla les marches à son tour. Bien que l’instant fût très solennel pour les loups tout autour de lui, il se laissa aller à sourire, impatient d’assister à cette cérémonie de la plus haute importance.

—   Ils pourront nous aider à trouver un prénom, qu’en penses-tu ? questionna alors Sha-Lin. Vu qu’on n’est pas fichus de se mettre d’accord.

—   Bonne idée, approuva Ferox en lui lançant un regard malicieux, avant de resserrer son étreinte.

Sha-Lin releva à son tour les yeux vers le palais, le cœur battant. Elle ne pouvait cesser de sourire, et attendait avec la plus grande hâte de voir enfin les nouveaux souverains d’Anethie se montrer devant leur peuple. Et elle espéra de tout son cœur qu’eux aussi pourraient venir jusqu’à Odori dans quelques temps, pour célébrer son mariage avec Ferox, ainsi que la future naissance de leur enfant.

Elle laissa sa tête s’appuyer contre le torse de son compagnon, et elle ferma les yeux.


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Perchée au sommet de la demeure des soldats, Luna observait la foule d’un regard vague. Elle avait déposé sa lance derrière elle, et n’osait pas lever les yeux vers le palais que tout le monde scrutait avec la plus grande attention. Son appréhension visible contrastait avec l’entrain qu’elle sentait en contrebas, exprimée avec sincérité pour ce grand événement, si rare et immanquable.

—   Ah, enfin je te retrouve !

Luna releva les yeux et se retourna. Ludovic s’avança vers elle avec un petit sourire, déposa sa lance et se laissa tomber à côté de son amie en lui jetant un regard timide.

—   Je t’ai cherchée partout, informa-t-il tandis qu’elle détournait le regard. Tu ne devrais pas être en bas avec tous les autres ? 

—   J’avais besoin de m’isoler un peu, répondit Luna vaguement. 

—   Tu ressasses encore cette histoire… soupira Ludovic. T’inquiète pas, va. C’est terminé, le Prince t’a pardonné et veut que tu continues de servir Anethie, alors tout va bien non ?

Luna releva les yeux vers le palais, et osa enfin en observer le sommet des marches. Là où leurs nouveaux dirigeants pouvaient apparaître d’une minute à l’autre.

—   Même si le Seigneur Athem m’a gardée avec lui après lui avoir menti… Rien ne me dit qu’une fois roi, il ne me bannira pas purement et simplement.

—   De quoi tu parles, enfin ? répliqua Ludovic. Il t’a gardée auprès de lui parce que même après ton entourloupe, il continue de vouloir croire en toi et en tes capacités. Il ne va pas te jeter du jour au lendemain après t’avoir donné une seconde chance !

—   Mais si tu n’avais pas plaidé en ma faveur, rétorqua Luna en s’affalant en arrière, je serais sur les routes avec un baluchon et le ventre vide.

Ludovic la regarda en soupirant. Elle ne quittait plus le palais des yeux désormais, et l’appréhension se lisait sur son visage.

—   J’ai plaidé en ta faveur parce que je sais qui tu es et ce que tu vaux, répliqua-t-il. Tu es importante pour Anethie. Et pour moi aussi.

Ludovic se pencha vers elle avec un sourire et lui poussa gentiment l’épaule avec le poing.

—   Et puis, au cas où tu l’aurais oublié, je ne vais pas tarder à prendre la place de mon père. Je vais devenir le chef de ce Clan dans lequel on a grandi toi et moi, alors je te protégerai.

Luna lorgna tristement vers lui.

—   C’est toujours toi qui m’as défendu quand on était jeunes, lui rappela Ludovic avec un sourire mélancolique. Quand les autres se fichaient de moi parce que physiquement, je tenais pas la route. Si je n’avais pas été le fils de Kerem, et si je n’avais pas été ton ami, il y a longtemps qu’on m’aurait oublié dans un fossé.

Luna fronça les sourcils mais à son grand étonnement, Ludovic éclata de rire.

—   Et aujourd’hui, on est des adultes, on est forts, et on est ensemble, reprit-il avec un sourire en scrutant le palais. On a une réalité à protéger. Et je veux te rendre la pareille en m’assurant que tu pourras rester à mes côtés jusqu’au bout.

Luna s’autorisa à décocher un sourire, qu’elle réprima aussi sec lorsqu’elle se confronta à celui de Ludovic. 

—   Et… quand la cérémonie sera terminée… commença Luna.

—   Oui ?

—   …Quand y’en aura plus un seul pour marcher droit, on ira finir les fonds de bouteille ensemble ?

Ludovic la regarda avec surprise puis échappa un rire.

—   Ça marche, dit-il.


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Le Vitalis était le bijou le plus précieux du royaume d’Anethie, symbole d’une tradition qui avait traversé les âges.

Athem et Sephyra se tenaient immobiles face à ce double-collier forgé par les artisans du village, qui transmettaient leur savoir-faire unique de génération en génération. Il était composé de deux parties presque identiques reliées entre elles par des chaînettes destinées à être brisées : le Vitalis était forgé comme un tout mais destiné à être séparé, pour que roi et reine en reçoivent chacun une moitié. Deux moitiés qui forment un tout, symbole du couple royal qui confèrerait une fois encore richesse et prospérité à Anethie.

Le maître artisan, un loup à la silhouette discrète et au visage calme, prit place derrière le Vitalis, posé à même un vaste établi de marbre. Les futurs souverains ainsi que les ministres, en retrait, observaient la scène avec la plus grande sérénité et le plus grand respect. Sephyra ne pouvait détacher son regard des élégantes arabesques en argent qui ondulaient autour des pierres centrales de chaque moitié du collier. 

Le maître artisan leva alors un grand clou de fer et brisa les trois liens qui faisaient son unité.


Chacun sembla retenir son souffle tandis que le Vitalis achevait sa séparation. Ce fut Athem qui, le premier, saisit doucement la moitié destinée à Sephyra. Elle portait une améthyste taillée, de part et d’autre de laquelle deux ornementations en argent rappelaient vaguement des ailes de chauve-souris.  Il ouvrit le fermoir délicatement et passa le pendentif autour du cou de la jeune femme, qui fit ensuite de même avec la partie destinée à Athem. Pour sa part, elle était ornée d’une aigue-marine qui s’accordait à merveille à ses yeux. 

Jhésel prit la place du maître artisan qui se retira humblement, et ouvrit un énorme ouvrage qu’il posa sur l’établi. Puis d’une voix puissante, il entama la lecture d’un long texte solennel, lu exclusivement à l’occasion des mariages royaux.


Les ministres étaient tous silencieux, et avaient levé d’un même geste leur main droite pour la poser sur leur poitrine. Même Vassili s’était plié à cette tradition sans broncher, tandis que les mots de Jhésel résonnaient dans la salle du trône. Immobiles face à lui, Athem et Sephyra faisaient de leur mieux pour garder un visage impassible. La jeune femme se concentrait à respirer calmement et profondément, mais elle peinait à le faire en raison de son cœur qui battait la chamade. Les minutes lui semblèrent interminables, et lorsqu’enfin le discours de Jhésel cessa, ce dernier releva lentement les yeux, sourit aux nouveaux mariés et leur désigna d’un geste gracieux la sortie du palais.

Sephyra posa sa main frémissante sur celle d’Athem, et ensemble, les souverains d’Anethie entamèrent alors une marche solennelle en direction de l’extérieur du palais, suivis de près par les ministres qui suivaient leurs pas tranquilles.


Lorsque la cité d’Anethie se dévoila à ses yeux, en contrebas du palais, Sephyra ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux. Elle n’avait encore jamais vu un tel attroupement, et ignorait même qu’Anethie était si peuplée. De là où elle se trouvait, elle devinait que chaque rue était envahie, et la place principale, située en bas des marches, était noire de monde. Les nombreux soldats qui gardaient l’escalier principal du bâtiment avaient été obligés de se retrancher sur les marches supérieures afin de laisser davantage de personnes se rapprocher de leurs souverains.

Athem et Sephyra s’avancèrent jusqu’au bord de l’escalier et contemplèrent leur cité avec dignité. Même s’ils tachaient de ne pas le montrer, leur cœur battait à tout rompre, conscients que le moindre de leur geste était épié par Anethie toute entière, et que lors de ces premiers instants en tant que nouveaux dirigeants de la cité des loups, ils devaient ne faire aucun faux pas.

Les murmures excités des citoyens s’évanouirent peu à peu lorsque Jhésel et un second ministre s’avancèrent de part et d’autre d’Athem et Sephyra. Chacun portait les sabres respectifs des deux époux. 

Jhésel fit un petit signe de tête à Athem qui reporta alors sur regard sur la cité, sembla réfléchir un instant, inspira un grand coup puis prit la parole.

—   Peuple d’Anethie ! dit-il avec force pour être entendu de tous. J’ai pleinement conscience que ces derniers temps ont été mouvementés et difficiles pour chacun d’entre nous. La période de troubles que nous avons traversée m’a contraint à me montrer ferme et déterminé, mais je jure que mon souhait a toujours été de protéger Anethie, de vous protéger, et de garantir à notre Cité la paix qu’elle mérite. Au nom de tous les souverains qui ont occupé ma place par le passé, je jure, moi, Athem d’Anethie, de consacrer mon existence entière à la protection et la prospérité de notre royaume !

Les ministres saluèrent tous Athem d’un seul et même geste, tandis que la foule en contrebas laissait exploser une vague d’approbation tonitruante. Les applaudissements s’élevèrent avec tant de force que les oiseaux quittèrent les rameaux des arbres situés au cœur de la cité, effrayés par ce brouhaha soudain.

Tandis que la foule continuait d’applaudir, Athem jeta un regard discret à Sephyra. Cette dernière déglutit.

—   N’y pense même pas… maugréa-t-elle tout bas.

Elle vit un très fin sourire étirer les lèvres d’Athem avant qu’il ne reporte son visage froid sur les citoyens en contrebas. Il leva alors la main, et les applaudissements cessèrent petit à petit. Un silence pesant retomba sur toute la cité, et Sephyra sut alors qu’elle n’avait plus le choix.

Elle déglutit, puis prit la parole à son tour.

—   Peuple d’Anethie, commença-t-elle. Je souhaite commencer par vous exprimer ma gratitude la plus sincère. Le courage dont vous avez fait preuve durant ces derniers mois m’a rendue plus fière que jamais d’avoir grandi à vos côtés. Vous êtes un peuple fort et valeureux, que je souhaite protéger jusqu’à la fin de mon existence. Je sais… Je connais votre appréhension, et elle est légitime. Je sais que je devrai travailler dur pour gagner votre confiance, mais je n’ai pas l’intention de faillir à mes devoirs. Moi, Cae-La Sephyra d’Anethie, jure consacrer mon existence entière à notre royaume, pour faire en sorte que cette cité qui m’a accueillie continue de rayonner sur notre monde, gratifiée de la paix qu’elle mérite.

Une fois de plus, les ministres s’inclinèrent, et une nouvelle vague de réactions enjouées éclata en contrebas. Sephyra, qui tâchait tant bien que mal de calmer la cadence effrénée de son cœur, jeta un regard discret à Athem. Ce dernier s’était autorisé à décocher un sourire, même s’il ne quittait pas la foule des yeux.


Il était temps de clore la cérémonie. Athem et Sephyra saisirent chacun leur sabre que leur tendaient un ministre, sortirent la lame du fourreau d’un même geste, et brandirent ensemble leur lame en direction de l’horizon.

—   En ce jour débute l’ère Erea ! clama la voix puissante de Jhésel.

Immobiles et fiers, les gardiens de cette ère nouvelle gardèrent leur bras tendu tandis que chaque citoyen s’inclinait, posant un genou au sol et baissant la tête avec respect. Les soldats s’étaient eux aussi inclinés. Jeunes, adultes, loups tatoués et ressortissants d’Anethie ; tous saluaient à présent la promesse d’un avenir radieux qui protégerait cette paix durement acquise. 

Sephyra observa longuement la foule, le cœur battant. Ces hommes et ces femmes, au lieu de la traiter en tant que l’étrangère qu’elle avait toujours été pour eux, se prosternaient maintenant face à elle.

Son bras commençait à fatiguer, mais elle s’en moquait.

Elle releva les yeux vers l’horizon, observant du coin de l’œil la lame d’Athem qui restait inlassablement tendue à côté de la sienne.

Un infime sourire étira ses lèvres. Le soleil se couchait déjà. 


Et leur monde allait renaître.