L. Reflets de l'Ancien Monde - Le tombeau de glace



Explicit Violence

Après une catastrophe de grande ampleur, une partie de l’humanité est retournée vivre auprès de la nature, abandonnant la vaste Neos, capitale technologique des hommes. Parmi ces exilés, les reculés, certains appelés Porteurs gardent en eux des entités indispensables au maintien de la stabilité. Que deviendra le monde s'ils venaient à tous disparaître ?

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Author's Notes

Ce chapitre est un bonus écrit très récemment, exclusif à la quatrième refonte de l'histoire. Je ne sais pas encore si je l'inclus officiellement à l'histoire ou non !

La tombe des Euresias


Lorsque la carriole stoppa sa course, elle retint son souffle. Elle attendit que le garde anethien installé à côté du conducteur lui confirme qu’ils étaient bien arrivés à destination, en contournant   l’attelage pour jeter un œil à l’intérieur du véhicule tracté par un imposant cerf.

— Ma reine, nous y sommes, dit-il.

Sephyra le remercia d’un signe de tête, se leva et sauta hors de la carriole. Tandis qu’elle humait les embruns, elle jeta un regard émerveillé aux maisons de bois qu’elle apercevait en contrebas, étendues jusqu’à la mer, séparées par de petits chemins de terre qui se transformaient en pontons au fur et à mesure qu’on allait vers le port. L’endroit était parsemé de buissons aux feuilles épaisses et aux jolies fleurs roses, qui étaient adaptées aux conditions venteuses et à l’air marin gorgé de sel.

Mérielle était, comme on le lui avait promis, un ravissant village.

Quatre Anethiens armés sur les talons, Sephyra entreprit de descendre la colline où la carriole s’était arrêtée, et attendrait sagement leur retour. Tandis qu’elle veillait à garder la posture la plus droite possible en progressant sur le chemin escarpé, Sephyra sentait son cœur battre la chamade, et cela n’était pas dû à sa marche hâtive qui venait à peine de commencer. Deux longues années s’étaient écoulées depuis qu’elle s’était fait la réflexion pour la toute première fois qu’il lui manquait encore quelque chose pour être en paix avec elle-même, et que cette chose était probablement à aller chercher du côté de ses origines. L’endroit où elle était née, où sa vie avait basculé, et où elle avait été secourue alors que son peuple entier avait péri.

Après son mariage, elle n’avait plus eu le temps d’y penser. Elle avait pris ses nouvelles fonctions très à cœur et s’était efforcée d’être une reine exemplaire pour Anethie, aux côtés d’Athem avec qui elle partageait une complicité inédite. Puis, alors que son envie de retourner voir Euresias de ses propres yeux revenait doucement, elle avait appris qu’elle était enceinte. Quelques mois plus tard, Jaël, son fils, naissait ; une toute nouvelle épreuve occupa alors ses pensées et celles de son époux, tandis qu’elle découvrait avec lui les joies et les difficultés du métier de parent.

Jaël avait désormais plus d’un an, et la routine avait pu finir par s’installer, permettant à son envie de voyage de revenir à l’assaut. Cette fois, Sephyra avait décidé qu’elle l’écouterait, désireuse d’enfin entreprendre cette excursion, seule, afin de renouer avec son passé, l’accepter, et enfin tourner la page. Athem l’avait soutenue dans sa décision. Elle avait passé une soirée entière avec lui à fouiller de vieux registres pour retrouver toutes les traces écrites qui avaient documenté son adoption et son arrivée à Anethie ; découvrant le seul indice qui lui serait réellement d’utilité dans sa quête : le lycaon qui l’avait secourue à Euresias se nommait Yarenn. Yarenn de Mérielle.

Après une missive transmise à Mérielle pour demander si Yarenn y vivait encore, et une réponse affirmative de leur part, Sephyra s’était finalement décidée. C’est un soir de pluie battante qu’elle avait quitté Anethie dans son petit convoi, promettant à Athem qu’elle serait de retour dans moins d’une semaine.


Sephyra fut tirée de ses pensées lorsqu’un petit contingent de reculés vint à eux. Leurs crinières sauvages se balançaient entre leurs oreilles dressées, passant parfois sur leur visage marqué de discrètes traces noires, rendant les ressortissants de ce Clan particulièrement reconnaissables. Le lycaon qui marchait devant le petit groupe, une grande femme à la carrure solide, s’arrêta la première, et fit une révérence polie lorsque les Anethiens arrivèrent à leur hauteur.

— Je vous souhaite la bienvenue, reine Sephyra, dit-elle avec respect.

— Je vous remercie pour votre accueil, répondit Sephyra un peu gênée du respect témoigné par la cheffe de Clan. 

Sephyra avait volontairement veillé à ne pas s’habiller de façon trop raffinée, à la fois désireuse de porter quelque chose de pratique pour voyager, et de ne pas trop ressembler à quelqu’un d’important quand elle déambulerait dans les rues d’un village modeste qu’elle ne connaissait que de nom –tout en sachant pertinemment que c’était peine perdue, étant donnée qu’elle se déplaçait avec une garde rapprochée constituée de quatre loups armés et couverts d’une armure de cuir. Elle avait donc jeté son dévolu sur une simple tunique de lin assortie à un pantalon fin, et deux bottes en un peu trop bon état pour véritablement ressembler à celles d’une voyageuse aguerrie. Face aux tenues de coton et de cuir usées et imprégnées d’embruns des lycaons, elle était quand même un peu trop voyante à son goût. 

— Je souhaiterais m’entretenir avec le dénommé « Yarenn », poursuivit Sephyra, comme demandé dans la missive que nous vous avons fait parvenir.

— Bien entendu, répondit la cheffe de Clan en fléchissant légèrement le buste. Je vais vous y conduire.

Le petit contingent de lycaons emboîta le pas de la cheffe, tout comme Sephyra qui reprit son avancée entre les maisonnettes de bois, passant devant des fenêtres desquelles des têtes de curieux se montraient de temps à autre, avec une discrétion plus ou moins marquée. Sephyra, qui détestait se faire remarquer et être au centre de l’attention, pria pour que la personne qu’elle était venue voir ne l’attende pas de pied ferme au milieu d’une foule extatique qui l’observerait comme si elle était venue de loin pour se donner en spectacle.

La cheffe se stoppa lorsqu’ils arrivèrent sur l’immense ponton auquel étaient attachés de nombreux bateaux de pêche. Le vent s’était levé à nouveau, transportant ses embruns jusque dans les maisons imprégnées par l’odeur de la mer. Le port était bien calme en cette fin de matinée, qu’un soleil timide arrosait de ses rayons réconfortants. Au soulagement de Sephyra, il n’y avait pas grand-monde de sortie, à part quelques lycaons affairés à travailler sur leurs bateaux.

La cheffe de clan désigna un bateau au loin, reconnaissable à un haut mât sur lequel était fixé un drapeau rouge à moitié déchiré.

— Son bateau est là-bas, dit-elle. Nous l’avons prévenu de votre arrivée.

Sephyra la remercia d’un vigoureux signe de tête, déglutissant malgré elle. Les lycaons s’éloignèrent, laissant Sephyra seule avec les loups qui l’accompagnaient.

— Attendez-moi ici je vous prie, demanda-t-elle aux gardes qui répondirent d’un salut anethien synchrone, redressant leur bras fléchi devant eux, le poing tapant leur pectoral gauche. 

Sephyra s’avança seule sur le ponton qui longeait les maisons les plus proches de la mer sur sa droite, et les bateaux sagement rangés sur sa gauche, solidement retenus à la terre ferme par des cordages.

Lorsqu’elle arriva face au bateau au drapeau rouge, elle se stoppa. Son cœur battait la chamade, et il accéléra de nouveau lorsqu’elle aperçut une silhouette sur le pont, affairée à nettoyer le plancher en le frottant vigoureusement.

Sephyra prit une grande inspiration, et s’avança au bord du ponton pour s’approcher du bateau au maximum. Le vent couvrait le son de ses pas. Elle hésita un instant, puis leva la voix.

— Yarenn ? appela-t-elle.

La silhouette se redressa, et se tourna vers elle. L’homme n’était pas très grand, mais on devinait sa solide carrure au-delà de la chemise claire en tissu fin qu’il portait, accompagné d’un corsaire resserré au niveau des chevilles, laissées à nu tout comme ses pieds. 

Sephyra chercha ses souvenirs tandis qu’elle contemplait les traits de Yarenn : sa cheveulure d’un roux si clair qu’il aurait pu paraître blond, ses grands yeux noisette, ces marques noirâtres qui couraient sur ses joues et son encolure. Mais il ressemblait à un lycaon comme tous les autres, d’une quarantaine d’années voire un peu plus. Aucune réminiscence fulgurante ne vint la frapper, et il semblait ne pas la reconnaître non plus.

Ils s’échangèrent un long regard. Yarenn avait été averti qu’il recevrait la visite de la reine d’Anethie, et n’avait pas vraiment su quoi en penser sur l’instant. Pour calmer ses questionnements à ce sujet, il s’était contenté de continuer son quotidien normalement, laissant ses pensées occuper son esprit afin qu’il évite de formuler mille hypothèses auxquelles il ne saurait, de toute façon, jamais trouver de réponse par lui-même. Mais alors qu’elle était face à lui, il était surpris de l’apparence de Sephyra ; il s’était attendu à voir une louve d’anethie, et à la place, sa chevelure blonde, ses oreilles ocre à pointes noires lui faisaient bien plus penser à une apparence de lycaon que de louve. Bien que son visage ne lui dise rien, d’un autre côté, il ne pouvait s’empêcher d’être intrigué par cette présence, qui lui rendait son regard sans mot dire.

— Êtes-vous Yarenn ? demanda-t-elle.

Il approuva d’un signe de tête. Sephyra sentit son cœur accélérer. Elle tâcha tant bien que mal de rester stoïque, mais ses émotions se pressaient aux portes de sa contenance, et elle ne savait pas pour combien de temps elle allait pouvoir les retenir.

— On m’a dit que vous étiez là en 807, après l’incendie d’Euresias, continua-t-elle d’une voix tremblante. Et que vous avez ramené une rescapée sur le continent. 

— C’est vrai, approuva Yarenn en fronçant les sourcils.

— Quel était son nom ?

Yarenn lâcha le cordage qu’il tenait dans sa main, pour se redresser de toute sa hauteur. Cette chevelure, ces yeux… était-ce possible ?

— Cae-La, dit-il machinalement.

Sephyra enfouit son visage dans ses mains, pour intercepter les larmes qui s’étaient frayé un chemin hors de ses paupières. Le cœur battant, elle redressa la tête, tandis que Yarenn comprenait brutalement qui il avait en face de lui.

— Cela faisait si longtemps que je voulais vous remercier en personne, dit-elle d’une voix étranglée.

Yarenn sauta de son bateau et marcha à pas lents vers la jeune femme, la contemplant comme s’il avait face à lui la plus atypique des entités. Il put ainsi l’observer d’encore plus près, et le souvenir de cette femme à bout de forces qui lui avait tendu sa petite dans l’espoir qu’il la sauve, ce visage déchiré par la douleur et l’espoir qu’il n’oublierait jamais, lui revint brutalement en mémoire, porté par les traits de celle qu’il avait désormais devant lui.

— Cae-La ? murmura-t-il sans y croire.

Sephyra laissa échapper un rire, bientôt suivi de nouvelles larmes. Elle se rapprocha de Yarenn et tomba dans ses bras ; il la serra contre lui sans y croire.

— Je n’en reviens pas, souffla-t-il en passant une main dans ses cheveux. C’est vraiment toi ! Mais tu n’as plus tes ailes ? Tu…

Il recula pour pouvoir l’observer encore plus près, et soudain, son sourire fondit.

— Je suis désolée ma reine, je ne voulais pas…

Sephyra secoua la tête, toujours émue aux larmes.

— Inutile de faire tant de manières, dit-elle. Et pour les ailes, c’est une longue histoire.

Sephyra recula d’un pas, tâchant de reprendre contenance, en continuant d’observer Yarenn avec un regard reconnaissant.

— Je devrais dire que vous avez sacrément grandi, mais j’imagine que ce serait déplacé, dit Yarenn dans une tentative de détendre un peu l’atmosphère.

Sephyra rit de bon cœur.

— Et pourtant, c’est sûrement vrai, dit-elle. 

Il décocha un sourire amusé. Il la regardait avec la tendresse d’un oncle lointain qui découvre sa nièce cachée pour la première fois.

— Vous avez fait beaucoup de route juste pour me rencontrer, dit-il. J’en suis honoré.

— C’est bien peu de choses, répondit Sephyra. Mais pour être honnête, ce n’est pas l’unique motif de ma venue.

Elle jeta un regard vers l’île qu’on apercevait à peine depuis la berge, petite tache bleutée à l’horizon. Yarenn l’imita, et comprit rapidement où elle voulait en venir.

— Pouvez-vous m’y amener ? À Euresias ? demanda-t-elle.

Yarenn perdit progressivement son sourire, pour ne plus afficher qu’un air résigné. Et il approuva d’un signe de tête.



Le voilier s’élança à l’assaut des vagues, porté par les vents puissants qui le conduisaient vers le large. Cramponnée au mat, Sephyra ne pouvait détacher ses yeux de cette petite silhouette sombre dont les contours se précisaient au fur et à mesure de son avancée, dévoilant peu à peu une sylve immense, et un relief imposant qui semblait dormir au fond de l’île. 

Ils ne mirent qu’une vingtaine de minutes à atteindre un ponton de bois qui servait à amarrer les bateaux commerçants. Yarenn bondit en dehors de son voilier et atterrit souplement sur les planches de bois humide, une corde à la main, et il entreprit de l’attacher solidement pour éviter qu’il ne reparte sans eux. Il fit en sorte de l’attacher suffisamment serré pour réduire au maximum l’espace restant entre la coque et le ponton. Sephyra sauta à son tour sur la terre ferme, soulagée. Elle n’avait pas l’habitude du bateau, et il y avait quelque chose d’angoissant à se retrouver dépendant d’un amas de bois avec une voile au milieu d’un océan agité et hostile.

Yarenn la guida hors du ponton, et s’enfonça dans la forêt, Sephyra sur ses pas. Un petit sentier serpentait entre les arbres et les buissons si denses qu’il aurait été impossible de passer au travers. Sephyra observait avec incrédulité ces végétaux immenses, d’un vert presque surnaturel ; elle ne pouvait mettre de nom sur aucune des essences qu’elle apercevait autour d’elle, mais restait ébahie devant leurs formes variées et leurs fleurs colorées.

À l’issue d’un bon quart d’heure de marche silencieuse, Yarenn ralentit le pas et tourna la tête vers elle, tandis que devant eux, la forêt prenait fin et s’ouvrait sur une immense clairière.

— C’est ici, dit-il en s’écartant.

Sephyra déglutit, et le dépassa sans mot dire. Elle s’avança doucement dans la plaine, comme si elle marchait sur le dos d’un géant qu’elle ne voulait surtout pas réveiller. Elle s’attendait à tomber à genoux et pleurer toutes les larmes de son corps, soudain accablée par de lointains souvenirs qui seraient venus s’imposer à elle, mais elle ne ressentit rien d’autre qu’un émerveillement candide à observer la plaine immense, recouverte de ces fameuses fleurs blanches endémiques qu’on appelait euresias, qui s’étendait devant elle. L’île, résolument, portait bien son nom.

Sephyra reprit son avancée en direction de structures de bois effondrées qu’elle pouvait apercevoir un peu plus loin, et c’est seulement à ce moment que son cœur commença à se serrer. Des ruines de maisons, partiellement brûlées et couvertes de végétation, trônaient encore dans cette vaste clairière, comme si elles attendaient sagement que leurs propriétaires reviennent pour les remettre en l’état. 

Mais ce n’étaient pas tant les ruines qui étaient douloureuses à observer. Sephyra s’arrêta net lorsqu’elle croisa la première tombe. Une petite stèle de pierre était posée, couverte de mousses et de petites fleurs qui avaient décidé de pousser à cet endroit. Quelques mètres sur la droite, une autre stèle. Puis une autre. Puis encore une autre. Sephyra leva les yeux et elle sentit une tristesse incommensurable l’envahir. Partout où ses yeux pouvaient se poser, entre les euresias graciles qui ondulaient dans le vent, de petites stèles improvisées et anonymes avaient été réparties dans la clairière, honorant tant bien que mal la mémoire des défunts qui avaient péri sur l’île, presque vingt années auparavant. 

Yarenn s’avança à ses côtés, cherchant son regard avec préoccupation. Sephyra ne trouva pas la force de lever les yeux, mais fut soulagée par le contact rassurant de son bras sur le sien.

— Nous avons fait comme nous avons pu, expliqua Yarenn. Tous ceux que nous avons retrouvés ont été enterrés… tout le monde n’a pas eu cette chance, mais…

Il se tut en se massant la nuque d’une main. Il n’était pas très bon pour ce genre de choses. 

— Venez, dit-il. Il y a quelque chose que vous voudrez voir, je pense.

Sephyra lui emboîta le pas tandis qu’il s’éloignait en direction du cœur des ruines. Après avoir dépassé quelques autres amas de bois recouverts par des végétaux variés, il se stoppa à proximité d’une autre stèle, quelque peu isolée. Elle avait le même aspect que les autres, si ce n’est qu’elle avait l’air un peu plus décorée.

— C’est ici, dit-il. C’est ici que votre mère est tombée, et vous a confiée à nous.

Sephyra s’avança à pas tremblants en direction de la stèle, et s’agenouilla devant elle. Elle fut stupéfaite de constater qu’elle ne pleurait pas en observant la pierre posée avec minutie sur la terre retournée, qui s’enfonçait très légèrement sur ses pas. 

— Je suis désolé, déclara subitement Yarenn. Nous n’avons pas pu mettre de nom sur la stèle. Ni sur aucune d’ailleurs, ajouta-t-il en jetant un regard à toutes les autres tombes qui parsemaient le village.

— Pourquoi a-t-elle l’air un peu plus grande que les autres ? questionna Sephyra avec une voix étrangement calme. 

— Parce qu’il y avait…

Yarenn s’interrompit. Il ne savait pas vraiment comment l’amener.

— En plus de vous, il y avait un petit garçon avec elle. Nous les avons enterrés ensemble.

Sephyra sentit son cœur se soulever, et elle laissa tomber son visage dans ses mains, la réalité venant subitement s’imposer à elle. C’était réel, bien réel. Et cette réalité se tordait encore et encore sous ses yeux, dessinant en plus de la silhouette incertaine de sa mère, celle d’un frère dont elle ne saurait se rappeler du visage. Ces êtres qu’elle aurait dû chérir, et dont elle ne connaîtrait jamais le nom.

Ou peut-être que si.

— Sere-na, murmura-t-elle.

Yarenn redressa les oreilles, intrigué.

— C’était son nom ? questionna-t-il.

— Oui, je crois, répondit Sephyra. Du moins, d’après ce qu’on m’en a dit.

Yarenn se tut. Le nom lui disait vaguement quelque chose. Soudain, il le répéta, s’éloignant de quelques pas, une main sur le front. Sephyra jeta un regard vers lui, intriguée.

— Tout va bien ? questionna-t-elle.

— Ce nom, « Sere-na », me dit quelque chose. Je crois l’avoir déjà entendu… mais où ?

Soudain, son visage s’illumina. Il trouva le regard de Sephyra, qui n’affichait qu’un sincère étonnement. 


Yarenn ramena Sephyra jusqu’au bateau au pas de course. Non seulement le ciel avait commencé à s’obscurcir, mais surtout, il lui sembla qu’il venait de mettre le doigt sur quelque chose d’inédit, qui avait toujours échappé à sa connaissance, et qui pourrait peut-être apporter une fin inattendue à cette histoire tragique.

Alors que le voilier reprenait son chemin en direction du port de Mérielle, Yarenn se mit à la barre, concentré pour suivre les vents agiles qui parcouraient la surface de l’eau.

— Les renards-volants sont proches des lycaons depuis longtemps, expliqua-t-il soudain à Sephyra qui se demandait toujours pourquoi il avait l’air si agité. Il y a eu de nombreux croisements entre nos deux peuples, bien souvent, de jeunes femmes de l’île ont eu des enfants avec des lycaons. La pratique a cessé avec le temps, mais il y a encore eu des occurrences pas si longtemps avant l’incendie.

Sephyra fronça les sourcils. Où voulait-il en venir ? Yarenn, comme s’il avait entendu sa question, la transperça du regard.

— Il y a quelqu’un que je dois vous présenter, dit-il.


*****


Aussitôt amarrés à Mérielle, Yarenn conduisit Sephyra en toute hâte entre les maisonnettes de bois, les soldats Anethiens à leurs trousses. Ces derniers furent invités à patienter une nouvelle fois tandis que le lycaon entraînait leur reine à l’intérieur d’une minuscule bicoque en bois humide, enserrée entre deux cabanes dans le même état.

Il y avait quelqu’un à l’intérieur. En entendant son parquet grincer, le résident des lieux se leva. C’était un grand lycaon à la chevelure couleur paille, avec des yeux d’un vert hypnotisant. Ses traits étaient durs sous sa peau claire parsemée de taches noires, qui s’étendaient sur son front et ses tempes. L’homme devait avoir une soixantaine d’années, mais avait conservé une carrure solide en dépit des âges. 

Yarenn s’avança à pas vifs vers lui.

— Bonjour Nasil, le salua Yarenn en serrant la main de l’homme. Désolé pour ce passage à l’improviste.

Le dénommé Nasil lui fit un petit signe de tête.

— Que me vaut le plaisir ? questionna Nasil. Oh, bonjour, ajouta-t-il en remarquant à peine Sephyra.

Celle-ci lui fit un petit signe de tête, se demandant toujours pourquoi Yarenn l’avait amenée ici.

— Nasil, il y a quelque chose que je dois te demander, déclara Yarenn sans laisser le temps à Sephyra de se présenter. 

— Je t’écoute.

— Tu as eu une liaison avec une roussette il y a longtemps, et tu as eu une fille avec elle. Une fille avec qui tu as perdu le contact par la suite, qui est restée vivre à Euresias après la mort de sa mère. C’est bien cela ?

— Oui, confirma Nasil en fronçant les sourcils, à la fois intrigué par la question et peiné de réentendre cette douloureuse réalité.

— Tu te souviens de son nom ?

Nasil se redressa de toute sa hauteur. En dépit de son âge, il avait encore une carrure impressionnante.

— Sere-na, dit-il. On avait choisi ce prénom ensemble.

Yarenn se tourna brusquement vers Sephyra, qui le fixait avec des yeux ronds. La jeune femme haletait, comme si elle était sur le point de faire une attaque. Elle agrippa machinalement un pan de sa tunique, tout en fixant Nasil qui ne comprenait pas ce qui pouvait bien la mettre dans un état pareil.

— Nasil, déclara soudain Yarenn d’une voix fébrile. Je te présente Cae-La. C’est la fille de Sere-na. 

Nasil fronça les sourcils. Puis son regard s’illumina. Il s’avança à pas lents vers la reine d’Anethie qui ne savait plus comment gérer ses émotions tout en restant convenable. En observant les traits de celui qui se révélait subitement être le dernier membre de sa famille en vie, son grand-père maternel, elle ne put retenir ses larmes. Elle avait ses yeux. 

Doucement, leurs bras se rencontrèrent, et ils se regardèrent sans ciller, émus aux larmes. Sephyra décida qu’il était grand temps d’arrêter de retenir ses émotions. Ses larmes se marièrent à un rire sincère, poussées par le bonheur improbable de cette rencontre inespérée.

— J’ai tant à te raconter, dit-elle.